Colloque, 23 au 25 avril 2014

L’imaginaire contemporain. Figures, mythes et images

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Présentation du colloque

 
Pour accéder plus aisément aux communications, veuillez consulter la table des matières.
 
Pour fêter ses quinze ans d’existence et la fin d’un premier grand cycle de recherches, Figura, le centre de recherche sur le texte et l’imaginaire, a organisé les 23, 24 et 25 avril 2014 à l’Université du Québec à Montréal un colloque international sur l’Imaginaire contemporain. Cette période qu’est la nôtre a été approchée à partir de perspectives diverses, tant philosophiques qu’esthétiques, et elle a été étudiée dans ses dimensions, culturelles, artistiques et littéraires.
 
L’imaginaire contemporain pose, on le sait, d’importants enjeux tant sur le plan de la conceptualisation que de la description. Qu’est-ce que le contemporain? À quelles expériences nous convie-t-il? Quels récits ou œuvres d’art génère-t-il? Et quelles métaphores, quelles figures pouvons-nous utiliser pour saisir une partie de ce que nous expérimentons? Quel sens peut-on donner à ce mot à une époque où les changements continuels (sur le plan technologique, notamment) semblent annihiler toute forme de présent pour nous projeter sans cesse vers l’avenir?
 
L’imaginaire est conçu comme une médiation, une interface entre le sujet et le monde, une relation singulière qui se complexifie en se déployant, ouverte sur les dimensions culturelles et symboliques au cœur de toute société. Comment décrire cette interface, quel type d’interprétation ou de mise en récit mettre de l’avant afin d’en rendre explicites les lignes de failles et les tensions? Car le monde se donne à connaître par ses signes, et les productions culturelles, artistiques et littéraires sont d’importants révélateurs de ces failles et tensions aussi bien que des lignes de force qu’elles permettent d’expérimenter.
 
À l’image des recherches qui ont été au cœur des travaux de Figura depuis quinze ans, le programme de ce colloque a pour objectif d’étudier quelques-unes de ces lignes de force et de tension qui déterminent l’imaginaire contemporain, en proposant un éventail de recherches distribuées en fonction de trois vecteurs. Le premier consiste à décrire le plus grand nombre possible de manifestations de cet imaginaire contemporain et à entreprendre d’en comprendre la portée et les effets sur notre expérience du monde. Le deuxième entreprend de suivre le contemporain à la trace, en étudiant ses principales pratiques culturelles, artistiques et littéraires, et en explorant des stratégies de création, de recherche et de diffusion ancrées dans les plus récents dispositifs techniques élaborés. Le troisième entend théoriser le contemporain et en offrir un portrait différencié, fondé sur une archéologie conceptuelle et historique.
 
Parmi les enjeux qui seront soulevés tout au long de ce colloque, on peut noter d’entrée de jeu: le développement du numérique et son impact sur les pratiques culturelles, artistiques et littéraires; les transformations majeures des pratiques de recherche et de création; le développement de nouvelles disciplines; la place occupée par le médium livre dans notre culture; les formes complexes de notre expérience du monde, abordée tant du point de vue de l’architecture que de la géographie; les stratégies actuelles de représentation du corps et de la subjectivité, dans un monde marqué tout autant par la technique que par la perte de sens; les liens entre le texte et l’image, la photographie et le réel, le cinéma et les modes de représentation; les formes du politique; les pratiques littéraires et culturelles; l’extrême contemporain.
 
Par l’éventail des problématiques abordées et le regard croisé auquel elles engagent, ce colloque a offert un portrait contrasté de l’imaginaire contemporain, un portrait qui, à défaut d’être exhaustif, a su suscité de nouvelles recherches sur une situation, la nôtre, encore en pleine mutation.
 
 
 
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Table des matières

 

Conférences 

 

Ateliers thématiques

 
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Programme détaillé

 
 
Mercredi 23 avril 2014
 
Conférence-plénière
 
 
Ateliers thématiques
 
Responsables d’atelier: Nicolas Xanthos et René Audet
 
C’est sans doute à bon droit qu’on parle moins, aujourd’hui, du personnage littéraire comme d’un «être de papier»: cette conception renvoie à un imaginaire où était prononcé le divorce entre les mots et les choses, où la pratique romanesque se voulait intransitive. Sans naïveté mais aussi sans défaitisme, la fiction d’aujourd’hui a reconquis, à nouveaux frais, quelque chose de sa capacité à interroger, dire ou figurer le monde et les êtres – ou encore à s’inquiéter de leurs avatars actuels. Ce sont quelques-unes de ces formes humaines de la fiction contemporaine que le présent atelier vise à explorer, pour saisir autant la poétique que commandent ces personnages que les conceptions anthropologiques qu’ils fondent. L’éventail est large: du personnage coupé du monde à celui qui s’y inscrit par un agir (ré)affirmé, du personnage solitaire et évanescent à celui qui s’ancre dans la complexité d’une histoire individuelle ou collective, du personnage campé dans le seul présent à celui que travaille une (post)mémoire, du personnage impassible à celui que définit le sensible, du personnage à qui le sens échappe à celui qui invente de nouvelles lignes de lisibilité dans le réel, etc. Ainsi, c’est au savoir anthropologique de la fiction contemporaine, saisi dans les déplacements poétiques que sa constitution réclame, qu’on entend prêter l’oreille ici. (Archives)
 
Communications de l’atelier:
 
 
 
Responsable d’atelier: Andrea Oberhuber
 
Dans la perspective des études actuelles qui prolifèrent sur les rapports texte/image, notamment dans le domaine de l’histoire du livre et de la photolittérature, il y aura lieu de s’intéresser aux nouvelles formes livresques qui se déploient dans ce face-à-face entre deux moyens d’expression hétérogènes, soit dans les interstices qui s’ouvrent entre les mots et les images photographiques. Dans bon nombre de ces projets issus d’une démarche collaborative qui se veut «avant-gardiste», la photographie joue un rôle de premier ordre, détrônant à l’occasion la peinture, le dessin, la gravure et la lithographie. Le médium photographique se voit littéralement revalorisé en tant que moyen artistique délaissant dès lors sa fonction d’épreuve du réel, à valeur documentaire ou illustrative (dans le sens d’une paraphrase visuelle). De la tradition du livre illustré largement répandu au XIXe siècle (et au delà) au roman-photo contemporain en passant par le livre dit surréaliste et le livre d’artiste, la réflexion portera sur l’objet livre comme espace d’expérimentation qui, à travers les enjeux du littéral et du pictural, propose des configurations multiples d’échange et de partage mais aussi de divergence quant aux enjeux médiatiques. (Archives)
 
Communications de l’atelier:
 
 
 
Responsables d’atelier: Maryla Sobek et Joanne Lalonde
 
L’objet de cette rencontre sera de favoriser les échanges et de partager les expériences en recherche et création autour de pratiques qui sollicitent le corps, qu’il soit imaginaire, imaginé, modifié, dansé, détourné ou encore avatar. Le corps est le sujet et l’objet qui a toujours occupé une place prépondérante dans la littérature, les arts visuels, les arts de la scène et les recherches scientifiques tant sur les plans esthétique et historique que médical. Décrit, imaginé, peint, sculpté, mis en scène ou capté par l’œil de la caméra, le corps représente un vecteur privilégié de l’esthétique et de l’imaginaire de chaque époque. Ainsi les présentations exploreront dans une perspective interdisciplinaire les différents aspects du travail du corps et par le corps suivant des approches esthétique, artistique, sociale, médiatique ou technologique. Métamorphoses et marqueurs corporels, relations corps-espace, esthétiques du geste et du mouvement, identités, désirs et normativité, sont autant d’aspects qui seront discutés et/ou mis à l’épreuve de la création. Cette rencontre a été organisée par Maryla Sobek, Manon Levac et Joanne Lalonde. (Archives)
 
Par la diffusion de ces présentations nous souhaitons rendre hommage au travail et à la mémoire de notre collègue Maryla Sobek, décédée le 22 mai 2014.
 
Séances de l’atelier:
 
 
 
Responsable: Véronique Cnockaert
 
Le roman n’est jamais le décalque de la réalité, il génère ses propres cartographies, ses propres espaces-temps: il obéit à l’économie narrative du récit. Cette économie est cependant toujours tributaire d’un imaginaire graphique puissant à l’intérieur duquel la ligne, le mot et l’idée s’assemblent, s’unissent, se rejoignent. Qu’il s’agisse de la ligne ascendante ou descendante d’une destinée, de la ligne morale ou idéologique, de la ligne de vie, des lignes qui structurent l’espace ou de celle qui métaphorise le temps, la ligne (d’écriture) ne cesse d’ordonner l’imaginaire. Aussi le réel est-il graphiquement et culturellement constitué. Cet atelier voudrait prendre en compte et analyser à partir d’une étude des «lignes littéraires», les événements et phénomènes (géographique, psychologique, politique, esthétique, etc.) qui sont inféodés à la ligne. C’est un fait que celle-ci crée au sein du roman des cadrages esthétiques, imaginaires et symboliques précis. Autrement dit ce colloque voudrait considérer la littérature comme un exercice graphique au sens fort du terme dans lequel la ligne droite joue sur tous les tableaux de la vie parce qu’elle valorise de facto un cadrage particulier de la réalité et recompose de la sorte le monde. (Archives)
 
Communications de l’atelier:
  • Marie-Claude Bouthillier. «Tracés périlleux» [Communication non disponible]
 
 
 
Responsable de l’atelier: Marc-André Brouillette
 
La recherche création constitue un champ multidisciplinaire à l’intérieur duquel dialoguent pratiques artistiques, réflexions et enseignements. Compte tenu de sa présence encore récente dans nos institutions universitaires et collégiales – malgré ses quelques décennies d’existence, on considère encore que ce domaine est jeune –, il apparaît important de se pencher sur sa nature sans cesse évolutive et sur la diversité des objets qu’elle rassemble. (Archives) [Atelier non disponible]
 
 
 
 
Jeudi 24 avril 2014
 
Conférence-plénière
 
 
Ateliers thématiques
 
Responsable d’atelier: Bertrand Gervais
 
L’imaginaire contemporain pose, en tant qu’objet d’étude, d’importants enjeux tant sur le plan de la conceptualisation que sur celui de la description. Qu’est-ce que le contemporain? À quelles expériences nous convie-t-il? Quels récits ou œuvres d’art génèrent-ils? Et quelles métaphores, quelles figures pouvons-nous utiliser pour saisir une partie de ce que nous expérimentons? Quel sens peut-on donner au mot «contemporain» à une époque où les changements continuels semblent annihiler toute forme de présent (et a fortiori du passé) pour nous projeter vers l’avenir? Le présent, notre présent, n’est pas un temps homogène; il est fait de temporalités différentes, de tensions multiples et de vecteurs pluriels, qu’il convient d’identifier et de comprendre. On le désigne maintenant comme contemporain. Ce terme est, selon Lionel Ruffel, une non-catégorie, une notion de faible intensité qui a pourtant réussi à s’imposer et, comme il le dit, «qui se porte bien et surtout qui ne s’est jamais aussi bien portée qu’aujourd’hui» (2010, p. 10). Cette non-catégorie renvoie souvent à une logique de l’émiettement et de la fragmentation, du ponctuel, voire de l’équivoque. Quelles en sont les manifestations littéraires, en France notamment où le terme d’extrême contemporain s’est imposé pour rendre compte de la production littéraire des dix dernières années, mais en Amérique du nord aussi, où la production semble marquée par un retour à des formes déjà bien établies. (Archives)
 
Communications de l’atelier:
 
 
 
Responsables d’atelier: Vincent Lavoie et Alexis Lussier
 
À travers l’indice se pose le rapport à l’enquête, à la preuve, au récit, à une symptomatologie de la vérité que plusieurs chercheurs critiquent ou revisitent, à la suite par exemple de Ginzburg, en interrogeant la valeur de probité que le droit reconnaît ou non à la photographie depuis les années 1880. Pourquoi les avocats, les experts appelés à la barre font-ils appel aux images pour faire valoir leurs opinions? Pourquoi les mots ne suffisent-ils pas pour emporter la conviction des jurés lors de procès d’assises? Il y a quelque chose d’archaïque et de fondamentalement contemporain dans le geste de brandir des photographies, de projeter des documents visuels, de lancer une animation infographique à des fins de persuasion. Archaïque parce que ces gestes de démonstration renvoient au fondement même de la rhétorique. Contemporain parce que les images, ces «témoins silencieux», tiennent la dragée haute à ces preuves invisibles que la criminalistique recueille (fibres, fluides, molécules) et présente comme irréfutables. Si l’admissibilité en preuve des images n’est pas chose récente, leur reconnaissance au titre d’«arguments visuels» l’est davantage. On doit donner à voir pour convaincre. Ce principe est en apparence simple. Toutefois, celui-ci prend aujourd’hui une dimension inédite avec la montée en puissance de l’image au tribunal, la multiplication de sociétés spécialisées dans la modélisation d’accidents divers, une culture de la croyance dopée aux documents visuels (Rodney King, O.J. Simpson, Caylee Anthony). La photographie est dans ce contexte plus que révélatrice d’indices; elle est pourvoyeuse de preuves. De l’indice à la preuve, de la supposition à la conviction, voilà peut-être le saut qualitatif – fondé ou fantasmé – que cette rencontre pourrait proposer d’étudier à partir de l’image photographique. Cette rencontre pourrait faire en sorte que se croisent des lectures et des usages judiciaires, littéraires et artistiques de l’indice visuel. Alors que l’indice est lui-même, en quelque sorte, halluciné soit en raison de la mise en valeur photographique du détail ou de la pièce à conviction, qui a toujours pour effet de rendre le visible plus frappant, on aura également l’occasion de s’interroger sur l’efficacité visuelle de l’indice. L’indice, en effet, n’est-il pas un moment visuel singulier? Une mise en valeur du détail qui aurait pour effet d’exorbiter le regard? (Archives)
 
