Entrée de carnet

Des faits et des mythes, la création de faux-authentiques chez Dan Brown

Stéphane Courant
couverture
Article paru dans Les meilleurs vendeurs, sous la responsabilité de Pierre Luc Landry (2012)

Depuis plusieurs années, mes recherches sont consacrées aux questions relatives au tourisme. Lors d’un travail de terrain, je suis tombé par hasard sur une annonce d’un voyagiste qui  proposait de «Reviv[re] l’excitation et le mystère du Da Vinci code. Suiv[re] les pas de Robert Langdon pendant sa recherche d’indices cachés éparpillés dans Paris» (CityDiscovery, 2011: en ligne). Cette agence parisienne n’est pas l’exception: on en trouve d’autres dans des villes telles que Rome ou Édimbourg. Ce n’est pas la première fois qu’une agence de tourisme joue sur le succès d’un produit culturel –comme cela a été le cas pour le film Le fabuleux destin d’Amélie Poulain. La volonté de ces forfaitistes est d’immerger les lecteurs dans le cadre original du livre. Ainsi, pour le périple Da Vinci code (Dan Brown, 2004), chaque participant peut retrouver les indices plus ou moins explicites qui jalonnent l’enquête et le récit. Les agences reconstituent ainsi les déambulations, les allées et venues de l’enquête entre Notre-Dame et la Pyramide du Louvre et participent, d’une certaine manière, à entretenir, voire à enrichir, les questions que le livre semble avoir insufflées à de nombreux lecteurs.

Le Da Vinci code est un très gros succès d’édition, traduit en de nombreuses langues, adapté au cinéma et suscitant l’intérêt des médias. Cette réussite fait suite à un autre ouvrage de Dan Brown, Anges et Démons, paru en 2000. Ce dernier, qui a été traduit en français un après la parution du Da Vinci code, a connu un destin similaire: ventes importantes, traduction en plusieurs langues et adaptation au cinéma. Je ne ferai pas ici une critique littéraire sur le style, mais je vais surtout m’appliquer à décortiquer un aspect qui m’a interpellé lors de ma première lecture de ces deux romans.

Le lecteur averti peut remarquer une présentation commune aux deux ouvrages. Tous deux proposent dès les pages 9 et 10 une rubrique intitulée «Les faits» – terme non dénué d’intérêt, qui insinue la véracité des éléments qui sont présentés. L’énoncé de ces faits semble être déterminant, il apparaît être la pierre angulaire sur laquelle le roman se bâtit. Par son ambigüité –tant dans sa présentation que dans son contenu–, cet énoncé semble être un des éléments générateurs du succès. Je me propose ici d’observer et d’analyser par le biais de quelques outils anthropologique cet élément singulier.

La mètis de l’écrivain

La première qualité que l’on peut reconnaître à Dan Brown, au-delà de la question littéraire, c’est cette capacité de ruser le lecteur dès les premières pages. Il y a chez lui ce que Marcel Detienne a remarqué et expliqué chez les Grecs, une mètis, une mètis d’écrivain, une habileté technique, littéraire, à jouer sur plusieurs genres permettant de dérouter le lecteur. La mètis, comme le précise Jean-Pierre Vernant et Marcel Detienne, c’est «une puissance de ruse et de tromperie. Elle agit par déguisement. Pour duper sa victime elle emprunte une forme qui masque, au lieu de la révéler, son être véritable. En elle l’apparence et la réalité, dédoublées, s’opposent comme deux formes contraires produisant un effet d’illusion, apātē» (Detienne et Vernant, 1974: 17).

Dan Brown ourdit ses ruses en créant tout à la fois un leurre –un dolos– pour attirer le lecteur et l’illusion –l’apātē– d’une réalité tangible qui n’en est pas moins contestable. Pour saisir cette mètis, reprenons cette présentation de faits tout d’abord dans le Da Vinci code puis dans Anges et Démons:

