Entrée de carnet

Les gros bras du conteur

Daniel Grenier
couverture
Article paru dans Lectures critiques IV, sous la responsabilité de Équipe Salon double (2011)

Œuvre référencée: Moody, Rick. The Four Fingers of Death. New York, Little, Brown and Company, 2010, 729 pages.

L’exploration spatiale

The Four Fingers of Death, le très massif roman de l’américain Rick Moody, auteur de The Ice Storm et The Black Veil, est assez facile à résumer. Dans une longue introduction rédigée en 2026, le narrateur, un écrivain qui se qualifie d’ultra-minimaliste1Crandall explique que comme la littérature à l’ère virtuelle s’est dirigée de plus en plus vers une pratique de la fragmentation et du récit court, il en est venu à un minimalisme extrême prenant la forme d’une épuration de ses textes au point de ne rester qu’avec une seule phrase, ciselée au point d’être parfaite, la frontière entre prose et poésie: «Upon the advent of the digital age, as you know, writers who went on and on just didn’t last. You couldn’t read all that nonsense on a screen. Fragmentation became the right true way. Fragmentation offered a point-and-click interface. Additionally, this strategic reduction blurred the line between poetry and prose which is where I, Montese Crandall, come into the story.» (p.8) appelé Montese Crandall explique comment il en est venu à être l’auteur de la novélisation de The Four Fingers of Death, la nouvelle version du film culte de 1963 The Crawling Hand2The Crawling Hand est un vrai film de science-fiction tourné en 1963, réalisé par Herbert L. Strock et mettant en vedette Peter Breck, Kent Taylor et Sirry Steffen. Pour consulter la fiche IMDB: http://www.imdb.com/title/tt0056961/.

La suite du roman de Moody est la novélisation en tant que telle, divisée en deux parties (Book I et Book II), écrites de la plume de Crandall; la première racontant, sous forme d’entrées de journal/blogue, les mésaventures d’une équipe d’astronautes durant le voyage interplanétaire de plusieurs mois qu’ils doivent faire pour se rendre sur Mars; la seconde décrivant en détails les conséquences effroyables de cette première mission humaine de la NASA en vue de l’exploitation et de la colonisation de la planète rouge. À la page 702, après avoir inscrit les mots THE END, Montese Crandall revient au premier plan, le temps d’une courte postface qui clôt le livre.

Bien entendu, on pourrait complexifier infiniment ce résumé bêtement structurel en ajoutant des détails sur ce qui se déroule à l’intérieur de chacune des parties. C’est probablement ce que Moody aurait voulu, le roman s’inscrivant résolument, et dès les premières lignes, dans une esthétique de la surenchère, alors allons-y.

Dans son introduction, Montese Crandall explique que ce contrat de novélisation est pour lui un moyen de sortir de sa zone de confort littéraire et de reconquérir le respect de sa femme malade, à l’article de la mort, qui vient de se faire transplanter des poumons. L’idée lui est venue lors d’une conversation avec un homme mystérieux se faisant appeler D. Tyrannosaurus qui, après avoir assisté à la seule et unique lecture publique de Crandall, devient son ami et lui confie qu’il travaille souvent à écrire ces versions romancées pour le compte de l’industrie florissante des e-books. D. Tyrannosaurus vient d’être engagé pour romanciser un film de science-fiction à petit budget intitulé The Four Fingers of Death et Crandall lui propose de parier le contrat sur une partie d’échec qu’il sait très bien qu’il va gagner, étant un ancien champion du jeu. Le dénouement cette partie ne sera révélé explicitement que lors de la conclusion, mais on devine que Montese Crandall a effectivement gagné puisque c’est sa version romancée de The Four Fingers of Death que nous lisons.

Une entrée du journal/blogue de l’astronaute Jed Richards, datée du 30 septembre 2025, ouvre la première partie du récit lui-même, c’est-à-dire le «roman» qu’a fait Montese Crandall à partir du film de série B The Four Fingers of Death. Au cours de cette première partie de plus de trois cents pages, écrite entièrement sous la forme d’un journal de bord adressé aux internautes intéressés à suivre la mission (qu’il appelle affectueusement «kids»), le colonel Jed Richards raconte le déroulement du voyage vers Mars et les complications qui ne tardent par à survenir. Trois vaisseaux sont en route vers Mars, séparés d’une vingtaine de milliers kilomètres les uns des autres, abritant neuf astronautes, à raison de trois équipages de trois personnes. À travers les commentaires et les états d’esprits de Richards, le lecteur est invité à suivre la mission de l’intérieur. Les relations avec la NASA se détériorent alors que l’équipage est confronté à la folie, la dépression et la paranoïa. Et une fois sur Mars, les choses ne vont qu’empirer. Une mystérieuse bactérie s’attaque aux astronautes, mettant en péril le retour sur Terre, puisqu’ils se mettent à s’entretuer. La première partie se clôt avec le départ précipité et désespéré, en direct de Mars, de l’unique astronaute encore sain d’esprit, soit le narrateur Jed Richards.

