Salon double, 2009

Lectures critiques II

Équipe Salon double
cover

Cette publication rassemble des entrées publiées en 2009 dans la section «Lectures» du site web Salon double, une section dédiée à des textes au caractère hybride se situant entre critique journalistique et la critique spécialisée de type universitaires.

Avec les contributions de Viviane Asselin, Christophe Bernard, Julie Boulanger, Simon Brousseau, Pierre-Yves Coudert, Geneviève Dufour, Bertrand Gervais, Anaïs Guilet, Jonathan Hope, Pierre Luc Landry, Mahigan Lepage, Daniel Letendre, Josée Marcotte, Fabienne Mérel, Amélie Paquet, Annie Rioux, Mélodie Simard-Houde, Simon St-Onge et Gabriel Tremblay-Gaudette.

Articles de la publication

Julie Boulanger

Le paria

Œuvre référencée: Mavrikakis, Catherine. (2009) «Deuils cannibales et mélancoliques». L’autofiction constituerait ainsi une tentative d’échapper à ce cynisme caractérisé entre autres par la résignation confortable à l’impuissance de la littérature et de la pensée. L’autofiction, une certaine pratique de l’autofiction, se définirait donc par un désir d’agir sur le monde à travers le jugement qu’elle dirige contre lui. C’est précisément à l’aune de cette volonté d’agir sur le monde qui sous-tend, contre toute attente, le projet autofictionnel que j’aimerais lire «Deuils cannibales et mélancoliques».

Jonathan Hope

Raconter son histoire pour en donner une à celles qui n’en ont pas

Œuvre référencée: Delvaux, Martine. (2009) «Rose amer». Martine Delvaux écrit pour ne pas oublier la vie d’une petite fille qui naît dans un monde sans hommes quelque part sur la 417, à la campagne : «on disait la campagne pour ne pas dire les pervers et les fous dans les champs le long de l’autoroute». Une de ces campagnes minables où le secret était, à la fois, frappé d’une interdiction morale et dans les faits omniprésent.

Pierre Luc Landry

Lire les dédales d’un étrange labyrinthe

Œuvre référencée: Basara, Svetislav. (2008) «Perdu dans un supermarché». «Perdu dans un supermarché» regroupe vingt-deux nouvelles placées sous le signe des identités narratives troubles. Vingt-deux nouvelles qui présentent autant de situations étranges face auxquelles le lecteur ne sait pas toujours comment réagir. Vingt-deux nouvelles qui font penser, d’une certaine façon, à celles de Kafka, de Borges et de Cortázar.

Christophe Bernard

Portrait de l’athlète en mouvement

Œuvre référencée: Echenoz, Jean. (2008) «Courir». Dans cette histoire simple, d’apparence linéaire, s’entrecroise pourtant toute une réseautique de croisements narratifs pour, au-delà du politique, esquisser le devenir d’un homme: métaphysique de l’athlète. Ainsi, de son sujet, l’écriture cherche à épouser les poussées d’intensité et les métamorphoses. En cela elle déploie sur une trame linéaire des constellations d’affects et de mouvements invisibles, fouillant toujours plus avant une expérience intérieure qui, pour beaucoup, transite par un exercice de portrait peut-être plus près de l’expressionnisme abstrait que de toute forme de photographie.

Mélodie Simard-Houde

Consentir à l’illusion

Œuvre référencée: Toussaint, Jean-Philippe. (2009) «La vérité sur Marie». Les mécanismes discrets du récit font place, dans la troisième partie du roman, à un discours métalittéraire sur la vraisemblance et le réalisme. Comme dans ses romans précédents, Toussaint offre une réflexion sur la teneur du réel et sa représentation littéraire. Le narrateur s’interroge sur l’acte créateur, le rapport entre réalité et imaginaire.

Anaïs Guilet

Game Over

Œuvre référencée: Cooper, Dennis. (2006) «Dieu Jr.». «Dieu Jr.», mêlant violence et humour, laisse souvent son lecteur aux prises avec un malaise que l’auteur ne cherche aucunement à dissiper. Le lecteur est conduit sans concession au cœur d’un processus morbide. Il doit faire face, à l’image de Jim, à la difficulté des relations père-fils ainsi qu’au poids du traumatisme.

Simon Brousseau

Savoir se piéger

Œuvre référencée: Dimanche, Thierry. (2009) «Autoportraits-robots». Au fil des poèmes se profile l’idée que l’unité du sujet n’existe pas. Non pas un, mais des autoportraits-robots, en ce sens où l’identité serait une multiplicité qui se dérobe. Le projet de ce recueil de poèmes est d’offrir une esquisse de ces fragments d’être, mais également d’illustrer les jeux de tensions qui s’installent entre chacune de ces parcelles.