Communications de l’atelier:
 
 
 
Responsable d’atelier: Jean-François Chassay
 
La question du monstre et de la monstruosité est vaste: de la métaphore révélant le monstre moral (individuel ou collectif) jusqu’à la représentation de l’être monstrueux comme hapax, signalant une singularité absolue à cause d’anomalies particulières, sans oublier l’association de cette figure avec le surnaturel. Les monstres ont toujours existé, ont toujours fait parler (ont toujours apeuré) et l’imaginaire du monstrueux remonte à l’Antiquité – et peut-être, déjà, aux peintures de Lascaux. Bien sûr, la norme évolue et la figure du monstre se voit tributaire de modifications culturelles. Cet atelier voudrait s’intéresser au monstrueux du point de vue de l’imaginaire de la science, c’est-à-dire en portant l’attention en priorité sur le monstre «créé». Du clone au posthumain, du cyborg au greffé en passant par le «mutant génétique», il existe un imaginaire du monstre qui provoque la peur comme l’admiration par le constat que la science peut modifier la nature humaine. La fiction traduit depuis longtemps craintes et fantasmes par rapport à l’être artificiel. C’est ce que cet atelier voudrait interroger. (Archives)
 
Communications de l’atelier:
 
 
 
Responsables d’atelier: Myriam Marcil-Bergeron et Benoit Bordeleau
 
Cet atelier fut l’occasion d’aborder quelques enjeux liés aux recherches et pratiques en cours au sein de La Traversée. Il a procédé par retours et avancées, par rétrospection critique et prospection spéculative. Trois visées lui ont donné corps et l’ont animé: 1) sonder les voies empruntées; 2) indiquer ou repositionner certaines balises théoriques/méthodologiques; et 3) ouvrir de nouvelles perspectives pour l’approche géopoétique. Sous forme d’échanges et de discussions, la présentation s’est fait en deux temps. (Archives) [Atelier non disponible]
 
 
 

«Imaginaire cinématographique. L’effet cinéma à l’époque des images en mouvement»

Responsable d’atelier: Sylvano Santini

Nous voulons, dans ce colloque, faire apparaître l’imaginaire contemporain du cinéma dans les autres formes d’art et dans les champs disciplinaires autres que les études cinématographiques. Nous pensons à son apparition et à son influence dans des domaines disciplinaires tels que l’histoire de l’art, la littérature, la sémiologie, les sciences de la communication, l’Histoire, etc. Il s’agira donc de dresser les contours de cet imaginaire en interrogeant ces différentes manifestations, remédiations, utilisations, cooptations, etc. ailleurs que dans la production de films ou leur réception. Nous aimerions également que les communications ne se limitent pas à révéler les «tropismes cinématographiques», c’est-à-dire à recenser ce qui fait penser simplement au cinéma dans une œuvre d’art, un roman, une théorie (comme l’évocation d’un nom d’acteur, d’une scène, le nom d’un film, une image). Nous aimerions que le colloque reflète l’idée que nous ne sommes plus dans une «culture de l’image» mais plutôt dans une culture contemporaine des images en mouvement. Cette culture, qui s’est accélérée depuis l’avènement du magnétoscope, a permis à tout le monde, de l’artiste high-tech au spectateur ordinaire, de s’approcher des images cinématographiques, de les toucher. Nous ne regardons plus seulement de manière passive les images en mouvement; nous pouvons les ralentir, les accélérer, les arrêter à notre guise dans nos salons et, plus encore, les démonter, les remonter et les agencer avec d’autres images sur nos ordinateurs. L’imaginaire contemporain a épousé naturellement cette capacité à manipuler les images en mouvement. Nous aimerions en avoir des exemples, en interroger les causes, en analyser les effets et les conséquences dans une œuvre, une pratique artistique, un ouvrage scientifique, un essai théorique. L’effet cinéma finalement augmente-t-il les pouvoirs d’agir d’un autre art ou de la pensée d’une discipline qui n’a rien à voir d’emblée avec le cinéma? Ou, à l’inverse, les freine-t-il pour plaire à notre imaginaire cinématographique? (Archives)

 
Communications de l’atelier:
 
 
 
Vendredi 25 avril 2014
 
Conférence-plénière
 
 
Ateliers thématiques
 
Responsables d’atelier: Antonio Dominguez Leiva et Alexandra Ivanovitch
 
En marge de recettes éprouvées et d’une tendance à la transparence sémantique, et des productions pour très grands publics, la culture populaire a développé, dès les années 60, sa propre veine expérimentaliste qui s’est tantôt abreuvée ou distancée des avant-gardes et des pratiques autoréférentielles en culture savante, avant de développer sa propre constellation néobaroque (Calabrese, 1992). De plus en plus consciente d’elle-même, elle n’a désormais de cesse d’exposer ses propres mécanismes et ses propres codes, avec ou sans arrière-plan critique. On tâchera de recueillir les efforts théoriques effectués à la suite de cette mouvance afin de la replacer dans des cadres conceptuels et historiques plus vastes.
 
On tentera ainsi de mesurer les effets pragmatiques et sociaux de la métapop (Dunne, 2010) qui agit souvent comme un révélateur du degré d’implication des spectateurs dans l’interprétation des textes et de leur volonté d’affronter et d’analyser le caractère potentiellement aliénant de la fiction de masse. Il s’agira aussi de comprendre la spécificité des fictions réflexives populaires, qui ne procèdent pas de simples transferts ou d’adaptations des régies empruntés à leurs précurseurs savants. Enfin, on se tournera vers l’avènement d’une métafiction de grande consommation en tant que mise en crise du caractère subversif de la réflexivité, non seulement dans la fiction populaire, mais aussi dans la littérature et le cinéma de production restreinte. (Archives)
 
Communications de l’atelier:
  • Antonio Dominguez Leiva. «De l’avant-pop à l’afterpop» (Archives) [Communication non disponible]
  • Sébastien Sainte-Croix Dubé. «La culture du divertissement: archétype.inc, méta-narration et l’âge de l’hyper-information» (Archives) [Communication non disponible]
  • Sarah Grenier-Millette. «It’s not the end my friend, it’s only the intermission: réflexivité dans le cinéma populaire indien contemporain. Le cas de Om Shanti Om (Farah Khan, 2007)» (Archives) [Communication non disponible]
  • Mélissa Goulet. «Le jeu avec le lecteur dans la métafiction policière» (Archives) [Communication non disponible]
  • Alexandra Ivanovitch. «Pop-en-stock, l’application. Enjeux d’une diffusion pop de la recherche sur le métapop» (Archives) [Communication non disponible]
 
 
 
Responsables d’atelier: Sophie Marcotte et Sylvain David
 
Le foisonnement actuel de réseaux et de communautés virtuels a pour effet de permettre la manipulation et l’analyse d’une masse de discours, données et représentations. Dans ce contexte, on s’interroge sur ce que cela signifie que de créer ou d’être lié à de tels réseaux ou communautés et ainsi de développer de nouvelles manières d’organiser, voire de penser, les connaissances. En effet, les humanités numériques, de par la posture interdisciplinaire sur laquelle elles reposent, permettent notamment la mise au jour de stratégies inédites d’analyse, d’archivage et de diffusion «communautaires» qui jettent un nouvel éclairage sur la collaboration entre les disciplines et, de manière plus générale, sur la circulation et l’évolution des connaissances. 
 
On développera ici le sujet autant dans la perspective plus spécifique de la diffusion et de la réception qui émergent du contexte des humanités numériques (bases de données, édition électronique, archivage et indexation) que dans celle de questionnements qui mettent en cause l’expérience singulière du monde comme totalité vécue dans le contexte des environnements virtuels. (Archives)
 
Communications de l’atelier:
 

 

Responsable d’atelier: Julien Lefort Favreau

Cet atelier vise à interroger la portée émancipatrice de la lecture et de l’interprétation des textes littéraires. Cette politique de la littérature engage un rapport spécifique au passé et permet d’envisager les œuvres du passé comme autant de modèles de compréhension du présent et du futur. Cette perspective permet de renouveler l’histoire littéraire, en déjouant la linéarité de la téléologie afin de mettre au jour l’actualité des textes du passé. L’observation des politiques de la lecture et de l’interprétation permet en outre de saisir la pertinence de la théorie littéraire dans l’espace social, en lui redonnant un pouvoir d’invention politique. (Archives)

Communications de l’atelier:

 
 
 
Responsable d’atelier: Pier-Pascale Boulanger
 
La traduction a ceci de particulier qu’elle est une écriture sous contrainte. C’est d’ailleurs ce qui fait sa force. Contraint par la poétique de l’oeuvre originale, les limites formelles de la langue d’arrivée, la culture du lectorat cible, les impératifs de l’éditeur, le traducteur littéraire fait son possible. Arrive la littérature numérique tramée de codes qui complexifient davantage la tâche du traducteur. La traduction de l’hyperfiction se trouve-t-elle reléguée à des routines d’ordre machinique? Ou réalise-t-elle plutôt, sous l’ajout d’une autre contrainte, numérique cette fois, un potentiel de créativité décuplé?
 
Communications de l’atelier:
 
 
 
Responsable d’atelier: Bertrand Gervais
 
L’écran est maintenant le dispositif par excellence du numérique. C’est par le biais d’un écran et de son interface visuel que nous avons accès aux ordinateurs et à leurs possibilités. Ce lien est une des composantes de l’époque contemporaine. D’ailleurs, on a assisté à une pénétration graduelle des écrans dans toutes les sphères de la vie, pénétration qui a suivi quatre mouvements: un approchement graduel des écrans; généralisation graduelle de leur présence dans toutes les activités; une interactivité grandissante, via les interfaces graphiques et une dématérialisation graduelle. L’écran est une surface d’inscription et de création, un espace de navigation et de connaissance, une interface de plus en plus dynamique qui permet à des pratiques esthétiques d’un nouveau genre de se développer. Afin de mieux comprendre les possibilités de l’écran, cet atelier offrira des réflexions variées sur la façon dont cette surface participe à des expériences et à des esthétiques numériques.
 
Communications de l’atelier:
  • Raphaël Sigal. «L’écran, l’oeil et la main» (Archives) [Communication non disponible]
  • Christophe Collard. «Médiation en mouvement: scénographier la présence permanente» (Archives) [Communication non disponible]
  • Marie Fraser. «Vers une mutation des écrans» (Archives) [Communication non disponible]
  • Gregory Fabre et Robin Varenas. «Évolution et appréhension de l’espace écranique» (Archives) [Communication non disponible]
  • Claire Swyzen. «Faire voyager le langage des nouveaux médias vers le théâtre, ou la possibilité d’une rencontre entre la culture informatique et le théâtre documentaire» (Archives) [Communication non disponible]
  • Ariana Savoie. «L’écran comme espace figural de la représentation – Whiteonwhite: algorithmicnoir» (Archives) [Communication non disponible]
 

Communications de l’événement

Alex Gauthier & Myriam Gervais O'Neill

Traduire plusieurs codes à plusieurs mains, traduire Mark Marino

Nous raconterons notre expérience de traduction collaborative de la nouvelle Living Will de Mark Marino. L’équipe à huit mains (Ugo Ellefsen, Alex Gauthier, Myriam Gervais-O’Neill et Émilie Robertson) a dû relever des difficultés de tous ordres afin de produire Testament de vie. Aussi, les solutions intéresseront ceux qui envisagent de traduire es textes d’hyperfiction.

Alex Gauthier a obtenu un baccalauréat spécialisé en traduction à l’Université Concordia. Il poursuit désormais ses études aux cycles supérieurs en traductologie à la même université. Il s’intéresse aux enjeux de la traduction des langues orales et dominées en tentant d’appliquer les principes meschonniciens et postcoloniaux et de réinventer le français de traduction. Il est co-traducteur de l’œuvre hypermédiatique Living Will, de Mark C. Marino, traduction lauréate du premier prix du concours de traduction organisé par bleuOrange en 2013.

Myriam Gervais-O’Neill a obtenu son baccalauréat en traduction à l’Université Concordia le printemps dernier. Elle a fait partie de la délégation Concordia, lauréate de la première place aux 9es Jeux de la traduction qui se tenaient à Québec cette année. Durant ses études, elle a collaboré aux côtés d’étudiants de l’école de cinéma Mel Hoppenheim à titre de gestionnaire de l’équipe de traduction, de traductrice et de réviseuse pour le projet Sur l’île. Elle est également co-traductrice de l’œuvre hypermédiatique Living Will de Mark C. Marino.

Alice van der Klei

Entre le code et le poétique

La traduction de l’œuvre numérique est un travail collaboratif. À travers les œuvres qui ont été traduites pour la revue bleuOrange, revue de littérature hypermédiatique, nous verrons comment le travail entre l’artiste Web et le traducteur doit se faire en proximité. Manipuler les mots, les images, les sons et les vidéos d’une œuvre hypermédiatique vers le français demande non seulement d’adapter la langue, mais aussi d’adapter les pratiques d’intermédialité et de remédiation. Traduire entre le code et le poétique, c’est manipuler la langue numérique.

