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Enfance, filiation et violences de l’histoire: étude de «Lignes de faille» de Nancy Huston
Que signifient, à l’aune de la littérature, la date du 11 septembre 2001 et les images de destruction qu’elle évoque pour tous ceux et celles qui les ont vécues, pétrifiés ce jour-là jusque tard dans la nuit devant leur téléviseur? Que peuvent les imaginaires de la fiction devant cette violence paradigmatique qui, pour l’ensemble des commentateurs, paraît alors unique et irrévocable? «L’expression “les attentats du 11 septembre 2001” tend à désigner une rupture temporelle et la naissance d’une période marquée par la violence», constatent les politicologues français Julien Fragnon et Aurélia Lamy (2008, 62). Ce «macabre héritage» (Sirois, 2016) des avions emboutissant les gratte-ciel de New York n’a-t-il pas entraîné en Amérique une onde de choc à laquelle se rattacherait encore, vingt ans plus tard, sans qu’on ne sache ni pourquoi ni comment, le sentiment d’une fragilisation généralisée des institutions politiques, de l’ordre social et du vivant dans son ensemble?
Certes, la date du 11 septembre 2001 signale bien le début d’une tension insaisissable dont plusieurs croient, au moment des événements, qu’elle s’est installée en permanence dans toutes les strates d’une société qui paraît désormais contaminée de l’intérieur. En même temps, dès lors que les simulacres de la violence des attentats se dissolvent dans les réseaux complexes de la mémoire singulière et collective, leur puissance médiatique tend évidemment à s’amenuiser et l’impact initial des attentats meurtriers, si durement ressenti, se transforme en une angoisse diffuse et polymorphe devant la «fractalité» des récits historiques, pour reprendre le mot suggéré par François Laruelle. Dès la fin du siècle dernier, en effet, ce chercheur proposait une ontologie de la discontinuité, permettant de penser la rupture violente comme un élément constitutif de la continuité du temps et de l’espace, tandis que ses travaux sur la théorie des identités en 1992 établissaient les bases philosophiques d’une généalogie du sujet historique (Laruelle 1992, 153-232).
Dans ses essais sur les paradoxes du terrorisme, Ninon Grangé note, par ailleurs, la fonction insidieuse de cette forme de violence: «c’est bien un ressort essentiel du terrorisme que sa puissance métonymique, au-delà de sa réelle puissance létale ou de son fort impact symbolique, qui fait croire à une puissance plus grande qu’elle n’est en réalité.» (Grangé 2011-2012, 38) Cette fonction métonymique des attentats de New York nous invite à prendre en compte la dimension substitutive d’un récit historique dont l’origine multiple, faisant l’objet d’une quête, n’apparaît plus que de façon allusive. Par un regard sur les univers romanesques qui sont issus de cette période, peut-être est-il possible de prendre la distance nécessaire à la reconstruction du sens à donner aux événements de septembre 2001.
Dans les pages qui suivent, nous verrons de quelle manière l’œuvre de Nancy Huston, romancière et essayiste originaire de l’Alberta, traite résolument, à partir des années 2000, de cette question de la violence héréditaire, notamment dans Lignes de faille dont l’imaginaire des attentats de New York forme le substrat. Chez cette écrivaine canadienne, établie en France depuis de nombreuses années et publiant principalement en français, l’univers narratif prend la forme d’une réflexion sur les tensions à l’œuvre dans la société états-unienne et sur l’expérience de l’immigrant qui, pour elle, est au cœur de l’Amérique contemporaine. Par le biais de quatre enfants-narrateurs issus de l’immigration, Lignes de faille propose, dans cette optique, une enquête sur les violences répétées de l’histoire humaine et sur la dislocation, à chaque fois ressentie, de la cellule familiale et de la communauté dans son ensemble. Cette œuvre, s’étendant sur plusieurs générations, témoigne d’une réflexion particulièrement pénétrante sur l’avènement de la modernité américaine et sur ses lieux de continuité et de fracture.
