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Un passeur nommé Laferrière
Contre la muraille, le pont
Les attentats du 11 septembre 2001 —avec le spectaculaire effondrement des tours du World Trade Center— constituent un moment charnière dans l’histoire de l’Occident, désormais pris dans un conflit dont la tournure civilisationnelle réactive, entre autres aspects, renforcement de frontières, repli identitaire et, de ce fait, émergence des figures de l’altérité comme figures repoussoirs. Figure repoussoir qu’incarne le migrant, issu des névralgies sociales et politiques du Sud, dont le déplacement vers le Nord hante l’imaginaire de populations de plus en plus réceptives à toutes les dérives1Pensons aux discours populistes des partis d’extrême-droite dont les programmes anti-immigration séduisent de plus en plus une majorité d’électeurs taraudés par une anxiété identitaire et une insécurité culturelle, terreaux favorables à la théorie conspirationniste du «grand remplacement», selon laquelle les peuples dits de souche seraient, à travers des politiques d’immigration portées par des élites mondialistes et multiculturalistes, progressivement remplacés par des populations venues d’ailleurs. les plus populistes. En fait, le migrant n’essuie pas seulement l’opprobre d’un discours de haine —qui n’est pas le moindre des obstacles— quand il ne se heurte pas à d’autres «murs» bien plus physiques ceux-là, à l’exemple du mur que veulent construire les États-Unis d’Amérique à la frontière avec le Mexique, ou encore, à la Méditerranée transformée, face à l’hostilité des pays européens, en un vaste cimetière pour les migrants venus d’Afrique.
Il y a donc un imaginaire de la muraille porté par un discours populiste, nourri par une anxiété identitaire et une insécurité culturelle vécues par des populations autochtones2Bien entendu, le terme «autochtone» est à entendre comme «originaire du pays qu’il habite, dont les ancêtres ont vécu dans ce pays.» qui, se sentant envahies, se barricadent derrière toutes sortes de murs tant physiques que psychologiques. C’est que l’anxiété identitaire et l’insécurité culturelle flattent la tendance naturelle à valoriser l’homophilie et à se méfier de la diversité. Une diversité pourtant magnifiée, dans la rectitude politique des discours officiels, par une élite rendue suspecte aux yeux d’un électorat populaire au scepticisme affiché, mais qui dès lors, relève du défi.
Un défi que relève Dany Laferrière avec son ouvrage Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo3Désormais, les références à ce roman seront indiquées par le sigle TM, suivi du folio, et placé entre parenthèses dans le texte. (2015), qui, contre cet imaginaire de la muraille propose un imaginaire du pont. C’est qu’en ces temps troubles, agités par l’écume des passions tristes4Nous empruntons le concept au philosophe Spinoza., l’auteur de Je suis un écrivain japonais (2008) fait, lui, le pari de l’humanité, lui qui, à la faveur des mots, en digne adepte du dieu vaudou Legba5Dieu du panthéon vaudou dont la mission est de faciliter la traversée entre les mondes., se mue en passeur. Non pas cette figure marginale, hors-la-loi, dont le cynisme de son activité criminelle suscite indignation6Le passeur tel que décrit ici ne participe-t-il pas au commerce de la misère du monde en faisant payer au prix fort la promesse d’une traversée illégale des frontières, avec toutes les tragédies humanitaires que ce trafic ne cesse de provoquer et qui font bien souvent la une de l’actualité? et réprobation, mais plutôt un passeur culturel, qui permet à l’immigré de naviguer, en toute fluidité, entre deux cultures: la sienne et celle de sa société d’accueil. C’est que l’immigration, si elle se veut aventure7Une aventure humaine dans laquelle on s’engage en raison de nombre de facteurs socio-politiques, économiques, climatiques, etc., n’en est pas moins un aspect incontournable, voire essentiel, de l’actualité du monde tel qu’il va.
C’est cette réalité millénaire inscrite aux fondements de l’humanité que Dany Laferrière examine tout en finesse, non sans une certaine sensibilité, du fait d’une posture singulière, étant donné qu’il a l’avantage, voire le privilège, d’en parler à partir de son expérience. Expérience comme atout en rapport à une réalité qui engage et qui, à ce titre, abolit la distance, certes nécessaire dans l’épistémologie de quelque grammaire d’une objectivité (qui se voudrait scientifique), mais inopportune dans la narrativité d’une aventure humaine portée par les aléas du destin. Aussi s’avère-t-il intéressant de lire Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo, livre dans lequel Dany Laferrière, à partir du lien de solidarité intergénérationnel qu’il tisse, réinvente considérablement le discours sur l’immigration. Un discours non plus présenté par le haut, dans la verticalité inhérente aux discours officiels avec la froideur de leurs statistiques, mais plutôt par le bas, dans l’effervescence d’une rencontre que seul peut provoquer le hasard de la vie.
Le bon bout
Prendre la question de l’immigration par le bon bout revient, ainsi qu’on l’a dit plus haut, à éviter la verticalité du discours officiel empreint de l’insensibilité inhérente à la rationalité économique pour adopter une narrativité qui inscrit cette question dans le tourbillon de la vie, dans ce qu’elle offre de rencontres occasionnelles, à l’instar de la rencontre entre Mongo et le narrateur dans le récit. Une rencontre d’emblée placée sous les auspices de la littérature, à en croire le patronyme du jeune Mongo, en hommage au célèbre écrivain camerounais Mongo Beti8Il y a un autre élément qui, en dehors de la référence à la littérature, lie l’écrivain Mongo Beti à la problématique de l’ouvrage: l’exil. En effet, Mongo Beti, en digne contestataire du régime néocolonial installé dans son pays d’origine (le Cameroun) à la proclamation de son «indépendance» sera contraint de vivre pendant plus de quarante années l’exil en France, où il a longtemps enseigné la littérature avant d’être autorisé à revenir en 1991 dans son pays natal où il fondera la Librairie des Peuples Noirs. L’évocation de Mongo Beti amplifie les résonances entre les parcours des deux écrivains (Mongo Beti et Dany Laferrière) dans une sorte de chassé-croisé dialectique (autour de l’absence et de la présence): le livre écrit par Dany Laferrière est le résultat d’une expérience qui porte sur quarante années de vie au Québec, à l’instar de l’exil de Mongo Beti. Et si l’on rapporte tout ceci à la figure du jeune Mongo, celui-ci est confronté à l’énigme de l’arrivée: Mongo doit apprivoiser (le pays d’accueil) son nouvel environnement alors que son illustre homonyme, fut, lui, confronté à l’énigme du retour, à savoir ré-apprivoiser le pays natal qui aura, dans tous les cas, changé après quarante ans d’absence.. L’effet « madeleine de Proust » de cette rencontre ne se restreint pas qu’à la réminiscence littéraire que convoque la référence à l’écrivain Mongo Beti; il agit aussi comme (une) machine à remonter dans le temps, plus précisément à l’été 1976 dans un Québec en plein dans l’effervescence des Jeux olympiques, alors que le narrateur est lui-même confronté à l’énigme de son arrivée.
Ainsi la rencontre avec Mongo sert-elle de déclic, de déclencheur à la rétrospection à l’origine d’un livre aux allures de vade-mecum, essentiel à quiconque songe à se lancer dans l’aventure qu’est l’immigration. De cette nostalgie rétrospective transparaît la dimension itérative d’une aventure humaine, aventure dont le caractère précisément itératif lui confère une double vertu complémentaire, à la fois sapientielle, mais aussi et surtout pédagogique, dans le sens où ce savoir est susceptible de transmission. La question de la transmission suppose alors l’existence d’au moins deux protagonistes, engagés dans une relation de mentorat. Ainsi, l’ouvrage de Dany Laferrière configure-t-il les termes d’une relation de mentorat entre le narrateur mentor, d’une part, et, d’autre part, Mongo le mentoré, fraîchement débarqué de son Cameroun natal, fort de sa jeunesse et de son énergie.
Entre en ligne de compte un élément déterminant de la dynamique relationnelle de ce duo particulier, à savoir le temps, facteur d’un double effet ontologique chez le mentor, à la fois de transformation et d’accumulation. Effet de transformation d’abord, en rapport au statut, lié à la condition d’étranger (qu’il fut à son arrivée), dont il érode peu à peu les aspérités pour se transformer en natif désormais susceptible de se fondre dans la foule.
Effet d’accumulation ensuite dans la mesure où il permet d’accumuler9Le livre de Dany Laferrière n’est-il pas la somme de quarante années de vie au Québec?, au fil des ans qui s’égrènent, un capital symbolique sous la forme d’un savoir transmissible, et qui transforme ainsi l’immigré d’antan (que fut le mentor) en passeur de culture. Savoir accumulé au fil d’un vécu expérientiel à partir duquel s’écrivent, à grands traits, les lignes de force d’une école de la vie. École de la vie à voir comme héritage le plus précieux, flambeau à transmettre à la jeune génération qu’incarne Mongo avec sa fougue juvénile. Ainsi s’éclaire la pertinence d’un livre dont le narrateur ne cache nullement la prétention utilitaire.