Pour consulter la revue bleuOrange, cliquez ici.

Alice van der Klei a soutenu une thèse sur l’hypertexte à l’Université de Montréal. Post-doctorante au NT2, le Laboratoire de recherches sur les œuvres hypermédiatiques à l’UQAM en 2006-2007, elle a été responsable de l’information et de la communication au NT2 jusqu’en 2009. Elle est la rédactrice en chef et co-fondatrice de la revue bleuOrange. Alice van der Klei est chargée de cours au Département d’études littéraires à l’Université du Québec à Montréal et responsable de l’Observatoire de l’imaginaire contemporain à Figura.

Geneviève Has

Contraintes du support: les monstres sacrés de la mythologie de l’interface

On connaît bien la portée des révolutions textuelles précédentes, ainsi que de leurs répercussions sur la sphère littéraire, mais qu’en est-il de la révolution numérique? Ces «nouveaux» outils possèdent-ils le même pouvoir transformateur que le codex, le manuscrit ou le livre imprimé? Qu’il soit ainsi question d’œuvre numérique, numérisée, hypermédiatique ou électronique, l’arrivée des nouvelles technologies change le rapport au texte, à plus forte raison lorsqu’il s’agit de le traduire. Formats, plates-formes et interfaces font désormais partie de la panoplie de l’auteur, tout comme de son vis-à-vis, le traducteur. Ces outils viennent bien évidemment avec leur lot de contraintes techniques, mais aussi avec des contraintes moins tangibles, moins visibles. Il s’agira donc de remonter le fil de l’histoire informatique pour en dégager les figures et les mythes les plus prégnants, puis d’en examiner l’écho jusque dans les pratiques hypermédiatiques actuelles.

Geneviève Has a terminé ses études de premier cycle en traduction, après un bref détour en linguistique, pour ensuite compléter une maîtrise en traductologie. Son mémoire portait sur les technologies langagières canadiennes et sur l’histoire de leur développement. Au cours de ses études, elle a enseigné les technologies de la traduction, la localisation et les théories de la traduction à l’Université Concordia. Elle étudie présentement au doctorat à l’Université du Québec en Outaouais.

Arnaud Regnauld & Stéphane Vanderhaeghe

Transcodage, transcendance et traduction: l’expérience traumatique d’«Afternoon, a story»

En tant qu’archive électronique, afternoon a story, hyperfiction qui a vu le jour en 1987, distribuée alors sur disquette, est dépositaire d’une mémoire, moins tournée vers le passé et la préservation d’une œuvre statique, que vers l’avenir de ses versions à venir. Les multiples versions d’afternoon, et l’impossibilité de lire l’œuvre sous Windows, ou Mac OS 10.9 à ce jour, ne participent pas d’une simple réédition comme le veut l’usage pour des fictions imprimées, relevant de l’autorité de la figure composite de l’éditeur (commercial, scientifique, familial, etc.), mais d’un transcodage des strates logicielles qui sous-tendent le texte. S’en tenir à la seule composante de la langue naturelle, habituellement dévolue au traducteur littéraire, revient à négliger, voire à nier l’inscription matérielle, sociale, culturelle et historique de l’œuvre: ce serait là une vision essentialiste du texte (largement critiquée par les études récentes sur la textualité) perçu comme un élément transcendantal, pure œuvre de l’esprit, transposable à l’envi au fil des migrations d’un support à l’autre. Il n’est toutefois pas certain que le code puisse être réduit à un élément non linguistique, ce qui exclurait de fait la possibilité d’une poétique du code. Dans un article fondateur intitulé «Critical Code Studies», Mark Marino envisage à plus long terme le développement d’une compétence cyborg transdisciplinaire («computer literacy») en des termes qu’il convient toutefois d’interroger. Traduire le code signifierait de fait l’expliciter, en déployer les ramifications tout en ajoutant les commentaires qui auraient pu être omis par le ou les programmeurs initiaux, comme le veut l’usage, à l’attention des lecteurs non machiniques. Mais peut-on encore parler de traduction dès lors qu’il s’agit plutôt d’exégèse technique? Voici qu’apparaît la double question de la visibilité et de l’autorité du cybertraducteur.

Cette communication relève en grande partie d’un travail de théorisation entrepris en collaboration avec Stéphane Vanderhaeghe (Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis).

Arnaud Regnauld est professeur de littérature américaine et de traductologie à l’université de Paris 8 Vincennes-Saint-Denis où il vient d’être réélu aux fonctions de vice-président à la recherche. Ses recherches les plus récentes portent sur les nouvelles formes de textualité à l’ère du numérique et leur traduction ainsi que sur les rapports entre arts, littérature et philosophie.

Jean-Marie Privat

La cabriole digressive du hobby horse

La ligne droite (horizontale et calibrée) peut être considérée comme l’infrastructure chronotopique de l’écrit. Les écrivains (se) jouent parfois de cette raison linéaire – contrainte productive à la fois technique et symbolique. Nous observerons quelques pas de côté de la prose de L. Sterne (Tristram Shandy, 1759-1767) en suivant les trajets textuels erratiques du hobby horse, cet animal du folklore oral et festif matriciel de/dans la narration shandienne. Nous inscrirons ce cheminement typographique dans une histoire longue de la littératie où seront mis en perspective les usages du signifiant graphique à la fois dans la cartographie moderne du monde imprimé et dans la chorégraphie contemporaine de la parade poétique (le cheval-jupon de Parade – Satie-Cocteau-Picasso-Massine, 1917). Une approche du dialogisme culturel et structurel à l’œuvre dans l’in-formation de la fiction.

Jean-Marie Privat est professeur de langue et littérature françaises, spécialiste d’ethnocritique. Il est membre des comités de rédaction des revues Cahiers de Littérature OraleEthnologie françaisePratiques et Romantisme. Il codirige la collection EthnocritiqueS. Anthropologie de la littérature et des arts. Il est membre du CREM (Centre de recherches sur les médiations, Université de Lorraine), membre associé de Figura – UQAM et du IIAC-LAHIC (Paris).

Émile Bordeleau-Pitre

M. Caravan ou l’homme-pendule: l’oppression de la ligne et de la lettre dans «En famille» de Maupassant

Sous les couverts de l’histoire comique, Maupassant illustre dans En famille toute l’aliénation d’un homme qui, incapable d’atteindre l’échelon supérieur, reste coincé dans l’horizontalité. Étude de l’ordre, des corps et du mouvement autour de M. Caravan, «l’homme-pendule».

Émile Bordeleau-Pitre est candidat au doctorat en études littéraires à l’Université du Québec à Montréal. Directeur de la revue Postures, co-organisateur des soirées Mots et images de la résistance, il travaille sur les questions d’avant-garde et de radicalité dans la revue d’entre-deux-guerres Documents. Récipiendaire de la Médaille du lieutenant-gouverneur pour la jeunesse, il a publié dans plusieurs revues dont CapturesSpirale et Ricochet.

Véronique Cnockaert

Quelques lignes «intra muros et extra». Lecture de l’incipit du «Père Goriot»

L’incipit du Père Goriot est tributaire d’un imaginaire graphique puissant, et plus spécifiquement d’une logique graphique qui met en relation architecture, Histoire, esthétisme, présupposés idéologiques et éthos social. Cet univers fortement posé comme un cadastre s’avère également constitutif du personnage, la ligne de l’un s’apparentant à la ligne de l’autre comme dans un phénomène de coalescence. C’est ce discours muet du dispositif topographique et idéologique que cette communication voudrait mettre à jour et analyser.

Véronique Cnockaert est membre régulière de FIGURA, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire. Professeure au Département d’Études littéraires de l’Université du Québec à Montréal, elle est spécialiste du XIXe siècle, particulièrement de l’œuvre de Zola et du Naturalisme. Outre de nombreux articles, elle a entre autres édité Une Page d’amour de Zola, chez Garnier en 2021; Renée Mauperin des Goncourt, chez Honoré Champion en 2017, ainsi qu’une édition commentée de Au Bonheur des Dames dans la collection «Foliothèque» chez Gallimard en 2007. Elle a également dirigé le collectif Zola. Mémoire et sensations, chez XYZ Éditeurs en 2008.

Jacinto Lageira

La preuve corporelle

Les meurtres, crimes, tueries, assassinats de masse et en masse nous ont livré et continuent de livrer des millions de corps au regard comme preuve des faits commis. Pour donner un corps à regarder, il faut l’avoir: «que tu aies le corps» — ce qui est le sens de l’Habeas Corpus Act. À l’opposé, les négationnistes comprennent l’absence concrète des corps comme la preuve que tel fait n’a pas eu lieu, que le crime ou le génocide n’a pas été accompli. Présence et absence de corps sont des preuves en miroir, preuve reflétante qui se renverse à son tour, puisque l’absence des corps des républicains de la Guerre civile d’Espagne, des opposants aux dictatures militaires d’Argentine, du Chili ou du Brésil, ou des civils de la guerre en ex-Yougoslavie, sont la preuve qu’il y a bien mensonge, déni, occultation sur ce qui s’est passé et que l’on veut effacer des mémoires et, littéralement, de la géopolitique. À la preuve corporelle en chair et en os – désormais irréfutable par l’ADN des victimes – s’ajoute la preuve corporelle représentée, l’image en direct ou en différé attestant toujours que cela se déroule, que cela s’est bien passé. Même cela n’est pas certain. Les images peuvent jouer de la sur-preuve ou de la sous-preuve: c’est tellement criant de vérité que cela ne peut qu’être faux; c’est si invraisemblable que cela ne peut qu’être vrai. Le même argument pouvant exactement s’inverser, les représentations ne seraient donc pas fiables par elles-mêmes et pour elles-mêmes, requérant ainsi une preuve corporelle concrète – le corps en chair et en os de l’habeas corpus – pour renforcer l’image qui en est diffusée.

Professeur en esthétique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Jacinto Lageira notamment a publié L’image du monde dans le corps du texte (I, II), La Lettre volée, 2003; L’esthétique traversée – Psychanalyse, sémiotique et phénoménologie à l’œuvre, La Lettre volée, 2007; La déréalisation du monde. Fiction et réalité en conflit, éd. J. Chambon, 2010; Cristallisations, Actes Sud, 2012; Regard oblique. Essais sur la perception, La Lettre volée, 2013. Il est aussi chercheur à l’Institut ACTE (UMR 8118 – CNRS) et directeur du laboratoire Æsthetica, art & philosophie.

Sébastien Roldan

Dieu a planté son compas dans la Seine: le «Paris» de Vigny vu sous tous ses angles

Lorsqu’Alfred de Vigny dans ses Poèmes antiques et modernes emmène deux bonshommes contempler la vue du haut des tours de Notre-Dame, c’est un spectacle jamais vu qui s’offre à eux. L’élévation ainsi gagnée leur vaut d’embrasser le paysage du point de vue de Dieu, et cette objectivation du réel mis à distance, ce recul promeut «Paris» au rang de symbole universel. Déjà pensée comme la capitale du siècle et comme la fine pointe de la civilisation, la ville s’étale soudain sous tous ses angles – et ils sont nombreux: la ligne droite envahit l’horizon entier, signe de la formidable industrie de l’Homme, et ne demeure qu’une seule ligne courbe, celle des serpentements de la Seine, vestige unique d’une Nature sur laquelle l’humanité a bâti son empire. Mais, si la linéarité appartient ici clairement aux produits de l’homme, Vigny lui confère également valeur de singularité; car les angles et les délinéaments relèvent du singulier qu’on peut détailler, qu’on peut isoler, identifier, nommer, tandis que la courbe, les formes pleines ou la sphéricité ouvrent toutes au diffus, aux vues d’ensemble qui s’imposent à l’œil en masse et échappent à sa saisie effective. C’est à réfléchir à ces tensions géométriques que nous nous appliquerons, à l’occasion d’une communication géopoétique qui croisera le regard du géographe, le discours de l’historien et l’appréhension du poète.

En août 2013, Sébastien Roldan a soutenu une thèse en cotutelle franco-québécoise à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université Paris Ouest-Nanterre, sur la question du suicide dans le roman naturaliste. Ses travaux s’intéressent au dialogue qui s’effectue entre littérature et philosophie dans les œuvres littéraires françaises du XIXe siècle.