Généalogie des violences meurtrières
Dans le prologue de son roman Dolce agonia (2001), publié l’année même des attentats de New York, Nancy Huston évoque l’action démiurgique du destin à laquelle croit pouvoir échapper chacun des personnages, sans pour autant parvenir à désenclaver la contrainte incessante du passé qui les obsède et dont la romancière détient toujours la clé. Alors qu’il attend l’arrivée de ses invités pour le grand repas de Thanksgiving, le personnage central Sean Farrell, première instance narrative du roman, se prend à surplomber la scène, comme s’il pouvait s’en détacher:
Souvent, à regarder les êtres humains accomplir leur destinée sur Terre, je me laisse emporter presque au point de croire en eux. Ils me donnent l’impression singulière d’être dotés de libre arbitre, d’autonomie, d’une volonté propre… Je sais bien que c’est une illusion, une notion saugrenue. Moi seul suis libre! Chaque tour et détour de leur destin a été planifié d’avance par mes soins. (Huston 2001, 13)
Cependant, l’ascendance de Sean sur la destinée des personnages se révèle elle-même illusoire. Plus tard, dans ce roman dominé par l’histoire du judaïsme, le personnage de Rachel, «professeur de philosophie tout à fait remarquable» (Huston 2001, 187), devient à son tour le porte-douleur de l’histoire humaine tout entière: «Elle est en deuil depuis sa naissance: d’abord il lui a fallu pleurer ses oncles et ses tantes zyklonés, les juifs d’Europe, ensuite les enfants qu’elle n’a pu concevoir.» (Huston 2001, 187) Chez Huston, les personnages romanesques sont donc tous entravés dès leur venue au monde par le lourd héritage des exclusions, des violences armées et des migrations forcées. Chaque génération successive fait face symboliquement à l’extermination potentielle de la lignée, alors que s’enchaînent conflits politiques et guerres. Ce deuil pérenne forme la substance même de la transmission filiale et de l’acculturation de l’enfant dans les sociétés humaines. Le drame récurrent se transmet d’une génération à l’autre, bannissant tout effort de recommencement. C’est ainsi que dans Dolce agonia la dispersion forcée des juifs, loin d’être un cas isolé, est emblématique de l’éclatement du lien ancestral à la source de chaque existence individuelle. Qu’elles soient consenties ou forcées, les migrations, souvent déchirantes, sont la norme sur laquelle se fonde l’évolution de l’humanité chez Huston. Ainsi, seule la rupture peut être signifiante. C’est autour d’elle, maintes fois incarnée dans l’œuvre de la romancière, que s’élabore, à rebours du temps et des générations, une quête acharnée du secret de la filiation brisée que nourrit et désamorce la fiction. Dolce agonia marque ainsi assurément un point tournant dans un cycle romanesque, mis en place dès la parution de Cantique des plaines (1993), roman dans lequel la question du destin familial constitue un enjeu fondamental.
Dans ce contexte, on ne doit guère se surprendre que, quelques années plus tard, à la suite des événements du 11 septembre 2001, Huston interroge à nouveau la notion de déterminisme historique. Lignes de faille, roman quadripartite publié en 2006, constitue à ce titre l’aboutissement (sans pour autant en être le dénouement) de la réflexion de la romancière sur l’imaginaire de la terreur et de sa transmission à travers les générations successives. Alison Rice note bien que ce déterminisme, porté sur le plan narratif par la figure de l’immigrant, s’appuie sur la dimension héréditaire de l’histoire événementielle. C’est cette antécédence que l’œuvre romanesque interroge par ses voix polyphoniques:
Le roman de Huston est marqué par une nouvelle orientation transnationale qui s’ajoute à une œuvre majeure déjà riche et variée. Lignes de faille renvoie à un certain nombre de lieux stratégiques dans le monde, alors qu’est racontée l’histoire d’une famille dont les déplacements ont entraîné l’émergence de caractéristiques et de problèmes traversant générations et continents. Il y est suggéré qu’au-delà des identités nationales, l’appartenance héréditaire, quoiqu’elle puisse être différée, ne saurait au bout du compte être ignorée1«Huston’s novel marked a new transnational orientation in an oeuvre that was already rich and varied. Lignes de faille moves to strategic places around the globe to tell the tale of a family whose displacements have led to traits and troubles that have been transmitted across continents and generations, suggesting that while national roots may not cling to us, hereditary ones may be deferred, but not, in the end, denied.». (Rice 2018, 286. Nous traduisons.)