Geneviève Dufour

Des corps tristes

Œuvre référencée: Le Thiec, Morgan. (2009) «Les petites filles dans leurs papiers de soie». Quatorze textes composent l’ouvrage. Quatorze portraits de famille, quelque peu impressionnistes, où parents et enfants sont séparés par des murs de silence et ce, depuis l’aspirante vedette porno dans «Coquelicot» à cette autre femme à la poitrine lourde comme une enclume dans «Santa Lucía aux deux collines».

Pierre Luc Landry

«Est-ce un roman, ou le délire?»: petit voyage dans une Mongolie fabulée

Œuvre référencée: Basara, Svetislav. (2006) «Guide de Mongolie». Basara, narrateur écrivain et personnage principal du roman Guide de Mongolie de l’auteur serbe du même nom, doit se rendre en Mongolie pour écrire un guide, un «grand reportage sur ce pays perdu au bout du monde» (p. 20), à la demande de son ami N.V. qui vient tout juste de se suicider et qui avait promis ce guide/reportage à la revue Époque. Basara voyage donc jusqu’à ce pays d’Asie centrale et fait la connaissance de quelques personnages plutôt singuliers.

Julie Boulanger & Amélie Paquet

Le régime des secrets

Œuvre référencée: Duhamel-Noyer, Olga. (2006) «Highwater». À travers le corps de son amante, elle cherche à saisir ce que Venise a été. Non, comme il est si facile de le réduire, dans ce mouvement banal de la jalousie qui souhaiterait abolir le passé de l’être aimé –quoique la narratrice évoque, à une seule et unique reprise, cette «[descente] dans le passé de Venise [de] l’escalier de la jalousie»–, mais plutôt dans une volonté obsessive de connaissance de chaque parcelle de son existence.

Pierre Luc Landry

Comment raconter une histoire simple autrement

Œuvre référencée: Leboeuf, Gaétan. (2007) «Bébé et bien d’autres qui s’évadent». En deux ans de vie littéraire, le roman aura fait couler bien peu d’encre: quelques articles dans des quotidiens, une recension ici et là, puis plus rien. Il faudrait s’y intéresser davantage, le roman offrant en effet un bel exemple de réalisme magique contemporain, puisque l’univers de fiction mis en place permet la cohabitation non problématisée de naturel et de surnaturel dans un même récit.

Annie Rioux

Ces illusions de mémoire à écrire

Œuvre référencée: Michon, Pierre. (2002) «Corps du roi». Nous avons déjà parlé de Pierre Michon ici, mais il importe de rappeler qui est l’auteur majuscule de ces fictions qui portent un regard archéologique sur le monde (avec d’autres) et qui, de ce fait, colorent d’une manière singulière le paysage francophone actuel. À mon avis nous ne parlerons jamais assez du recueil Corps du roi, dont l’originalité dépasse sans contredit la rhétorique propre à l’écriture du tombeau d’écrivain. Je propose ici une réflexion en surplomb sur les enjeux de filiation et d’imaginaire littéraire soulevés par l’œuvre de Michon, à partir du recueil qui m’a longtemps questionnée.

Viviane Asselin

Québec taxidermiste

Œuvre référencée: Québec, ville dépressionniste (2008) «La Conspiration dépressionniste». La capitale nationale serait (devenue) dépressionniste. C’est-à-dire laide, monotone, instrumentalisée, ennuyeuse, léthargique, aliénante, abrutissante: les adjectifs se multiplient pour montrer que Québec «se tu[e] de l’intérieur» (Québec, ville dépressionniste, p.10). Le discours n’est pas joyeux, mais la réalité l’est encore moins: la population mondiale serait manipulée par des instances supérieures –politiques, culturelles, sociales– qui contrôleraient son intelligence en la maintenant sous le joug de la déprime. Voilà en quels termes s’exprime le collectif de La Conspiration dépressionniste qui, mi-figue, mi-raisin, dénonce l’existence d’un complot international dont Québec ne serait qu’une victime parmi d’autres.

Amélie Paquet

L’assemblée politique des pirates des mers

Œuvre référencée: Larnaudie, Mathieu. (2009) «La constituante piratesque». L’assemblée fonctionne selon une certaine mouvance calquée sur le modèle de la communauté de pirates elle-même, qui permet une spontanéité inédite ailleurs qu’à bord de leurs navires. La seule stabilité que l’assemblée des pirates connaît est contenue dans la relation des individus vis-à-vis la communauté. Ils portent tous la responsabilité de la vie des uns et des autres. L’assemblée ne défend que sa propre liberté et ce à travers la responsabilité qu’elle confère à ses membres.