S’ouvre ensuite la seconde partie du récit, mais pas avant que Montese Crandall n’ait repris brièvement les rênes de la narration afin de nous expliquer, dans une note de deux pages, que tout ce qu’on vient de lire est en fait accessoire à la compréhension de ce qui va suivre, qui est en fait la réelle novélisation. Toute la première partie est en fait une invention de sa part, son ajout personnel au scénario d’un film qu’il jugeait incomplet. Il a cru bon de situer l’effroyable épidémie qui frappe la Terre en l’étayant d’une longue explication, sorte de récit antérieur où le lecteur aurait accès au pourquoi du comment:

Astute fans of the genre in whose field I am plowing […] will notice I have already taken liberties in one very basic way. I mean, if it is my responsibility to render exactly the film in question, I have failed. All of this backstory about the Mars shot, on which I have just expended a number of pages, does not actually appear in the film. I plead guilty on this point. But do I need to defend myself? (p.321)

Dans la seconde partie, la narration passe en mode extradiégétique et change constamment de registre, selon les multiples personnages, alternant entre une focalisation externe assez neutre et un discours indirect libre extrêmement ciblé. Une galerie de protagonistes est ici présentée. Le récit nous les décrit d’abord un à un, pour ensuite y revenir en alternance, afin de nous raconter leurs destins croisés.

L’arrivée en catastrophe de la navette du colonel Jed Richards que la NASA a refusé de détruire malgré les avertissements répétés de l’astronaute (qui se sait infecté par la bactérie), et qui explose à la dernière minute au-dessus du désert de l’Arizona relie tous ses personnages. Le corps de Richards a été presque entièrement pulvérisé, mais comme la mystérieuse bactérie ayant décimé ses collègues a le pouvoir de réanimer les morts, un des bras de l’astronaute se libère des décombres et se met aussitôt à semer la terreur, l’infection et la mort dans la région, jusqu’à ce que le gouvernement américain se voit dans l’obligation d’envisager des mesures radicales, pour ne pas dire nucléaires, afin d’enrayer la menace.

 

Les défauts mécaniques

Avant de poursuivre cette lecture, il est pertinent de citer le critique et auteur Dale Peck, qui a fait paraître en 2004 le recueil d’essais Hatchet Jobs, un brûlot dans lequel il ridiculisait abondamment une certaine frange de la fiction américaine contemporaine qu’il qualifie d’«hysterical realism», l’accusant d’être inutilement digressive, superficiellement critique des institutions et trop ouvertement comique et grotesque (dans le mauvais sens de «provocation facile»). Peck écrit par exemple:

All I’m suggesting is that these writers (and their editors) see themselves as the heirs to a bankrupt tradition. A tradition that began with the diarrheic flow of words that is Ulysses; continued on through the incomprehensible ramblings of late Faulkner and the sterile inventions of Nabokov; and then burst into full, foul life in the ridiculous dithering of Barth and Hawkes and Gaddis, and the reductive cardboard constructions of Barthelme, and the word-by-word wasting of a talent as formidable as Pynchon’s; and finally broke apart like a cracked sidewalk beneath the weight of the stupid —just plain stupid— tomes of DeLillo3Peck, Dale, «The Moody Blues», Hatchet Jobs, New York, The New Press, 2004, p.184-185. Dans son livre, Peck prétend entre autres que les «problèmes» de la littérature américaine contemporaine ont réellement commencés il y a une trentaine d’années avec la publication de Gravity’s Rainbow, de Thomas Pynchon, qui aurait donné lieu à une époque marquée par des «chef-d’œuvres» froids et auto-indulgents..

