Colloque, 24 avril 2014

Le souci d’évidence et le plus de regard: photographie et instance de vérité en psychanalyse

Alexis Lussier
couverture
L’imaginaire contemporain. Figures, mythes et images, événement organisé par le Centre de recherche sur le texte et l'imaginaire Figura

Il y a sans doute, de ma part, un désir d’aborder l’envers de la problématique, mais ce sera, je l’espère, pour mieux la mettre en valeur.  De tout temps, la psychanalyse ne peut prétendre à l’évidence. Elle ne peut ni en appeler à une quelconque instance de vérité (science, objectivité, expérience reproductible en laboratoire), ni prétendre convaincre quiconque demanderait… à voir. C’est aussi pourquoi la psychanalyse, qui s’intéresse au scénario criminel, ne peut servir à appuyer aucune des décisions commises lors d’un tribunal. En ce sens, je renvoie à un texte de Freud, «L’établissement des faits» (1906) qui est, à ma connaissance, le premier texte, dans l’histoire de la psychanalyse, à se prononcer sur sa contribution à la criminologie. Cette contribution est improbable, dit Freud, et elle n’est pas même souhaitée. Freud, ici, se dégage de toute instrumentalisation judiciaire de la découverte de l’inconscient. Il n’en demeure pas moins que dès lors que le sujet est aux prises avec son propre scénario criminel (culpabilité inconsciente, meurtre du père, hantise de la pulsion, etc.) il ne peut que reformuler ce qu’il suppose avoir commis, dans l’après-coup de sa parole et l’imagination du souvenir-écran sur lequel il demande à voir, lui-même, ce qui a été. C’est ici, pour revenir à notre problématique, que se pose le rapport à l’enquête, à la preuve, au récit, à une symptomatologie de la vérité qui ne peut que masquer au sujet de l’inconscient la teneur strictement symbolique de la «vérité» qui est en jeu. Vérité qui n’est pas la «vérité historique», mais cette sorte de vérité qui semble faire tenir dans l’inconscient la logique et la cohérence subjective d’un scénario, lequel n’est lisible que par les indices et les traces qu’il laisse dans le discours, mais dont aucune photographie, document ou vidéo de famille ne pourra attester. Dans le cadre de ma présentation, j’aimerais confronter cette affaire, à la célèbre phrase de Benjamin, qui affirmait que «la photographie nous renseigne sur cet inconscient visuel, comme la psychanalyse nous renseigne sur l’inconscient pulsionnel». Il y a beaucoup de choses, dans cet énoncé, et comme tout ce qui est énoncé, chez Benjamin, il demande à être prudemment médité. Tout d’abord, sur les rapports entre psychanalyse et photographie, inconscient et image reproductible, indice et gros plan. Mais il convient aussi de nous interroger sur l’autre très belle intuition de Benjamin qui comparaît, dans le même texte, les photographies d’Atget à une étrange et invisible scène de crime. Cette intuition ne s’impose-t-elle pas à l’envers exacte de la première? Non pas la mise en évidence de l’indice ou du détail, chez Bloßfeldt, par exemple, mais la mise en énigme, pourrait-on dire, d’un objet, ou d’une scène invisible, qui nous captive d’autant plus que nous ne voyons pas. C’est aussi, en ce sens, la prétention de la photographie à montrer qui est en jeu. Ce qu’elle promet comme une évidence ou un plus de regard qui a pour effet d’exorbiter la vision elle-même au moment où le regard voit s’éclipser son objet.

Alexis Lussier est professeur au Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal et chercheur à Figura. Son enseignement et ses principaux champs de recherche portent sur le regard et les images, dans l’optique de la littérature et du cinéma ; sur les relations entre littérature et perversion, scène d’écriture et scène fantasmatique, angoisse et obsession. Ses travaux ont été publiés dans différentes revues spécialisées dont EssaimCygne noirLe Coq-HéronÉtudes françaisesVoix et images et Trafic. Depuis quelques années, il propose un retour à l’invention théorique de la «névrose obsessionnelle» en tant qu’elle implique, chez Freud et Lacan, une relecture de la modernité.

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