Daniel Letendre

Le sauvetage du temps

Œuvre référencée: Rolin, Olivier. (2006) «Un chasseur de lions». Le roman atteste qu’à défaut de pouvoir découvrir des filiations réelles entre soi-même et le passé, il convient d’en inventer pour rattacher le fil de son histoire à celui de gens qui nous ont précédés, à celui de l’humanité, de façon à se sentir en faire partie. Sans ces histoires anecdotiques, sans les liens imaginaires entre les différentes époques et leurs projets avortés, sans cette représentation fictionnelle du retour et de la simultanéité des temps, le réel – le présent – et l’homme qui s’y trouvent en deviennent orphelins.

Mélodie Simard-Houde

Réécrire Babel à l’ère médiatique

Œuvre référencée: Dickner, Nicolas. (2009) «Tarmac». Le deuxième roman de Nicolas Dickner, «Tarmac», raconte l’histoire de deux adolescents, Michel (dit Mickey) Bauermann et Hope Randall, qui se rencontrent par hasard à Rivière-du-Loup, à l’été 1989, et s’adoptent immédiatement. Au fil des journées passées dans le sous-sol du bungalow de la famille de Michel, surnommé le «bunker», les complices se laissent imprégner par les images médiatiques qui défilent à la télévision: des émissions de David Suzuki aux échos de la guerre froide, en passant par The Price Is Right, la chute du mur de Berlin et les films de zombies, tout est bon pour leurs solides appétits. L’actualité politique internationale est largement présente dans le roman, où les grands événements médiatiques qui ont marqué notre mémoire collective depuis 1989 deviennent autant de points de repère pour la temporalité du récit.

Josée Marcotte

L’imagination en matière de navigation

Œuvre référencée: Fortier, Dominique. (2008) «Du bon usage des étoiles». De la fabulation naît la vérité cachée au cœur de la jeune femme. Sophia s’abandonne alors à l’imagination, elle scrute le ciel à la recherche d’autres constellations inventées, et elle réorganise les étoiles. Cet amour apparaît donc à Sophia (trop tard) en même temps que les plaisirs de l’action imaginante.

Fabienne Mérel

Traces, tracés, trajets: itinéraires d’un fils en deuil

Œuvre référencée: Rongier, Sébastien. (2009) «Ce matin». Sans doute quelques pièces du puzzle identitaire apparaissent-elles çà et là, mais toujours incomplètes ou inexpliquées: un certificat médical ancien signalant les traces d’une agression physique, un journal intime qui tourne court, un message téléphonique obscur laissé par une amie de la mère. Le roman éparpille, comme des cendres, les éléments de la biographie maternelle, nécessairement lacunaire. «Ce matin», premier roman de Sébastien Rongier, raconte une histoire simple: le narrateur apprend la mort de sa mère intervenue dans un accident de la route. Le récit se concentre sur les jours qui suivent ce décès, et, grâce à l’intensité, la tension, voire l’âpreté de l’écriture, restitue les difficultés avec lesquelles le personnage doit affronter la mort, le monde et s’interroger sur lui-même.

Pierre-Yves Coudert

Au-delà de la matière romanesque

Œuvre référencée: Viel, Tanguy. (2006) «L’Absolue Perfection du crime». Tout se passe comme si les mots étaient engloutis par cette rumeur gênante et il semble presque que l’on se rapproche d’une «littérature du non-mot» telle qu’elle a été théorisée par Samuel Beckett. Le fait est que ce style en mouvement sert sans doute une forme de modernité littéraire, en se plaçant à la frontière de l’écrit, de l’oral et du mouvement de pensée.

Pierre Luc Landry

Entre réalisme magique et paranoïa narrative

Œuvre référencée: NDiaye, Marie. (2007) «Mon cœur à l’étroit». Il est ici question d’une quête, celle des raisons qui poussent le monde à rejeter et mépriser soudainement Ange et Nadia, deux instituteurs de Bordeaux pourtant jusque-là respectés, sinon tolérés. On sera aussi en contact avec une multitude d’événements surnaturels qui vont d’un brouillard envahissant qui modifie la géographie de la ville à la gestation d’une sorte de fœtus démoniaque d’origine inconnue.

Simon Brousseau

De l’exploration à l’obsession

Œuvre référencée: Vila-Matas, Enrique. (2008) «Explorateurs de l’abîme». Quel est ce vide, cette insatisfaction qui a rendu nécessaire l’écriture du livre que nous avons entre les mains ? Il y a certainement une tension, chez Vila-Matas, entre le monde réel et celui des livres, ces derniers occupant toujours une place plus importante que le premier dans la construction du discours. C’est-à-dire que cet écrivain répugne à parler du monde réel, celui de ses contemporains qui, réciproquement, vivent comme si la littérature n’existait pas.

