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Le sourire de la mère: faux sacrifice et matricide dans «Un barrage contre le Pacifique» de Marguerite Duras (1950)

Adeline Caute
couverture
Article paru dans Filiations du féminin, sous la responsabilité de Ariane Gibeau et Lori Saint-Martin (2014)

Les fils et les filles ont un rapport différent, déterminé en partie par leur sexe et leur genre, avec leur mère. De nombreux ouvrages de psychologie, de sociologie et de philosophie portent sur la nature de ces liens de filiation faits d’amour, d’attachement, de besoin mutuel et réciproque, mais aussi d’un désir profond de séparation et de rupture, s’exprimant de manière contrastée en fonction de l’identité de genre de l’enfant. Souvent, les études sur le rapport de filiation mère/fils associent celui-ci à la notion de castration et à la violence. Dans Of Woman Born1Naître d’une femme: la maternité en tant qu’expérience et institution, traduit de l’anglais par Jeanne Faure-Cousin, Paris: Denoël, 1980, 297 p., Adrienne Rich utilise l’image du serpent pour décrire la mère traditionnelle d’un garçon: castratrice et érotique, marquée par la culpabilité qu’elle impose également à son fils, la mère traditionnelle dévore, menace et écrase le garçon au point que, selon Adrienne Rich, leur relation est intimement liée à la mort (Rich, 1976: 186-188). Le fils n’a de cesse de vouloir s’arracher à sa mère, tout en étant parallèlement dévoré par une terrible culpabilité. Dans ces circonstances, la rupture entre le fils et la mère tend à être dure, brutale.

Le rapport mère/fille, quant à lui, est dominé par la notion d’identification à la fois désirée et repoussée de la fille à la mère. Pour Adrienne Rich, la fille tente toute sa vie de retourner dans le giron maternel, de la reposséder et d’être repossédée par elle, tenaillée par une «faim de mère» qui coexiste avec un désir puissant d’être libérée d’elle (Rich, 1976: 218). Dans cette optique, la fille et la mère entretiennent un rapport complexe et contradictoire de mise à distance et de rapprochement, sans parvenir jamais à rompre complètement. Là où le fils opère une rupture claire, sanglante lorsqu’il quitte la maison familiale, la fille ne sort jamais d’une forme de négociation de sa présence et de son absence. C’est ce qu’exprime Luce Irigaray dans son essai intitulé Et l’une ne bouge pas sans l’autre, où elle met en images les doléances mêlées de culpabilité qu’une fille adresse à sa mère au sujet de son passage à l’âge adulte:

Qui es-tu? Qui suis-je? Qui répond de notre présence en cette translucidité ou cet obstacle aveugle?
Et si je pars, tu ne te retrouves plus. N’étais-je le dépôt cautionnant ta disparition? Le tenant-lieu de ton absence? La garde de ton inexistence? Celle qui t’assurait de pouvoir toujours te rejoindre. De te tenir, à toute heure, entre tes bras. De te maintenir en vie. De te nourrir indéfiniment pour tenter de subsister. De te donner encore et encore sang et lait et miel (ta viande, je n’en voulais pas) pour essayer de te remettre au monde. 
Personne, ce soir, telle l’attente de toi. Tu t’avances vers un sans à venir. Personne en qui te souvenir du rêve de toi-même. La maison, le jardin, et tout lieu sont vides de toi. Tu te cherches partout en vain. Rien sous tes yeux, tes mains, ta peau, qui te rappelle à toi. Qui te permette de te revoir en une autre toi-même. Qui t’entraîne à te vider toujours davantage en mon corps pour entretenir la mémoire de toi. Pour alimenter l’apparence de toi-même. Non, ma mère, je suis partie (Irigaray, 1979: 16-17).

Lente et douloureuse désagrégation pour la mère d’une fille, terrassement brutal pour la mère d’un garçon, le départ de l’enfant de la maison familiale constitue dans les deux cas un matricide symbolique pour celle qui perd toute substance et toute raison d’être en voyant partir sa progéniture.

C’est ce que donne à voir Un barrage contre le Pacifique, roman inaugural dans l’œuvre de Marguerite Duras où apparaissent déjà tous les thèmes qui marqueront son œuvre. Première version romancée d’une histoire que l’écrivaine réécrira sous plusieurs formes jusqu’à la fin, Un barrage contre le Pacifique a été décrit par son auteure comme «une veillée mortuaire de la mère par les enfants» (Assouline, 1991: 51). Présentant trois personnages principaux, la mère sans nom, Joseph, son fils aîné, et Suzanne, sa fille cadette, le roman met en scène l’arrachement progressif des deux enfants à leur mère, en narrant les événements qui précèdent leur venue à l’autonomie et à l’indépendance, qui coïncide avec la mort de la mère. Devenue folle avant le début du roman, lors de l’échec retentissant de son projet de construire des barrages pour empêcher les marées du Pacifique de venir inonder les terres que lui a vendues le Cadastre, cette dernière assiste impuissante et au prix de sa vie à l’autonomisation progressive de ses deux enfants.