Raconté par quatre enfants de six ans, issus d’une lignée commune, Sol (2004), Randall (1982), Sadie (1962) et Kristina (1944-1945), le récit retrace l’histoire familiale éclatée d’autant de générations d’immigrants dont la vie est déterminée par les conflagrations successives du passé. Cette remontée dans le temps met en lumière, par le biais de chaque enfant-narrateur, les violences subies par leurs ancêtres dispersés en raison de conflits nationaux et internationaux. Au cours des 19e et 20e siècles, plusieurs de ces familles se sont établies au Canada, d’autres aux États-Unis, sans jamais pouvoir effacer les traces des anciennes blessures. Comme tant d’immigrants, les êtres déplacés restent tournés vers la rupture brutale qui a donné sens à leur relocalisation et à leur incapacité d’agir. Dans Lignes de faille, les enfants-narrateurs ressentent donc les blessures ancestrales comme une tare congénitale dont ils n’arrivent pas à saisir les contours.
Récit épique à rebours, Lignes de faille2Dorénavant, les références à cet ouvrage seront indiquées par les lettres LF, suivies de la page, entre parenthèses. se fonde en premier lieu sur le mimétisme de la violence du 11 septembre 2001 et sur ses fonctionnements généalogiques. Car, événement certes déterminant, l’effondrement des tours jumelles de New York marque aussi le retour d’une constante dont il est important, pour la romancière, de saisir la pertinence. Ces attentats sont mentionnés à plusieurs reprises dans la première section du récit, soit celle du jeune Sol. Dans les trois autres récits du roman, il n’est plus guère question de ces événements, bien qu’à chaque fois, ailleurs et à d’autres époques, une violence endémique continue de former l’arrière-scène de l’œuvre. S’il est vrai que les personnages de Lignes de faille ne saisissent pas tous, à ce stade précoce de leur existence, l’ampleur du legs de l’histoire familiale et politique —Sadie, par exemple, ne le comprenant qu’à l’âge adulte—, chacun parvient néanmoins à retracer les nœuds successifs où se sont inscrites, par-delà les frontières et les identités, les violences ritualisées du passé. Le roman situe donc guerres et attentats dans le contexte d’une parentalité et d’une filiation problématiques, termes dont Nadia Lachance a montré toute la portée dans une thèse qu’elle a consacrée en partie à Lignes de faille3Voir Lachance, 2019..
Il est clair que le roman reprend, pour en élargir la perspective, la structure inversée de la quête identitaire, déjà fermement mise en place dans certains romans antérieurs, dont Cantique des plaines. Pour Claudine Potvin, les processus mémoriels mis en œuvre dans ce premier tableau familial, publié en 1993, entraînent une réévaluation du récit historique et de sa normativité: «[l]e travail d’écriture, triplement inscrit dans la diégèse (le discours historique, le texte inachevé de Paddon, le conte de Paula), lié au processus de remémoration, sélection et triage ou élimination et exclusion, subvertit la mémoire livresque figée en ce qu’il vient combler certains des vides laissés par les discours religieux et socio-politique officiels.» (Potvin 1997, 10) Les termes de cette analyse s’appliquent entièrement à la lecture de Lignes de faille, une quinzaine d’années plus tard, tant le relais polyphonique4Les critiques ont beaucoup fait remarquer la structure polyphonique de certaines œuvres de Nancy Huston, surtout après la parution de Prodige en 2002; voir Proulx 2011. en quatre temps et quatre voix entrelace la mémoire individuelle des enfants-narrateurs et la persistance des violences sociopolitiques que chacun et chacune, dès l’enfance, ne cessent d’interroger. Ce va-et-vient entre l’innocence du personnage et les déterminismes de son époque est au cœur de l’écriture de Huston. Si l’écrivaine dit n’avoir jamais été séduite par une quelconque nostalgie de l’enfance, il n’en reste pas moins que plusieurs de ses romans et essais mettent en scène un puissant désir de comprendre le locus même du départ vers l’ailleurs et les sources de la dislocation familiale5En réponse à une question de Mi-Kyung Yi sur les écrivains et la «blessure d’origine», Nancy Huston est catégorique: «Là je ne vous suis pas du tout. Pour moi, l’idée de quête de l’origine est dépourvue de résonance. Je n’ai pas l’impression du tout de la chercher, je suis tout sauf nostalgique, je suis entièrement tournée vers les projets.» (Yi 2001, 12). Bien que les violences cataclysmiques de l’Histoire frappent par leur absolue singularité, cette impression ne résiste pas à l’épreuve du temps. L’œuvre de Huston attribue à la mémoire de l’enfant une dimension heuristique universelle.