En effet, face au nouvel arrivant, se présente la société d’accueil, couverte du voile de l’énigme, lequel confère dès lors à l’aventure migratoire une forte dimension platonicienne. Car tel le prisonnier de l’allégorie de la caverne, l’immigré, à ses premiers pas dans la société d’accueil, n’a d’elle qu’une réalité floue, énigmatique. Une réalité qui se dévoilera à lui au fil du temps —le temps de son immersion dans sa nouvelle société— et ainsi finira-t-il, à force de courage, de volonté et d’abnégation, par apprivoiser son environnement, à l’image du prisonnier qui, sorti de la caverne, découvre, ébloui, la lumineuse vérité du réel.
Ici transparaît le rôle du mentor, lui dont la médiation s’avère être un rouage essentiel dans ce processus heuristique. En fait, dans son rôle de médiateur, le mentor ne se veut pas moins passeur culturel que formidable accélérateur du temps pour le jeune immigré dans la longue épreuve qui l’attend, celle de l’intégration dans le pays d’accueil. Tel le dieu Legba du panthéon vaudou, le mentor offre au nouvel arrivant le gage d’une traversée fluide face au mystère et aux obstacles inhérents à l’énigme de l’arrivée. Ce faisant, le mentor est, lui-même, renvoyé à sa propre expérience migratoire dont la synthèse des réflexions qu’il livre au mentoré se lit tout aussi bien comme une sorte de bilan d’un parcours de vie placé sous le signe de l’aventure, avec tout ce que cela suppose d’aléas du destin. En ce sens, Mongo n’incarne pas seulement la figure de l’immigré dont le (seul?) capital réside dans l’énergie et la force de sa jeunesse. Il est aussi une figure mnémonique dans la mesure où sa présence agit sur le narrateur comme une forme d’anamnèse qui, à travers l’inversion d’une image dédoublée, le ramène à sa propre jeunesse. Ainsi, parler à Mongo pour le mentor narrateur c’est aussi se parler à lui-même, c’est-à-dire au jeune homme qu’il était à son départ d’Haïti. En fait, c’est se souvenir du jeune homme qu’il était à son arrivée à Montréal à l’été 1976 et apprécier, avec un brin de nostalgie, le chemin parcouru.
Si pour Laferrière l’idée du dialogue intérieur, avec soi-même, ne manque pas de faire référence à l’écrivain argentin Jorge Luis Borges10À ce sujet, lire Conversations avec Jorge Luis Borges (Borges et Burgin 1972). Pour en revenir à son ouvrage —Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo—, Dany Laferrière affirme que l’idée du dialogue avec Mongo (qui lui rappelle le jeune homme qu’il était à son arrivée à Montréal) lui a ainsi été inspiré par Borges, illustration, chez Laferrière d’une conception de la littérature dont l’ancrage est mondial, universel: un Québécois venu de Haïti qui s’inspire d’un Argentin pour parler à un Camerounais fraîchement débarqué à Montréal., la question de l’immigration comme parcours relève, elle, comme nous le disions plus haut, de l’aventure dont la part d’incertitude ne va pas sans risque ni danger11Ce qui incite Mongo à exprimer sa crainte de se perdre dans cette aventure, à l’instar de Samba Diallo, héros tragique du roman L’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane. pour l’immigré. Vient alors à l’esprit le roman L’Aventure ambiguë (1962), classique africain de l’écrivain sénégalais Cheikh Hamidou Kane, avec Samba Diallo, son héros tragique, éprouvé par une profonde crise identitaire pour n’avoir pas pu être deux, en d’autres termes, pour n’avoir pu concilier les parts d’une (double) identité métisse, africaine12C’est-à-dire son identité peuhle (c’est un Diallobé) et musulmane. et occidentale13Fondée sur le rationalisme des lumières.. Là où Samba Diallo, dans le désarroi, seul et abandonné de tous, souffre d’une crise identitaire, Mongo bénéficie lui de la sollicitude du narrateur dont le précieux mentorat se veut le passeport idoine à même de lui permettre de naviguer entre deux cultures. Car autant le classique de Cheikh Hamidou Kane est le roman de l’impossible métissage, autant le livre de Dany Laferrière prône, au contraire, la conciliation culturelle. En fait, autant la rigidité de Samba Diallo le conduit à une fin tragique14Ne se laisse-t-il pas tuer par le personnage du fou à la fin du roman? Cette apathie a pu être interprétée comme une forme de suicide., autant la disposition de Mongo à la flexibilité se donne comme un atout susceptible de lui ouvrir les portes de la vie en Amérique. En somme, s’il faut évaluer le parcours de l’immigré à l’aune de la célèbre fable «Le Chêne et le Roseau» (La Fontaine [1995] 2008, 22-23), force est de constater qu’il vaut mieux adopter la flexibilité du Roseau que de s’enorgueillir de la rigidité du Chêne.
Et pour ne pas tomber dans le piège de l’orgueil —avec tout ce qu’il (com)porte de certitudes quelles qu’elles soient— l’immigré, dans ses premiers pas dans le pays d’accueil, doit pouvoir gagner la première bataille à laquelle il sera confronté, un tiraillement qui le déchire de l’intérieur, c’est-à-dire une bataille contre lui-même. Il s’agit de la plus âpre dans cette guerre intime où l’immigré doit lutter contre la tentation de la nostalgie à même de le pousser à la ghettoïsation qui, si à première vue offre la perspective de quelque confort communautaire, n’en est pas moins mur, par ailleurs le plus infranchissable, car érigé par soi-même et qui sépare, dans toute son irrémédiabilité, l’immigré de sa nouvelle société. Aussi le narrateur peut-il déclarer que: «le premier combat, c’est toujours contre le confort communautaire, d’une certaine manière contre ce qu’on a été. On ne cherche pas à se renier, mais de refuser de vivre ici comme si on était là-bas.» (TM, 33)
Il est donc question ici d’une étape cruciale, véritable point d’articulation à partir duquel se détermine l’intégration de l’immigré dans la société d’accueil. En effet, l’immigré ne peut qu’y trouver le moteur nécessaire à une dynamique qui le porte à s’investir dans son cheminement et à ainsi s’approprier son nouvel environnement. Cette appropriation passe par une phase d’observation attentive et minutieuse où se joue la question du regard. Regard perçant, plein d’acuité sur la société d’accueil, à l’instar du regard tranchant du Persan de Montesquieu, certes; mais qui s’effectue dans une sorte de dialectique bidirectionnelle, c’est-à-dire qui n’exclut pas de se retourner, de réfléchir sur soi. Telle est la plus grande vertu de l’exil, que la promesse de ce double regard dialectique, tant percutant sur l’autre que lucide sur soi.
Regards: jeu(x) de miroir
Dans cette magistrale école de la vie qu’est l’exil, le nouvel arrivant dispose dans son jeu d’un atout essentiel: le regard. Tout comme en littérature —où l’importance du regard n’est plus à démontrer15Ne pourrait-on pas considérer la littérature comme étant une affaire de regard? Littérature portée par des écrivains qui, chacun à sa manière, posent un regard sur le monde.—, la réussite de l’immigré dans sa volonté farouche d’intégration dans la société d’accueil est d’abord avant tout une affaire de regard, c’est-à-dire d’observation. En effet, la capacité d’insertion dans une société relève du niveau d’intelligibilité que l’on a des rouages de son fonctionnement. En clair, on ne saurait espérer s’insérer dans une société si on ne fait pas l’effort de la comprendre. Et pour la comprendre, il faut l’étudier, c’est-à-dire l’observer et le natif n’est nullement exempté de cet effort, de cette exigence de compréhension, ainsi que le déclare le narrateur: «On ne comprendra pas un pays même si on y est né, si on ne l’a pas étudié.» (TM, 56)
Pour ce faire, l’immigré doit s’inspirer de la figure du Persan de Montesquieu, en adopter la posture, pour observer la société d’accueil qui, de prime abord, se dérobe à lui sous quantité de non-dits qu’il va pourtant falloir décrypter et décoder pour s’y tailler une place. C’est que ces non-dits s’érigent comme autant de frontières —certes invisibles, mais pas moins difficiles à franchir— entre l’immigré et son nouvel environnement. En fait, ces non-dits se révèlent à l’immigré dans le paradoxe d’une dialectique de la fermeture et de l’ouverture: fermeture dans la mesure où ils sont à considérer comme frontières, ainsi qu’on l’a dit plus haut, mais en même temps ouverture, en ce sens que leur décryptage se veut sésame permettant d’ouvrir grand les portes de la société d’accueil au nouvel arrivant. En somme, avant d’enfiler la peau du Persan, l’immigré, à l’arrivée, face aux portes de son nouveau pays, est à l’image d’Œdipe confronté à l’énigme du Sphinx aux portes de la cité de Thèbes.
Cela dit, si la perspicacité dont fait preuve le futur roi de Thèbes face au Sphinx lui offre les clés de la cité et l’accès au trône, celle dont fait preuve l’immigré face à l’énigme de la société d’accueil lui offre, non l’accès à quelque trône royal, mais l’assurance, la certitude d’une transformation intérieure, d’ordre ontologique, qui lui permet de changer de statut, c’est-à-dire de passer du statut d’étranger —suspect, aux mœurs étranges— à celui d’autochtone, désormais intégré au groupe que forme la majorité, groupe si souvent désigné par tel pronom à la double valeur tant collective qu’exclusive16Exclusive dans la mesure où l’usage de ce pronom active immédiatement le réflexe du rejet, de l’exclusion de tous ceux qui ne font pas partie de ce bloc dans la radicalité d’une altérité absolue qu’incarne le pronom «eux».: «nous».
