Cahiers ReMix, numéro 20, 2023

Quelques échos littéraires du 11 septembre 2001

Jimmy Thibeault
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Une introduction de Jimmy Thibeault (U. Sainte-Anne)

  

Pour plusieurs, comme le remarque Sylvain Cypel, les attentats du 11 septembre 2001 ont représenté l’avènement d’un temps nouveau: «Mille fois,» explique-t-il, «on a pu lire à l’époque que, de même que la chute du mur de Berlin avait clôturé le XXe siècle, le 11-Septembre inaugurait le XXIe.» (Cypel 2021, 29) On ne compte effectivement plus les publications qui affirment qu’il y a eu un «avant» et un «après» au 11-Septembre, que l’événement a été un moment de basculement qui a modifié le monde, qu’il est possible de dire, pour reprendre le titre de la bande dessinée de Baptiste Bouthier et d’Héloïse Chochois: 11 septembre 2001. Le jour où le monde a basculé (2021). Certes, les événements qui se sont déroulés ce jour-là ne doivent pas être pris comme le moment d’une fracture absolue, de la création d’un nouveau monde en complète rupture avec celui d’avant. Il n’empêche que l’événement, par les images chocs diffusées en direct à la télévision et par le discours qui les accompagne, a marqué l’imaginaire, non pas parce qu’il s’inscrirait dans le cours normal des choses, mais, à tort ou à raison, parce qu’il prenait une telle ampleur qu’il apparaissait hors du temps, un moment qui devenait sur-le-champ une balise historique. Les tours du World Trade Center n’étaient pas encore effondrées que certains commentateurs affirmaient que le monde ne serait plus le même, que nous assistions à la fin d’un monde, sans trop savoir lequel. Cette affirmation sur le vif n’était pas banale, car elle inscrivait déjà les événements en cours dans un imaginaire de la fin ou, du moins, signalait un changement radical à venir. Le discours faisait de l’événement un moment pivot de l’Histoire avant même qu’il se soit entièrement passé.

C’est en se référant à cette construction de l’événement que, en introduction à l’ouvrage qu’ils dirigent, Fictions et images du 11 septembre 2001 (2010), Bertrand Gervais et Patrick Tillard remarquent que c’est par le traitement médiatique, par le discours qui s’invente à mesure que l’événement se produit en direct sous les yeux consternés du monde, que le 11-Septembre pourrait marquer notre entrée dans le 21e siècle. C’est-à-dire que l’événement, par son traitement médiatique, serait le premier à devenir sa propre balise et à se constituer d’emblée comme historique. Ils reprennent ici le propos de François Hartog: «[…] le 11 septembre pousse à la limite la logique de l’événement contemporain qui, se donnant à voir en train de se faire, s’historicise aussitôt et est déjà à lui-même sa propre commémoration: sous l’œil de la caméra.» (Hartog 2003, 116) À peine trois mois après les événements, Jürgen Habermas, en entretien avec Giovanna Borradori, faisait déjà ce constat:

Et puis, la nouveauté, ce fut aussi la présence des caméras et des médias qui a fait d’un événement local un événement planétaire –la population du monde entier devenant un témoin oculaire médusé. Peut-être peut-on parler du 11 septembre comme du premier événement qui s’est immédiatement inscrit dans l’histoire mondiale au sens strict: l’impact, l’explosion, le lent effondrement des tours– tout ce qui s’est passé de manière absolument irréelle et qui pourtant n’était pas une fabrication de Hollywood mais bel et bien l’implacable réalité, tout cela a littéralement eu lieu sous les yeux de la sphère publique mondiale. Le collègue et ami, qui, de la terrasse de son immeuble de Duane street, à quelques centaines de mètres du World Trade Center, a vu le deuxième avion s’encastrer et exploser dans la partie haute de la tour, a vécu quelque chose de différent, Dieu sait combien, de ce que j’ai vécu en Allemagne devant mon téléviseur, mais il n’a rien vu d’autre. (Habermas, dans Borradori [2003] 2004, 58)

Ce «il n’a rien vu d’autre» tient non seulement à la multiplication des images, des angles de caméra montrant les événements, mais aussi à la mise en discours de ces images dont le sens s’est construit en direct, alors que les médias peinaient, justement, à leur trouver d’emblée un sens.