Prédominance du récit familial
C’est dans l’Allemagne nazie, et en arrière-plan la Pologne occupée, que la généalogie en quatre temps se termine (ou plutôt a commencé). L’enfance, reconstituée par la romancière dans l’immédiateté du présent de l’indicatif —comme si la remontée généalogique n’appartenait qu’au présent de l’histoire— constitue le principe narratif qui permet de reconstruire la victimisation à travers la transmission intergénérationnelle des séquelles de la violence et les puissantes représentations de l’ancestralité qu’elle institue chez l’enfant. Dans un entretien qu’elle accordait à Éric Fourreau, peu après la publication de Lignes de faille, Huston insiste sur le rôle déterminant de cette rupture emblématique de la filiation: «Nous sommes bien plus déterminés que ne le croient les intellectuels français en général. Les chercheurs américains sont beaucoup plus avancés sur les découvertes scientifiques de la transmission génétique. En France, nous préférons l’idée de la plasticité infinie, de l’invention, de la liberté et, surtout, de l’individu. C’est hallucinant comme on croit à l’individu, comme s’il pouvait exister tout seul.» (Fourreau 2016, 16) Dans Lignes de faille, cette hérédité de la violence habite l’enfant et nourrit son interrogation sur l’avenir qui l’attend. Dans le récit de Sol, où sont déjà mis en place la plupart des éléments de la descendance filiale que les enfants-narrateurs successifs seront appelés à découvrir au cours du roman, le rapport entre récit familial et patrimoine génétique est établi de façon explicite. La marque cutanée sur la tempe gauche de Sol fait foi de la permanence de la rupture principielle au cœur de la généalogie de l’enfant:
Ça, c’est une espèce de jeu qui remonte à l’enfance de mon père, quand son grain de beauté à lui, qui se trouve sur son épaule gauche, était une petite chauve-souris duveteuse qui chuchotait à son oreille et lui donnait des conseils. AGM [Erra, la grand-mère paternelle de Sol] en a un aussi, au creux de son bras gauche —c’est ça le sens du mot congénital, ça passe d’une génération à l’autre en apparaissant sur différentes parties du corps. (LF, 49, en italiques dans le texte)
Chez Sadie se déploie également une réflexion sur les déterminismes de l’histoire et leur fonction généalogique. Dès les premiers moments, la petite fille comprend que le monde ambiant est menaçant: «Partout où je vais les dangers me guettent: un éclat de verre une guêpe furieuse un grille-pain brûlant, quand je passe par là ils me sautent dessus et mon corps réagit tout seul, la peau bleuit, la chair enfle et se remplit de pus, la peau s’ouvre en lâchant un geyser de sang.» (LF, 265) Si, plus tard, la leçon de piano a pu instaurer aux yeux des adultes un semblant d’ordre, Sadie n’y verra que la matérialisation d’une souffrance intrinsèque aux facettes multiples et contradictoires. La musique est alors le réceptacle du deuil pérenne qui l’habite.