Nous parlions plus haut de perspicacité comme qualité principale indispensable à l’immigré pour lire son nouvel environnement. En fait, outre la perspicacité, le nouvel arrivant doit faire preuve d’abnégation, de persévérance et, surtout, de patience, vertus nécessaires au décryptage de ce code invisible dans lequel se cachent les secrets bien gardés du pays d’accueil. On pourrait, à ce sujet, reconvoquer l’allégorie de la caverne si chère au philosophe grec Platon, qui décrit le mieux la situation17Dans son acception la plus sartrienne. de l’immigré à son arrivée dans le pays d’accueil, contraint au départ à s’y engager dans une sorte de jeu de dupes à propos duquel le narrateur attire l’attention du lecteur: «Les gens qui n’ont jamais quitté leur pays ne peuvent savoir ce qu’il coûte de se retrouver dans un jeu dont on ignore les règles.» (TM, 191) C’est le paradoxe d’un jeu dont l’immigré ignore les règles, certes, mais au bout duquel il doit pourtant sortir vainqueur. C’est que, pour espérer triompher dans ce jeu aux allures de course à obstacles invisibles, le nouvel arrivant a besoin d’un coup de pouce du destin, sous la forme d’un adjuvant, prêt à lui livrer, en toute générosité, les secrets du pays.
Tel est le rôle que joue le narrateur, devenu autochtone, porté non pas moins par tel élan de générosité que par la légitimité fondée sur la force d’une expérience forgée par quarante années de vie au Québec. À ce titre, le narrateur mentor fait partie intégrante de la majorité au nom de laquelle il parle aussi. En ce sens, il porte (lui aussi) la voix du Québec et, à travers lui, c’est le Québec ou, si l’on veut, la majorité québécoise qui s’adresse à Mongo et se dévoile au nouveau venu.
Il importe de s’appesantir sur quelques aspects qui entrent en considération dans l’appréciation de cette dynamique relationnelle. Il y a la forme dans laquelle se présente ce discours, sorte de cours magistral sur l’histoire sociale, politique et culturelle du Québec, livré sous forme narrative, sur le mode du récit. On pourrait alors se poser la question de savoir pourquoi avoir privilégié le choix du récit comme modalité de livraison de ce cours magistral. C’est qu’à travers cette narrativité, le mentor escompte inscrire l’immigré dans le grand récit national, dans un double souci d’intégration et de transmission.
Intégration d’une part, dans la mesure où l’exposition à ce grand récit national participe de son immersion dans un bouillon culturel, immersion au terme de laquelle le nouveau venu va développer un sentiment d’appartenance à la société d’accueil. Transmission, d’autre part, car cette immersion suppose appropriation, dans le sens de l’adoption d’une culture reçue comme flambeau à transmettre aux générations futures. Outre la forme narrative dont nous parlions plus haut, il y a le narrateur de ce récit, porteur d’une énonciation dont la force pragmatique réside en son vécu expérientiel. Une énonciation qui, se refusant à toute verticalité18Nous disions au début de cette réflexion que l’intérêt de cet ouvrage réside précisément dans le fait que nous avons affaire à un discours sur l’immigration qui n’émane nullement des diverses officines gouvernementales consacrés aux questions d’immigration; discours justement troué de non-dits que vient combler le livre de Dany Laferrière., situe les différents acteurs, protagonistes dans une horizontalité19Cela veut dire que les deux protagonistes, le narrateur mentor et le nouvel arrivant, se situent sur le même plan, à la seule différence qu’il y en a un qui a précédé l’autre. de bon aloi, tous deux renvoyés, bien qu’avec des années d’intervalle, à l’expérience de leur arrivée comme immigrés dans le pays d’accueil.
Si, pour le nouvel arrivant, l’expérience de l’arrivée relève de la nouveauté20Avec tout ce que cela porte comme enthousiasme dans la phase de la lune de miel où l’immigré, émerveillé par son nouvel environnement, voit tout en rose et a soif de découvrir., pour le mentor en revanche, elle réfère au souvenir d’une vie écoulée au fil des ans. Une vie au cours de laquelle s’est acquis un savoir fondé sur un parcours sans faute dont peut se prévaloir le mentor comme modèle positif, lequel modèle dont l’épaisseur expérientielle a pour vocation de susciter une plus grande identification auprès du nouvel arrivant. Dès lors, le vécu expérientiel du mentor n’a de résonance pour le nouveau venu qu’en ce sens qu’elle revêt une portée maïeutique, dans la mesure où elle va éclairer le parcours de l’immigré, désormais sensible et soucieux du regard qu’il pose sur la société d’accueil.
Regard perçant, avions-nous dit plus haut, affûté suffisamment par un narrateur mentor avide d’ouvrir les yeux du nouvel arrivant en l’éclairant sur les réalités de son (nouvel) environnement. Aussi fait-il le choix de s’appesantir sur les non-dits dans lesquels s’enferme et se protège la société d’accueil. On pourrait alors s’interroger sur ces silences pourtant lourds de sens. Devrait-on y lire l’expression de quelque signe de méfiance mêlée de cynisme de la société d’accueil vis-à-vis d’un hôte étrange? Voire l’hypocrisie d’une société obstinée à se barricader derrière des valeurs refuges et exclusives, malgré la proclamation de discours officiels prônant (la) tolérance et (l’)ouverture? Certes; mais peut-être devrait-on plutôt y voir l’espace de la marge de manœuvre nécessaire à l’immigré pour s’exprimer, c’est-à-dire pour laisser libre cours à son volontarisme dans l’effort de découverte et de rapprochement par rapport à la société d’accueil. Rapprochement comme prix à payer: contribution de l’immigré en échange de l’accueil qui lui est réservé, accueil dont la chaleur se mesure au degré d’investissement du nouvel arrivant dans son effort de découverte et de rapprochement. Dérobades d’un côté, volontarisme de l’autre: deux aspects essentiels au cœur d’un jeu dont l’équilibre repose sur une dimension transactionnelle au fondement d’une aventure ancrée aux sources même de l’humanité.
Il faut dire qu’on se retrouve ici dans un jeu sous la forme d’une valse ou d’un tango atypique où l’un des partenaires se dérobe tandis que l’autre avance, le regard flou, masqué par le voile de non-dits qu’il va devoir déchirer pour s’accorder à cette partenaire si fuyante, susceptible de lui glisser entre les mains au moindre déficit d’attention. Ainsi, plutôt que de se donner comme points de suture d’une société encline à l’homophilie, ces non-dits, ces silences, proposent une ouverture dans le sens où ils aménagent un espace d’apprentissage à l’immigré, contraint par l’exil, à se (re)mettre à la longue et dure école de la vie21À s’en tenir au cas du narrateur, cette école de la vie s’est étalée sur un cycle qui a duré pas moins de quatre décennies..
Une école dont les effets agissent sur l’intériorité de l’immigré apprenant, porté par une dynamique de transformation au bénéfice d’une flexibilité à même de favoriser en lui l’adjonction de strates supplémentaires de couches identitaires. Mais encore faut-il relativiser la portée de ce gain symbolique et culturel dans le parcours de l’immigré, parcours qu’il faut considérer dans sa globalité, c’est-à-dire sur un double plan, à la fois ontologique et économique. En effet, d’un côté, il y a gain (sur le plan ontologique); de l’autre, perte, en rapport à l’exploitation dont peut être victime l’immigré, bien souvent livré en pâture aux rouages du système de l’économie (néo)libérale. Mis en situation de précarité22On parle ici de l’immigré ordinaire (qu’il soit réfugié politique ou immigré économique) et non de l’immigré investisseur à qui l’on déroule le tapis rouge et pour qui on accommode les lois dans le but d’attirer son investissement. durant ses premiers pas à son arrivée au Nord, l’immigré, dans le système néolibéral, n’est qu’une sorte de joker dans la manche du capitalisme, destiné à servir d’instrument à partir duquel s’effectue le brassage des cartes de la (re)distribution des classes sociales au Nord, dans les pays industrialisés, sous la menace constante des syndicats. Ce qui fait dire au narrateur que:
Les syndicats devenant de plus en plus gourmands, le capitalisme occidental cachait ce joker dans sa manche: ces hordes d’affamés qui pouvaient à tout moment remplacer les honnêtes ouvriers du Nord. L’immigré remplace l’ouvrier. Cet ouvrier abusé qui croit que l’immigré lui vole son travail, alors que celui-ci ne fait que le remplacer dans une situation intolérable, pour que ce dernier puisse grimper d’une marche l’échelle sociale —s’il peut exister une échelle dans l’enfer de l’usine. (TM, 36)
Ouvrier et immigré, tous deux dindons de la farce d’une machine néolibérale impitoyable envers ces catégories sociales non seulement qu’elle fragilise, mais qu’elle incite également à se regarder en chiens de faïence. En ce sens, et si tant est qu’elle ait quelque once de réalité, la théorie du grand remplacement23Pour schématiser, la théorie du grand remplacement s’articule autour de l’idée selon laquelle une population dite de souche (établie dans un territoire qui lui appartiendrait) soit remplacée par une population venue d’ailleurs. Cette théorie a été popularisée par l’essayiste français Renaud Camus à travers ses ouvrages, notamment La Grande Déculturation, publié en 2008 chez Fayard, Le grand remplacement, publié pour la première fois en 2011 à Neuilly-sur-Seine aux éditions David Reinharc (ouvrage plusieurs fois réédité) ou encore France. Suicide d’une nation en 2014, publié chez Mordicus, pour ne citer que ceux-là., défendue non sans ardeur par des groupes conspirationnistes ultraconservateurs, n’est pas tant à envisager dans une perspective démographique et identitaire que dans une perspective économique et sociale. En réalité, bouc émissaire dont la présence en Occident suscite peurs, fantasmes et autres angoisses identitaires, l’immigré est pourtant la sécrétion d’une machine néolibérale d’une profonde iniquité vis-à-vis des pays du Sud, facteur de névralgies sociales et politiques à l’origine du déplacement de hordes désespérées en direction du Nord. Déplacement vers le Nord —avec tous les drames24Il ne se passe pas de jour sans naufrage sur la Méditerranée, transformée en immense cimetière pour migrants venant du Sud qui tentent de rallier le Nord sur des embarcations de fortune, quand ils ne sont pas coincés en Lybie par des groupes mafieux et vendus comme esclaves. qui en font la pâture d’une actualité tragique— inductif d’une double perception contrastée du Sud comme hémisphère infernal et du Nord comme refuge, abri paradisiaque25Perception qui a inspiré un titre au roman de l’écrivain Jean-Roger Essomba, Le paradis du nord, publié en 1996 chez Présence Africaine et qui traite précisément des désillusions de l’immigration, notamment de la perception du Nord comme paradis..