Cristelle Crumière, dans l’analyse qu’elle propose des récits informatifs publiés dans les journaux français dans les heures, les jours et les semaines qui ont suivi le 11-Septembre, remarque deux tendances aux récits médiatiques:

— celle de l’historicisation des récits médiatiques du 11 septembre, donc de leur factualisation, par l’emprunt des codes du discours historique;

— celle de la fictionnalisation des récits médiatiques, par le recours à des procédés narratifs propres au récit mythique. (Crumière 2010, 39-40)

La première tendance a consisté à affirmer sur-le-champ l’indéniable historicité de l’événement en le présentant comme quelque chose de jamais vu dans l’histoire des États-Unis, comparable aux grands événements qui ont marqué l’histoire mondiale. Le 11 septembre 2001 est présenté en direct en «moment comme», en une sorte d’équivalent à celui qui a conduit au déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914 ou à l’entrée en scène des États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale —l’attaque japonaise sur Pearl Harbor le 7 décembre 1941 deviendra d’ailleurs un important intertexte par sa nature même d’une agression perpétrée par des étrangers sur le territoire étatsunien. Dans un drôle de retournement de sens, remarque Bertrand Gervais dans le chapitre qu’il signe, l’emplacement de l’effondrement des tours jumelles sera nommé ­«Ground Zero», comme en écho au lieu de l’explosion de la bombe larguée sur Hiroshima à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Une telle inscription de l’événement dans l’Histoire ne pouvait conduire qu’à un constat: nous entrions en direct dans une nouvelle ère qui restait encore à déterminer, mais qui se comparait déjà aux grands moments de l’Histoire. La seconde tendance reposait sur la construction du récit des événements à partir de références puisées dans l’univers de la fiction pour décrire une réalité qui semblait déjouer toute tentative de production de sens. Selon Marc Lits:

[l]es attentats contre les tours du WTC furent perçus comme tellement exceptionnels, dans leur vision en direct, que nombre de journalistes, mais aussi des experts interrogés peu après, ne trouvèrent pas d’explication fondée sur la seule raison et firent référence à des films catastrophe ou des romans d’espionnage pour décrire le choc. Comme si la violence traumatique de ces images ne pouvait être absorbée directement et qu’il fallait le détour de la fiction pour appréhender cet indicible. (Lits 2004, 24)

Dans les deux cas, note Crumière, il y a mythification instantanée de l’événement à travers la production d’un discours qui cherche à donner un sens à ce qui n’en a pas, du moins dans l’immédiat:

Mais, qu’il s’agisse de l’emprunt de codes et de références historiques, ou de procédés et de références fictionnels, l’objectif est toujours d’essayer de cerner l’événement, de le ramener à un précédent, de le réintégrer à un patrimoine mémoriel ou culturel partagé, donc de le rendre moins étranger, moins menaçant, et mieux assimilable. Pour éviter que la singularité radicale de l’événement ne mette en péril l’équilibre de la communauté, la mise en récit fonctionne comme réponse à une demande de sens. Elle contribue à apprivoiser le réel traumatique en l’intégrant à un scénario existant, c’est-à-dire en lui conférant une forme d’intelligibilité et un cadre interprétatif déjà familiers du lecteur, au risque de la confusion entre les régimes d’autorité, d’authenticité et de crédibilité propre aux registres de l’histoire et de la fiction. (Crumière 2010, 57-58)