Le roman souligne donc, dès le départ, la présence d’une généalogie de la violence, sans pour autant que cette antécédence soit liée d’une quelconque manière à une morale de la faute: selon Huston, chaque génération est responsable d’interpréter à sa manière cette filiation trouble et douloureuse. Ainsi, pour Sol et sa famille, les attentats de New York ravivent la conscience du déterminisme qui préside à la succession des générations et le sentiment de deuil qui l’accompagne. Luigi Zoja évalue ainsi les effets délétères des attentats de New York sur la conscience collective:
Le 11 septembre, la totalité de notre imagination collective a été saisie, kidnappée, arrachée à son fonctionnement habituel, et rejetée violemment dans une dimension archaïque, a-historique. Nous croyions être entrés dans le IIIe millénaire de l’ère chrétienne et nous nous sommes retrouvés sous l’emprise directe des archétypes et des temps archaïques. (Zoja 2002, 11)
Dans cette optique, le «grain de beauté», figure antiphrastique de la violence primaire sur la peau de l’enfant, correspond au patrimoine immémorial qui précède et fonde le temps historique: «Il semblerait qu’en choisissant de traiter de tragédies qui ont frappé des peuples très différents», écrit Élise Lepage dans son étude de Lignes de faille, «Nancy Huston suggère que chacune de ces tragédies n’appartient pas en propre à une mémoire nationale particulière, mais que toutes relèvent d’une mémoire internationale dont chacun est l’héritier et qu’assume désormais une littérature transnationale affranchie des frontières et des critères d’appartenance nationale» (2010, 80). Ainsi, pour Sol, les attentats de New York présagent et confirment la stigmatisation, issue de l’histoire ancestrale, qui frappe chaque nouvelle génération d’êtres humains. Les événements du 11 septembre 2001 n’ont pu constituer, au terme de cette interprétation, qu’une autre scène au sens fort de la destitution originaire dont l’enfant-narrateur ressent l’opprobre sans pouvoir totalement l’expliquer.
Filiation et ancestralité de la violence
Dans Lignes de faille, les enfants-narrateurs sont donc façonnés par l’espace-temps conflictuel qui est le leur, qu’il s’agisse des attentats du 11 septembre 2001 pour Solomon, du conflit israélo-palestinien pour Randall, de la menace nucléaire pour Sadie et de la Seconde Guerre mondiale pour Kristina. Reflétant une conscience exacerbée de soi et de l’Histoire, chacun des récits tente de retracer les lieux occultes de la filiation, là où les termes d’une subjectivité naissante ont pu affleurer pour aussitôt se décomposer en même temps que la cohésion familiale. Huston conçoit le récit comme un travail heuristique qui impose ses principes, son ordre et sa continuité en dépit des ruptures violentes dont le contexte politique témoigne à chaque génération. L’écriture s’apparente en fait à une démarche thérapeutique, entendue comme une pratique de la vulnérabilité: «Je pense que, à la faveur du relâchement de notre attention», explique la romancière, «des souvenirs enfouis peuvent affleurer. Ce qui est époustouflant, c’est la créativité, l’art, le symbolisme puissant avec lequel tout cela peut surgir. Freud a eu le mérite de saisir la manière stupéfiante dont ces images se condensent, se cristallisent en des histoires.» (Huston, citée par Frenel 2012, 2) Sujet psychologique naissant, chacun des enfants-narrateurs se définit justement par le caractère emblématique de son époque6Tel le personnage de Sol et sa confiance inébranlable en l’Internet.. Personne n’échappe au régime de significations qui nourrit la naissance des générations successives et, ultimement, qui condamne chacun et chacune, dès sa venue au monde, à une pensée du déplacement et de l’errance.