C’est le sens de cette mort qui va m’occuper dans le présent article. Dans un premier temps, je vais étudier les circonstances et les enjeux de la prise de distance de chacun des enfants par rapport à la mère, une prise de distance qui s’opère à l’initiative du fils et qui apparaît comme un désir de rompre la filiation mère/enfant. Dans un second temps, je nuancerai ce premier tableau en tentant de montrer comment Duras présente paradoxalement le matricide symbolique que constitue l’autonomisation des enfants comme une tentative et un effort destinés non pas à rompre avec la mère, mais au contraire à resserrer et à recréer la filiation mère/enfant.

L’ARRIVÉE À L’AUTONOMIE DU FILS ET DE LA FILLE: RUPTURE DE LA FILIATION MÈRE/ENFANT?

Roman de 1950, Un barrage contre le Pacifique raconte, à l’instar d’une grande partie de l’œuvre postérieure de Marguerite Duras, quelques mois en Indochine, dans la vie d’une famille française composée de trois personnes: la mère et ses deux enfants. Après de nombreuses épreuves qui l’ont laissée folle et brisée, et notamment la construction des barrages destinées à protéger la concession familiale des marées du Pacifique et à assurer un avenir à ses deux enfants, la mère assiste, impuissante, au départ progressif de ceux-ci, et tout particulièrement de son fils Joseph, qu’elle aime passionnément. Cette autonomisation du fils et de la fille plonge la mère dans une dépression et une maladie terribles qui, ultimement, l’emporteront. De ce lien de cause à effet, tous semblent conscients pendant l’ensemble du roman: c’est sciemment que Joseph condamne sa mère à la mort en la quittant et que la mère se voit décliner progressivement, parallèlement à l’autonomisation de son fils, surtout, mais aussi de sa fille.

Fait intéressant, dès le début du roman, la mère apparaît comme moribonde, un état causé indirectement par ses enfants et la perspective de leur avenir. En effet, c’est en leur nom que la mère a consenti aux terribles sacrifices qui lui ont coûté sa santé physique et mentale. Les premières pages du roman racontent ses «crises» et font mention des médicaments qu’elle prend depuis l’anéantissement qu’a représenté pour elle l’effondrement des barrages, rêve de sa vie:

[D]epuis les barrages, elle était malade et même en danger de mort, d’après le docteur. Elle avait déjà eu trois crises, et toutes trois, d’après le docteur, auraient pu être mortelles. On pouvait la laisser crier un moment, mais pas trop longtemps. La colère pouvait lui donner une crise (Duras, 1950: 22).

La précarité de sa santé et la mort qui rôde sont présentes dès la première présentation de la mère, en lien indirect avec Suzanne et Joseph et l’idée de leur avenir. Toutefois, c’est à la fin du texte que le déclin de la mère se précipite, parallèlement au départ de Joseph, départ que la mère tente de repousser de toutes ses forces. Ses tentatives prennent deux formes différentes : la nourriture et l’orthographe. 

Dans Et l’une ne bouge pas sans l’autre, Luce Irigaray écrit ceci: «Avec ton lait, ma mère, tu m’as donné la glace. Et, si je pars, tu perds l’image de la vie, de ta vie. Et si je demeure, ne suis-je le dépôt de ta mort?» (Irigaray, 1979: 7). Chez Irigaray, le lait représente non seulement la première nourriture donnée par la mère à l’enfant, mais aussi, par métonymie, le lien de dépendance qu’elle crée avec lui dans ses premières années, lorsqu’il est impuissant et incapable de subvenir à ses propres besoins. Un barrage contre le Pacifique laisse entrevoir à plusieurs reprises l’importance symbolique qu’ont, à ses propres yeux, les repas qu’offre la mère à ses enfants. Au début du roman, par exemple, les détails et précisions sur les différents plats que la mère apporte à table pour le souper de ses enfants occupent cinq pages (Duras, 1950: 32-36). Le passage se termine sur la description suivante: «[La mère] avait fini de manger et regardait ses enfants. Quand ils mangeaient, elle s’asseyait en face d’eux et suivait tous leurs gestes. Elle aurait voulu que Suzanne grandisse encore et Joseph aussi. Elle croyait que c’était encore possible. Pourtant, Joseph avait vingt ans et il était plus grand qu’elle» (Duras, 1950: 36). Ici, l’intérêt que porte la mère à la vue de ses enfants qui mangent se double de l’idée qu’en les nourrissant, elle les aide à grandir. Malgré le fait qu’ils ont tous les deux quitté l’enfance, elle se croit encore capable de les faire pousser comme on fait pousser des plantes et exprime ce désir plus loin dans le texte:

La mère feignait de croire que ses bananiers exceptionnellement soignés, donneraient des fruits exceptionnellement beaux et qu’elle pourrait les vendre. Mais surtout elle aimait planter, n’importe quoi et jusqu’à des bananiers dont la plaine regorgeait. Même depuis l’échec des barrages, il ne se passait pas de jour sans qu’elle plante quelque chose, n’importe quoi qui pousse et qui donne du bois ou des fruits ou des feuilles, ou rien, qui pousse simplement (Duras, 1950: 114-115).