Toutefois, bien que suscitant dans l’imaginaire le fantasme du paradis, le Nord ne manque pas lui non plus de névralgies; il porte lui aussi ses propres points de crispation que l’immigré ignore, emporté par l’euphorie au moment de son arrivée. Ces aspérités constituent l’envers d’un décor voulu le plus lisse possible, à lui présenté à la faveur de discours officiels, mais que l’immigré se doit de retourner comme un gant afin de pouvoir découvrir le pays dans sa réalité la plus nue. Ainsi se trouve-t-il embarqué dans une démarche heuristique déterminante pour son salut dans le pays d’accueil.
Ici intervient un acteur clé, fondamental dans ce processus heuristique, le mentor, sorte de médiateur culturel dont le vécu expérientiel inspire le survenant26Difficile de ne pas penser ici au roman Le Survenant de la québécoise Germaine Guèvremont, classique (québécois) de la littérature du terroir publié en 1945 chez Beauchemin. dans la traversée entre deux cultures, la sienne propre et celle du pays d’accueil. Traversée culturelle inhérente à un double voyage tant physique27L’immigré quitte son pays, son milieu ou, pour parler comme Dany Laferrière, son «bain naturel» pour s’installer ailleurs, dans un autre. que symbolique, facteur d’une mue ontologique censée le transformer dans le regard du natif; regard du natif sur l’immigré qui devient lui-même l’objet d’une transformation dans le sens où il expulse le survenant de l’altérité28Altérité qui incite le natif à désigner le survenant par le pronom «eux», dont la dimension expulsive le rejette hors des frontières de la communauté. radicale à travers laquelle il était perçu à l’arrivée pour l’inscrire dans la communauté29Inscription dans la communauté qui permet à l’immigré bien infiltré, à l’exemple du narrateur mentor de l’ouvrage de Dany Laferrière, de se reconnaître dans le pronom inclusif «nous» qui renvoie à la majorité..
En somme, il s’agit d’un regard affiliant dans la mesure où il fait rentrer, au terme d’un long processus30Quarante ans, faut-il le rappeler, pour ne s’attarder que sur le cas du narrateur mentor., dans une filiation où l’immigré, au fur et à mesure, passe de la visibilité flagrante d’une étrangeté suspecte à la transparence31Transparence dans le sens où débarrassé des aspects de son étrangeté, le survenant, désormais intégré dans le «nous», devient transparent, c’est-à-dire invisible (il ne fait plus partie de la minorité visible) dans la mesure où il peut désormais se fondre dans l’anonymat de la foule. de l’appartenance au groupe majoritaire. Mais encore faut-il, pour que survienne le plus vite possible cette affiliation, être à l’affût, c’est-à-dire placer tous ses sens en éveil pour recevoir et appliquer avec attention les conseils du mentor, livrés ici sous la forme d’un cours magistral32Cours magistral en l’occurrence sur le Québec. à partir duquel l’immigré va pouvoir décrypter les codes culturels de la société d’accueil.
Une leçon magistrale sur le Québec
De par la nature de son sujet et surtout de par la manière dont il est traité, Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo ne résiste pas à la grille d’une lecture didactique étant donné qu’il se donne justement comme un cours, une leçon magistrale sur l’histoire sociale, politique et culturelle du Québec contemporain. Le livre ne cache d’ailleurs pas ses prétentions didactiques, sa dernière partie se déclinant sous le mode du manuel, sorte de bon usage à destination de l’immigré désireux de «s’infiltrer dans une nouvelle culture». Ce faisant, le livre nous entraîne avec finesse à la découverte d’un pays et d’un peuple, à bien des égards, fascinant. La critique ne s’y est pas trompée, elle qui a vu dans cet ouvrage l’expression de l’amour de Dany Laferrière pour son pays d’adoption. Chantal Guy du quotidien La Presse parle d’une «longue lettre d’amour au Québec33Le commentaire de Chantal Guy ainsi que ceux de toutes les autres qui ont suivi se retrouvent sur le site de Mémoire d’encrier, à la page consacrée à Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo et que l’on peut consulter ici.». Danielle Laurin du Devoir affirme que «c’est fait avec humour, et beaucoup d’amour». Marie-Louise Arsenault34Animatrice de l’émission littéraire Plus on est de fous, plus on lit. de Radio Canada parle d’un «livre plein de tendresse pour notre territoire. […] Un livre très touchant». Patricia Powers, chroniqueuse littéraire à l’émission «Chez nous le matin» de Radio Canada parle d’un «regard plein de respect et d’amour sur le Québec». Marie-France Bornais du Journal de Montréal affirme qu’avec l’ouvrage de Dany Laferrière, «on retrouve avec plaisir le ton à la fois léger et sérieux de cet écrivain d’exception, son amour pour le Québec et pour la vie […]». Valérie Lessard du journal Le Droit, pour clore ce florilège non exhaustif, affirme qu’avec Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo Dany Laferrière «signe […] une longue lettre d’amour à la Belle Province». Toutefois, à la nuance des autres, Lessard précise qu’il n’est pas pour autant question d’un amour aveugle et conclut son commentaire en disant que «le regard qu’il pose sur la société québécoise se fait donc aussi tendre qu’incisif».
On pourrait s’interroger sur ce point de convergence autour duquel s’accorde unanimement la critique35Cet article porte précisément l’ambition d’élargir le prisme de la critique, qui n’a vu dans cet ouvrage qu’une déclaration d’amour au Québec, occultant par le fait même l’essentiel, à savoir la démystification de la culture du pays d’accueil, qui est toujours une culture du non-dit. Cette focalisation autour d’une lecture sentimentale (la déclaration d’amour) ne trahit-elle pas le désir inconscient de la société d’accueil à vouloir être caressée dans le sens du poil par telle manifestation de gratitude de l’immigrant?. Cette unanimité autour de l’expression d’un amour qui déborde de l’ouvrage de l’académicien ne serait-il pas à mettre en relation avec quelque stylistique de la relation? Stylistique à comprendre comme le style ou, si l’on veut, la manière dont l’immigré, souvent victime de la double accusation de trahison36Traître par rapport à la patrie, c’est-à-dire à son pays natal. et d’ingratitude37Ingratitude par rapport au pays d’accueil à qui il a du mal à dire merci., envisage la relation avec le pays d’accueil, relation qu’il se doit de poétiser s’il veut éviter de se noyer dans l’écume de l’amertume et du ressentiment38Amertume et ressentiment qui surgissent bien vite face aux murs auxquels se heurte l’immigré dans son long parcours d’intégration.. En fait, poétiser sa relation avec les gens du pays d’accueil est un impératif pour l’immigré qui entend être en concordance avec eux et pouvoir, en toute spontanéité, leur dire merci. Le conseil du narrateur à ce propos n’en est que plus clair: «Je crois que l’immigré devrait, s’il veut poétiser sa relation avec l’autre, prendre la peine en arrivant de dire merci aux gens qui l’ont si chaleureusement accueilli, avant de s’incliner devant la loi.» (TM, 151)
Nous disions plus haut que le livre de Dany Laferrière braque la lumière sur l’histoire sociopolitique et culturelle du Québec contemporain. Et la focalisation de la mire sur la triple dimension sociale, politique et culturelle en valorise l’appréciation à partir du prisme de la transformation. Transformation culturelle39Nous envisageons la culture ici dans sa globalité, dans son sens le plus extensif possible pour recouvrir tous les aspects de la vie sociale, politique ou culturelle. qui non seulement affecte les mentalités, mais aussi l’identité, au contact de l’étranger venu s’établir. Odile Tremblay, chroniqueuse au journal Le Devoir, a bien perçu la puissance dialectique de cette transformation quand elle affirme: «[…] L’exil transformera le nouveau venu. Les vieux enfants du sol à son contact également» (Tremblay 2015).