Du même souffle, l’enfant est aussi marqué par une impression de puissance et de renouvellement. Peu importe sa destinée singulière, sa présence marque tout de même la possibilité d’un recommencement. Par lui, un récit nouveau ne tente-t-il pas, en effet, de se déployer? Sol le proclame sans ambages à la toute première page du roman: «Dès que je sors du sommeil je suis allumé alerte électrifié, tête et corps en parfait état de marche, j’ai six ans et je suis un génie, première pensée du matin.» (LF, 13) Cependant, cette confiance naïve se transforme graduellement en arrogance. Gravé dans la peau de chacun des enfants, comme un signe cabalistique dont il est impossible de se départir et imitant en cela le marquage des détenus dans les camps nazis, cette exceptionnalité est vite contredite par le retour sans fin de la violence meurtrière. La succession affirmée de la différence, inscrite dans la spécificité de chacune des générations, recèle donc un mimétisme obsédant. Les événements paroxystiques ne se répètent-ils pas de génération en génération? Cependant, le récit est porteur de multiplicité: quelque chose s’ouvre et se libère en lui. Observateur privilégié de sa famille et de son époque, l’enfant est néanmoins celui qui, chez Huston, fait voir l’interdit, l’obscur, le refoulé de la répétition, tout ce qui est masqué au quotidien par la douceur de l’univers parental et ses compromissions devant la marche inexorable des événements.
Il est clair que la voix de Sol, premier tableau d’enfance dans Lignes de faille, permet à la romancière d’établir le statut fondateur sur le plan narratif des attentats de New York. Ces événements délimitent l’espace-temps générationnel auquel appartient désormais Sol, sans pour autant que ceux-ci puissent être considérés comme exceptionnels. En réalité, tous les ancêtres de l’enfant ont connu, durant leur époque respective, des violences catastrophiques qui ont, pour un temps, forcé une refonte de la filiation. Il n’en reste pas moins qu’en 2004, date assignée au premier récit de Lignes de faille, les violences du 11 septembre 2001, alors que l’enfant avait à peine trois ans, menacent encore l’intégrité de la famille de Sol et l’identité même de ses membres.
L’histoire récente entraîne donc le personnage initial à élaborer des stratégies de compensation. L’enfant est d’abord imbu de l’exceptionnalisme américain qu’il brandit comme une cuirasse protectrice contre toute intrusion extérieure:
Dieu m’a donné ce corps et cet esprit et je dois en prendre le meilleur soin possible pour en tirer le meilleur bénéfice. Je sais qu’Il a de grands desseins pour moi, sinon Il ne m’aurait pas fait naître dans l’État le plus riche du pays le plus riche du monde, doté du système d’armement le plus performatif, capable d’anéantir l’espèce humaine en un clin d’œil. (LF, 15-16)
Cette bravade en début de roman est toutefois de courte durée. En effet, le récit de Sol, s’il est trop adulte pour son âge est vite traversé par la crainte du désordre et une profonde impression de dislocation. À l’adresse Internet «Sanglotweb» qu’il aime consulter dans ses moments de désarroi, Sol aperçoit des images d’une grande violence: celles de petites filles irakiennes «en train de se faire brutalement violer gratis» (LF, 23) et celles des cadavres de soldats ensevelis dans le sable du désert. D’entrée de jeu, le récit de l’enfant oscille entre la condamnation des auteurs des attentats de New York, qu’il identifie par le nom de leur leader, et le refus de la suprématie américaine, associée à la déchéance du père:
Mohammed Atta et les autres terroristes du 11 septembre ont utilisé des cutters pour écraser les avions contre les tours quand j’avais trois ans, je me rappelle très bien quand papa m’a appelé pour venir regarder les tours s’écrouler encore et encore à la télé en disant «Putains d’Arabes» et en buvant de la bière. (LF, 24)
L’enfant entrevoit par-là les liens équivoques entre la violence des attentats et la culture populaire américaine, véhiculée par des films-cultes comme Terminator et La guerre des étoiles. Tout cela lui paraît soudainement lié au passé de sa famille et à celui de ses ancêtres venus d’ailleurs. Dès lors, comprendre le contexte de sa naissance deviendra la première responsabilité de l’enfant-narrateur.