Alexis Lussier

Le souci d’évidence et le plus de regard: photographie et instance de vérité en psychanalyse

Il y a sans doute, de ma part, un désir d’aborder l’envers de la problématique, mais ce sera, je l’espère, pour mieux la mettre en valeur.  De tout temps, la psychanalyse ne peut prétendre à l’évidence. Elle ne peut ni en appeler à une quelconque instance de vérité (science, objectivité, expérience reproductible en laboratoire), ni prétendre convaincre quiconque demanderait… à voir. C’est aussi pourquoi la psychanalyse, qui s’intéresse au scénario criminel, ne peut servir à appuyer aucune des décisions commises lors d’un tribunal. En ce sens, je renvoie à un texte de Freud, «L’établissement des faits» (1906) qui est, à ma connaissance, le premier texte, dans l’histoire de la psychanalyse, à se prononcer sur sa contribution à la criminologie. Cette contribution est improbable, dit Freud, et elle n’est pas même souhaitée. Freud, ici, se dégage de toute instrumentalisation judiciaire de la découverte de l’inconscient. Il n’en demeure pas moins que dès lors que le sujet est aux prises avec son propre scénario criminel (culpabilité inconsciente, meurtre du père, hantise de la pulsion, etc.) il ne peut que reformuler ce qu’il suppose avoir commis, dans l’après-coup de sa parole et l’imagination du souvenir-écran sur lequel il demande à voir, lui-même, ce qui a été. C’est ici, pour revenir à notre problématique, que se pose le rapport à l’enquête, à la preuve, au récit, à une symptomatologie de la vérité qui ne peut que masquer au sujet de l’inconscient la teneur strictement symbolique de la «vérité» qui est en jeu. Vérité qui n’est pas la «vérité historique», mais cette sorte de vérité qui semble faire tenir dans l’inconscient la logique et la cohérence subjective d’un scénario, lequel n’est lisible que par les indices et les traces qu’il laisse dans le discours, mais dont aucune photographie, document ou vidéo de famille ne pourra attester. Dans le cadre de ma présentation, j’aimerais confronter cette affaire, à la célèbre phrase de Benjamin, qui affirmait que «la photographie nous renseigne sur cet inconscient visuel, comme la psychanalyse nous renseigne sur l’inconscient pulsionnel». Il y a beaucoup de choses, dans cet énoncé, et comme tout ce qui est énoncé, chez Benjamin, il demande à être prudemment médité. Tout d’abord, sur les rapports entre psychanalyse et photographie, inconscient et image reproductible, indice et gros plan. Mais il convient aussi de nous interroger sur l’autre très belle intuition de Benjamin qui comparaît, dans le même texte, les photographies d’Atget à une étrange et invisible scène de crime. Cette intuition ne s’impose-t-elle pas à l’envers exacte de la première? Non pas la mise en évidence de l’indice ou du détail, chez Bloßfeldt, par exemple, mais la mise en énigme, pourrait-on dire, d’un objet, ou d’une scène invisible, qui nous captive d’autant plus que nous ne voyons pas. C’est aussi, en ce sens, la prétention de la photographie à montrer qui est en jeu. Ce qu’elle promet comme une évidence ou un plus de regard qui a pour effet d’exorbiter la vision elle-même au moment où le regard voit s’éclipser son objet.

Alexis Lussier est professeur au Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal et chercheur à Figura. Son enseignement et ses principaux champs de recherche portent sur le regard et les images, dans l’optique de la littérature et du cinéma ; sur les relations entre littérature et perversion, scène d’écriture et scène fantasmatique, angoisse et obsession. Ses travaux ont été publiés dans différentes revues spécialisées dont EssaimCygne noirLe Coq-HéronÉtudes françaisesVoix et images et Trafic. Depuis quelques années, il propose un retour à l’invention théorique de la «névrose obsessionnelle» en tant qu’elle implique, chez Freud et Lacan, une relecture de la modernité.

Matthias Dejonghe

Édouard Levé. Pratiques contemporaines et hybridation de l’expérience littéraire

Non sans humour, Édouard Levé (1965-2007) constatait dans son Autoportrait datant de 2005: «Bien que j’aie publié chez lui deux livres, mon éditeur continue à me présenter comme un artiste, si j’étais comptable, en plus d’être écrivain, je me demande s’il me présenterait comme un comptable». À la décharge de Paul Otchakovsky-Laurens, puisque c’est de lui qu’il s’agit, il faut admettre que, d’Oeuvres (2002) à Suicide (2008), en passant par Journal (2004) et Autoportrait donc, les textes d’Édouard Levé réservent à la littérature et à l’un de ses principaux véhicules, le livre, un sort qui justifie les réticences de l’éditeur à faire de leur auteur un écrivain. En effet, d’une part, en participant d’une forme d’écriture fragmentaire, ils renouvellent le soupçon émis par la modernité à l’encontre du concept d’œuvre, entendue comme totalité stable, génériquement identifiable et capable d’épuiser son objet; et d’autre part, dans la mesure où ils naissent de et s’inscrivent dans un contexte où l’expérience littéraire n’en finit plus de se métisser au contact d’autres pratiques sociales et artistiques (performances, interventions, lectures publiques, expositions, etc.), ils invitent à reconsidérer leur étiquetage à la lueur des rapports d’extrême proximité qu’ils entretiennent avec l’art contemporain et certains de ses procédés récurrents.

Concrètement, en se focalisant plus particulièrement sur Œuvres, catalogue d’œuvres possibles (533 entrées, assorties d’un index thématique) pensé comme un inventaire à la Perec, il s’agira d’interroger les modes d’inscription du photographique dans les textes de Levé. De fait, sans attenter de façon visible à la pureté toute abstraite du livre imprimé traditionnel et en tirant profit de l’activité imageante (Jacques Rancière) propre à la lecture, celui-ci laisse régulièrement sa pratique de la photographie interférer, in absentia, avec sa pratique de l’écriture. Dans cette perspective, on ne tentera ni de déterminer si c’est l’écrivain qui fait œuvre de photographe (ou l’inverse), ni de souligner les discontinuités et l’irréductibilité foncière du lisible et du visible; plutôt, on s’efforcera de montrer, au départ notamment des réflexions de Jacques Rancière sur ce qu’il nomme la «phrase-image», que les montages hétérogènes texte/image mobilisés par Levé interrogent le devenir contemporain de la littérature, mais aussi, plus globalement, le rapport fragilisé que nos temps entretiennent avec la réalité.

Matthias Dejonghe est diplômé en Langues et littératures françaises et romanes (UCL, Belgique) et en Écriture et analyse cinématographiques (ULB, Belgique). Après avoir consacré un mémoire de fin d’études à Antonin Artaud, il intègre en 2012, à l’occasion du lancement de la phase VII du programme IAP (Interuniversity Attraction Poles), un réseau de projets financé par la Politique scientifique fédérale belge (BELSPO) et intitulé «Literature and Media Innovations»; c’est dans ce cadre et sous la direction de Myriam Watthee-Delmotte (UCL) et de David Martens (KUL, Belgique) qu’il entreprend une thèse de doctorat portant sur le corps de l’écrivain.

Andrea Oberhuber

Une oeuvre, deux signatures: «Le Coeur de Pic»

Depuis les recherches d’Henri Béhar (1982), de François Chapon (1987), de Renée Riese Hubert (1988) et de Lothar Lang (1993), de Johanna Drucker (1995) et d’Yves Peyré (2001), entre autres, menées dans le domaine des études sur l’objet livre, on sait la place privilégiée qu’occupe la collaboration entre écrivains et artistes visuels dans l’élaboration d’une esthétique «transfrontalière». Inspirée du concept de l’ars combinatoria, cette collaboration entre deux créateurs dans le but de faire œuvre commune prend forme dans une panoplie de ce que l’on appelle aujourd’hui communément «livre d’artiste» (Anne Moeglin-Delcroix, Leszek Brogowski). Ces œuvres, à l’occasion de véritables «livres-objets» sont issus d’une collaboration mixte ou alors d’une collaboration entre deux femmes créatrices (plus rare pour ce qui est de la première moitié du XXe siècle). Dans tous les cas de figure, ces formes d’étroite collaboration sont régies par un principe de création mettant en place des relations dynamiques entre l’écriture et l’iconographie (la peinture, le dessin et, de plus en plus souvent, la photographie).

Dans le cadre d’une réflexion sur la coexistence de deux moyens d’expression (l’écriture et de la photographie), de même que sur les lignes de faille entre le texte et l’image au sein d’un même espace livresque, je me pencherai sur l’exemple peu étudié du Cœur de Pic (1937), signé conjointement par Lise Deharme, poète et romancière, et Claude Cahun, auteure, photographe, actrice de théâtre et essayiste. Issu d’une collaboration sollicitée par Deharme s’étant servie de Paul Éluard comme médiateur, Le Cœur de Pic donne lieu à un dialogue intermédial où la frontière entre le littéral et le figural connaît divers degrés de «coïncidence», pour reprendre le terme d’Àron Kibédi Varga. Il s’agira également de savoir quelle posture devra – idéalement – adopter le lecteur face au livre conçu tel un objet iconotextuel.

Andrea Oberhuber est chercheure régulière à FIGURA, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire. Elle est professeure titulaire au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal où elle enseigne les littératures française et québécoise, notamment l’écriture des femmes (XIXe-XXIe siècles), les avant-gardes historiques et la photolittérature. Elle a dirigé, entre autres, le collectif Claude Cahun: contexte, postures, filiation. Pour une esthétique de l’entre-deux (2007).

Catherine Blais

La figure de la velocewoman, du papier au cliché

C’est à l’aube du XXe siècle, alors que la société est encore ivre de l’effervescence moderne, que les velocewomen (revêtues de leurs bloomers), commencent véritablement à circuler dans les rues des grandes métropoles américaines et européennes. Les artistes de l’époque, fascinés par cette figure de «femme en mouvement» qui envahit l’espace public, l’ont d’ailleurs fréquemment mise en scène au sein de leurs œuvres, agrémentées à l’occasion d’illustrations ou de photographies. Maria E. Ward, dans un ouvrage intitulé Bicycling for Ladies (1896) – manuel illustré à l’usage des néophytes de la pratique vélocipédiste –, les romanciers Gaston Leroux (Le Lys, 1908), Maurice Leblanc (Voici des ailes, 1898), Félicien Champsaur (Lulu, roman clownesque, 1900) et Arthur Conan Doyle (The Adventure of the Solitary Cyclist, 1903), ainsi que la photographe Alice Austen (1866-1952) se sont ainsi intéressés aux cyclistes sous toutes ses formes.

En analysant les différentes représentations textuelles et picturales de la velocewoman, grâce à laquelle vastitude et vitesse ont fait leur entrée dans la sphère domestique, je souhaite montrer de quelle manière le papier et le cliché – à l’aide de procédés qu’ils partagent ou qui leur sont propres – ont su rendre compte, à la Belle Époque, de la transformation des rapports entre les femmes et les concepts d’espace et de temps.

Catherine Blais est étudiante à la maîtrise en Littératures de langue française à l’Université de Montréal, sous la direction d’Andrea Oberhuber. Son mémoire s’intéresse à la manière dont un roman populaire, malgré son recours à un motif largement exploité, peut déplacer et transgresser l’horizon d’attente qui lui est associé.

Sources:

The Internet Archive. «Common Sens for Bicycling. Bicycling for ladies»

David Martens

Conversion du regard et conjonction générique. Portrait du Brésil en tombeau littéraire par Blaise Cendrars et Jean Manzon

En 1952, Blaise Cendrars et Jean Manzon signent conjointement le volume consacré au Brésil dans la collection «Escales du monde» (Les Cahiers d’Art – Monaco). La rencontre entre l’écrivain et le photographe n’est pas seulement celle de deux amoureux du pays. Elle est aussi celle d’un auteur fasciné de longue date par la photographie et qui a publié, quelques années auparavant, en collaboration avec Robert Doisneau, La Banlieue de Paris, et celle d’un photographe qui a contribué à fonder Paris-Match et qui a passé une longue partie de sa vie au Brésil.

Ce volume participe d’un genre particulièrement en vogue après la Seconde Guerre mondiale. Le portrait de pays donnera lieu à plusieurs collections d’albums richement pourvus en images, essentiellement photographiques, et faisant fréquemment intervenir des écrivains. Ce type d’ouvrage, qui suppose une interaction entre le textuel et l’iconographique, implique fréquemment d’une interaction entre intervenants. Dès lors, des disparités sont susceptibles d’apparaître, sur le plan générique notamment, et de laisser des traces dans la configuration des ouvrages.

Dans le cas du Brésil de Manzon et Cendrars, si la dimension documentaire des photographies du premier paraît prégnante, le texte du second répond mal aux attentes induites par le genre. Dans ce portrait de pays quelque peu décevant du point de vue informatif, l’essentiel semble se jouer ailleurs, et notamment dans le déplacement de la fonction dévolue au photographique par le texte de Cendrars, qui non seulement préface l’album de photo, selon le principe de la collection, mais qui annote en outre ces images de façon à leur faire servir au tombeau littéraire qu’il conçoit pour son mécène et ami brésilien Paulo Prado, dédicataire de sa préface.

David Martens enseigne la littérature française moderne et contemporaine (XIXe – XXIe siècles) à l’Université de Louvain (KU Leuven). Chercheur au sein du groupe MDRN, il consacre l’essentiel de ses recherches aux figurations de l’écrivain et à ses modes de médiatisation (iconographies de l’écrivain, entretiens, formes du discours critique). Rédacteur en chef de la revue en ligne Interférences littéraires/Literaire interferenties, il a dirigé une dizaine d’ouvrages collectifs. L’un de ses principaux axes de recherche porte sur le recours au pseudonyme en littérature.