Pour les plantes comme pour les enfants, la mère pense qu’elle est investie d’une mission qui consiste à faire naître et grandir, à favoriser la croissance. Cette conviction dit l’ampleur de son déni face à l’autonomisation réelle de ses enfants et à l’impossibilité de réussir à faire pousser quelque chose sur les plaines inondées. La mère s’accroche avec désespoir à ce qu’elle semble considérer comme son mandat de nourricière, qui la remplit de plaisir et de fierté. Ainsi, sur la question du rapport de la mère au repas de ses enfants, le texte précise: «Quand ils mangeaient avec appétit elle était toujours heureuse» (Duras, 1950: 162). Faire croître revient pour la mère durassienne à remplir son rôle et sa fonction. Or, comme l’explique Irigaray, procéder ainsi revient à immobiliser l’enfant:

Avec ton lait, ma mère, j’ai bu la glace. Et me voilà maintenant avec ce gel à l’intérieur. Et je marche encore plus mal que toi, et je bouge encore moins que toi. Tu as coulé en moi, et ce liquide chaud est devenu poison qui me paralyse. Mon sang ne circule plus jusqu’aux pieds ni aux mains ni au haut de la tête. Il s’immobilise, gêné par le froid. Arrêté par des blocs qui résistent à son flux. Il reste dans le cœur, près du cœur (Irigaray, 1979: 7).

En se rendant indispensable et toute-puissante en tant que nourricière, la mère durassienne tente d’empêcher le départ de ses enfants, départ qu’elle sait pourtant inévitable. Il est significatif que, dans le passage déjà cité où la mère tend plusieurs mets à ses enfants, la préparation du dîner suive l’annonce par Joseph de son désir de partir. Tenter de retenir l’enfant se fait ici par la présentation de nourriture.

Plus tard, après le départ de Joseph, la mère trouve une autre raison de se rendre indispensable aux yeux de son fils et de le faire revenir: la question de son orthographe. À la lecture d’une lettre de Joseph, la mère réalise qu’il fait ce qu’elle estime être beaucoup de fautes, et elle en conclut: «maintenant il n[’apprendra plus l’orthographe]. Maintenant personne ne s’en chargera, faut que j’y aille. Il n’y a que moi qui puisse le faire» (Duras, 1950: 349). En invoquant une obligation impersonnelle («faut que»), la mère s’efforce de faire valoir qu’il est nécessaire que son fils lui revienne ou qu’elle le rejoigne.

Toutefois, dès le début du roman, Joseph comprend que sa mère essaie de le retenir et sait que son salut passe par l’arrachement à elle, bien que ce dernier soit synonyme d’un matricide non seulement symbolique, mais aussi littéral. Ainsi, lorsqu’il raconte à Suzanne comment il a pris la décision de partir avec Lina, sa maîtresse mariée, l’idée de séparation d’avec sa famille, tout particulièrement sa sœur, est centrale:

L’idée qu’il fallait retourner à la plaine m’est revenue… Je me souviens, j’ai juré tout haut, pour être bien sûr que c’était bien moi qui étais là et je me suis dit que c’était fini. J’ai pensé à toi, à elle, et je me suis dit que c’était fini, de toi et d’elle. Je ne pourrai plus jamais redevenir un enfant, même si elle meurt, je me suis dit, même si elle meurt, je m’en irai (Duras, 1950: 275).

Ici, Joseph parle expressément de «redevenir un enfant», se faisant l’écho du vœu muet de sa mère. Si le fait que ses enfants grandissent signifie qu’ils finiront par la quitter, alors la mère veut éviter que leur croissance prenne fin, ou alors, comme elle l’exprime à propos de l’orthographe de son fils, elle les préfère carrément morts: «On m’aurait dit ça […] quand ils étaient petits, on m’aurait dit qu’à vingt ans ils feraient encore des fautes d’orthographe, j’aurais préféré qu’ils meurent» (Duras, 1950: 348). Le départ volontaire de l’enfant semble bien plus difficile à vivre pour la mère que l’idée de sa mort.