Les faits
La société secrète du Prieuré de Sion a été fondée en 1099, après la première croisade. On a découvert en 1975, à la Bibliothèque nationale, des parchemins connus sous le nom de Dossiers Secrets, où figurent les noms de certains membres du Prieuré, parmi lesquels on trouve Sir Isaac Newton, Botticelli, Victor Hugo et Leonardo Da Vinci.
L’Opus Dei est une œuvre catholique fortement controversée, qui a fait l’objet d’enquêtes judiciaires à la suite de plaintes de certains membres pour endoctrinement, coercition et pratiques de mortification corporelle dangereuses. L’organisation vient d’achever la construction de son siège américain -d’une valeur de 47 millions de dollars- au 243, Lexington Avenue, à New York.
Toutes les descriptions de monuments, d’œuvres d’art, de documents et de rituels secrets évoqués sont avérées (Brown, 2004: 9).
Les faits
Le plus grand pôle de recherche scientifique au monde, le CERN (Centre européen pour la recherche nucléaire), a récemment réussi à produire les premiers atomes d’antimatière. L’antimatière est identique à la matière, si ce n’est qu’elle se compose de particules aux charges électriques inversées.
L’antimatière est la plus puissante source énergétique connue. Contrairement à la production d’énergie nucléaire par fission, dont l’efficience se borne à 1,5%, elle transforme intégralement sa masse en énergie. En outre, elle ne dégage ni pollution ni radiations.
Il y a cependant un problème:
L’antimatière est extrêmement instable. Elle s’annihile en énergie pure au contact de tout ce qui est… même l’air. Un seul gramme d’antimatière recèle autant d’énergie qu’une bombe nucléaire de 20 kilotonnes, la puissance de celle qui frappa Hiroshima.
Jusqu’à ces dernières années, on n’avait réussi à produire que quelques infimes quantités d’antimatière (quelques atomes à la fois). Mais le «décélérateur d’antiprotons» récemment mis au point par le CERN ouvre de formidables perspectives: sa capacité de production d’antimatière est considérablement renforcée.
Se pose désormais une angoissante question: cette substance hautement volatile sauvera-t-elle le monde, ou sera-t-elle utilisée pour créer l’arme la plus destructrice de l’histoire?
Note de l’auteur: Tous les tombeaux, sites souterrains, édifices architecturaux et œuvres d’art romains auxquels se réfère cet ouvrage existent bel et bien. On peut encore les admirer aujourd’hui.
Quant à la confrérie des Illuminati, elle a aussi existé. (Dan Brown, 2005: 8-9).

Si l’on s’attarde aux différentes informations du premier extrait, pêle-mêle, on y trouve des références au Prieuré de Sion –son existence comme nous le verrons par la suite est plus de l’ordre du mythe que de la réalité–, des documents trouvés à la BNF –proposition véridique mais les documents sont des faux–, une liste de noms de personnages célèbres balayant plus de trois siècles avec Hugo l’écrivain, Newton le scientifique, Botticelli l’artiste et Léonard de Vinci le génial touche à tout, l’homme qui fait synthèse de tous les savoirs, le polymètis. Enfin, on y trouve l’Opus Dei, présenté en premier lieu comme une œuvre catholique, pour être ensuite qualifié d’organisation. Le glissement sémantique est intéressant, car l’auteur nous présente l’Opus Dei à la fois comme une organisation ayant des parts d’ombres tant dans ses pratiques que dans son fonctionnement, mais également comme une entreprise florissante pouvant s’enorgueillir de posséder un bien immobilier en plein New York. Enfin, on remarquera que cet énoncé se conclut par un terme non dénué d’intérêt pour notre présentation: «avérées» c’est-à-dire reconnues comme vraies.

Sans entrer dans le détail pour le second extrait, on voit se reproduire quelques propositions contestables –par exemple, «cette substance [l’antimatière] hautement volatile sauvera-t-elle le monde?»: les sous-entendus sont assez explicites ici, même si on ne perçoit pas trop le lien entre une hypothétique fin de monde et le rôle salvateur de l’antimatière– et des liens ou des associations discutables –comme les termes d’antimatière, de nucléaire et de la bombe d’Hiroshima… Tout ceci fait un cocktail apocalyptique, jouant sur des peurs ou des craintes liées à la recherche et à l’idée sous-jacente que si la recherche sur le nucléaire a permis l’élaboration de la Bombe et des conséquences que l’on connaît –sur Hiroshima et Nagasaki–, la recherche sur l’antimatière risque de conduire à une catastrophe du même genre. Cependant, si la recherche génère des risques, ces derniers ne sont pas systématiquement équivalant à ceux produits par le nucléaire. Brown joue avec cette ambiguïté, avec cet aspect anxiogène et omet de préciser que ce n’est pas tant la recherche qui engendre nos craintes ou nos peurs que notre méconnaissance du sujet étudié et de la méthode employée.