Face à l’inconnu, le discours se construit à travers des référents culturels, sociaux et politiques connus pour interpréter l’événement de manière à donner l’impression, note Jacques Derrida, d’un événement majeur: «quelque chose de terrible a eu lieu le 11 septembre, voilà, et au fond on ne sait pas quoi. Car on a beau s’indigner devant la violence, on a beau déplorer sincèrement, comme je le fais avec tout le monde, le nombre des morts, on ne fera croire à personne que c’est de cela au fond qu’il s’agit.» (Derrida [2003] 2004, 135) Cet événement majeur, parce qu’il est présenté à travers des images puisées dans ce qui nous est connu, donne également l’impression de nous concerner et, donc, de nous interpeller directement. On l’a bien vu, dans la suite de l’événement, au-travers des multiples récupérations portant une parole qui prônait, notamment, l’adhérence à un patriotisme aveugle qui n’aura fait qu’exacerber un peu partout la méfiance de l’autre, particulièrement du musulman, désormais perçu comme un potentiel terroriste1Rappelons que cette peur de l’autre musulman a donné lieu à des actes d’une violence extrême qui ont fait des victimes chez nous, notamment lors de l’attaque du 29 janvier 2017 à la grande mosquée de Québec.. Le sens de l’événement historique, comme le montre François Paré dans son analyse des destinées vécues dans Lignes de faille de Nancy Huston, ne peut se trouver que dans la distance, celle-là même qui replace la violence des événements dans une suite continue de drames provoqués par la haine de l’autre et non dans l’aveuglement du moment où cette haine semble toujours justifiée. De fait, on peut se demander avec Robert Dion si les attentats du 11 septembre 2001 sont bien à la hauteur d’un événement historique ou si l’émotif du moment n’en a pas exagéré la portée.

Quoiqu’il en soit, le 11-Septembre a bien marqué l’imaginaire: «Par leur force, par leur caractère, disons-le, photogénique, les événements se sont gravés dans notre conscience, voire notre imagination, et depuis ils s’imposent comme fait incontournable.» (Gervais et Tillard 2010, 10) Les événements ont laissé des traces qu’on retrouve comme autant d’échos dans certains discours porteurs d’une telle violence et d’une telle haine qu’on peine à les expliquer. Et si, finalement, le 11-Septembre, jumelé à la crise climatique, représentait bien le début d’une lente agonie humaine, exacerbant ainsi l’angoisse d’une fin à venir, remarque Jean Morency, par la résurgence des images d’une apocalypse annoncée? C’est peut-être aussi la fin d’une naïveté, que j’explore dans mon analyse de La Logeuse d’Éric Dupont, qui a pu naître au lendemain de la chute du mur de Berlin et qui valorisait dans nos sociétés la rencontre harmonieuse des voix plurielles. Ce n’était probablement qu’un rêve, mais qui semble avoir été complètement brisé par les discours et les actions politiques du début du siècle: «le 11 septembre a bouleversé les priorités de nos sociétés, nos discours et convictions relativement au rôle que nos gouvernements devraient jouer dans le monde, notre manière de concevoir le terrorisme, de faire la guerre et le droit ou encore de définir l’identité nationale de nos pays» (Collectif Chaire Raoul-Dandurand 2016, 20). Ce changement de perspective n’est pas forcément pour le mieux. Selon les mots d’Amin Maalouf: «Ce qui caractérise l’humanité d’aujourd’hui, ce n’est pas la tendance à se regrouper au sein de très vastes ensembles, mais une propension au morcellement, au fractionnement, souvent dans la violence et l’acrimonie.» (Maalouf 2019, 279) Il est difficile de faire fi de ces tensions lorsqu’on regarde le monde contemporain, car ces nouvelles manières de concevoir le rôle de nos sociétés dans le monde a une influence sur la perception que nous avons de nous-mêmes, comme le montre Hélène Destrempes dans son étude de Dans l’œil du soleil de Deni Ellis Béchard. En effet, cette transformation dans notre perception du rôle des sociétés teinte forcément l’engagement de certaines politiques d’immigration, remarque Chantal White, et peut devenir un poids pour l’immigrant qui doit s’inventer une vie en tant qu’étranger et suivre le difficile parcours, qu’explore Désiré Nyela, de l’intégration.