De toute évidence, Joseph est conscient des enjeux de son départ pour sa mère et du fait que, dans son cas, le matricide que signifie le départ de l’enfant risque de ne pas être seulement symbolique. Cela explique sans doute l’étreinte pleine d’émotion dans laquelle il enlace le corps de sa mère morte à son retour de voyage: «Il était affalé sur le lit, sur le corps de sa mère. [Suzanne] ne l’avait jamais vu pleurer depuis qu’il était tout petit. De temps en temps il relevait la tête et regardait la mère avec une tendresse terrifiante. Il l’appelait. Il l’embrassait» (Duras, 1950: 359). L’émotion vive que ressent Joseph dit sa tristesse, mais aussi son sentiment de responsabilité. Le fait qu’il «appel[le]» sa mère, comme s’il était en son pouvoir de la faire revenir d’entre les morts, laisse supposer, en creux, qu’il sait qu’il était capable de lui donner la mort. Chez Duras, l’enfant détient, s’agissant de la mère, la possibilité d’un don de mort qui répond, en écho, au don de vie maternel, soit la venue à l’existence de l’enfant. La mention de la petite enfance de Joseph dans la description de la scène –«depuis qu’il était tout petit»– confirme également l’idée qu’en présence de sa mère, même morte, Joseph ne peut être qu’un enfant, et que c’est seulement loin d’elle qu’il peut vivre en tant qu’adulte.

Dans cette optique, le récit d’Un barrage contre le Pacifique raconte l’histoire classique du départ de l’enfant, en l’occurrence du fils, qui laisse un vide derrière lui –un vide qui signe l’arrêt de mort de sa mère. Toutefois, si le roman met surtout l’accent sur le déchirement que représente le départ du garçon pour la mère, un deuxième départ se joue dans l’ombre. Après le départ de Joseph, Suzanne commence à fréquenter Agosti, avec qui elle perd sa virginité. Ce faisant, elle devient femme et s’arrache également, symboliquement, au monde de l’enfance et à la symbiose avec la mère. Malgré sa proximité physique avec sa mère, dont elle s’occupe avec zèle depuis le départ de Joseph, Suzanne rompt donc elle aussi le lien de dépendance qui la rattachait à sa mère, quoique de manière moins brutale que son frère. Cet état de fait est souligné subtilement dans le texte, comme par exemple dans cette phrase introductive du chapitre qui raconte la mort de la mère: «La mère eut sa dernière crise un après-midi, en l’absence de Suzanne» (Duras, 1950: 357). Ici, la virgule crée un lien tacite entre la «dernière crise» de la mère, c’est-à-dire celle qui la tuera, et le complément circonstanciel de temps accusateur «en l’absence de Suzanne», qui suit le groupe nominal objectif et neutre «un après-midi». D’un point de vue syntaxique et lexical, Suzanne est accusée de matricide par le texte.

Malgré tout, les deux enfants aiment la mère d’un amour à la fois tendre et violent. Si Suzanne, à un moment, souhaite la mort de sa mère –«cette salope, ma mère, ah! qu’elle meure!» (Duras, 1950: 187)–, c’est au terme d’une longue scène d’identification à elle. En d’autres mots, pour Suzanne, la mère présente un risque et une menace lorsqu’elle se sent possédée par elle, comme si à la filiation succédait une forme de substitution entre la mère et la fille. Le lecteur peut même être surpris de la douceur et de la patience dont Suzanne fait preuve envers cette mère maltraitante et violente.

De fait, il semble que la disparition de leur mère folle et brutale n’est pas envisagée comme un événement positif par Joseph et Suzanne, du fait, peut-être, de la dette qu’ils ressentent envers elle. L’arrachement à la mère, synonyme de matricide, n’est pas une fin en soi pour eux, mais bien au contraire une conséquence inévitable et triste de leur autonomisation. La mort de la mère apparaît comme un rite de passage, ou encore comme un sacrifice nécessaire. Dans cette optique, Un barrage contre le Pacifique fait figure de roman classique, ou traditionnel, illustrant le principe patriarcal selon lequel, dans les mots de Juliet Mitchell, «l’entrée dans la culture humaine» se fait par le matricide, comme l’illustre le mythe de Clytemnestre, que Luce Irigaray voit comme l’archétype fondamental des sociétés occidentales (Irigaray, 1981). Partant, il faut rompre et tuer la mère pour parvenir à l’existence sociale autonome.

LE FAUX MATRICIDE

Toutefois, la scène du décès de la mère laisse apercevoir une réalité autre ou, plus exactement, une subversion de l’économie classique dont Un barrage contre le Pacifique présente en apparence tous les ingrédients. Arrêtons-nous un moment sur cet épisode-clé du roman.