Ania Wroblewski

Photographie, censure et publicité. Larry Clark au péril de la loi française

Du 8 octobre 2010 au 2 janvier 2011, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris a présenté – et interdit aux moins de 18 ans – Kiss the Past Hello, la première rétrospective en France des œuvres du photographe et cinéaste américain Larry Clark. En signe de solidarité et de soutien à l’artiste ainsi exposé et censuré, Libération a illustré la Une du 7 octobre d’une photo explicite de Clark sur laquelle deux adolescents nus, allongés sur la banquette arrière d’une voiture, s’embrassent et se caressent érotiquement. Le même jour, la Mairie de Paris a émis un communiqué de presse invoquant l’article 227-24 du code pénal français (concernant les atteintes aux mineurs et la pornographie) pour justifier sa décision pensée inattendue et pudibonde tout en rejetant les accusations du journal. Dans son édition du 8 octobre, Libération a renchéri d’autant plus vivement sur la situation en publiant des photos encore plus criminelles – selon la rhétorique de la Ville de Paris – que celle qui a orné la Une le jour précédent. Tantôt censurées, tantôt brandies comme les preuves d’une censure particulière, les photographies controversées de Clark se trouvent elles-mêmes transformées en indices: d’un côté, elles signalent le danger supposé de la photographie, et de l’autre, elles constituent le signe inquiétant de la judiciarisation de l’art. Or, dans les deux cas, la photographie ne se trouve-t-elle pas instrumentalisée, mise au service non seulement de la politique mais aussi de la publicité ? À la lumière des coups échangés publiquement par Libération et la Ville de Paris au nom de la liberté de création et d’exposition, cette communication se propose de penser la photographie comme un point de départ dynamique à partir duquel et à l’aide duquel peuvent être négociées et mises à l’épreuve les termes précis de la loi. 

Joanne Lalonde

Introduction. <strong><a>Poétique et poïétique du corps</a></strong>

L’objet de cette rencontre sera de favoriser les échanges et de partager les expériences en recherche et création autour de pratiques qui sollicitent le corps, qu’il soit imaginaire, imaginé, modifié, dansé, détourné ou encore avatar. Le corps est le sujet et l’objet qui a toujours occupé une place prépondérante dans la littérature, les arts visuels, les arts de la scène et les recherches scientifiques tant sur les plans esthétique et historique que médical. Décrit, imaginé, peint, sculpté, mis en scène ou capté par l’œil de la caméra, le corps représente un vecteur privilégié de l’esthétique et de l’imaginaire de chaque époque. Ainsi les présentations exploreront dans une perspective interdisciplinaire les différents aspects du travail du corps et par le corps suivant des approches esthétique, artistique, sociale, médiatique ou technologique. Métamorphoses et marqueurs corporels, relations corps-espace, esthétiques du geste et du mouvement, identités, désirs et normativité, sont autant d’aspects qui seront discutés et/ou mis à l’épreuve de la création.

Anna Bulanda-Pantalacci & Louise Pelletier

Corps, scénographie et enseignement

Louise Pelletier présente une communication intitulée «Exposer l’architecture: la place du corps dans la scénographie expérientielle». En 1994, l’architecte américain Peter Eisenman présentait au Centre canadien d’architecture une exposition intitulée Cités de l’archéologie fictive, qui allait transformer la présentation de l’objet architectural dans sa façon d’établir un rapport non pas seulement pédagogique, mais avant tout expérientiel avec les œuvres. Je propose d’analyser quelques cas exemplaires de scénographies architecturales des 20 dernières années où la scénographie elle-même devient une œuvre expérientielle, un microcosme emblématique de l’univers de son concepteur.

Anna Bulanda-Pantalacci présente une communication intitulée «Langage corporel et enseignement dans l’éducation artistique». La communication virtuelle est en train de changer les méthodes de travail. À l’aide d’exemples venant de cours concernant l’«Experimental Design» à l’Université des sciences appliquées et design à Trèves (Allemagne) et d’un aperçu des projets internationaux de l’Université nomade (Cross Border University of Historie and Arts), j’aimerais montrer les avantages d’un épanouissement créatif des étudiants lorsqu’il est accompagné d’une formation en langage corporel et des séminaires qui ont lieu en dehors des murs de l’université. Un film (7 min) a été diffusé lors de la présentation.

Alain Ayotte & Manon Levac

Geste: esthétique, imaginaire et agentivité

Manon Levac présente une communication intitulée «Image du corps, imaginaire du geste dansé». Au fil des expériences de sa vie professionnelle et des différentes esthétiques chorégraphiques qu’il fréquente, le danseur est appelé à  moduler l’image de son corps. Cette communication présente quelques exemples empiriques de ma pratique de danseuse montrant de quelles manières divers imaginaires du corps et du geste sont à l’œuvre dans l’activité d’interprétation en danse.

Alain Ayotte présente une communication intitulée «Le geste comme fantôme, le geste comme fantasme: agentivité esthétique et pornographique d’une création théorique». Le geste représenté dans l’esthétique pornographique (vu à la fois comme performance, performatif et informe) se produit à travers la résonance charnelle, l’heuristique du montage, les formules érotiques, la prégnance de l’agentivité (potentia agendi) esthétique et la mouvance de la force orgasmique (potentia gaudendi). Et ce geste, fantomal et fantasmatique, se perpétue dans cette communication autoréflexive se révélant le prolongement de ma recherche-création.

Milad Doueihi

Les Humanités: entre sciences et numérique

C’est un lieu commun d’identifier les premiers débuts de ce qu’on a convenu de désigner Humanités numériques (ou digitales…) avec les travaux de Roberto Busa. Celui-ci a permis l’écriture d’une histoire intellectuelle et institutionnelle traversant les frontières et les évolutions de l’informatique (Humanities computing) et leurs réceptions au sein des Sciences humaines et sociales. Mais est-ce vraiment le cas? Ou bien faudrait-il re-visiter les textes fondateurs de l’informatique (A. Turing. J. von Neumann et N. Wiener, etc.) afin de mieux saisir l’état actuel des choses, en réfléchissant sur les glissements entre informatique, sciences et numérique?

Milad Doueihi est historien des religions et titulaire de la chaire d’humanisme numérique à l’université de Paris-Sorbonne (Paris-IV).

Charlotte Biron

«Jeannot-la-Corneille» en XML: d’une génétique traditionnelle à sa version numérique

La diffusion des brouillons d’une œuvre – manuscrits, notes de régie, tapuscrits, dactylogrammes, etc. – en livre papier se trouve limitée par la quantité de pages, et l’accès au dossier génétique, plus souvent qu’autrement différé. Si le développement de technologies et d’outils destinés à la critique génétique transforme ces pratiques depuis qu’Internet et l’ordinateur effacent presque entièrement les limites de diffusion des avants-textes, le caractère immatériel et illimité des nouveaux supports ouvre cependant un potentiel vertigineux et chronophage. Dans le domaine de la critique génétique numérique, les activités du groupe de recherche visent la diffusion, l’étude et l’édition des manuscrits et des inédits des archives de Gabrielle Roy. C’est dans ce contexte que se déroule l’édition électronique des douze états de «Jeannot-la-Corneille», tiré du recueil Cet été qui chantait, contenant au total dix-neuf récits. Le dossier génétique est balisé en XML sur le logiciel EditiX. Contrairement à d’autres projets du groupe de recherche, le récit avait déjà été traité à partir de protocoles de transcriptions traditionnels. Le travail avait été commencé en 2009 par Sarah Courchesne. Aussi il s’avère être un excellent cas d’étude pour penser certains aspects du renouvellement très rapide de la critique génétique à partir du numérique. Il s’agit de comprendre ce que l’édition électronique rétablit, modifie ou ajoute à l’établissement et à la diffusion du contenu du dossier génétique, ainsi qu’à l’analyse approfondie de «Jeannot-la-Corneille». De façon plus large, la comparaison des deux modèles met en lumière le potentiel et les écueils éventuels associés à l’usage du numérique.

Charlotte Biron est étudiante à la maîtrise à l’Université McGill, au département de langue et littérature françaises, où elle écrit son mémoire sur les textes journalistiques de Gabrielle Roy et de Mavis Gallant (sous la direction de Jane Everett). Elle travaille en tant qu’assistante de recherche sur les archives et les inédits de Gabrielle Roy pour le groupe de recherche HyperRoy, et plus particulièrement sur les protocoles d’édition électronique dans le domaine de la critique génétique.

Sophie Marcotte

Le NT2-Concordia: enjeux et défis du Web 3.0

On le sait, les nouvelles technologies de l’information et de la communication changent radicalement la façon dont on envisage tous les aspects de la vie contemporaine, notamment la manière dont on interagit avec les autres, les modes d’expression dont on fait usage et les processus liés à la circulation et à la conservation de l’information. Le domaine des humanités numériques n’échappe pas à ces modulations. En effet, dans un contexte de plus en plus orienté vers la sémantisation des contenus (web 3.0), il devient primordial de créer des outils de diffusion des connaissances reposant sur des protocoles universels qui permettent de qualifier et d’indexer les objets efficacement afin d’optimiser le partage des connaissances et la performance des moteurs de recherche. Partant de ce postulat, nous examinerons la question de la sémantisation des contenus en proposant une analyse de trois projets réalisés au laboratoire NT2-Concordia qui exploitent la catégorisation et la sémantisation à des degrés divers: (1) l’Observatoire du discours financier en traduction (catégorisation); (2) Radio Spirale (sémantisation); et (3) Hyperroy (synchronisation de contenus).

Sophie Marcotte est chercheure régulière à FIGURA, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire, et directrice de l’antenne FIGURA-NT2 Concordia depuis juin 2018. Outre ses travaux sur les archives et les manuscrits d’écrivains et sur l’édition électronique (HyperRoy, manuscrits et inédits dans les archives de Gabrielle Roy), elle s’intéresse depuis quelques années aux liens entre littérature et technologies et à l’étude de la présence et de l’influence du numérique dans le roman contemporain.

Michael Eberle Sinatra

Théorie et pratique dans un centre de recherche interuniversitaire en humanités numériques

De la question des identités numériques, au profilage, jusqu’à la question des droits d’auteur et des modèles économiques, en passant par celle du choix et de la sélection de l’information sur le web, il devient de plus en plus urgent de fournir à la communauté scientifique et à la société les outils conceptuels et des exemples concrets de la nouvelle génération d’éditions scientifiques pour orienter les pratiques quotidiennes. Cette communication sera l’occasion de définir les fondements du CRIHN (Centre de recherche interuniversitaire sur les humanités numériques), qui se veut justement une structure qui permet de combiner théorie et pratique de la recherche en humanités numériques.

Michael E. Sinatra est professeur agrégé au département d’études anglaises de l’Université de Montréal et travaille dans le monde de l’édition électronique depuis février 1996 quand il lança la revue savante électronique Romanticism on the Net. Il est le président (français) de la société canadienne des humanités numériques, le directeur fondateur du Centre de recherche interuniversitaire sur les humanités numériques et le co-directeur de la collection “Parcours numérique” aux Presses de l’Université de Montréal.

Christine Montalbetti

L’énergie contagieuse du cinéma

Nouvelle-Vague, celles de Kiarostami, celles de Kaurimaski, sans doute ont nourri mon imaginaire. Surtout, l’émotion esthétique que j’éprouve devant un cadrage, ou un jeu de lumière, me communique une sorte d’énergie que je réinvestis au matin dans mon travail d’écriture. Comme s’il y avait une force contagieuse du cinéma. Dans mon roman Western, paru en 2005, le lien est évident, et j’essaierai de parler du fait qu’il s’est moins agi de recenser des éléments du western pour les réinvestir dans ce roman que de travailler sur des points de convergence entre mon écriture, telle qu’elle s’était précisée dans L’Origine de l’homme, et l’écriture cinématographique d’un Sergio Leone (le gros plan, la dilatation du temps, la dimension contemplative, l’humour, la parodie). Cette plaisanterie que j’ai souvent faite que, m’appelant Montalbetti, j’étais naturellement conduite à écrire un western à l’italienne n’en est pas tout à fait une: elle dit aussi ce qui court en filigrane d’un questionnement des origines dans un roman qui est aussi pour moi un roman de deuil. Mais dans mes autres romans aussi, le cinéma joue, et je tenterai de dire comment.

Romancière et auteur de théâtre, Christine Montalbetti vit à Paris. Aux éditions P.O.L, elle a publié deux recueils de nouvelles (Nouvelles sur le sentiment amoureux et Petits-déjeuners avec quelques écrivains célèbres), un récit (Expérience de la campagne), et six romans, dont deux se passent aux États-Unis (Western, Journée américaine) et deux au Japon (L’Evaporation de l’oncle, Love Hotel). Elle a participé à des festivals de théâtre, écrit des dramatiques pour France-Culture, et sa pièce Le Cas Jekyll, créée par Denis Podalydès en 2009 et jouée au théâtre national de Chaillot, est toujours en tournée.

Sylvano Santini

Le membre fantôme du cinéma ou la prothèse virtuelle. Cinéfiction et affect

La «cinéfiction» est un concept que j’ai créé pour indiquer le rapport performatif de la littérature au cinéma. Ce rapport s’opère, dans les énoncés linguistiques, sous la forme d’images diagrammatiques de plans, de mouvements de caméra ou de procédés de montage. Or, le succès d’un tel rapport performatif repose sur une condition minimale: le lecteur doit avoir dans l’esprit une trace mémorielle du cinéma prête à s’actualiser au moment de la lecture. Ce sont les opérations de cette trace que j’aimerais développer dans cette communication en m’appuyant sur les théories des affects d’inspiration deleuzienne.

La question qui orientera ma réflexion est la suivante: si les images du cinéma habitent notre mémoire, qu’elles y entrent et en ressortent comme on franchit le seuil d’une demeure, c’est que leur aspect immatériel ou incorporel exerce sur le corps une impression particulière. Les images du cinéma habitent notre mémoire comme des spectres et non comme des éléments physiques ou des corps matériels. Leur présence se fait sentir par l’intermédiaire des ondulations de la matière, de l’impression de continuité entre les objets, du prolongement virtuelle des choses au-delà d’elles-mêmes. Les métaphores du membre fantôme et de la prothèse virtuelle m’apparaissent ainsi figurer la double opération de la trace mémorielle du cinéma dans l’esprit du lecteur: la résurgence et la performance d’images en mouvement pendant l’acte de lecture.