  

* * *

Le présent dossier est l’aboutissement d’une réflexion entamée lors de journées d’étude qui se sont tenues en août 2019 à l’Université Sainte-Anne. La rencontre avait pour objectif d’explorer les traces du 11-Septembre dans l’imaginaire contemporain. La question, en un sens, était de voir comment la fabrication des discours entourant les images au moment de l’événement pouvait influencer notre lecture du monde. S’il est vrai, comme l’affirment plusieurs, que le 11-Septembre a changé le monde, qu’il l’a fait basculer —que ce soit sur le plan de la politique internationale ou nationale, des enjeux de sécurité intérieure, du rapport à l’immigration, de la libération d’une parole haineuse dans l’espace public, etc.—, nous avons voulu en trouver des échos dans les récits contemporains.

La première partie de l’ouvrage reprend l’idée de l’inscription du récit dans un temps historique par la comparaison, explicite ou non, avec des moments de grandes violences. Dans le premier chapitre, Bertrand Gervais rapproche les lieux du Ground Zero, à Hiroshima et à New York, en explorant la charge émotive qui se dégage des images qui restent et nous habitent à la fois individuellement et collectivement. Pour sa part, Robert Dion s’intéresse à la résurgence de la représentation du traumatisme de la Shoah dans l’imaginaire québécois contemporain. Il aborde cette résurgence en s’intéressant plus particulièrement à l’écriture de l’histoire au travers d’un présentisme qui a tendance à «écraser» le passé et l’avenir dans la représentation du présent. C’est aussi au poids de ce présentisme que fait référence François Paré dans l’étude qu’il propose du roman Lignes de faille de Nancy Huston. Paré met en lumière le thème du retour à l’Histoire alors qu’il s’intéresse à l’écriture des violences du passé par le biais du récit familial des protagonistes, récit qui se décline sur quatre générations.

La deuxième partie porte sur la représentation de la fin à travers les images ainsi que sur les discours qui ont donné l’impression que nous arrivions peut-être à la fin de quelque chose, notion assez vague en elle-même et qui donne une image angoissante de l’avenir. Jean Morency aborde cette question de la fin en s’intéressant à l’importance que prend l’écriture de l’apocalypse dans le roman québécois contemporain. Pour ma part, ma contribution consiste en une analyse du roman La logeuse d’Éric Dupont, dans lequel cette angoisse de la fin se veut créatrice de tensions identitaires qui auront pour effet le refus de la diversité culturelle.

La dernière partie explore justement le rapport que les sociétés nord-américaines entretiennent avec les figures d’altérité dans un contexte contemporain. Comment peut-on lire les discours sur l’autre dans le sillage du 11-Septembre? Hélène Destrempes, par son étude du roman Dans l’œil du soleil de Deni Ellis Béchard, analyse à travers la perspective janusienne les véritables motivations de la venue de trois Occidentaux en Afghanistan qui trouveront la mort dans un attentat à la voiture piégée à Kaboul. Si les attentats du 11 septembre agissent comme catalyseur pour les protagonistes, c’est surtout en quête d’une rédemption personnelle qu’ils prennent la route de l’Afghanistan, ce qui a pour effet de relayer le peuple qu’ils sont venus aider en arrière-plan du récit. Chantal White propose pour sa part une lecture éclairante des enjeux linguistiques liés à la réforme de l’immigration au Québec qui, mise en relation avec l’imaginaire habité par les tensions post 11-Septembre, ouvre une piste de réflexion sur la méfiance qu’une telle réforme amène. Enfin, Désiré Nyela explore cette méfiance en parlant d’un imaginaire de la muraille qui rend, malgré les efforts de certains bien-pensants, toute figure de l’étranger suspecte. Cette idée d’un imaginaire de la muraille lui sert de point de départ à l’étude du discours que tient Dany Laferrière sur l’intégration de l’immigrant dans Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo.

    

Bibliographie

Borradori, Giovanna (dir.), Jacques Derrida et Jürgen Habermas ([2003] 2004), Le «concept» du 11 septembre. Dialogues à New York (octobre-décembre 2001) [entretiens avec Jacques Derrida et Jürgen Habermas], Paris, Galilée.

Bouthier, Baptiste et Héloïse Chochois (2021), 11 septembre 2001. Le jour où le monde a basculé, Paris, Dargaud.