La dialectique de cette transformation dont les effets se répercutent tant sur le natif que sur le nouveau venu tient d’un processus qui relève de l’apprivoisement mutuel. Natif et immigré issus de deux mondes distincts, mais dont les destins, du fait de l’immigration, finissent par se croiser. Voguant au départ dans deux navires qui se tournent le dos, les voilà tous deux embarqués dans le même bateau, contraints à vivre ensemble dans un territoire qu’ils ont désormais en partage. Mais bien plus que le territoire, la communauté de destin implique de partager la même histoire, une histoire suffisamment ouverte, toujours à écrire, pour inclure l’immigré, nouveau venu dans le grand récit national.
Certes, la réalité de cette inclusion dépend de la capacité d’ouverture de la société d’accueil; mais elle se détermine aussi par le volontarisme du nouveau venu et plus particulièrement par l’écho, la résonance que ce récit national suscite auprès de lui. Ainsi est-il question pour l’immigré de s’imprégner des mythologies du pays d’accueil, en l’occurrence, le Québec. Pour revenir à ce cas plus précis qu’est le Québec, force est de constater que toutes ses mythologies40Tant sur le plan social, politique que culturel. s’articulent autour d’un événement central: la Révolution tranquille.
Révolution tranquille41Les analyses sur la révolution tranquille résultent ici des propos du narrateur dans le texte. à considérer comme foyer d’origine d’un cataclysme socio-politique aux effets majeurs dans la mesure où ils ont bouleversé le Québec dans toute sa profondeur. En fait, la Révolution tranquille comme événement marquant de l’histoire du Québec s’avère être le fil conducteur à partir duquel s’est tissé le remodèlement de la société québécoise. Pour avoir une meilleure appréciation de la notion, il faut retourner à l’examen sémantique d’une formule —censée décrire un événement social et politique— basée sur l’association de deux mots antinomiques dont la conjonction relève de quelque oxymore. En effet, à brosser très rapidement le portrait à grands traits, autant le mot «révolution» —avec toute la charge explosive qu’on lui attribue— réfère à tout ce qui relève de l’effervescence sociale avec ses troubles, sa violence et son caractère parfois sanglant42Pensons simplement ici à la Révolution française (pour ne citer que celle-là) qui aura coûté la tête (au propre comme au figuré) de Louis XVI et mis fin à la monarchie., autant l’épithète «tranquille», en contraste, renvoie à tout ce qui a trait au calme, à la mesure, à la pondération, à l’apaisement, à la tranquillité…
Transparaît déjà en filigrane ici le principal trait de caractère propre à la mentalité du Québécois comme issu d’un peuple porté sur la pondération, mais en même temps enclin à de brusques et surprenants soubresauts dès lors que sa patience, pourtant difficile à émousser, est mise à rude épreuve. Cela dit, la Révolution tranquille, foyer de toutes ces transformations sociétales survenues en douceur, sans violence, suture une bipartition chronologique de l’histoire du Québec en deux temps forts: un avant et un après.
Un avant qui renvoie loin en arrière dans le temps, rattaché à l’obscurantisme associé au duplessisme43Idéologie issue du régime politique incarné par Maurice Le Noblet Duplessis qui fut premier ministre du Québec de 1936 à 1939 et de 1944 à 1959. Pour aller très vite, son règne politique est associé à ce qu’au Québec on a appelé la «Grande Noirceur». comme période centrée sur des valeurs sociales ultraconservatrices, avec la toute-puissance de l’Église et du clergé dans sa (con)fusion avec l’État. Il est question d’une société bloquée, sous la chape de plomb d’un conservatisme social et culturel dont l’ancrage religieux ne symbolise pas moins la réalité d’une «Grande Noirceur» que le sentiment d’une domination économique imprimée par l’autre, c’est-à-dire l’Anglais44Dans un Canada dont le bilinguisme officiel renvoie à deux peuples fondateurs, la teneur de l’identité assignée est d’ordre linguistique. En ce sens, l’Anglais réfère au Canadien de langue anglaise (ou anglophone), souvent inscrit dans une relation hégémonique avec le francophone qui, lui, se trouve en situation de minorité..
L’arrivée au pouvoir de Jean Lesage en 1960 ne signe pas seulement la fin du duplessisme; elle permet aussi au Québec de prendre un virage socioculturel majeur dont le symbole le plus patent transparaît dans le volontarisme autour de la nationalisation de l’hydroélectricité45L’évocation de l’hydroélectricité ramène à l’esprit la méga centrale hydroélectrique de la Baie-James qui a favorisé l’industrialisation du Québec., agissant ici comme la métaphore la plus vive pour illustrer le combat contre l’obscurantisme de la Grande Noirceur. En fait, bien plus qu’un virage social fondé sur une affirmation économique46Volonté d’affirmation qu’exprime le slogan «maître chez nous» attribué à Jean Lesage. De plus, cette volonté d’affirmation économique est également passée par la création des Caisses populaires Desjardins pour asseoir une autonomie dans le financement de l’industrialisation du Québec., il est davantage question d’une révolution culturelle qui appelle à une transformation des mentalités, transformation d’où transparaît l’inclination du peuple québécois pour le sens du collectif. En effet, dans un continent nord-américain où la primauté est accordée à l’affirmation individuelle47Primat de l’individu qui, en fait, cache mal la tolérance de la société nord-américaine pour les inégalités sociales., l’exceptionnalité québécoise ne réside pas moins dans la dimension linguistique48C’est la seule province francophone en Amérique du Nord. que dans le choix d’un modèle politique autour d’une social-démocratie qui refuse les inégalités sociales et entend, le plus équitablement possible, prendre soin de tous. Ainsi faut-il comprendre les propos du narrateur au sujet de ce modèle québécois décrit comme:
Un combat mené surtout contre l’obscurantisme qui maintient en état d’isolement. Et donne à l’individu ce sentiment d’infériorité. Le Québec mène courageusement cette guerre depuis une cinquantaine d’années. Et c’est d’autant plus difficile qu’il entend avancer en ne laissant personne derrière. (TM, 28)
Ainsi le Québec rentre-t-il dans la modernité, éclairé par les lumières que symbolise la Baie-James, modernité au nom de laquelle va s’opérer sa laïcisation, c’est-à-dire la séparation entre l’Église et l’État. C’est le fondement de la restructuration du modèle sociopolitique québécois soutenu par une laïcité à partir de laquelle s’opère la transformation radicale de la société. Dès lors, exit l’Église et sa morale religieuse et place à la laïcité et à ses valeurs49Comment ne pas penser ici à la très controversée «Charte des valeurs québécoises» proposée et défendue en 2013 par Bernard Drainville, ministre responsable des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne dans le gouvernement péquiste de Pauline Marois, charte dont l’objectif, pour aller très vite, s’articulait autour de la création d’une société laïque —avec la séparation complète de l’Église et de l’État— et dont la mesure la plus emblématique est l’interdiction du port de tout signe religieux visible et à caractère démonstratif par tous les employés de l’État dans le cadre de la prestation de services. Après avoir été abandonné avec la défaite du Parti québécois aux élections provinciales d’avril 2014, le projet sera repris avec l’arrivée au pouvoir en octobre 2018 de la Coalition Avenir Québec (CAQ) de François Legault, présenté à l’Assemblée nationale du Québec (projet de loi 21, Loi sur la laïcité de l’État) et adopté sous bâillon le 16 juin 2019.. En réalité, le processus de laïcisation du Québec ne se veut pas moins effacement du religieux, comme de ses symboles de l’espace public, qu’ouverture de brèches favorables aux demandes allant dans le sens d’une plus grande libéralisation de la société, demandes issues de divers mouvements de la société civile à l’instar de mouvements féministes dont la montée en puissance a milité pour l’égalité entre les hommes et les femmes.