Dans ces deux extraits, Dan Brown fait preuve d’une intelligence stratégique en utilisant autant le dolos que l’apātē afin de mieux manipuler son lecteur. C’est par l’entremise de cette manipulation du vrai et du faux, des faits et des divagations, qu’il crée une atmosphère propice aux hypothèses en tous genres. Par cette introduction, il y a une forme de conditionnement du lecteur: Brown aiguise sa curiosité envers les choses les plus secrètes, les plus cachées. On pressent qu’un secret, ou du moins qu’une piste, nous est dévoilé et que peut-être un faisceau de réponses peut surgir de cet ouvrage: «les théories de la manipulation accordent toutes une large place aux conditions qui sont nécessaires à sa réalisation. La préparation de la cible est généralement admise afin d’obtenir le comportement souhaité» (D’Almeida, 2003: 52).

Brown manœuvre en s’appuyant sur la prééminence chez le lecteur des préjugés et des stéréotypes en privilégiant notamment la figure emblématique de la société secrète et une thématique inépuisable: celle du complot. Ainsi, on se rend compte que dans le Da Vinci code, c’est l’Opus Dei qui est affichée comme l’organisation secrète, alors que dans Anges et Démons apparaît le nom des Illuminati. Le point commun entre toutes ces sociétés secrètes dans les œuvres de fiction –qu’elles soient juives comme chez Eugène Sue, jésuites ou encore maçonniques comme chez Alexandre Dumas– est qu’elles ont cette capacité de renverser, d’introniser, de manipuler et d’asservir n’importe quel gouvernement, de la plus petite principauté aux plus grands états. Elles proposent un ordre, un agencement stable par rapport aux incertitudes de nos sociétés qui s’amusent avec les nouvelles technologies, les nouvelles matières, et qui n’ont aucun principe transcendantal pour les guider. Dan Brown joue le prédicateur en se fondant sur cette croyance qu’il existe des forces occultes qui agissent sur le destin des individus. Chacun des héros de Dan Brown se débat avec cette destinée tracée par le dessein de quelques-uns. C’est la trame du héros mythique, celle des vieilles machinations, celle des histoires à succès où la critique fait place à l’émotion.

Brown concentre dans ses deux ouvrages les grands mythes politiques contemporains qui se différencient peu des mythes des sociétés traditionnelles, puisqu’ils conservent toujours leur structure ou, comme disait Lévi-Strauss, ils s’inscrivent dans une «syntaxe commune» (Lévi-Strauss, 1996: 14) reposant sur des thèmes clefs tels que le secret, l’initiation, le pouvoir, etc. À cela s’ajoute pour le Da Vinci code deux autres éléments ambigus: les fameux «Dossiers Secrets» dont on ne connaît pas l’origine exacte et surtout le fait que Brown se réfère à «la société secrète du Prieuré de Sion» qui fait étrangement écho par son nom à la société du «Protocole des Sages de Sion». Cette société, comme le rappelle Raoult Girardet, est une invention des services de propagande nourrissant le ressentiment envers les juifs: «les Protocoles des Sages de Sion: on sait que ce faux, fabriqué dans les toutes dernières années du XIXe siècle par divers services de la police tsariste, connut avant la Première Guerre mondiale et surtout entre les deux guerres, une prodigieuse diffusion, atteignant à certains moments les tirages qui semblent avoir égalé ceux de la Bible elle-même» (Girardet, 1986: 32).  Par ce jeu de confusion et d’ambivalence entre faits avérés et suppositions de faits, entre faits historiques et manipulations, entre fiction et réalité, Dan Brown présente ses «faits» comme autant de propositions authentiques qui peuvent faire chanceler de nombreuses certitudes de lecteurs. Il crée le doute et suggère implicitement que dans cet ouvrage, il y a ici ou là quelques éléments véridiques :

Les règles régissant les processus de cyclisation font que l’on peut parler d’un développement secondaire des légendes. Se met alors en mouvement un mécanisme spécifique qui n’exploite pas des faits réels […], mais d’autres textes, un premier texte en engendrant d’autres. Il faut considérer ce phénomène aussi comme une règle importante du fonctionnement des légendes ou du folklore en général. Les textes, en ce sens inédits, qui dérivent d’autres textes servent généralement à transmettre des stéréotypes ethniques, les symboles, les images et les opinions d’un groupe (Robotycki, 2010 : 288).