Sylvano Santini est professeur au département d’études littéraires de l’UQAM où il enseigne la sémiologie tardive à partir des Grecs. Chercheur régulier à FIGURA, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire, il s’intéresse présentement à la relation performative de la littérature au cinéma.

Francis Gauvin

La projection d’image dans l’oeuvre d’Alain Fleischer: un cas de figures

Si l’on veut identifier les effets du passage d’une culture de l’image à celle d’image-mouvement, et par le fait même comprendre l’impact que l’imaginaire cinématographique peut avoir sur les autres formes d’art, il faut d’emblée des outils permettant de définir cet imaginaire. Le concept de «cinéfiction» (Santini) est un grand pas dans cette direction. «Quand la littérature se fait du cinéma», est une manière de rendre compte d’une littérature qui s’apparente peut-être davantage au cinéma, à son image-mouvement et son image-temps, qu’à une narration proprement littéraire; même si, au final, elle demeure littérature.

Face à un tel travestissement médiatique, est-il encore pertinent de dégager ce qui est du cinéma et ce qu’il reste de littérature? L’analyse proposée évitera de reconduire ce genre de catégorisation qui engendre une distanciation entre les arts, au profit d’une réflexion portant sur les relations qui les unissent, en occurrence la «fiction cinétique» qui se meut dans l’un comme dans l’autre. En comprenant la cinéfiction comme fiction-mouvement, l’imaginaire cinématographique sera envisagé tel un jeu figural qui affecte le contour des choses, les défigure, et voue le monde à une perpétuelle mouvance. Pour donner chair à cette réflexion, elle s’élaborera au contact de deux œuvres d’Alain Fleischer, l’une étant littéraire et l’autre, photographique. Un tel choix permettra de montrer comment la littérature, tout comme la photographie, peuvent témoigner d’un imaginaire cinématographique.

Francis Gauvin est doctorant en sémiologie à l’Université du Québec à Montréal, et assistant de recherche pour le groupe RADICAL (Repères pour une articulation des dimensions culturelles, artistiques et littéraires de l’imaginaire contemporain). Il est co-fondateur du Laboratoire de résistance sémiotique et secrétaire de l’Association des Jeunes Chercheurs en Sémiotique (AJCS). En d’autres circonstances, il participe aux activités de l’Académie québécoise de Pataphysique.

Pierre-Alexandre Fradet

Le vitalisme face au réalisme spéculatif: les mérites et les défis de Quentin Meillassoux dans un monde d’images en mouvement

De concert avec les autres représentants du réalisme spéculatif, Quentin Meillassoux déplore la perte de l’en soi dans l’ère moderne et propose un moyen de s’y ménager un accès. Son entreprise est stimulante et féconde, inventive et subtile; mais il y a lieu de s’interroger sur sa critique du vitalisme. Tandis que Nietzsche, Bergson et Deleuze voient dans le temps une force qui nous déporte sans cesse vers une situation autre, une circonstance nouvelle et inédite, Meillassoux est d’avis que rien n’interdit que le temps puisse aller de pair avec la constance, la fixité, le statisme. La conception meillassouxienne du temps a donc pour conséquence de diminuer l’importance du devenir qu’exaltent les vitalistes. Serrant de près le concept d’hyper-Chaos chez Meillassoux, je tenterai d’établir, dans la présente conférence, jusqu’à quel point ce concept prête le flanc ou résiste aux objections que nous invite à lui adresser la «culture des images en mouvement» dans laquelle nous baignons aujourd’hui. Et si cette culture des images en mouvement, à ne pas confondre avec la «culture de l’image», nous incitait à réaffirmer la nécessité du devenir, dont le caractère incontournable vient appuyer les éthiques vitalistes de la création?

D’abord formé en philosophie à l’Université de Montréal, Pierre-Alexandre Fradet poursuit actuellement, appuyé par le CRSH, un doctorat en cotutelle à l’Université Laval de Québec et à l’ENS de Lyon. Il est l’auteur d’un essai publié aux États-Unis sur la philosophie de la photographie (Photographies anciennes: une pétition contre la mort?, CSF Publishing, 2012), qui fut traduit en anglais.

Erik Bordeleau

D’un fantastique qui se contente de faire tomber la nuit dans le jour: rêve et histoire dans le projet «Primitive» d’Apitchapong Weerasethakul

Oncle Boonmee celui qui se souvient de ses vies antérieures est un film célébré par la critique (Palme d’or à Cannes en 2010) du réalisateur thaïlandais Apitchatpong Weerasethakul. Il fait partie d’un projet de plus grande envergure intitulé «Primitif» qui inclut également une installation éponyme (2009), deux courts-métrages – Lettre à Oncle Boonmee (2009) et Fantômes de Nabua (2009) – et un livre d’artiste. Le projet se penche sur la mémoire de la région du nord-est de la Thaïlande d’où vient Weerasethakul, une région où la mémoire est réprimée suite à une violente répression anti-communiste.

Au moment de sa mort, Oncle Boonmee est pris d’une vision: il rêve d’un monde futur dans lequel une autorité a le pouvoir de faire disparaître les «gens du passé» en les «éclairant». Cette vision est racontée sur fond d’images immobiles, une série de photographies troublantes et esthétisées qui s’interpolent dans le cours du film. Boonmee explique que «la lumière projette des images d’eux sur un écran à partir du passé jusqu’à ce qu’ils arrivent dans le futur. Une fois que ces images apparaissent, ces “gens du passé” disparaissent.»

Comment faut-il comprendre cette allégorie plutôt mystérieuse d’une disparition par les moyens de la projection photographique et cinématographique? En quoi renouvelle-t-elle notre conception et notre pratique de l’histoire? Je me propose d’explorer plus avant le dreamscape déployé dans le projet Primitive à partir d’un des tout premier textes publié par Michel Foucault, «Le rêve et l’existence», qui porte sur l’œuvre du psychiatre phénomenologue Ludwig Binswanger et que Giorgio Agamben revisite à l’occasion de sa réflexion sur le geste archéologique dans Signatura rerum.

Erik Bordeleau est chercheur postdoctoral à l’Université libre de Bruxelles et chargé de cours à l’Université du Québec à Montréal. Il est l’auteur de Foucault anonymat (Le Quartanier, 2012), qui a remporté le prix Spirale Eva-Le-Grand de l’essai 2013. Il a complété un doctorat en littérature comparée à l’Université de Montréal sur la relation entre anonymat et politique dans le cinéma et l’art contemporain chinois. Il s’intéresse au tournant spéculatif dans la pensée contemporaine ainsi qu’au mode de présence des dieux, spectres et autres esprits dans le cinéma est-asiatique.

Jean-François Chassay

L’hermaphrodite et Big Brother: les romans de Karoline Georges, entre l’empire intérieur et l’empire extérieur

De La mue de l’hermaphrodite à Sous béton en passant par Ataraxie, les romans de Karoline Georges situent au cœur de leur narration les transformations – pour le moins inorthodoxes – du corps. Sublimation, transcendance ou dégénérescence (parfois tout cela étant lié), le corps se trouve à subir les effets de son environnement et des règles de celui-ci. Corps malléable, instrumentalisé peut-être, il apparaît comme un véritable laboratoire pour penser les mutations. Aujourd’hui, on peut modeler son corps de toutes sortes de manières. Les artistes ne manquent pas de le faire. On ne parle pas pour rien de «bioart». Mais les romans de Karoline Georges jouent habilement sur les tensions entre contraintes et libérations, laissant planer une force qui vient de l’intérieur comme de l’extérieur du corps et qui participe de ses modifications. Cette communication s’intéressera à la manière dont le langage orchestre ce pouvoir du corps, parfois imposé à celui-ci.

Jean-François Chassay est chercheur régulier à FIGURA, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire. Professeur au Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal depuis 1991, Jean-François Chassay a publié une vingtaine de livres (romans, essais, anthologies, actes de colloque). En 2002, il remportait le Grand prix d’excellence en recherche décerné par le réseau de l’Université du Québec. Il a été membre de la rédaction puis codirecteur de Spirale (1984-1992), puis directeur (1998-2001) de Voix et Images.

Elaine Després

La monstruosité normalisée de l’homme prothésique: «Limbo» de Bernard Wolfe

Dans Limbo de Bernard Wolfe (1954), les corps amputés s’exhibent. Les corps des Pro-pros, qui portent des vêtements courts pour que tous admirent leurs membres cybernétiques et qui organisent des Jeux paralympiques pour démontrer leur parfaite maîtrise de ces machines sophistiquées; les corps des Anti-pros, eux aussi volontairement quadri-amputés, mais refusant les prothèses, passant leur journée dans des vitrines pour faire la promotion de leur philosophie pacifiste: l’Immob(ilité). Si l’exhibition des corps monstrueux a longtemps servi de repoussoir, de stratégie pour renforcer une norme corporelle (et morale), ici les corps amputés et prothésés (résolument monstrueux aux yeux du narrateur humain) sont élevés au rang de nouvelle norme, le modèle d’un biopouvoir posthumain. Dans cette logique, un corps volontairement déconstruit (le cerveau humain dominant un corps cybernétique) échapperait ainsi à la déshumanisation de la technique (la machine guerrière, véritable cerveau cybernétique, asservissant les corps humains). Dans le cadre de cette communication, il s’agira d’observer comment se construit dans le roman de Wolfe une réflexion sur un rapport corps/cerveau/machine renouvelé, tant sur le plan de l’individu (disability studies), que de la collectivité (biopouvoir) et de l’évolution de l’espèce (exodarwiniste), à travers un processus de mutilation et d’exhibition.

Elaine Després est professeur associée et coordonnatrice du Centre Figura à l’UQAM. Ses recherches portent sur les représentations fictionnelles de la science dans une perspective sociocritique et épistémocritique. Après une thèse sur les savants fous en littérature, publiée au Quartanier en 2016, elle a notamment travaillé sur le posthumain, les dystopies, l’imaginaire post-apocalyptique, la science-fiction et les séries télé. Elle vient de faire paraître Le posthumain descend-il du singe? Littérature, évolution et cybernétique (PUM, 2020).

Claire Le Gall

«Des corps post-humains?» «Glasshouse», (2006) Charles Stross

Des corps masculins, des corps féminins, des corps post-genrés, des corps accessoires, des corps améliorés ou modifiés, des corps délibérément monstrueux, des corps détournés à des fins militaires, des corps hybrides, mi-machines, mi-hommes… autant de corps post-humains qui prolifèrent dans Glasshouse. Ce roman, écrit par Charles Stross en 2006, propose un futur assez lointain où les progrès technologiques sont considérables par rapport à notre société et où les personnages peuvent changer de corps, et de sexe, s’ils le souhaitent. Le roman s’inscrit clairement dans un questionnement sur le concept d’identité et sur les répercussions du genre, du post-genre, et du post-humain sur cette identité. En fait, il semble que la complexité et la pluralité de l’identité des personnages, ainsi que la récurrence des thématiques du Même et de l’Autre, se conjuguent et qu’elles sont matérialisées dans les corps des personnages du récit.

Le corps est donc le lieu où s’affiche la pluralité du sujet post-humain, et où, d’une certaine façon, l’humain et le post-humain se rencontrent et s’affrontent. Il s’agira, dans cette communication, d’interroger la monstruosité, mais aussi la multiplicité, des corps post-humains composés, décomposés et recomposés au fil de la narration.

Claire Le Gall est doctorante en littérature anglophone à l’Université de Bretagne Occidentale sous la direction de Hélène Machinal, en co-direction avec Jean-François Chassay. Sa thèse porte sur l’écriture du post-humain dans la littérature contemporaine. Elle a participé à la journée d’étude sur le genre et le post-humain à Lille en mars 2014.

Hélène Machinal

Résurgence des figures mythiques et mutations du corps humain dans l’imaginaire contemporain, l’exemple de quelques séries: Fringe, Dark Angel, Dollhouse, Continuum, Orphan Black

Nous nous proposons de prendre comme corpus d’étude certaines séries TV contemporaines où se manifeste la présence du détective et du savant fou, pour montrer que ces figures sont symptomatiques d’un questionnement sur l’humain, en particulier les évolutions, expérimentations, mutations possibles de son corps auxquelles les biotechnologies et le numérique peuvent mener. Ces devenirs de l’humain induisent une réflexion sur des évolutions sociétales possibles, et témoignent d’une tension féconde pour l’imaginaire qui tente alors de représenter les enjeux politiques, éthiques et culturels d’une post-humanité fondée sur des corps modifiés par la technique. Ces corps, à la fois identique et différents seraient emblématiques de la dialectique mise en œuvre par les figures mythiques. 

Hélène Machinal est professeure en Études anglophones à l’Université de Bretagne Occidentale et membre de HCTI (EA 4249). Elle est spécialiste de littérature fantastique, du roman policier et de la fiction spéculative duXIXe au XXIe siècle. Elle travaille par ailleurs sur les séries TV et les représentations du posthumain, plus particulièrement l’imaginaire de la science dans les fictions policières, fantastiques et de SF. Dernière publication: Posthumains en série, les détectives du futur, PU François Rabelais, 2020.