Outre la laïcisation de la société —qui s’avère être un de ses effets majeurs—, la Révolution tranquille va favoriser l’expression d’une affirmation culturelle à travers la défense et la protection de la langue française50Langue française comme point de crispation de l’identité québécoise. avec l’adoption de la loi 10151La Charte de la langue française ou loi 101 (dont Camille Laurin, ministre d’État au développement culturel, fut le grand artisan) est adoptée le 26 août 1977 par le gouvernement péquiste de René Lévesque; loi dont l’Office de la langue française assure l’application. C’est également la loi qui fait du Québec la seule province francophone du Canada et, plus largement de l’Amérique du Nord; elle couvre plusieurs secteurs, à savoir l’éducation, la justice, l’affichage, le travail et l’administration.. L’exceptionnalité que confère la loi 101 à la province du Québec au Canada (et plus largement en Amérique du Nord) ne couvre pas que la dimension linguistique et culturelle. Elle s’étend aussi à la dimension politique avec la présence d’un courant souverainiste animé par des partis indépendantistes52À l’exemple du Parti québécois (PQ), du Bloc québécois (sur la scène politique fédérale canadienne) ou encore de Québec solidaire (QS) pour ne citer que ces partis-là., dont la ferveur s’est manifestée lors de deux consultations référendaires53Il s’agit des consultations référendaires de 1980 et de 1995., toutes deux soldées par l’échec du camp souverainiste. On ne saurait donc comprendre le Québec contemporain si on ne prend pas en considération cette ligne de fracture (politique) à la base d’une bipartition entre souverainistes54C’est-à-dire ceux qui veulent proclamer la souveraineté du Québec comme pays indépendant, détaché de la fédération canadienne. et fédéralistes55Ceux qui proclament l’attachement du Québec à la fédération canadienne., incarnés par deux figures emblématiques, celle de René Lévesque56Né le 24 août 1922 et décédé 1er novembre 1987, René Lévesque fut un membre influent du gouvernement de Jean Lesage durant la Révolution tranquille avant de créer le Parti Québécois au nom duquel il devient premier ministre du Québec de 1976 à 1985. et celle de Pierre Elliott Trudeau57Né le 18 octobre 1919 et décédé le 28 septembre 2000, Pierre Elliott Trudeau fut premier ministre du Canada de 1968 à 1979 et de 1980 à 1984., dont le narrateur brosse, non sans finesse, un double portrait croisé inédit. À l’instar de la langue, cette ligne de faille —que contribue à entretenir la fracture entre le désir indépendantiste et l’allégeance au fédéralisme canadien— s’avère être un des points de crispation de la sensibilité québécoise, points de crispation qui devraient inciter le nouvel arrivant à beaucoup plus de prudence ainsi que le prévient le narrateur. En ce sens, comme la langue et la religion, le débat politique, pris en otage au Québec par un tel affrontement manichéen entre partisans de deux camps irréconciliables, est une zone hautement sensible, vaste champ de mines où risque d’exploser le nouvel arrivant peu au fait de cette bipolarisation séculaire. Les conseils du narrateur n’en sont donc que plus clairs:
[…] Alors, observez avant de donner votre opinion, car vous ne pourrez plus la reprendre. Ici les gens ne parlent pas pour parler, ni ne jasent pour jaser. Ils prennent au sérieux les mots, d’où l’importance du silence. Si vous vous prononcez, vous serez dans un camp jusqu’à la troisième génération. Et vos enfants ne pourront se dégager de cette entrave. (TM, 222)
En somme, chaque société a ses points de dissension et le Québec, à travers l’expression de l’affrontement entre souverainistes et fédéralistes, ne fait pas exception à la règle. Aussi la laïcité, dans l’histoire du Québec, apparaît-elle comme un élément central dont la force conciliatrice cristallise la part des enjeux identitaires dans la dynamique d’un Québec qui se veut moderne. Passé le temps de l’homogénéisation par le religieux, voici venu celui de l’homogénéisation par le partage et l’acceptation de valeurs communes. Maîtrise de la langue française, respect de l’interdiction du port de signes religieux dans l’espace public, respect du principe de l’égalité entre les hommes et les femmes58Avec tout ce que cela a comme corollaires; par exemple le rééquilibrage de la relation entre les hommes et les femmes avec tout ce qu’elle suppose de principe paritaire, ou encore la délicate question du consentement sexuel pour ne citer que ces points-là.… telles sont les valeurs cardinales auxquelles doit désormais souscrire tout candidat à l’immigration au Québec. Il est donc question d’un Québec résolument ancré dans la modernité, dont la transformation n’a pas échappé à l’observateur averti qu’est le narrateur. Un narrateur fin observateur, disions-nous, dont le regard d’aigle sur la société d’accueil ne manque pas de se retourner, par la vertu d’un principe dialectique, sur la société d’origine: double regard croisé, mû par le moteur d’un comparatisme de bon aloi, pour une meilleure appréciation du chemin parcouru. En ce sens, destiné au jeune Mongo, ce livre n’est pas moins la marque de quelque générosité de la part de son auteur que le souci de lui montrer la voie et surtout, de passer le témoin à la jeune génération dans une dynamique de transmission. En témoigne la dédicace au jeune Camerounais en exergue de la dernière partie du livre, intitulée «Comment s’infiltrer dans une nouvelle culture»: «À Mongo/ si impatient de comprendre/ son nouveau pays que/ ce sera à lui/ dans vingt ans/ de nous présenter/ le prochain Québec./ DL» (TM, 187)
Ainsi, s’inscrire dans un processus de transmission ne se veut pas moins le désir pour l’immigré d’exprimer, en toute sincérité, le désir de faire souche, de faire racine avec le natif, que de porter l’ambition de contribuer, par sa présence, à la transformation de son nouveau pays. Pour ce faire, le nouvel arrivant doit passer par un long processus initiatique sous forme de parcours imposé aux allures de course dont les obstacles, à franchir les uns après les autres, lui donnent l’occasion de s’investir dans son nouvel environnement. Il y a d’abord l’étape préalable, mais non moins cruciale, de l’observation; viennent ensuite les phases d’immersion avec tout ce que cela suppose d’appropriation, c’est-à-dire d’intériorisation des valeurs du pays d’accueil, laquelle intériorisation constitue l’aboutissement d’un parcours migratoire au double effet transformationnel, tant pour l’immigré lui-même qui change de statut ontologique —qui passe de l’altérité du «eux» à l’appartenance du «nous»— que pour le pays d’accueil qui, lui aussi, se transforme par sa présence. Faire souche avec le natif ne signifie pas seulement être enfin du pays, comme Gilles Vigneault parle des «gens du pays59Célèbre chanson de Gilles Vigneault, composée en collaboration avec Gaston Rochon qui en a co-écrit la musique, souvent associée à la ferveur nationaliste du peuple québécois.». En effet, faire souche commande à celui qui fut jadis immigré de mettre sa créativité, son inventivité à la disposition de son pays d’adoption60Il faut le voir comme une adoption mutuelle: l’immigré adopte son nouveau pays comme celui-ci adopte l’immigré., laquelle l’amène à se situer aux antipodes du fameux adage romain: «à Rome, fais comme les Romains61Citation attribuée à Ambroise de Milan au 4e siècle, en réponse à la question que lui aurait posée saint Augustin, alors en voyage à Rome, à propos du jour de repos qui à Milan se prenait le samedi et le dimanche à Rome. Réponse d’Ambroise de Milan: «si fueris Romae, Romano vivito more; si fueris alibi, vivito sicut ibi».». Si, comme le prétend le narrateur, «Rome n’est pas le bon exemple» (TM, 245), alors le survenant, pour contribuer à la transformation et au développement de son nouveau pays, doit-il le conquérir, à l’image d’un Mongo plein d’enthousiasme et d’énergie, bien décidé à prendre sa place en Amérique.
Moi aussi, je suis l’Amérique
La critique, comme nous le disions plus haut, a lu Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo comme «une longue lettre d’amour au Québec». Il est vrai que l’on peut envisager cet ouvrage à travers le prisme de la gratitude, celle d’un auteur qui, plus que quiconque, a su poétiser sa relation avec ce pays qui l’a si chaleureusement accueilli au point où il s’est infiltré en lui, comme il le déclare lui-même: «Après quarante ans de présence ici, je peux dire que le Québec s’est glissé sous ma peau. J’en parle du dedans aujourd’hui. La glace circule dans mes veines. J’y ai appris tant de choses. Tout d’abord, le sens du temps présent.» (TM, 284) Certes. Mais en réalité, on pourrait bien procéder à plusieurs grilles de lecture et envisager cet ouvrage à travers un double prisme: celui de la gratitude (déjà évoqué plus haut) et celui, non moins important, de la transmission, lequel prisme illustre le sens de l’altérité du narrateur, sens qui lui vient, ainsi qu’il l’affirme dans le livre, de son amour pour l’écrivain français Diderot. En fait, parler de transmission —étant donné que le livre est dédié au jeune Mongo— revient à parler de l’avenir. À bien y regarder de près, l’avenir s’avère être le moteur le plus puissant dans le choix de l’immigré de partir en exil, de se lancer dans cette aventure incertaine qu’est l’immigration. En fait, l’immigré est tendu vers l’avenir ou, pour être plus précis, fait le pari d’un meilleur avenir à la fois pour lui, mais aussi et surtout, pour ses enfants. Aussi est-il prêt à prendre tous les risques62Il n’y a qu’à penser à tous les naufrages qui ont transformé la méditerranée en un vaste cimetière pour migrants ou à la résurgence de ces foires de migrants transformés en esclaves que l’on vend tel du bétail en Libye, résurgence qui ramène à un esclavagisme que l’on croyait pourtant révolu., à faire tous les sacrifices, à subir toutes les humiliations, tous ces aspects souvent source chez les immigrés de malentendus (inter)générationnels entre enfants et parents. Des parents doublement victimes non seulement de la condition d’ouvrier que leur impose la dure réalité de l’immigration, mais aussi du regard plein de mépris de leurs propres enfants. Et le narrateur de dire:
Au lieu d’être impressionnés par l’effort fourni par leurs parents, ces jeunes n’ont vu que les humiliations, les nuits de veille, les blessures. Et ils ont pris parti de mépriser ce mode de vie. Là où il y a de l’honnêteté, ils n’ont vu que de la soumission. Pour eux, ce n’était que des nègres s’échinant comme des esclaves. Ce qui est faux, car si l’esclave travaille pour son maître, eux ne travaillent que pour leurs enfants. (TM, 293)
Ainsi, au-delà de l’unanimité de la critique sur le témoignage d’amour de la part de Dany Laferrière en rapport au Québec, Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo peut aussi se lire comme un vibrant hommage au courage de tous ces immigrés, prompts à prendre des gages sur l’avenir de leurs enfants. À l’exemple de cette mère courage dont parle, non sans quelque once d’admiration, le fils —pourtant boxeur coriace— au narrateur:
La personne vraiment courageuse, c’est ma mère. Quand il fait très froid et que je n’ai même pas le courage d’aller aux toilettes, je l’entends qui se lève pour aller travailler. Et je sais qu’elle aura à attendre l’autobus un bon moment. Et ça fait quarante ans qu’elle le fait. Voilà ce que j’appelle du courage. (TM, 295)
L’exemplarité de ce courage ne sert qu’un seul et unique objectif: permettre aux générations futures d’opérer ce que j’appelle une deuxième révolution tranquille, à l’issue de laquelle ces générations à venir prendront définitivement leur place dans la société. Difficile dès lors de ne pas penser au fameux texte du poète américain Langston Hughes intitulé Moi aussi, je suis l’Amérique (1973):
Moi aussi je chante l’Amérique./ Je suis le frère obscur./ On m’envoie manger à la cuisine/ Quand il vient du monde,/ Mais je ris,/ Je mange bien,/ Et je prends des forces,/ Demain63C’est nous qui soulignons.,/ Je resterai à la table/ Quand il viendra du monde./ Personne n’osera me dire alors:/ «Va manger à la cuisine.»/ Et puis/ On verra bien comme je suis beau/ Et on aura honte./ Moi aussi je suis l’Amérique (Hughes, 23)
L’intérêt de ce poème —qualifié de visionnaire— réside dans le fait que Langston Hughes y parle d’avenir. Et de quelle manière! À travers la miniaturisation de l’Amérique à l’échelle d’une famille interagissant lors d’un moment important de son fonctionnement: le repas (en famille justement). Ainsi, peu importe au poète un présent sombre, marqué par la discrimination qui l’affecte lui, le frère obscur et peu présentable, confiné à la cuisine alors que le gratin occupe l’une des pièces centrales de la maison, à savoir la salle à manger où elle dîne à table. L’essentiel pour lui reste l’avenir, tout en rupture d’avec le présent, où sorti des bas-fonds de la cuisine, lui, le frère obscur, occupera le centre en se mettant à table, retournant par le fait même la honte à ceux-là qui, au départ, avaient honte de lui.