Une fois Joseph parti et Suzanne occupée par ses amours avec Agosti, l’état de la mère empire dramatiquement. Cette dégradation mène finalement au décès maternel, auquel assiste Suzanne et qui est rapporté dans le texte de la manière suivante:

Bientôt la mère ne remua plus du tout et reposa, inerte, sans aucune connaissance. Tant qu’elle respirait encore et à mesure que se prolongeait son coma elle eut un visage de plus en plus étrange, un visage écartelé, partagé entre l’expression d’une lassitude extraordinaire, inhumaine et celle d’une jouissance non moins extraordinaire, non moins inhumaine. Pourtant, peu avant qu’elle eût cessé de respirer, les expressions de jouissance et de lassitude disparurent, son visage cessa de refléter sa propre solitude et eut l’air de s’adresser au monde. Une ironie à peine perceptible y parut. Je les ai eus. Tous. Depuis l’agent du cadastre de Kam jusqu’à celle-là qui me regarde et qui était ma fille. Peut-être c’était ça. Peut-être aussi la dérision de tout ce à quoi elle avait cru, du sérieux qu’elle avait mis à entreprendre toutes ses folies (Duras, 1950: 359).

Ce passage présente simultanément plusieurs éléments contradictoires. Le texte commence en affirmant, à grands renforts d’adverbes pléonastiques –«ne remua plus du tout», «sans aucune connaissance»2Je souligne.–, l’inertie de la mère. Cette description ne laisse la place à aucune manifestation ou expression délibérée de la mère, dont l’esprit semble avoir déjà quitté le corps, dans le «coma» qui la terrasse. À l’instant où la mère est donc réduite à sa matérialité la plus simple, son corps change de lui-même, comme animé par une force surnaturelle. Le texte va jusqu’à poser une relation de proportion –«Tant qu’elle respirait encore et à mesure que se prolongeait son coma»– entre son degré d’hébétude et le dessin, sur ses traits, de deux sentiments opposés, que dit l’image de l’écartèlement: d’une part, la lassitude, qui s’explique probablement par la dureté de la vie qu’elle a menée depuis le décès de son mari, et, d’autre part, la «jouissance». Ce deuxième sentiment a de quoi surprendre, non seulement dans le contexte général d’une scène de décès, mais plus particulièrement dans le cas d’une femme qui a souffert toute sa vie et qui meurt de maladie. Est-ce le repos tant mérité qu’elle accueille avec plaisir? Le texte ne le dit pas, mais les mots «extraordinaires» et «inhumains», répétés deux fois, laissent penser que la cause sous-jacente de ce qui se lit sur son visage a quelque chose d’anormal.

C’est dans la communication que la mère inconsciente finit sa vie, comme l’indique la phrase suivante: «son visage […] eut l’air de s’adresser au monde». Or, ce que véhicule la mère au monde, en l’occurrence à sa fille, puisque c’est par les yeux de Suzanne que le lecteur découvre la scène, c’est une dérision et une ironie. L’image d’un sourire ou d’un humour triomphe à la fin.

«Le Rire de la Méduse» d’Hélène Cixous jette une lumière intéressante sur ce paradoxe. Dans ce texte de 1975, l’auteure procède à une déconstruction de deux mythes du féminin: premièrement, celui du «continent noir», inconnu et inconnaissable, que constituerait le genre féminin, et deuxièmement, celui selon lequel la femme est un monstre, peint, souvent, sous les traits de la figure mythologique de la Méduse, c’est-à-dire d’une créature terrifiante dont le regard tue. Ce deuxième point me semble particulièrement éclairant dans le contexte de l’œuvre durassienne. La mère d’Un barrage contre le Pacifique est une femme cruelle, brutale, violente, qui bat sa fille et l’insulte au point que Joseph doit la faire cesser pour éviter qu’elle ne la tue (Duras, 1950: 136-141). Monstrueuse, méchante, maltraitante, elle possède des défauts contradictoires puisqu’elle est soit trop maternante, soit pas assez: en d’autres termes, la mère durassienne semble avoir tous les vices et toutes les tares. Or, dans «Le Rire de la Méduse», Cixous appelle à arracher la femme à ce qu’elle nomme «la structure surmoïsée dans laquelle on lui réservait toujours la même place de coupable (coupable de tout, à tous les coups: d’avoir des désirs, de ne pas en avoir; d’être frigide, d’être trop “chaude”; de ne pas être les deux à la fois; d’être trop mère et pas assez; d’avoir des enfants et de ne pas en avoir; de nourrir et de ne pas nourrir…)» (Cixous, 1975: 45-46). Dans le contexte d’Un barrage contre le Pacifique, les trois derniers points font mouche et illuminent les contradictions de cette mère qui s’est sacrifiée pour ses enfants mais qui les tue à petit feu à force de ne pouvoir les laisser partir. La mère durassienne est véritablement cette coupable éternelle et absolue décriée par les tenants de l’antiféminisme et du patriarcat.