Depuis le 11 septembre 2001, la famille de Sol est d’ailleurs obsédée par l’équilibre précaire du foyer. Pour répondre au besoin pressant de sécuriser la maison, il ne suffit plus de mettre en place certaines mesures mineures destinées à protéger l’enfant. Au-delà de la dimension historique des attentats, c’est l’intégrité du foyer familial qui s’est déchirée ce jour-là. Par la voix de l’enfant, le récit de Huston fait alors appel à une accumulation de termes hyperboliques qui déstabilisent les liens de causalité. Les gestes des parents prennent une dimension démesurée, comme si l’impact des avions percutant les tours ne cessait de s’amplifier avec le temps, touchant désormais la moindre facette de la vie domestique. Un exemple suffira à illustrer cette disjonction entre la cause et ses effets excessifs au sein du récit de l’enfant:
Maman […] m’a énuméré tout ce qu’ils ont fait pour sécuriser la maison. Par exemple, ils ont recouvert toutes les prises électriques pour que je ne puisse pas y enfoncer les doigts et me faire électrocuter avec les cheveux dressés sur la tête et les yeux exorbités comme un chat dans un dessin animé ou comme un criminel que le président Bush envoie à la chaise. Ils ont mis des coins arrondis en plastique à chaque coin de table et de comptoir pour que je ne puisse pas m’y cogner et recevoir une horrible blessure à la tête et pisser le sang et être transporté d’urgence à l’hôpital et avoir des points de suture tandis que mes parents se tiennent là, près de mon lit à s’arracher les cheveux d’angoisse et de culpabilité. (LF, 34)
Depuis la destruction des tours jumelles, la maison familiale, désormais en mode «alerte maximale», ne se présente plus comme un milieu sécuritaire puisqu’elle est pénétrée de toutes parts par la logique alarmante des événements politiques. Les interventions désespérées de Tess pour sécuriser le logis restent sans suite. En effet, transpercé par les forces extérieures, le domicile familial ne peut ni contrer le mal qui s’insinue, ni protéger ses habitants.
Plus tard, après l’ablation chirurgicale d’un mélanome à la tempe, la plaie du jeune Sol s’infecte et une nouvelle chirurgie s’impose. Cet épisode médical, comportant une forte dimension symbolique, s’explique selon le père de l’enfant par une logique relevant des attentats du 11 septembre: «Tu es attaqué par des saloperies de cellules terroristes, dit papa. On va devoir faire une biopsie pour voir qui sème la zizanie là-dedans. On ne sait pas si c’est les chiites ou les sunnites, peut-être même quelques grosses huiles d’Al-Qaida.» (LF, 78) L’enfant doit alors comprendre l’importance de ce signe indélébile qui confirme son inscription archaïque dans le flux, à chaque fois interrompu et à chaque fois repris, de l’histoire. Dans son étude sur le concept d’identité chez la romancière, David Bond décrit parfaitement la précarité du sujet et le bris de l’intimité familiale face à l’intrusion violente du politique: «[p]our Huston, le moi est une entité fragile et constamment menacée. Ses personnages sont conscients qu’ils pèsent peu face à un monde qui les ignore et les menace.» (2001, 54-55) La tache de naissance, que tous les narrateurs partagent dans Lignes de faille, souligne de façon métonymique à la fois l’ascendance du personnage capable de se soustraire aux infamies de son époque et, du même souffle, son incapacité à dépasser la violence de son origine.