De la même manière, Dany Laferrière se sert de l’allégorie de la maison pour illustrer l’ascension sociale de la nouvelle génération, cette deuxième révolution tranquille dont nous parlions plus haut, sans tintamarre, mais non moins inéluctable, signature d’une conquête qui s’effectue dans le temps, précieux allié de l’immigré dans le désir d’enracinement dans ce qui est désormais sa société. Là où les parents, à leur arrivée, se retrouvaient confinés au sous-sol, la nouvelle génération, elle, débarrassée de tout complexe et forte de l’héritage culturel transmis par les parents, s’active en silence et s’investit non sans efficacité dans tous les secteurs, toutes les sphères de la vie sociale, politique, culturelle et économique de son pays. C’est qu’elle est portée par le vent d’une ambition silencieuse mais à la mesure du ciel, puissant moteur d’une ascension qui, tout en lui permettant de sortir des caves du sous-sol lui donne en même temps la formidable occasion de prendre, en son nom et surtout au nom de ses parents, une sacrée revanche sur la vie. Aussi le narrateur, dans la célébration de cette inéluctable ascension, peut-il clore sa chronique sur une note optimiste:
[…] Le monde de l’enfance habite chacune de nos cellules. Il est impossible d’échapper à son enfance. C’est ce qui les aidera le jour où cette déprime sourde leur tombera dessus, faisant d’eux des orphelins identitaires. Alors au fond de la nuit polaire montera ce chant que leur mère fredonnait pour les endormir. Et c’est avec ce doux chant dans la tête qu’ils prendront l’escalier, sans bousculer personne sur leur chemin, qui mène aux étages supérieurs. (TM, 296)
L’optimisme sur lequel se ferme l’ouvrage de Dany Laferrière permet alors, malgré tous les murs invisibles auxquels il se heurtera, d’imaginer Mongo heureux et met le lecteur dans l’impatience de lire vingt ans plus tard la chronique qu’il écrira quand viendra son tour à lui de présenter le Québec à tel autre nouveau venu. Mission impossible? Que non. Car il faut dire que Mongo a bien de la chance, lui qui, comme Ulysse, se trouve heureux d’avoir fait un beau voyage et, d’avoir (eu) au cours de ce voyage un passeur nommé… Laferrière.
Bibliographie
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Camus, Renaud (2008), La Grande Déculturation, Paris, Fayard.
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Camus, Renaud (2014), France. Suicide d’une nation, Paris, Mordicus.
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Hughes, Langston (1973), «Moi aussi je suis l’Amérique», dans Poésie du Monde noir. Renaissance négro-américaine. Haïti, Antilles, Afrique, Madagascar, Paris, Hatier, p.23.
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Laferrière, Dany (2015), Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo, Montréal, Mémoire d’encrier.
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Mémoire d’encrier. s.d. «Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo». Mémoire d’encrier. En ligne.
Tremblay, Odile (2015), «Lettres à un jeune émigrant… et au Québec itou», Le Devoir, 14 novembre.
- 1Pensons aux discours populistes des partis d’extrême-droite dont les programmes anti-immigration séduisent de plus en plus une majorité d’électeurs taraudés par une anxiété identitaire et une insécurité culturelle, terreaux favorables à la théorie conspirationniste du «grand remplacement», selon laquelle les peuples dits de souche seraient, à travers des politiques d’immigration portées par des élites mondialistes et multiculturalistes, progressivement remplacés par des populations venues d’ailleurs.
- 2Bien entendu, le terme «autochtone» est à entendre comme «originaire du pays qu’il habite, dont les ancêtres ont vécu dans ce pays.»
- 3Désormais, les références à ce roman seront indiquées par le sigle TM, suivi du folio, et placé entre parenthèses dans le texte.
- 4Nous empruntons le concept au philosophe Spinoza.
- 5Dieu du panthéon vaudou dont la mission est de faciliter la traversée entre les mondes.
- 6Le passeur tel que décrit ici ne participe-t-il pas au commerce de la misère du monde en faisant payer au prix fort la promesse d’une traversée illégale des frontières, avec toutes les tragédies humanitaires que ce trafic ne cesse de provoquer et qui font bien souvent la une de l’actualité?
- 7Une aventure humaine dans laquelle on s’engage en raison de nombre de facteurs socio-politiques, économiques, climatiques, etc.
- 8Il y a un autre élément qui, en dehors de la référence à la littérature, lie l’écrivain Mongo Beti à la problématique de l’ouvrage: l’exil. En effet, Mongo Beti, en digne contestataire du régime néocolonial installé dans son pays d’origine (le Cameroun) à la proclamation de son «indépendance» sera contraint de vivre pendant plus de quarante années l’exil en France, où il a longtemps enseigné la littérature avant d’être autorisé à revenir en 1991 dans son pays natal où il fondera la Librairie des Peuples Noirs. L’évocation de Mongo Beti amplifie les résonances entre les parcours des deux écrivains (Mongo Beti et Dany Laferrière) dans une sorte de chassé-croisé dialectique (autour de l’absence et de la présence): le livre écrit par Dany Laferrière est le résultat d’une expérience qui porte sur quarante années de vie au Québec, à l’instar de l’exil de Mongo Beti. Et si l’on rapporte tout ceci à la figure du jeune Mongo, celui-ci est confronté à l’énigme de l’arrivée: Mongo doit apprivoiser (le pays d’accueil) son nouvel environnement alors que son illustre homonyme, fut, lui, confronté à l’énigme du retour, à savoir ré-apprivoiser le pays natal qui aura, dans tous les cas, changé après quarante ans d’absence.
- 9Le livre de Dany Laferrière n’est-il pas la somme de quarante années de vie au Québec?
- 10À ce sujet, lire Conversations avec Jorge Luis Borges (Borges et Burgin 1972). Pour en revenir à son ouvrage —Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo—, Dany Laferrière affirme que l’idée du dialogue avec Mongo (qui lui rappelle le jeune homme qu’il était à son arrivée à Montréal) lui a ainsi été inspiré par Borges, illustration, chez Laferrière d’une conception de la littérature dont l’ancrage est mondial, universel: un Québécois venu de Haïti qui s’inspire d’un Argentin pour parler à un Camerounais fraîchement débarqué à Montréal.
- 11Ce qui incite Mongo à exprimer sa crainte de se perdre dans cette aventure, à l’instar de Samba Diallo, héros tragique du roman L’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane.
- 12C’est-à-dire son identité peuhle (c’est un Diallobé) et musulmane.
- 13Fondée sur le rationalisme des lumières.
- 14Ne se laisse-t-il pas tuer par le personnage du fou à la fin du roman? Cette apathie a pu être interprétée comme une forme de suicide.
- 15Ne pourrait-on pas considérer la littérature comme étant une affaire de regard? Littérature portée par des écrivains qui, chacun à sa manière, posent un regard sur le monde.
- 16Exclusive dans la mesure où l’usage de ce pronom active immédiatement le réflexe du rejet, de l’exclusion de tous ceux qui ne font pas partie de ce bloc dans la radicalité d’une altérité absolue qu’incarne le pronom «eux».
- 17Dans son acception la plus sartrienne.
- 18Nous disions au début de cette réflexion que l’intérêt de cet ouvrage réside précisément dans le fait que nous avons affaire à un discours sur l’immigration qui n’émane nullement des diverses officines gouvernementales consacrés aux questions d’immigration; discours justement troué de non-dits que vient combler le livre de Dany Laferrière.
- 19Cela veut dire que les deux protagonistes, le narrateur mentor et le nouvel arrivant, se situent sur le même plan, à la seule différence qu’il y en a un qui a précédé l’autre.