Les cades de l’expérience

Pour autant, dans les deux extraits présentés ci-dessus, la véritable mètis de Brown ne se réduit pas seulement aux simples reprises de ces mythes, ni à ces malencontreux syllogismes reposant sur des associations contestables: la mètis repose surtout sur l’ambiguïté de la présentation de l’ouvrage. Ainsi le lecteur trouve à la fois le terme «roman» sur la couverture et la mention «faits» en introduction de l’ouvrage. Deux nominations qui apparaissent antinomiques. Brown s’amuse avec ses lecteurs, il essaie de les perdre ou, comme l’affirmerait Ervin Goffman, il joue avec les cadres de l’expérience. Goffman, dont le centre d’intérêt fût les problématiques relatives aux interactions sociales, pose une question simple: «Dans quelle circonstance pensons-nous que les choses sont réelles?» (Goffman, 1991: 10). Pour résumer succinctement son approche, il considère non pas le fait en lui-même, mais les conditions qui produisent soit l’impression de réel soit l’impression de fiction: «Mon idée de départ est la suivante: une chose qui dans certaines circonstances peut se présenter comme la réalité peut en fait être une plaisanterie, un rêve, un accident, un malentendu, une illusion, une représentation théâtrale, etc. J’aimerais attirer l’attention sur le sens des circonstances et sur ce qui le soumet à des lectures multiples» (Goffman, 1991: 18).

Dans son approche, Goffman utilise la métaphore théâtrale pour expliquer les relations sociales. Dans toutes interactions, chacun de nous endosse un rôle afin de jouer son personnage dans la société. Il est nécessaire pour l’individu de prendre en compte les rôles que jouent les autres participants, sans quoi la mise en scène de la relation sociale est incompréhensible pour l’ensemble des acteurs. Ainsi, pour chaque activité sociale, nous faisons appel à ce que Goffman nomme «des cadres d’expérience» (1991: 11).  Il sous-entend par ces termes que toutes activités et relations sociales sont régies par des cadres qui orientent les interactions et influencent les conduites entre individus. Ils dictent le bon comportement à produire pour optimiser sa relation à autrui. Chaque fois que nous participons à telle ou telle activité, par le jeu des interactions, nous nous assurons d’être dans le bon cadre, c’est-à-dire que nous avons le même sens ou la même interprétation que l’ensemble des participants. C’est ainsi que nous pouvons ajuster nos comportements, les manières de faire ou d’estimer pour tel ou tel évènement son positionnement.

Cependant, Goffman note qu’il y a plusieurs natures de cadre. Quand nous discutons, jouons à un jeu, les échecs par exemple, nous nous référons à un même cadre, à un partage de règles communes. Chaque participant a une même compréhension des enjeux. L’interaction se déroule dans ce que Goffman nomme un cadre primaire (1991: 17). Il s’agit là d’un cadre de références où tous les acteurs respectent consciencieusement le scénario. Cependant, tout le monde ne respecte pas forcément les règles –un joueur peut tricher quand l’occasion se présente. Le cadre primaire se transforme alors en cadre secondaire. Goffman précise que cette modification peut se faire soit par modélisation, soit par fabrication. Pour saisir la modification par modélisation, prenons l’exemple d’un père jouant avec sa fille: au départ, le cadre primaire comporte une interaction codifiée notamment par un ensemble d’actes signifiant le respect mutuel de chacun. Cependant, le fait de jouer modélise le cadre primaire en cadre secondaire, modifiant les interactions et le positionnement de chaque partenaire. Ainsi la petite fille peut facilement taquiner voire donner des sobriquets à son père sans que celui-ci, dans ce cadre là, n’ait à redire. Un même sobriquet dans un cadre primaire ne passerait peut-être pas par manque de respect.

Le passage du cadre primaire en secondaire peut se faire aussi par fabrication, et c’est ici que le lien avec notre affaire s’opère. Par processus de fabrication est sous-entendue une dimension de tromperie, dans le sens où les protagonistes en présence se comportent comme s’ils étaient dans un cadre primaire alors qu’un des acteurs a fabriqué un cadre secondaire à leur insu. Dans notre cas, Dan Brown a, en quelque sorte, transformé le cadre et du coup les horizons d’attente des lecteurs. Le lecteur sait qu’il a acheté un roman et pourtant, par l’entremise des deux pages présentant «les faits», il y a une remise en question des attentes. Où est le vrai? S’agit-il seulement d’un roman historique, puisque l’auteur nous rappelle qu’il s’agit de faits «avérés», qu’ «on peut encore les admirer» (même les bâtiments du CERN) et que même la «Confrérie des Illuminati […] a aussi existé»? Le «aussi» apparaît être plus qu’un adverbe, c’est surtout l’élément qui permet de valider l’ensemble des propos comme vrai. Par cette manipulation adroite, Brown dirige son lecteur, mais surtout fabrique des faux-authentiques.