L’essai de Hatchet Jobs consacré à Moody commence avec la phrase suivante: «Rick Moody is the worst writer of his generation4Ibid., p.170..» Un jugement aussi cavalier ne peut que faire sourire, Moody étant considéré par la très grande majorité de ses pairs et des critiques comme une figure sinon importante, du moins respectable, des lettres américaines des vingt dernières années. L’invective adressée par Peck à Moody, chouchou de la critique et des écrivains, était probablement un moyen pour Peck d’attirer l’attention sur ses idées particulières, mais à la lecture de The Four Fingers of Death, on se demande s’il n’avait pas un peu raison, dans la mesure où l’ouvrage de Moody semble rassembler, à la puissance dix, tous les défauts que reprochait Peck aux auteurs dont il traite.

Lors d’une entrevue précédant la sortie de son livre, Moody l’avait décrit comme un roman humoristique de 900 pages à propos d’un bras désincarné se déroulant dans le désert en 20265«Anyway, the result is a 900 page comic novel about a disembodied arm set in the desert in 2026.» Cité dans «Interview: Rick Moody», Night Train Magazine. Url: http://www.nighttrainmagazine.com/contents/moody_int.php Consulté le 2 février 2011.. Finalement, le roman ne fait que 725 pages mais, comme nous allons tenter de le démontrer, c’est peu dire qu’il aurait pu être encore bien plus court.

À sa décharge, il est à noter que du point de vue d’une étude sur l’imaginaire contemporain, le roman de Moody est une mine d’or, un feu roulant d’informations digestes et indigestes sur les obsessions définissant notre époque et qui, à travers la fiction, sont projetées dans un futur proche n’étant au fond qu’une exaltation du présent. On y traite du post-humain et de ses diverses déclinaisons, de la fin de l’histoire, des manipulations biotechnologiques, de la conquête spatiale, du complexe militaro-industriel sino-indien, des dérives religieuses et fanatiques; tout cela au sein d’une fiction qui se veut plus grande que nature, pour ne pas dire obèse. Comme le dit le narrateur Montese Crandall, qui écrit habituellement des textes de sept mots maximum, il s’agirait ici de prendre le pouls de son époque et de le traduire par le monumental récit fictif d’une catastrophe invraisemblable ayant frappé le désert de l’Arizona.

Or, le projet esthétique de Crandall (et par extension celui de Moody) se lit trop comme un tour de force délibéré, comme une sorte de démonstration artificielle, plaquée, de l’idée d’ambition littéraire, pour être vraiment satisfaisante. En effet, pour ambitieux qu’il soit, le roman de Moody reste un exercice assez plat.

La plupart des gros romans publiés aux États-Unis durant les dernières décennies, qu’on pense à The Public Burning de Robert Coover, à Gravity’s Rainbow de Thomas Pynchon, à Infinite Jest de David Foster Wallace, ou encore au tout récent The Instructions de Adam Levin, se démarquent par leur prétention à créer des univers autarciques dans lesquels le lecteur est appelé à entrer en acceptant de laisser derrière lui ses repères habituels, ou encore de céder toute la place à ces univers diégétiques de roman-monde. Il ne s’agit pas tant de romans expérimentaux que de romans totalisants, encyclopédiques, cherchant à épuiser, d’une certaine manière, la littérature et ses potentialités, comme le disait John Barth6Voir John Barth, «The Literature of Exhaustion», The Friday Book, New York, Putnam, 1984.. C’est dans cette lignée de romans totaux que The Four Fingers of Death se place volontiers, en tant que projet esthétique du moins –Moody ayant affirmé plusieurs fois vouloir rendre hommage ici à ces œuvres démesurées qui ont bercé son apprentissage d’écrivain, comme celle de Pynchon– mais également dans la lignée (aussi pynchonnienne) du roman d’anticipation humoristique et parodique, dont Kurt Vonnegut est le représentant le plus typique. Le livre est d’ailleurs dédié à la mémoire de ce dernier, ce qui a bien sûr amené bien des commentateurs et critiques à parler d’un roman vonnegutien. Pourtant, le seul aspect qui pourrait rapprocher un tant soit peu l’univers de Vonnegut et celui de Moody est la figure de Montese Crandall, écrivain un peu pathétique et raté, probablement inspirée du romancier de science-fiction Kilgore Trout, qui apparaît dans plusieurs œuvres de Vonnegut, dont Slaughterhouse Five et Breakfast of Champions.

Malheureusement, ce que Moody semble surtout avoir retenu de ces œuvres, c’est une fascination pour la digression, un penchant pour la divagation et une obsession pour l’humour scabreux. Le problème est que la digression semble plus une fin en soi qu’un outil de travail et que la technique et l’artillerie lourde d’une volonté d’atteindre une virtuosité littéraire, deviennent visibles partout.