De surcroît, il est à noter qu’en partant, Joseph ne se contente pas de quitter sa mère: il la remplace. En effet, son couple avec Lina le met dans une position d’infériorité, ou, pour mieux le dire, de minorité vis-à-vis de son amante. Non seulement elle est plus âgée que lui, mais elle est aussi beaucoup plus riche: elle lui fournit les vingt mille francs nécessaires à l’achat du diamant3M. Jo, le prétendant de Suzanne dans la première partie du roman, a offert un diamant à la jeune fille, diamant qu’elle a aussitôt remis à sa mère. Dans la deuxième partie du roman, cette dernière court la ville en tentant de trouver acquéreur pour son diamant qu’elle veut vendre vingt mille francs, même après s’être fait dire par tous les acheteurs potentiels que le diamant présentait un défaut, dit «crapaud». de sa mère, que celle-ci cherche à vendre dans la deuxième partie du roman. Après la nourriture qui l’attachait à sa mère, c’est l’argent qui relie Joseph à la nouvelle femme de sa vie, de sorte qu’est créé un nouveau lien de dépendance et de subordination. Il faut également mentionner le fait que Lina est présentée comme une femme douce et tendre, à la manière d’une mère idéale pour son enfant. En d’autres termes, Lina subvient aux besoins émotionnels et matériels de Joseph de la même manière que la mère le faisait par son attention et par la nourriture. Dès lors, l’idée d’une rupture brutale de la filiation mère-enfant qu’opère le matricide est à reformuler ou, du moins, à nuancer. Dans l’ombre de la saisissante figure maternelle, Joseph étouffait et ne grandissait pas, mais, libéré de sa mère, au sein du couple qu’il fonde avec Lina, il maintient son statut de dominé, voire de mineur, et se condamne une nouvelle fois à ne pas grandir.

Dans son essai Of Woman Born, Adrienne Rich propose une analyse de l’économie patriarcale traditionnelle dans son rapport au genre et aux enfants, et écrit notamment qu’aussi longtemps que les femmes et les mères agiront en tant que nourricières, les hommes chercheront la compassion chez les femmes et se méfieront de la force des femmes, qu’ils verront comme une tentative de les contrôler (Rich, 1977: 211). C’est exactement, semble-t-il, ce que fait Joseph: il troque une femme nourricière contre une autre, substituant à la mère réelle une femme correspondant à l’idéal patriarcal de la féminité, c’est-à-dire une mère symbolique. Avec Lina, Joseph entretient le rapport de filiation qui le liait à sa mère sous une autre forme.

Pour cette raison et avec l’appui de la théorie cixousienne, il me semble que dans la scène de la mort de la mère, c’est la mauvaise mère qui meurt, et seulement elle. Selon Cixous, «[i]l faut tuer la fausse femme qui empêche la vivante de respirer. Inscrire le souffle de la femme entière» (Cixous, 1975: 46). Dans cette optique, ce qui meurt avec la mère, c’est un corps de femme qui porte les traces des insultes et des affronts subis dans l’économie patriarcale, un corps affaibli et malade, marqué par la vie. Ce qui meurt avec elle, c’est aussi la mère maltraitante, celle qui a été créée de toutes pièces par l’ordre injuste dans lequel elle a vécu. Comme l’écrit Lori Saint-Martin à propos des figures maternelles dans la fiction au féminin du Québec:

[les] «mauvaises mères» [qui] habitent la fiction au féminin […] sont toujours situées dans le contexte social qui les a rendues monstrueuses; ce sont davantage des victimes d’une définition rigide de la féminité que les créatures toutes-puissantes qui hantent l’imaginaire masculin. Chez les écrivaines, la monstruosité des mères, si elle existe, n’est pas ontologique, mais sociale (Saint-Martin, 1999: 46-47).

En rendant littéralement son dernier souffle de femme abusée, trahie, trompée et anéantie, la mère durassienne se déprend de cette «fausse» identité, pour reprendre le mot de Cixous, et gagne, paradoxalement, le droit d’être.

On peut interpréter de la même manière son sourire final. Derrière le monstre décrit à travers le roman se cache la Méduse cixousienne, c’est-à-dire la femme qui rit. Comme l’écrit Cixous, «[i]l suffit qu’on regarde la Méduse en face pour la voir: et elle n’est pas mortelle. Elle est belle et elle rit» (Cixous, 1975: 54). La mère durassienne est mortelle, puisque c’est à sa mort qu’on assiste, mais c’est précisément dans la mort qu’elle livre au monde sa vérité. Mieux, Lina, que le texte appelle presque exclusivement « la femme», qui répond à l’expression «la mère», semble lui avoir succédé puisqu’à la toute fin, le texte décrit ses interactions avec Joseph de la manière suivante: «Lui […] n’avait plus de regard pour elle et elle, au contraire, elle ne le quittait plus des yeux, pas une seconde» (Duras, 1950: 365). Dans cette attention excessive que Lina porte à Joseph, on pourrait reconnaître la mère. Ce regard referme une boucle qui lierait l’amante à la mère, autour du fils, et qui contribuerait à resserrer les liens de Joseph à sa mère, par-delà la mort de cette dernière.