Bertrand Gervais

L’entité sentinelle Chloé Delaume

Œuvre référencée: Delaume, Chloé. (2006) «J’habite dans la télévision». Le roman n’a qu’un véritable personnage, si on oublie le poste de télévision, aucune intrigue sauf la transmutation de Chloé Delaume qui se met à hanter le réseau. Elle commence à habiter la chose, parce qu’elle a décidé de tenter l’expérience de n’écouter que la télévision pendant vingt-deux mois.

Viviane Asselin

Sous le signe de l’amour

Œuvre référencée: Gailly, Christian. (2007) «Les oubliés». Dans «Les oubliés», la simplicité d’une écriture plus détendue, moins heurtée, tend à favoriser une rencontre plus sensible avec le lecteur. Certes, l’amour manque de passion, la mort manque de douleur, mais la détresse de Brighton n’est pas moins palpable, ne serait-ce que dans son réflexe de s’attarder à des détails insignifiants qui l’empêchent de «[céder] de partout» . Il faut y voir la difficulté de traduire l’émotion en mots.

Amélie Paquet

Un bourgeois en proie aux événements

Œuvre référencée: Lefebure, Mathyas. (2006) «D’où viens-tu, berger?». La tranquillité n’est que de courte durée, mais pour un jeune héros de la terre, tous les défis sont bons. Le loup vient de surgir. La panique s’installe en montagne et les cadavres de moutons se multiplient. «Vais-je abdiquer? Me rendre à l’évidence que je ne suis qu’un idéaliste de l’ovin?» L’idéal n’a pas de prix et se nourrit, malgré tout, de ses déceptions.

Simon St-Onge

Temps et contretemps dans le conte quignardien

Œuvre référencée: Quignard, Pascal. (2006) «Triomphe du temps, quatre contes». Chez Quignard, le temps que fait éprouver le conte est une expérience du Jadis, qui triomphe toujours du temps chronologique pour faire de l’extrême contemporain un régime temporel originaire, un «ce fut» d’aoriste qui fait du maintenant une pointe d’enchantement, un contretemps qui fracture le continuum temporel.

Mahigan Lepage

Pierre Michon, roi et bouffon

Œuvre référencée: Michon, Pierre. (2007) «Le Roi vient quand il veut. Propos sur la littérature». Parmi les pairs, la pose est reconnue comme telle et acceptée, voire encouragée, sourire en coin. Surtout depuis que l’arrêt a été prononcé, à l’occasion d’une émission sur les auteurs contemporains de la regrettée Qu’est-ce qu’elle dit Zazie?, il y a une dizaine d’années: «Au fond, Michon, c’est le roi!»

Gabriel Tremblay-Gaudette

L’exploration du quotidien

Œuvre référencée: Huizenga, Kevin. (2006) «Curses». Depuis l’avènement de la BD alternative dans le milieu des années 1980, on constate un glissement dans les préoccupations des artistes, plus intéressés à dépeindre leur monde réel et connu qu’à se lancer dans des délires spectaculaires. Cette tendance a atteint sa pleine expression avec Kevin Huizenga, jeune bédéiste du Michigan qui s’efforce de traduire sa réalité par le biais de son personnage Glenn Ganges, à force d’images et de mots.

Simon Brousseau

Écrire avec un marteau

Œuvre référencée: Jauffret, Régis. (2007) «Microfictions». Au fil de la lecture, bien qu’aucun événement ne vienne lier entre elles les histoires qu’on y rencontre, se dégage néanmoins une forte impression de cohésion qui vient de l’uniformité du ton avec lequel s’expriment les personnages qui peuplent le livre. Tout se passe comme si un narrateur omniscient s’amusait à incarner diverses individualités fictives, d’où l’étrange homogénéité du discours que celles-ci produisent.

Amélie Paquet

Là où on souffre

Œuvre référencée: Bond, Edouard H. (2008) «Prison de poupées». Ce passage vers la littérature, qui n’est qu’une solution de dernier recours, ne se fait pas sans heurt. Après une dédicace à l’honneur de Paris Hilton, qui fit récemment un bref séjour carcéral, Bond se cite lui-même en exergue, revendiquant le statut littéraire de son oeuvre: «Malgré ce qu’a pu te raconter, Marguerite fuckin Duras, ma Belle, chuis aussi de la littérature» (p. 13). Cette défense du narrateur, qui apparaît ainsi dès le début du roman, quant à ses ambitions littéraires supposent qu’elles sont remises en question.

Type de contenu:
Dans le cadre de:
Ce site fait partie de l'outil Encodage.