L’incipit est un bon exemple de cette utilisation un peu fastidieuse de la digression. Crandall se met rapidement à divaguer, après avoir ouvert la narration avec les phrases suivantes, «People often ask me where I get my ideas. Or on one occasion back in 2024 I was asked. This was at a reading in an old-fashioned used-media outlet right here in town, the store called Arachnids, Inc.» (p.3) Le lecteur ne sera informé sur la personne qui lui a posé cette question qu’après un détour de plus de dix pages, une longue digression sur les cartes de baseball et l’avènement des premiers sportifs cybernétiques au cours des décennies précédant le point de départ temporel du récit.

Il n’y rien de particulièrement choquant dans cette propension à digresser, bien sûr, après tout c’est l’une des forces et des caractéristiques majeures d’un grand pan de la littérature postmoderne des États-Unis, mais le problème réside dans le fait que ces tirades infinies ne sont finalement reliées à rien, qu’elles n’aboutissent pas à une résolution ou un effet de synthèse qui viendrait expliquer leur présence. Par là même, elles finissent par laisser au lecteur une impression de futilité complète, paraissant n’avoir été écrite que dans le but d’empêcher l’action d’avancer, en jouant de façon stérile sur l’idée d’un récit spiralaire, c’est-à-dire n’ayant ni commencement ni fin et tournant sur lui-même indéfiniment. Ceci tient surtout à un problème structurel, parce qu’en séparant ainsi son livre, en offrant la plume à un écrivain extrêmement verbeux pour ensuite nous donner accès au roman que cet écrivain a rédigé, Moody lui coupe la parole, en quelque sorte, et nous empêche de s’intéresser correctement à ce qu’il avait commencé à raconter au cours de l’introduction, à propos de sa vie et de ses opinions. Il n’est en bout de ligne qu’un écrivain raté dont, de surcroit, nous devrons lire la longue œuvre intégrale.

Une tâche ardue qui l’est d’autant plus que jamais au fil du texte cette longueur n’est justifiée par les propos tenus par Crandall, d’abord au sujet du contrat qu’il a signé et ensuite au sujet de l’état actuel de sa production personnelle et de la littérature en général. En effet, si le contrat de novélisation stipule, comme le dit Crandall, qu’il doit écrire en trois semaines un court texte composé du scénario en ajoutant ici et là quelques passages narratifs afin de le rendre agréable à un lectorat branché et logophobique, et si Montese Crandall est un spécialiste du texte réduit à sa plus simple expression, le lecteur doit comprendre à la lecture du roman que Crandall a non seulement refusé d’honorer ses engagements, mais qu’il nie sa propre démarche par le fait même, offrant un texte extrêmement touffu, chargé, interminable, qui n’est pas du tout dans l’air du temps, en 2026. Autrement dit, d’un point de vue purement structurel, rien ne justifie ni ne légitime les explications de Montese Crandall, poète minimaliste obsédé par la perfection dans la retenue, persuadé d’écrire une œuvre au diapason de son époque numérique, fragmentaire, se transformant soudainement en conteur loquace au bras longs et à la verve quasi imparable.

 

Les ratés de l’envolée

Comme nous l’avons dit plus haut, cette «œuvre intégrale» de Montese Crandall que nous lirons aurait donc dû être la version romanesque du film The Four Fingers of Death, lui-même une nouvelle version d’un film culte de 1963, The Crawling Hand.

En fait, Montese Crandall, après avoir hérité du contrat de novélisation, se lance dans la rédaction de son livre en se permettant des libertés, et nous le laisse savoir, lui qui va jusqu’à inventer de toute pièce la première partie. Et on finit par comprendre que le «roman» n’a plus grand-chose à voir avec le «scénario» duquel il est supposé s’inspirer, puisqu’il n’a pu s’empêcher d’y mettre du sien:

Similarly, in the film The Four Fingers of Death the entire action takes place in the San Diego area. I felt I had no choice but to remove the story to a location I know more about – Rio Blanco itself. One ought to write about what one knows, correct? The desert of my part of the world, after all, is more like Mars, which always forces one to reflect back on when it might have had water, as it once apparently did. […] So the Mars of The Four Fingers of Death is really just the contemporary American Southwest, the Southwest of 2025 or thereabouts, with its parboiled economy, its negative population growth, its environmental destruction, its deforestation, its smoldering political rage. (p.321)

Bien entendu, il s’agit ici d’une mise en abîme représentant habilement les libertés prisent par Moody lui-même dans son adaptation loufoque et tentaculaire de The Crawling Hand qu’est en vérité ce livre que nous tenons entre nos mains.