Les faux-authentiques

Cette notion de faux-authentique a été illustrée par deux auteurs, Umberto Eco et David Brown (à ne pas confondre avec Dan Brown, l’auteur des fictions étudiées ici). Ce dernier donne en exemple plusieurs faux-authentiques répertoriés à travers l’histoire et dans différentes aires géographiques. Ainsi dans le parc de la Paix à Hiroshima, où est tombée la bombe atomique en 1945, demeure un hall d’exposition «endommagé et resté debout près de l’épicentre. Construit dans les années 30, sa structure en béton armé l’a sauvé d’une totale destruction. Cet amas enchevêtré d’acier et de béton est le symbole fort d’un évènement effroyable. […] Ce site est visité chaque année par un grand nombre de touristes-pèlerins en provenance du monde entier […]. Tout important symbole qu’il puisse être, ce hall d’exposition est un faux» (David Brown, 1999: 42).

En effet, le mur, attraction lucrative, risquant de tomber à tout moment en raison de son état, a été abattu et reconstruit à l’identique tel que le bombardement l’avait transformé. Le parc de la Paix a donc en son centre un faux, mais malgré cette illusion, ce hall «suscite des émotions profondes et authentiques» (David Brown, 1999: 42). Comme le rappelle David Brown au sujet des «reliques sacrées de certains saints catholiques» ou encore de certaines attractions touristiques, on ne peut que soupçonner l’existence d’une complicité entre «ceux qui présentent l’attraction et ceux qui la visitent. Le faux-authentique n’est pas simplement l’objet en lui-même mais la relation entre les visiteurs et les guides, relation dont l’objet n’est que le médiateur» (David Brown, 1999: 42). Chez Dan Brown, il y a plus qu’une fausse proposition de faits dans la présentation de ses romans, c’est surtout un faux-authentique qu’on y trouve, fondé sur des énoncés faux mais que l’on pense réels, ou, comme le précise David Brown en reprenant Umberto Eco, «l’ardente poursuite d’une réalité idéale entraîne sa propre contradiction en ce que […] le “complètement réel” se confond avec le “complètement faux”» (1999: 42-43).

Pour le lecteur, il y a quelque chose de vrai –faut-il le trouver, faut-il le voir, faut-il le visiter– dans ce faux et pour Dan Brown, il y a cette volonté de s’inscrire dans la lignée d’un Roland Dorgeles qui, avec sa toile exposée au Salon des Indépendants de 1910 sous la signature de «Boronali», avait réalisé un authentique canular artistique. Cette peinture si proche de certains courants picturaux de l’époque n’en était pas moins un tableau peint par la queue d’un âne. Un vrai tableau avec un faux artiste, mais un tableau resté dans la mémoire de beaucoup encore aujourd’hui.

Bibliographie

BROWN, David (1999), «Des faux-authentiques, Tourisme versus pèlerinage», dans Terrain n°33, p.41-56.

BROWN, Dan (2004), Da Vinci code, Paris, Éditions Jean-Claude Lattès.

——— (2005) Anges et Démons, Paris, Éditions Pocket.

CityDiscovery, [en ligne]. http://www.city-discovery.com/fr/ID2832_Tour_DaVinci_Code  (Page consultée le 30 novembre 2011).

D’ALMEIDA, Fabrice (2003), La manipulation, Paris, Éditions QSJ.

DETIENNE, Marcel et Jean-Pierre VERNANT (1974), Les ruses de l’intelligence, La mètis des Grecs, Paris, Éditions Flammarion.

ECO, Umberto (1985), La guerre du faux, Paris, Éditions Grasset.

GIRARDET, Raoult (1986), Mythes et mythologies politiques, Paris, Éditions du Seuil.

GOFFMAN, Erving (1991), Les cadres de l’expérience, Paris, Éditions de Minuit.

LEVI-STAUSS, Claude (1996), Anthropologie Structurale, Paris, Éditions Plon.

ROBOTYCKI, Czesław (2010), «La fabrication d’un texte authentique, Les Desiderata de Max Ehrmann», dans Ethnologie française, vol. 40, p.285-294.

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