La mère réelle du roman meurt, certes, mais, d’un point de vue symbolique, il n’est même pas sûr qu’elle soit mortelle. En effet, après l’enterrement, Joseph reprend à son compte son ardeur et sa quête en enjoignant à un homme de la plaine de partir, comme lui le fait, ou de tuer les agents du cadastre:

–Je vous laisse tout, dit Joseph, les fusils surtout. Si je devais rester ici je le ferais avec vous. Mais tous ceux qui peuvent s’en aller d’ici doivent s’en aller. Moi je peux et je m’en vais. Seulement si vous le faites, faites-le bien. Il faut que vous portiez leurs corps dans la forêt, bien au-dessus du dernier village, vous savez bien, dans la deuxième clairière, et dans les deux jours il n’en restera rien. Brûlez leurs vêtements dans les feux de bois verts que vous allumez le soir mais attention aux chaussures, aux boutons, enterrez les cendres après. Noyez leur auto, loin, dans le rac. […] Surtout ne vous faites pas prendre. Que jamais aucun de vous ne s’accuse. Ou alors que tous s’accusent. Si vous êtes mille à l’avoir fait ensemble ils ne pourront rien contre vous (Duras, 1950: 362-263).

Comme sa mère avant lui, Joseph est à l’origine d’un grand projet qui a pour but le renversement de l’ordre colonial. Comme elle, il est très organisé, et comme elle, il galvanise la foule. Il n’est plus question de barrages de bois et de pierres mais d’un barrage humain, destiné à faire front contre l’ordre inique qui les a tous conduits à la misère.

Plusieurs traits de la mère survivent ainsi chez ses enfants, mais aussi chez les paysans de la plaine : un sentiment écrasant d’injustice envers l’ordre en place, un désir d’y mettre fin et le souhait qu’advienne une société meilleure où les femmes, les mères, les pauvres et leurs enfants à tous pourront connaître la paix.

À la lumière de ce sourire mortuaire, le lecteur d’Un barrage contre le Pacifique ne peut rester avec l’impression que Joseph et Suzanne ont tué leur mère en suivant les préceptes de la société patriarcale. Bien au contraire, la mort de la mère intervient comme conséquence d’une décision personnelle. Jusqu’à un certain point, la mère a accepté le départ de ses enfants, tout particulièrement celui, symbolique, de Suzanne dans sa relation avec Agosti. Tous les trois, la mère, le fils et la fille, ont collaboré à ce faux sacrifice maternel qui, ultimement, constitue un pied de nez à l’administration coloniale, et ils en sortent plus unis que jamais. Dans le roman, loin de briser le lien de filiation mère/enfant, l’autonomisation progressive du fils et de la fille le renforcent et le resserre.

À ce titre, le roman durassien répondait déjà au renouveau appelé par Hélène Cixous dans Le Rire de la Méduse, publié vingt-cinq ans après la publication d’Un barrage contre le Pacifique: «Dé-mater-paternalisons plutôt que, pour parer à la récupération de la procréation, priver la femme d’une passionnante époque du corps. Défétichisons. Sortons de la dialectique qui veut que le bon père soit le père mort, ou l’enfant la mort des parents. L’enfant c’est l’autre, mais l’autre sans violence, sans passage par la perte, la lutte» (Cixous, 1975: 63-64).

Peut-on alors parler de matricide? Dans Un barrage contre le Pacifique, il y a bien une mère qui meurt, mais consentante, dans une ultime provocation adressée à ses bourreaux. À l’opposé du modèle romanesque traditionnel où le départ de l’enfant plonge la mère dans les ténèbres mortifères du néant, Marguerite Duras livre un texte où la mère meurt sereine, unie symboliquement à ses enfants à qui elle a transmis l’œuvre inachevée de son existence. Certes, elle a été volée par les agents du cadastre, mais la grandeur du défi qu’elle a lancé à la nature et à la société des Hommes lui permet d’atteindre une forme de triomphe final. Par ailleurs, en quittant deux enfants animés par une soif de justice et de vengeance, la mère durassienne voit le lien de filiation qui l’unit à Joseph et à Suzanne se renforcer. Elle leur laisse un legs puissant, qui les lie tous les trois au-delà de la mort par un nœud transgénérationnel d’ambition et de désirs communs.