Anne-Gaëlle Weber

De Pline à Paul Bert: Pour une théorie littéraire de la greffe

Les récits de greffe, depuis l’Histoire naturelle jusqu’à la thèse de médecine de Paul Bert, ont en commun de reposer sur une double tension: celle de l’opposition possible entre la pratique et la théorie et celle de l’articulation entre l’observation et l’imagination. L’étude proposée ici partira d’une petite histoire des récits de greffe composés jusqu’à la fin du XIXe siècle et de la manière dont leurs auteurs en définissent la nature et la visée. Elle se concentrera sur les discours dits «scientifiques» de la greffe pour montrer comment se joue, en leur sein, une articulation possible de la science et de la poésie. En se concentrant ensuite sur les manuels pratiques et les théories savantes des greffes animales et végétales publiés principalement au XVIIIe et au XIXe siècles, il s’agira de s’interroger sur les conditions de possibilité d’une analyse littéraire de ces textes, sur l’usage que des écrivains ou des romanciers en ont fait et, dans un troisième temps de proposer, à partir des descriptions savantes des techniques de la greffe, une classification possible des relations entre discours scientifique et récit littéraire.

Anne-Gaëlle Weber est Professeur de littérature comparée à l’Université d’Artois. Spécialiste du récit de voyage et des relations entre sciences et littératures au XIXe siècle, elle est l’auteur de A beau mentir qui vient de loin (Champion, 2004) et de Les Perroquets de Cook (Garnier, 2013). Elle a dirigé une équipe ANR-Jeunes Chercheurs baptisée HC19 («Histoires croisées: histoire des sciences du point de vue de la littérature et histoire de la littérature du point de vue des sciences» et co-dirige l’axe «Translittéraire» du centre de recherches «Textes et cultures» de l’université d’Artois.

Joël Gauthier

Penser l’enquête de terrain en études littéraires

L’étude des littératures des sous-/contrecultures se présente souvent comme une archéologie de mouvements défunts et se conjugue ordinairement au passé. Mais qu’en est-il des sous-/contrecultures en train de se faire? Je propose, à partir de mon expérience auprès des beatsters américains, d’explorer une anthropologie du littéraire inspirée des méthodes des sciences sociales. Comment peut-on utiliser l’observation de terrain pour construire de nouveaux corpus? Quel intérêt y a-t-il à quitter le confort de l’université pour jouer au détective dans les cafés, les squats et les bars? Et surtout, quels résultats espérer? Car si partir sur la route pour étudier la littérature possède un charme romantique indéniable, cela comporte aussi de nombreux risques. Mais apprendre à gérer ces risques est peut-être notre meilleure chance de se saisir maintenant des sous-/contrecultures de l’extrême contemporain.

Joël Gauthier a étudié l’anthropologie culturelle à l’Université Laval avant de se tourner vers la la littérature en 2008. Ayant obtenu un doctorat en études littéraires (UQAM), Joël a travaillé au laboratoire NT2 de 2009 à 2014 et a coédité plusieurs numéros de la revue bleuOrange. Son premier essai, Bret Eston Ellis. Une descente dans le chaos, est paru aux éditions Figura dans la collection Mnémosyne en 2011. Ses plus récentes recherches portent sur la contreculture américaine. Professionnellement, Joël Gauthier évolue dans le domaine des arts visuels et de l’édition à Montréal.

Barbara Havercroft

Trauma et texte dans l’extrême contemporain au féminin

Parmi les nombreux textes qui peuplent le paysage littéraire français des deux dernières décennies, on constate une quantité non négligeable de récits, souvent d’ordre autobiographique et rédigés par des femmes, qui se consacrent justement à l’écriture de l’extrême, c’est-à-dire à la représentation des expériences traumatiques ou catastrophiques où priment l’abject, la souffrance, l’insupportable. Il s’agira dans cette communication d’examiner certaines formes et figures discursives qui caractérisent l’écriture difficile et douloureux du trauma chez quatre auteures de l’extrême contemporain français: Annie Ernaux (la violence familiale dans La Honte), Camille Laurens (le deuil dans Philippe), Geneviève Brisac (la maladie dans Petite) et Danièle Sallenave (le viol dans le texte éponyme). Si le trauma est conçu par les théoriciens comme une aporie énigmatique, un nœud de paradoxes, un défi à la narration, il n’en reste pas moins qu’il incite à sa propre représentation, engendrant ainsi des récits qui se révèlent les lieux de sa resignification.

Professeure au Département d’études françaises et au Centre de littérature comparée à l’Université de Toronto, Barbara Havercroft est l’auteure de nombreuses publications sur les écrits autobiographiques contemporains (en particulier, au féminin), sur la littérature française de l’extrême contemporain, sur la rencontre littéraire entre féminisme et postmodernisme dans la prose française, québécoise et allemande récente, sur les récits de trauma et sur les théories de l’énonciation.

Emmanuel Bouju

«À la différence de l’esprit». Compression du présent et istoricisation du roman contemporain

Cette communication avance l’idée que la «compression du présent» (Hermann Lübbe) propre à l’élément du contemporain se traduit, entre autres, dans la fiction européenne actuelle par des phénomènes que l’on appellera d’istoricisation – correspondant à une forme de contestation du paradigme indiciaire dans l’écriture de l’histoire et au déploiement de stratégies narratives ayant en commun une volonté (ou une illusion) de reprise d’autorité. En prenant pour point de départ l’exemple du roman istorique comme fiction du témoin oculaire, on verra plus largement comment l’écriture s’inscrit ainsi, «à la différence d’un esprit» (Derrida), dans le temps auquel nous sommes assignés.

Emmanuel Bouju est professeur de littérature générale et comparée à l’Université Rennes 2 et a été Visiting Professor à Harvard University en 2012.

Julie St-Laurent

Porosité des corps: la poésie de l’extrême contemporain au Québec et en France

Demander si la poésie a un avenir aujourd’hui, c’est au moins lui accorder un présent, affirme Antoine Émaz dans son carnet d’écriture Cambouis (2008). L’activité poétique est tout entière placée sous le signe de cette précarité dans l’extrême contemporain et le corps y prend une grande place, constituant une façon d’ancrer l’écriture dans une certitude qui déborde le poème.

À partir des textes de Denise Desautels, d’Antoine Émaz, de Marie Étienne et de Robert Melançon, il conviendra de voir comment cette mise à l’avant du corps permet à ces auteurs non pas de revendiquer une unité du soi, mais une relation particulière au monde – marquée par sa porosité – à travers différentes expériences du quotidien, dont l’intimité se révèle maintenant autant l’apanage des femmes que des hommes.

Julie St-Laurent est étudiante au doctorat en études françaises à l’Université de Toronto. Elle travaille sous la direction de Barbara Havercroft sur la question du corps sexué et du minimalisme dans les poésies contemporaines québécoise et française, projet qui est soutenu par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Au cours de recherches antérieures, elle a préparé avec François Dumont et Isabelle Tousignant l’édition intégrale du Journal d’Hector de Saint-Denys Garneau, parue aux Éditions Nota bene en avril 2012.

Laurence Côté-Fournier

«Là où est le pouvoir, les mots passent invisibles»: la communauté interprétative de Jean Paulhan

Les réflexions de Jean Paulhan sur la rhétorique et les lieux communs, présentes dans l’ensemble de son œuvre mais plus particulièrement dans Les Fleurs de Tarbes ou la terreur dans les Lettres, ouvrent sur une pensée de la lecture tout autant que de l’écriture, bien que cette dernière perspective d’analyse ait le plus souvent été préférée par la critique. Nous chercherons à mettre au jour la politique de la lecture disséminée dans les écrits de Paulhan, localisée dans ses réflexions sur le geste interprétatif et son lien avec le sens commun, en analysant de quelle manière ses propositions unissent langage, littérature, communauté et jeux de pouvoir. Nous décortiquerons du même souffle le rôle de la rhétorique, art qui requiert une prise en compte de l’auditoire, comme point de jonction entre écriture et lecture, en ouvrant vers des théories contemporaines de la rhétorique et de la lecture.

Laurence Côté-Fournier est candidate au doctorat à l’Université du Québec à Montréal et travaille sur l’imaginaire politique et poétique de la rhétorique dans les œuvres de Michel Leiris, Jean Paulhan et Francis Ponge. En plus d’avoir été membre du comité de rédaction de la revue Salon Double, pour laquelle elle a écrit de nombreux articles, elle a publié des essais dans Nouveau Projet, Pop-en-stock et codirigé le cahier ReMix «Un malaise américain: variations sur un présent irrésolu» pour l’OIC. Elle collabore régulièrement au cahier critique de la revue Liberté.

René Audet

Parasiter le réel: rôle et (im)pertinence du personnage de Gabriel Rivages dans la trilogie «1984» d’Éric Plamondon

Romans fragmentaires autant que romans duels, les trois tomes de la trilogie 1984 d’Éric Plamondon associent chacun à une figure américaine (Weissmuller, Brautigan, Jobs) le personnage de Gabriel Rivages dont le destin est placé en écho à ces mythes. Singulier dans son histoire, Rivages reste toutefois un personnage faible, jouant un rôle de relais et de faire-valoir. Son actantialité réduite pourrait être perçue, à la lumière de la fragmentation romanesque et de l’architecture livresque de cet ensemble, comme le signal d’une individualité tiraillée entre la grandeur du réel mythifié et la faiblesse de la fiction ordinaire.

René Audet est professeur titulaire au Département des littératures de l’Université Laval (Québec). Ses travaux portent sur la narrativité contemporaine, la poétique du livre et du recueil, la littérature numérique et les enjeux numériques de diffusion du savoir et des archives. Il dirige le Laboratoire Ex situ. Études littéraires et technologie, de même que la revue savante temps zéro consacrée aux écritures contemporaines.

Katerine Gosselin

Lecture, écriture et réécriture dans «Le jardin des plantes» de Claude Simon

Notre communication portera sur le rapport à la lecture mis en jeu dans Le Jardin des Plantes de Claude Simon. Nous tenterons de montrer de quelle manière, chez Claude Simon, le déplacement d’une politique de l’écriture vers une politique de la lecture va de pair avec la mise en place d’une politique de la réécriture.

Du Tricheur (1945) jusqu’à L’Acacia (1989), l’œuvre de Claude Simon se présente en grande partie comme un travail de réécriture, chaque roman réécrivant les précédents. Dans Le Jardin des Plantes, pour la première fois dans l’œuvre, la réécriture est thématisée: elle fait l’objet d’une discussion entre l’écrivain S. et un journaliste, au cours d’un long entretien dont le roman restitue le souvenir. La restitution s’effectue par fragments successifs, entre lesquels sont intercalés des fragments de textes cités intégralement, notamment des extraits de romans, de correspondances et de mémoires. De cet assemblage de textes et de souvenirs ressort un questionnement sur le rapport entre l’écrit et la réalité vécue, lequel passe fondamentalement par une relecture du roman réaliste, de Stendhal à Proust en passant par Flaubert et Dostoïevski.

La dimension picturale de la représentation du vécu, soulignée dans Le Jardin des Plantes par de nombreuses références à la peinture et à la photographie, se révèle au cœur des enjeux, indissociable de celle de l’imagination du lecteur. Comment, demande l’écrivain S. se relisant et lisant les romanciers réalistes, la réalité vécue peut-elle être représentée et transmise adéquatement à l’écrit, alors qu’elle passe inévitablement par le biais de l’image dans la mémoire? En passant par le biais de l’image, la représentation et la transmission romanesques de la réalité vécue se produisent dans un inévitable décalage. Il apparaîtra que l’actualité des textes du passé réside précisément dans ce décalage, dans cette inadéquation avec la réalité qu’ils représentent, au sein de laquelle la lecture ouvre un espace pour la réécriture.

Katerine Gosselin est professeure de littérature contemporaine à l’Université du Québec à Rimouski depuis 2013. Ses travaux s’articulent autour de l’œuvre de Claude Simon, à partir de laquelle elle cherche à définir la spécificité de la mémoire contemporaine de la littérature. Elle a publié des articles sur la littérature contemporaine, sur Simon, sur le Nouveau roman et sur Valéry dans des revues (@nalyses) et des ouvrages collectifs (Claude Simon: situations, 2011; La Mémoire du roman, 2013). Elle codirige deux dossiers qui paraîtront respectivement dans Études littéraires en 2014 (Aragon théoricien/praticien du roman) et dans Littérature en 2015 (Écrire en contrepoint).

Catherine Douzou

L’héritier dans la fiction contemporaine du fils de famille

L’héritier est une figure importante de la littérature contemporaine, comme le montre en particulier le numéro d’Etudes françaises consacré au sujet. Quelques auteurs contemporains (Benoît Duteurtre, Frédéric Beigbeder…) sont des héritiers par définition, parce qu’ils sont des «fils de famille», rejetons de lignée comportant des célébrités, des personnages politiques publics par exemple, et qu’ils héritent d’un patrimoine moral et matériel. On se propose d’étudier des textes qui émanent de ces auteurs et qui relèvent de l’autobiographie ou l’autofiction pour voir comment le personnage se décompose et se recompose par rapport aux héritages et aux changements du temps, tant sur le plan social, donc collectif, qu’individuel et littéraire.