Collectif Chaire Raoul-Dandurand (2016), L’effet 11 septembre. 15 ans après, Québec, Les éditions du Septentrion.

Crumière, Cristelle (2010), «Les récits médiatiques du 11 septembre, entre tentatives historicistes et tentations mythiques», dans Bertrand Gervais et Patrick Tillard (dir.), Fictions et images du 11 septembre 2001, Montréal, Figura, coll. «Cahiers Figura», n°24, p. 39- 58.

Cypel, Sylvain (2021), «L’“axe du mal” (11 septembre 2001: pendant)», dans Éric Fottorino (dir.), dossier «11 septembre 2001. Avant, pendant, après», Le 1 Hebdo, n°356, p. 23-39. En ligne.

Gervais, Bertrand et Patrick Tillard (2010), «Ground Zero», dans Bertrand Gervais et Patrick Tillard (dir.), Fictions et images du 11 septembre 2001, Montréal, Figura, coll. «Cahiers Figura», n°24, p. 9-18.

Hartog, François (2003), Régimes d’historicité. Présentisme d’historicité. Présentisme et expérience du temps, Paris, Seuil.

Lits, Marc (2004), Du 11 septembre à la riposte. Les débuts d’une nouvelle guerre médiatique, Bruxelles, De Boeck.

Maalouf, Amin (2019), Le naufrage des civilisations, Paris, Éditions Grasset.

    

Crédits de ce numéro

Responsable du numéro: Jimmy Thibeault

Coordination et intégration web: Sarah Grenier-Millette

Révision linguistique: Gabrielle Huot-Foch

Édition de la version PDF: Elaine Després

ISBN: 978-2-923907-98-7    

La version PDF du Cahier est disponible en téléchargement au bas de cette page.

    

Gerhard Richter (2005), September, huile sur toile, 52 cm x 72 cm.
Copyright:  © Gerhard Richter 2023 (0132)
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    Rappelons que cette peur de l’autre musulman a donné lieu à des actes d’une violence extrême qui ont fait des victimes chez nous, notamment lors de l’attaque du 29 janvier 2017 à la grande mosquée de Québec.

Articles de la publication

Bertrand Gervais

«It would be unbearable to look at directly.» Ou comment apprivoiser le pire de l’Histoire

Cher Jimmy, j’ai reçu ton message quelques heures avant de quitter Tokyo pour me rendre à Fukuoka, où je devais assister à la conférence de Myriam Watthee-Delmotte, invitée par l’institut français du Japon afin de parler de son essai Dépasser la mort. L’agir de la littérature paru en 2019. Son texte porte sur les deuils et la capacité de la littérature à mettre des mots sur le choc et la détresse ressentis face à l’inacceptable que représente la mort de l’autre. Le cœur de son message est simple, du moins dans sa formulation: «C’est grâce aux mots que l’on cesse d’être seul face au désastre» (2019, 8). C’est grâce aux mots, à l’écriture, à la littérature et à la lecture que le silence peut être brisé et la douleur, atténuée.

Robert Dion

La littérature québécoise contemporaine et les chantiers de la mémoire

La mémoire est devenue la grande affaire de notre époque. En témoigne bien sûr le nombre effarant de publications savantes à ce sujet —dont je me garderai bien de faire ici l’inventaire—, mais plus encore le déferlement des témoignages, les débats acrimonieux sur le devoir de mémoire ou la nécessité de l’oubli, l’exhumation souvent acharnée, à des fins politiques ou idéologiques, des blessures du passé par des groupes ou des communautés qui les revendiquent comme stigmates identitaires ou qui les instrumentalisent en vue d’obtenir reconnaissance ou réparation.