L’ÉCRITURE DES FEMMES: UNE TRANSGRESSION

À propos de l’écriture au féminin, Hélène Cixous a écrit ceci:

Voler, c’est le geste de la femme, voler dans la langue, la faire voler. Du vol, nous avons toutes appris l’art aux maintes techniques, depuis des siècles que nous n’avons accès à l’avoir qu’en volant; que nous avons vécu dans un vol, de voler, trouvant au désir des passages étroits, dérobés, traversants. Ce n’est pas un hasard si «voler» se joue entre deux vols, jouissant de l’un et l’autre et déroutant les agents du sens. Ce n’est pas un hasard: la femme tient de l’oiseau et du voleur comme le voleur tient de la femme et de l’oiseau: illes passent, illes filent, illes jouissent de brouiller l’ordre de l’espace, de le désorienter, de changer de place les meubles, les choses, les valeurs, de faire des casses, de vider les structures, de chambouler le propre.
Quelle est la femme qui n’a pas volé? Qui n’a pas senti, rêvé, accompli le geste qui enraye la socialité? Qui n’a pas brouillé, tourné en dérision, la barre de séparation, inscrit avec son corps le différentiel, perforé le système des couples et oppositions, foutu par terre d’une transgression le successif, l’enchaîné, le mur de la circonfusion? (Cixous, 1975: 58-59)

À mon sens, le mouvement décrit par Cixous est exactement représenté dans Un barrage contre le Pacifique. Après avoir été elle-même volée par le cadastre, la mère durassienne vole, refuse l’ordre admis et, au moment où elle atteint son point le plus vulnérable, c’est-à-dire la mort, et au moment où elle semble finalement vaincue par la société patriarcale qui l’a démolie toute sa vie, elle triomphe. Chez Duras, la famille semble se plier au modèle traditionnel qui condamne les femmes-mères à mort lors du passage à l’âge adulte de leurs enfants, mais, ultimement, elle inverse ses codes et les transgresse. La filiation, chez Duras, doit être lue comme en contradiction avec l’ordre social, dans l’établissement d’une économie maternelle et familiale rebelle.

À en croire Cixous, l’écriture des femmes constitue en soi un acte transgressif, dans la mesure où l’écrivaine s’empare du langage, traditionnellement réservé aux hommes, pour dire sa vérité de femme. Duras va plus loin: elle joue avec les concepts et les prescriptions de l’ordre patriarcal en faisant mine d’y adhérer, mais, en sous-main, elle en montre les failles et leur substitue un autre modèle. Dans le roman durassien, toute violente et terrible qu’elle soit, la relation de la mère avec ses enfants donne lieu à une quête, à un combat, c’est-à-dire, ultimement, à la vie. Enfin, la mort de la mère est aussi synonyme de venue à l’écriture. Toute l’œuvre durassienne est portée par le désir omniprésent de venger la mère, à la fois monstrueuse et objet de louanges immenses, désir qui apparaît pour la première fois, de manière inaugurale, dans Un barrage contre le Pacifique. Loin de constituer une rupture de la filiation mère/enfant, le sacrifice de la mère chez Duras est ce par quoi l’écriture advient: il est un commencement, la naissance d’une vie consacrée tout entière à l’écriture.

 

Bibliographie

ASSOULINE, Pierre. 1991. «La vraie vie de Marguerite Duras», Lire, no193, p. 49-59.

BADINTER, Élisabeth. 1980. L’amour en plus. Histoire de l’amour maternel, XVIIe-XXe siècle, Paris: Flammarion, 273 p.

BETTELHEIM, Bruno. 1976. Psychanalyse des contes de fées, traduit de l’anglais par Théo Carlier, Paris: Robert Laffont, coll. «Pocket», 477 p. 

CIXOUS, Hélène. 1975. «Le Rire de la Méduse», L’Arc, vol. 61, p. 39-54.

DURAS, Marguerite. 1950. Un barrage contre le Pacifique, Paris: Gallimard, 320 p. 

IRIGARAY, Luce. 1981. Le Corps-à-corps avec la mère, Montréal: Pleine Lune, 89 p.

________. 1979. Et l’une ne bouge pas sans l’autre, Paris: Minuit, 21 p.
 
RICH, Adrienne. 1976. Of Woman Born: Motherhood as Experience and Institution, New York: W. W. Norton & Company, 318 p.

SAINT-MARTIN, Lori. 1999. Le Nom de la mère. Mères, filles et écriture dans la littérature québécoise au féminin, Québec: Nota bene, 331 p.

  • 1
    Naître d’une femme: la maternité en tant qu’expérience et institution, traduit de l’anglais par Jeanne Faure-Cousin, Paris: Denoël, 1980, 297 p.
  • 2
    Je souligne.
  • 3
    M. Jo, le prétendant de Suzanne dans la première partie du roman, a offert un diamant à la jeune fille, diamant qu’elle a aussitôt remis à sa mère. Dans la deuxième partie du roman, cette dernière court la ville en tentant de trouver acquéreur pour son diamant qu’elle veut vendre vingt mille francs, même après s’être fait dire par tous les acheteurs potentiels que le diamant présentait un défaut, dit «crapaud».
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