- 20Avec tout ce que cela porte comme enthousiasme dans la phase de la lune de miel où l’immigré, émerveillé par son nouvel environnement, voit tout en rose et a soif de découvrir.
- 21À s’en tenir au cas du narrateur, cette école de la vie s’est étalée sur un cycle qui a duré pas moins de quatre décennies.
- 22On parle ici de l’immigré ordinaire (qu’il soit réfugié politique ou immigré économique) et non de l’immigré investisseur à qui l’on déroule le tapis rouge et pour qui on accommode les lois dans le but d’attirer son investissement.
- 23Pour schématiser, la théorie du grand remplacement s’articule autour de l’idée selon laquelle une population dite de souche (établie dans un territoire qui lui appartiendrait) soit remplacée par une population venue d’ailleurs. Cette théorie a été popularisée par l’essayiste français Renaud Camus à travers ses ouvrages, notamment La Grande Déculturation, publié en 2008 chez Fayard, Le grand remplacement, publié pour la première fois en 2011 à Neuilly-sur-Seine aux éditions David Reinharc (ouvrage plusieurs fois réédité) ou encore France. Suicide d’une nation en 2014, publié chez Mordicus, pour ne citer que ceux-là.
- 24Il ne se passe pas de jour sans naufrage sur la Méditerranée, transformée en immense cimetière pour migrants venant du Sud qui tentent de rallier le Nord sur des embarcations de fortune, quand ils ne sont pas coincés en Lybie par des groupes mafieux et vendus comme esclaves.
- 25Perception qui a inspiré un titre au roman de l’écrivain Jean-Roger Essomba, Le paradis du nord, publié en 1996 chez Présence Africaine et qui traite précisément des désillusions de l’immigration, notamment de la perception du Nord comme paradis.
- 26Difficile de ne pas penser ici au roman Le Survenant de la québécoise Germaine Guèvremont, classique (québécois) de la littérature du terroir publié en 1945 chez Beauchemin.
- 27L’immigré quitte son pays, son milieu ou, pour parler comme Dany Laferrière, son «bain naturel» pour s’installer ailleurs, dans un autre.
- 28Altérité qui incite le natif à désigner le survenant par le pronom «eux», dont la dimension expulsive le rejette hors des frontières de la communauté.
- 29Inscription dans la communauté qui permet à l’immigré bien infiltré, à l’exemple du narrateur mentor de l’ouvrage de Dany Laferrière, de se reconnaître dans le pronom inclusif «nous» qui renvoie à la majorité.
- 30Quarante ans, faut-il le rappeler, pour ne s’attarder que sur le cas du narrateur mentor.
- 31Transparence dans le sens où débarrassé des aspects de son étrangeté, le survenant, désormais intégré dans le «nous», devient transparent, c’est-à-dire invisible (il ne fait plus partie de la minorité visible) dans la mesure où il peut désormais se fondre dans l’anonymat de la foule.
- 32Cours magistral en l’occurrence sur le Québec.
- 33Le commentaire de Chantal Guy ainsi que ceux de toutes les autres qui ont suivi se retrouvent sur le site de Mémoire d’encrier, à la page consacrée à Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo et que l’on peut consulter ici.
- 34Animatrice de l’émission littéraire Plus on est de fous, plus on lit.
- 35Cet article porte précisément l’ambition d’élargir le prisme de la critique, qui n’a vu dans cet ouvrage qu’une déclaration d’amour au Québec, occultant par le fait même l’essentiel, à savoir la démystification de la culture du pays d’accueil, qui est toujours une culture du non-dit. Cette focalisation autour d’une lecture sentimentale (la déclaration d’amour) ne trahit-elle pas le désir inconscient de la société d’accueil à vouloir être caressée dans le sens du poil par telle manifestation de gratitude de l’immigrant?
- 36Traître par rapport à la patrie, c’est-à-dire à son pays natal.
- 37Ingratitude par rapport au pays d’accueil à qui il a du mal à dire merci.
- 38Amertume et ressentiment qui surgissent bien vite face aux murs auxquels se heurte l’immigré dans son long parcours d’intégration.
- 39Nous envisageons la culture ici dans sa globalité, dans son sens le plus extensif possible pour recouvrir tous les aspects de la vie sociale, politique ou culturelle.
- 40Tant sur le plan social, politique que culturel.
- 41Les analyses sur la révolution tranquille résultent ici des propos du narrateur dans le texte.
- 42Pensons simplement ici à la Révolution française (pour ne citer que celle-là) qui aura coûté la tête (au propre comme au figuré) de Louis XVI et mis fin à la monarchie.
- 43Idéologie issue du régime politique incarné par Maurice Le Noblet Duplessis qui fut premier ministre du Québec de 1936 à 1939 et de 1944 à 1959. Pour aller très vite, son règne politique est associé à ce qu’au Québec on a appelé la «Grande Noirceur».
- 44Dans un Canada dont le bilinguisme officiel renvoie à deux peuples fondateurs, la teneur de l’identité assignée est d’ordre linguistique. En ce sens, l’Anglais réfère au Canadien de langue anglaise (ou anglophone), souvent inscrit dans une relation hégémonique avec le francophone qui, lui, se trouve en situation de minorité.
- 45L’évocation de l’hydroélectricité ramène à l’esprit la méga centrale hydroélectrique de la Baie-James qui a favorisé l’industrialisation du Québec.
- 46Volonté d’affirmation qu’exprime le slogan «maître chez nous» attribué à Jean Lesage. De plus, cette volonté d’affirmation économique est également passée par la création des Caisses populaires Desjardins pour asseoir une autonomie dans le financement de l’industrialisation du Québec.
- 47Primat de l’individu qui, en fait, cache mal la tolérance de la société nord-américaine pour les inégalités sociales.
- 48C’est la seule province francophone en Amérique du Nord.
- 49Comment ne pas penser ici à la très controversée «Charte des valeurs québécoises» proposée et défendue en 2013 par Bernard Drainville, ministre responsable des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne dans le gouvernement péquiste de Pauline Marois, charte dont l’objectif, pour aller très vite, s’articulait autour de la création d’une société laïque —avec la séparation complète de l’Église et de l’État— et dont la mesure la plus emblématique est l’interdiction du port de tout signe religieux visible et à caractère démonstratif par tous les employés de l’État dans le cadre de la prestation de services. Après avoir été abandonné avec la défaite du Parti québécois aux élections provinciales d’avril 2014, le projet sera repris avec l’arrivée au pouvoir en octobre 2018 de la Coalition Avenir Québec (CAQ) de François Legault, présenté à l’Assemblée nationale du Québec (projet de loi 21, Loi sur la laïcité de l’État) et adopté sous bâillon le 16 juin 2019.
- 50Langue française comme point de crispation de l’identité québécoise.
- 51La Charte de la langue française ou loi 101 (dont Camille Laurin, ministre d’État au développement culturel, fut le grand artisan) est adoptée le 26 août 1977 par le gouvernement péquiste de René Lévesque; loi dont l’Office de la langue française assure l’application. C’est également la loi qui fait du Québec la seule province francophone du Canada et, plus largement de l’Amérique du Nord; elle couvre plusieurs secteurs, à savoir l’éducation, la justice, l’affichage, le travail et l’administration.
- 52À l’exemple du Parti québécois (PQ), du Bloc québécois (sur la scène politique fédérale canadienne) ou encore de Québec solidaire (QS) pour ne citer que ces partis-là.
- 53Il s’agit des consultations référendaires de 1980 et de 1995.
- 54C’est-à-dire ceux qui veulent proclamer la souveraineté du Québec comme pays indépendant, détaché de la fédération canadienne.
- 55Ceux qui proclament l’attachement du Québec à la fédération canadienne.
- 56Né le 24 août 1922 et décédé 1er novembre 1987, René Lévesque fut un membre influent du gouvernement de Jean Lesage durant la Révolution tranquille avant de créer le Parti Québécois au nom duquel il devient premier ministre du Québec de 1976 à 1985.
- 57Né le 18 octobre 1919 et décédé le 28 septembre 2000, Pierre Elliott Trudeau fut premier ministre du Canada de 1968 à 1979 et de 1980 à 1984.
- 58Avec tout ce que cela a comme corollaires; par exemple le rééquilibrage de la relation entre les hommes et les femmes avec tout ce qu’elle suppose de principe paritaire, ou encore la délicate question du consentement sexuel pour ne citer que ces points-là.
- 59Célèbre chanson de Gilles Vigneault, composée en collaboration avec Gaston Rochon qui en a co-écrit la musique, souvent associée à la ferveur nationaliste du peuple québécois.
- 60Il faut le voir comme une adoption mutuelle: l’immigré adopte son nouveau pays comme celui-ci adopte l’immigré.
- 61Citation attribuée à Ambroise de Milan au 4e siècle, en réponse à la question que lui aurait posée saint Augustin, alors en voyage à Rome, à propos du jour de repos qui à Milan se prenait le samedi et le dimanche à Rome. Réponse d’Ambroise de Milan: «si fueris Romae, Romano vivito more; si fueris alibi, vivito sicut ibi».
- 62Il n’y a qu’à penser à tous les naufrages qui ont transformé la méditerranée en un vaste cimetière pour migrants ou à la résurgence de ces foires de migrants transformés en esclaves que l’on vend tel du bétail en Libye, résurgence qui ramène à un esclavagisme que l’on croyait pourtant révolu.
- 63C’est nous qui soulignons.