François Paré

Enfance, filiation et violences de l’histoire: étude de «Lignes de faille» de Nancy Huston

Que signifient, à l’aune de la littérature, la date du 11 septembre 2001 et les images de destruction qu’elle évoque pour tous ceux et celles qui les ont vécues, pétrifiés ce jour-là jusque tard dans la nuit devant leur téléviseur? Que peuvent les imaginaires de la fiction devant cette violence paradigmatique qui, pour l’ensemble des commentateurs, paraît alors unique et irrévocable? «L’expression “les attentats du 11 septembre 2001” tend à désigner une rupture temporelle et la naissance d’une période marquée par la violence», constatent les politicologues français Julien Fragnon et Aurélia Lamy (2008, 62). Ce «macabre héritage» (Sirois, 2016) des avions emboutissant les gratte-ciel de New York n’a-t-il pas entraîné en Amérique une onde de choc à laquelle se rattacherait encore, vingt ans plus tard, sans qu’on ne sache ni pourquoi ni comment, le sentiment d’une fragilisation généralisée des institutions politiques, de l’ordre social et du vivant dans son ensemble?

Jean Morency

Quelques échos du 11 septembre 2001 dans le roman québécois contemporain: l’apocalypse, comme si vous y étiez (moi, j’y étais)

L’effondrement des tours du World Trade Center, qui a frappé l’imagination internationale, a marqué de façon dramatique l’entrée dans un nouveau millénaire. Cet événement hautement médiatisé a été vécu par plusieurs sur un mode apocalyptique, et tout particulièrement aux États-Unis, où il a été perçu comme la révélation brutale de l’existence d’un nouveau désordre mondial fondé sur le conflit des cultures et leur clash mortifère, en lien avec les théories de Samuel Huntington.

Jimmy Thibeault

L’imaginaire de l’«avant» 11 septembre 2001: recomposer la fin du siècle dans «La logeuse» d’Éric Dupont

Dans la foulée de la chute du mur de Berlin, en 1989, Francis Fukuyama suggérait, dans un article intitulé «The End of History?» (1989), que nous assistions peut-être alors à la victoire de la démocratie libérale et, en même temps, à la fin des grands conflits idéologiques qui contribuent à maintenir les inégalités entre les peuples. Cette idée de la «fin de l’histoire», que Fukuyama fait remonter à Marx et, surtout, à Hegel, suggère que la disparition des tensions entre les idéologies politiques amènerait l’humanité à son plus haut niveau d’évolution sociale par la création d’un monde plus égalitaire.

Hélène Destrempes

Esthétique du désenchantement et perspective janusienne dans le roman «Dans l’œil du soleil» de Deni Ellis Béchard

«Si tout homme avait la possibilité d’assassiner clandestinement et à distance, l’humanité disparaîtrait en quelques minutes». Cette citation lapidaire de Milan Kundera dans La valse des adieux (1972) évoque un monde de cynisme et de désenchantement qui n’est pas sans rappeler, dans une certaine mesure, l’imaginaire post 11-Septembre.

Chantal White

«Sa voix allait remplacer la kalachnikov» Quand les terroristes parleront comme nous, il n’y aura plus de guerre?

En janvier 2019, les journaux américains et canadiens annonçaient la capture récente, par les forces démocratiques syriennes, de Mohammed Khalifa, un citoyen canadien qui avait prêté sa voix aux vidéos de recrutement de l’État islamique. Amarnath Amarasingam, un chercheur canadien qui étudie la radicalisation à l’Institut pour le dialogue stratégique, avait été l’un des premiers à soupçonner l’identité canadienne du narrateur de The Flames of War (2016).

Désiré Nyela

Un passeur nommé Laferrière

Un défi que relève Dany Laferrière avec son ouvrage Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo (2015), qui, contre cet imaginaire de la muraille propose un imaginaire du pont. C’est qu’en ces temps troubles, agités par l’écume des passions tristes, l’auteur de Je suis un écrivain japonais (2008) fait, lui, le pari de l’humanité, lui qui, à la faveur des mots, en digne adepte du dieu vaudou Legba, se mue en passeur. Non pas cette figure marginale, hors-la-loi, dont le cynisme de son activité criminelle suscite indignation et réprobation, mais plutôt un passeur culturel, qui permet à l’immigré de naviguer, en toute fluidité, entre deux cultures: la sienne et celle de sa société d’accueil.

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