Au fond, et c’est là le problème central, tout le projet esthétique (qu’on parle de celui de Crandall ou de celui de Moody, ce qui revient au même dans ce cas) réside dans l’idée qu’il est possible de faire de la grande littérature à partir d’un mauvais film, qu’il est possible de faire de l’humour raffiné à partir de clichés éculés de science-fiction, qu’il est possible de créer une œuvre transcendante à partir d’une œuvre de mauvais goût. Rick Moody n’est pas le premier à tenter de travailler sur la frontière entre la culture de masse et la culture d’élite en proposant un roman dit «littéraire», difficile, qui prend sa source directement dans une manifestation culturelle populaire (on pense tout de suite au Don Quichotte de Cervantès), mais il devient avec The Four Fingers of Death, un de ceux qui ne sont pas parvenus à bien exploiter la tension entre les deux. Peut-être que le problème se situe dans l’idée de s’être inspiré ouvertement d’une œuvre pré-existante dont il a le projet double et paradoxal de se moquer et d’hommager.

Parce qu’en bout de ligne, son long roman reste le récit débilitant, grotesque et pas très intéressant qu’il était au départ dans le film de Herbert L. Strock, celui d’un bras assassin qui se déplace tout seul et qui attrape et/ou étrangle et/ou masturbe ses victimes. Que l’histoire de ce bras porteur d’une bactérie tueuse soit enveloppée d’une myriade d’anecdotes allant de la plus farfelue (un chimpanzé s’exprimant dans le meilleur anglais d’Oxford, amoureux de sa maîtresse) à la plus «tragique» (un scientifique tentant désespérément de faire revivre sa défunte femme en détournant ses fonds de recherche sur les cellules souches) ne change rien à sa maigreur initiale.

The Four Fingers of Death est un roman qui n’aboutit pas et qui n’épuise rien. Ce n’est pas un livre qui prend le pouls de son époque, comme l’aurait souhaité Montese Crandall, son auteur putatif. Au lieu d’être une œuvre exigeante, porteuse d’une réflexion sur le monde contemporain, c’est une œuvre qui hésite constamment entre le cliché facile de l’ironique et de l’antiphrase et une pseudo lourdeur méta-discursive (qui au fond ne se retrouve que dans le poids du livre lui-même). Rick Moody a écrit un roman qui laisse une fausse impression de densité, mais qui se lit de façon très linéaire et qui n’est complexe ni dans sa structure narrative, ni dans les thèmes qu’il aborde. Un roman où tout s’empile et où rien ne s’imbrique.

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    Crandall explique que comme la littérature à l’ère virtuelle s’est dirigée de plus en plus vers une pratique de la fragmentation et du récit court, il en est venu à un minimalisme extrême prenant la forme d’une épuration de ses textes au point de ne rester qu’avec une seule phrase, ciselée au point d’être parfaite, la frontière entre prose et poésie: «Upon the advent of the digital age, as you know, writers who went on and on just didn’t last. You couldn’t read all that nonsense on a screen. Fragmentation became the right true way. Fragmentation offered a point-and-click interface. Additionally, this strategic reduction blurred the line between poetry and prose which is where I, Montese Crandall, come into the story.» (p.8)
  • 2
    The Crawling Hand est un vrai film de science-fiction tourné en 1963, réalisé par Herbert L. Strock et mettant en vedette Peter Breck, Kent Taylor et Sirry Steffen. Pour consulter la fiche IMDB: http://www.imdb.com/title/tt0056961/
  • 3
    Peck, Dale, «The Moody Blues», Hatchet Jobs, New York, The New Press, 2004, p.184-185. Dans son livre, Peck prétend entre autres que les «problèmes» de la littérature américaine contemporaine ont réellement commencés il y a une trentaine d’années avec la publication de Gravity’s Rainbow, de Thomas Pynchon, qui aurait donné lieu à une époque marquée par des «chef-d’œuvres» froids et auto-indulgents.
  • 4
    Ibid., p.170.
  • 5
    «Anyway, the result is a 900 page comic novel about a disembodied arm set in the desert in 2026.» Cité dans «Interview: Rick Moody», Night Train Magazine. Url: http://www.nighttrainmagazine.com/contents/moody_int.php Consulté le 2 février 2011.
  • 6
    Voir John Barth, «The Literature of Exhaustion», The Friday Book, New York, Putnam, 1984.
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