Catherine Douzou est professeure à l’Université François-Rabelais, de Tours, où elle dirige le département des Arts du spectacle. Spécialiste de l’œuvre de Paul Morand (Paul Morand nouvelliste, Paris, Champion, 2003), qu’elle a contribué à éditer dans la bibliothèque de la Pléiade, elle s’intéresse à l’histoire des formes narratives, en particulier liées à la brièveté (collaboration avec Lise Gauvin, Frontières de la nouvelle de langue française, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2005), et dramatiques, ainsi qu’à leur inscription dans l’Histoire et à la représentation de celle-ci aux XXe et XXIe siècles.

Raphaëlle Guillois-Cardinal

Percevoir et penser le monde: la cognition en question chez les personnages-narrateurs de Christian Oster

Les personnages-narrateurs de Christian Oster, malgré leur apparente drôlerie, perturbent les repères du lecteur. D’une part, dépourvus de vision globale et incapables de synthétiser ou d’organiser ce qu’ils perçoivent, ils fragmentent et déhiérarchisent les éléments du récit. D’autre part, ils interprètent de façon excessive les détails les plus anodins et élaborent des hypothèses aux fondements incertains, ralentissant ainsi le déroulement de l’action et entraînant une non fiabilité de la narration. Dans cette optique, leurs perceptions partielles et désordonnées du réel, de même que leurs interprétations multiples, inutiles et subjectives, laissent place à une part d’inintelligibilité cognitive qui découle d’une conception de l’être humain où celui-ci se voit notamment considéré comme un herméneute dont la réflexion demeure improductive. À cet égard, la particularité des romans d’Oster est de ne pas pouvoir s’organiser conformément à une logique narrative qui raconterait le passage d’un état de savoir à un autre, et de ne pas reconduire la conception présupposée de la cognition qui s’y rattache. Partant de la représentation concrète de la cognition dans trois romans d’Oster, soit L’imprévu (2005), Sur la dune (2007) et Dans la cathédrale (2010), nous tenterons, en nous basant principalement sur les ouvrages de Barrère et Martuccelli (2009), Fontanille (1998), Fortier et Mercier (2004) et Ricoeur (1983-1985), de saisir les manifestations discursives et narratives et les enjeux conceptuels de la relative inintelligibilité cognitive des personnages, afin de voir en quoi la conception de la cognition qu’ils véhiculent s’éloigne d’une conception plus conventionnelle. Nous verrons que les romans ostériens supposent une conception remaniée de la cognition où celle-ci déstructure le monde plus qu’elle ne le structure ; les personnages-narrateurs apparaissent alors tels des êtres légèrement décalés, dépassés par un univers à la fois surchargé et rempli de blancs, un univers déstructuré et en partie inventé par eux.

Appuyée par le Fonds de recherche du Québec (FRQSC) et le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), Raphaëlle Guillois-Cardinal a terminé sa maîtrise en lettres en décembre 2013, sous la direction du professeur Nicolas Xanthos. Son mémoire s’intitule «En périphérie de l’intelligible: cognition, action et affects chez les personnages-narrateurs de Christian Oster». Engagée comme assistante de recherche dans l’équipe du RANX pour le projet «Agir, percevoir et narrer en déphasage: les personnages déconnectés comme indicateurs des enjeux contemporains de la narrativité» (CRSH Savoir 2012-2016), Raphaëlle songe maintenant à poursuivre ses études au doctorat.

Julien Lefort-Favreau

De l’usine à l’atelier d’écriture: les communautés littéraires de Leslie Kaplan

Il s’agira dans cette communication d’examiner la communauté de lecteurs que l’œuvre de Leslie Kaplan dévoile. Le moment fondateur de sa pratique d’écriture est son établissement en usine en 1968, expérience dont elle rend compte dans L’excès-l’usine en 1982, récit poétique qui fut en son temps reçu par Maurice Blanchot et Marguerite Duras. Dans divers essais, réunis dans Les outils, elle témoigne de son engagement dans les ateliers d’écriture en prison ou dans les bibliothèques de banlieue. De ce travail  «de terrain» découle une conception de la littérature antiautoritaire, qui ne présume pas des effets de la lecture, pas plus qu’elle ne ferait la promotion d’un «élitisme littéraire». Plus encore, Kaplan en déduit l’idée d’une communauté littéraire où la lecture devient un mode d’interprétation du réel. Cet aller-retour entre un engagement dans les lieux que l’on présume étrangers à la littérature (l’usine, la banlieue) et le dialogue les grandes œuvres (Blanchot, Antelme, Kafka) créé une communauté de lecture dont la condition de possibilité est la capacité de tous et chacun de s’emparer de la littérature afin d’interpréter la «vie vivante».

Julien Lefort-Favreau est chercheur post-doctoral au département d’études françaises de l’Université de Toronto. Il travaille sur les récits auto-biographiques français. Il est membre associé du centre FIGURA.

Bruno Blanckeman

Du satellite au sismographe: saisies du personnage et mesures de l’humain dans différents univers romanesques actuels

La mesure de l’humain se transforme imperceptiblement, et avec elle ce que ce simple mot recouvre: matière événementielle, contenus existentiels, contours culturels, substrats symboliques. Le roman n’a plus l’apanage de cette mesure. Il semble dans bien des cas ne s’en porter que mieux, renouvelant sa capacité critique à intégrer des savoirs qui lui sont extérieurs pour éprouver sur leur base, et à leurs dépens, des éléments de connaissance probants. Il entretient sa propre plasticité pour satisfaire ses ambitions figuratives et analytiques sans antidater ses objets de représentation – l’être à l’histoire autant qu’à soi-même, au gré de mouvements par lesquels l’identité se définit comme «trans-identité».

On se propose d’en étudier différents exemples en montrant comment, aujourd’hui comme hier, mais selon des ordres de résolution différents, la technique demeure une question de vision. Seuls en changent les angles et les focales, les échelles et les réglages. Certaines écritures jouent d’une perspective satellitaire, dans des écritures tout à la fois mobiles, panoptiques, panoramiques qui restituent les mouvements d’ensemble d’une histoire à même l’espace où elle se déroule. D’autres écritures cultivent une approche sismographique, soucieuse de capter les états intimes de personnages représentés comme des êtres au monde. Encore l’acception phénoménologique de cette expression se double-t-elle parfois d’une inflexion écologique, si l’on entend par là une évaluation des liens sensibles tissés avec les multiples formes du vivant. On interrogera sur les éventuelles postures d’un humanisme «nouveau siècle» que recouvrent ces différents dispositifs fictionnels. Le corpus portera sur des romans de Patrick Deville, Belinda Cannone, Marie-Hélène Lafon, Philippe Vilain.

Bruno Blanckeman, professeur de littérature XX-XXIe siècles à l’Université de la Sorbonne Nouvelle, est l’auteur de plusieurs essais: Les Récits indécidables: Jean Echenoz, Hervé Guibert, Pascal Quignard (Septentrion, 2000), Les Fictions singulières (Prétexte, 2002), Lire Modiano (Armand Colin, 2009) et Le Roman depuis la Révolution Française (PUF, 2011).

Simon Brousseau

Lire le malheur des corps et la fragilité de la bonté: une rencontre forcée entre Martha C. Nussbaum et Jacques Rancière

Il y a en théorie littéraire un intérêt certain pour la question du souci d’autrui, dont on affirme l’importance de la parole et de l’expérience. Jacques Rancière propose que l’écriture, en permettant cette attention particulière à la complexité d’existences qui autrement nous échappent, est un acte politique susceptible d’entretenir la souplesse, mais aussi la justesse de nos perceptions. De son côté, la philosophe américaine Martha C. Nussbaum réfléchit aussi à l’expérience intersubjective permise par la littérature, en nourrissant toutefois ses réflexions de l’éthique d’Aristote. Que l’on parle de politique ou d’éthique de la littérature, il est question chez Rancière comme chez Nussbaum de penser une certaine efficacité de la littérature, sa façon d’engager une connaissance pratique, presque intime de la souffrance humaine. Il s’agira dans cette communication de réfléchir aux liens entre ces deux penseurs afin de voir s’ils peuvent s’éclairer mutuellement. 

Simon Brousseau a complété un doctorat en études littéraires à l’Université du Québec à Montréal. Il prépare une thèse, sous la direction de Bertrand Gervais, à propos du retour du sujet et de la problématisation de l’héritage postmoderne dans l’œuvre de l’écrivain américain David Foster Wallace. Il est le directeur adjoint de Salon double.

Daniel Letendre

Les mots pour me dire. Le personnage comme «devenir-sujet» chez Chloé Delaume et Annie Ernaux

Le personnage est une structure textuelle qui a été mise à mal dans les cinquante dernières années. Simple outil d’une représentation bourgeoise pour certains, être fictif trop typé et invraisemblable pour d’autres, le personnage a surtout été attaqué en ce qu’il ne parlait pas vrai, marionnette agie par un narrateur et une idéologie mauvais ventriloques. Cette remise en cause du personnage est une conséquence de la suspicion envers tout discours et toute autorité qui avancent masqués, qui emploient des intermédiaires (déguisements rhétoriques ou êtres de papier) pour transmettre un certain nombre de valeurs morales, une conception téléologique de l’histoire, en bref, leur message. Considéré — et en cela il se range dans la liste des médias — comme un dispositif mis à profit par un pouvoir qui nie toute autonomie à l’individu que le personnage est censé, au premier chef, incarner dans une fiction, il a été écarté d’un certain nombre de récits pour figurer autrement ce délitement (recherché ou non) du sujet.

On assiste toutefois, dans le récit actuel, à un retournement de cette critique du personnage perçu comme le pantin d’une autorité ou l’avatar de l’individu bourgeois imbu de lui-même. La transposition de soi en un personnage est en effet le biais par lequel s’accomplit un processus de subjectivation. Si, comme le confirment de nombreux travaux, l’homme d’aujourd’hui fait l’expérience d’une difficulté à s’inscrire à la fois dans une histoire et dans une collectivité, la transformation de soi en un personnage lui offre une position dans une diégèse et une communauté sociale (formée par le texte), mémorielle et littéraire en regard desquelles il peut devenir sujet.

L’entreprise autofictive de Chloé Delaume et l’autobiographie impersonnelle Les années d’Annie Ernaux fourniront les exemples appuyant la démonstration de cette hypothèse. Ces deux écrivaines proposent une définition du sujet comme invention de soi-même par le façonnement d’un langage et d’une forme propres à se dire.

Daniel Letendre est chercheur postdoctoral au département des littératures et au CRILCQ de l’Université Laval et chargé de cours au département de lettres et communication sociale à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Ses projets de recherche, dont le cadre théorique combine les théories de l’énonciation, la narratologie et la pragmatique littéraire, portent sur l’interrelation entre l’expérience sensible du monde contemporain et les transformations qu’elle induit à la poétique actuelle du genre romanesque, en France et au Québec.

Jean-François Hamel

Émanciper la lecture: remarques sur la politique des gestes critiques

Depuis le XIXe siècle, les politiques de la littérature se donnent pour mission d’émanciper le lecteur en lui révélant les mécanismes de la domination. Du fouriérisme de Gabriel-Désidé Laverdant à l’existentialisme des Temps modernes, on attribue aux écrivains la tâche d’éveiller la conscience de leurs lecteurs afin de les inviter à transformer leurs conditions d’existence. Or ces théories de l’émancipation par la littérature sont paradoxales en ceci qu’elles se refusent à penser une lecture émancipée: elles n’imaginent pas que la liberté du lecteur puisse s’exprimer autrement que par l’assujettissement à la double autorité de l’auteur et du texte. L’émancipation des lecteurs, dans ces politiques de la littérature, paraît inconciliable avec l’émancipation de la lecture. Notre communication propose d’envisager ce paradoxe et son histoire par la confrontation des conceptions historiques et sociologiques de la lecture (Bourdieu, Chartier, Darnton), qui mettent en lumière les déterminismes sociaux des pratiques culturelles, et des conceptions philosophiques et pragmatistes de la littérature (Rancière, Citton, Macé), qui insistent au contraire sur la dimension productrice et créatrice des gestes d’appropriation.

Professeur au Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal, Jean-François Hamel s’intéresse aux poétiques de l’histoire et aux politiques de la littérature du XXe siècle français. Il est aussi chercheur régulier à FIGURA, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaireIl a publié deux essais dans la collection «Paradoxe» des Éditions de Minuit: Revenances de l’histoire.

Nicolas Xanthos

Or not to be: fictions de l’autre

On se propose dans cette communication de lire quelques textes contemporains (Léger, Chauvier, Ollier) qui mettent explicitement en scène la recherche d’un autre sous forme de roman d’enquête comme autant de manières d’explorer certaines parts de notre imaginaire anthropologique. On verra comment, autour de personnages évanescents, se construisent tout autant une conception de l’être humain sur le mode de l’absence ou de la disparition (qui sonne le glas d’une certaine anthropologie conquérante et sonde une manière d’être en creux) qu’une connaissance de l’autre à la fois limitée et impliquée. On verra aussi comment ces enjeux anthropologiques et épistémologiques se concrétisent en déplacements poétiques. Du côté de la poétique du personnage, on notera une gestion particulière de l’information et de la temporalité narratives ainsi qu’une réticence à mettre à contribution les modalités de signification usuelles. La poétique de ces récits, quant à elle, se caractérise par la transformation des paramètres qui constituent le cœur de l’identité narrative.

Nicolas Xanthos est professeur au département des Arts et Lettres de l’Université du Québec à Chicoutimi. Ses recherches actuelles portent sur la narrativité, la théorie du personnage, les usages de Wittgenstein en théorie de la littérature et la littérature française contemporaine.

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