Il n’est donc pas étonnant que le récit de Sol se termine sur la visite prévue de Kristina, l’aïeule allemande, qui porte en elle le secret de cette tare généalogique, cette marque du temps gravée sur le corps de l’enfant. Dans la deuxième partie du roman, la mère expliquera à son fils son désir pressant de remonter le cours de l’histoire familiale, car il lui semble que, de génération en génération, les violences sociopolitiques répondent à une expérience de la dépossession qu’elle doit maintenant mettre en lumière: «C’est vraiment important pour moi d’apprendre tout ce que je peux là-dessus. Je le fais pour toi aussi, tu sais… On ne peut pas construire un avenir ensemble si on ne connaît pas la vérité sur notre passé. N’est-ce pas?» (LF, 157). Le cours de l’histoire familiale, pourtant prédéterminé, est donc nécessairement gauchi par l’imprévisibilité des contextes politiques. Que ce soit la Seconde Guerre mondiale, le massacre des Palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila, l’enlèvement des enfants dans la Pologne occupée, la guerre civile au Liban ou les attentats de New York, tous stigmatisent la venue au monde de l’enfant, car, qu’il le veuille ou non, le nouveau-né sera l’héritier d’une vaste fiction généalogique qui transcende sa seule existence. C’est après avoir lu le compte rendu du massacre de Sabra et Chatila au Liban que le père de Randall, en pleurs, constate que la famille de l’enfant doit fuir (LF, 233-235). Devant les atrocités, le père se blottit alors contre son fils comme s’il avait besoin de sa protection, car effectivement, l’enfant, marqué à jamais par l’histoire événementielle, détient les clés de la filiation inversée.
Dans le troisième volet du roman, celui de Sadie en 1962, la question du sort réservé aux juifs durant la Deuxième Guerre mondiale est évoquée avec insistance par l’enfant qui comprend que l’histoire de la Shoah lui appartient en propre. C’est alors qu’elle interroge son père au sujet des violences nazies: «je lui pose encore trois questions bing-bang-bong à toute vitesse. “Comment ils ont fait pour les attraper? Comment ils les ont tués? Combien en tout?”» (LF, 353) Incapable de répondre, le père de Sadie tente de détourner la conversation: «“Écoute, la môme, ce n’est pas la peine de te remplir la caboche avec ça. Ça n’a rien à voir avec toi”» (LF, 353). Malgré ces paroles qui se veulent rassurantes, Sadie continue néanmoins de se préoccuper des tensions politiques dont elle a écho dans les nouvelles: la présence de missiles soviétiques à Cuba et la menace d’une guerre nucléaire. Le cerveau de l’enfant se remplit des bruits inquiétants de la ville, alors qu’elle apprend le secret de l’origine allemande de sa mère. C’est alors qu’elle ressent le poids de la faille généalogique dont elle est issue, comme tous ses prédécesseurs, et qu’elle entend la voix normative du destin: «Maintenant tu sais d’où vient le mal, dit l’Ennemi, tu vis dans le mensonge depuis le jour de ta naissance.» (LF, 367, en italiques dans le texte) Cette dévolution de la violence, résultat de l’incapacité des adultes à assurer la continuité de la filiation, est fortement soulignée dans le roman et constitue, comme dans le texte biblique de la Genèse, le fondement même du récit et de sa vérité intrinsèque.
Chez Huston, il incombe au personnage maternel, porteur de la filiation, de transmettre à son enfant le principe de sa naissance à l’histoire. Tel est le cas dans la scène de la troisième partie du roman où Sadie, écoutant un jour sa mère chanter, se rend compte de la transcendance mémorielle de la violence à laquelle la voix maternelle donne sens:
On dirait que sa voix raconte une histoire —non seulement l’histoire de sa vie mais celle de toute l’humanité avec ses guerres et ses famines, ses combats et ses épreuves, ses triomphes et ses défaites, tantôt elle se déverse en vagues menaçantes comme l’océan gonflé d’une tempête, tantôt elle est comme une chute d’eau, dégringolant la falaise et rebondissant sur les rochers pour se précipiter dans un chaos d’écume vers la sombre vallée luxuriante au-dessous. (LF, 296)
Sadie découvre alors que la violence cataclysmique est toujours déjà annoncée, quelles que soient les histoires successives de départs, de fuites et de migrations. La figure maternelle impose à ses enfants, symboliquement orphelins puisqu’incapables de différenciation, ce que René Girard appelait «la sagesse sacrificielle» (1985, 116) des ancêtres. Élise Lepage traduit bien ce lien indissoluble entre l’histoire événementielle, l’ancestralité de la violence et la filiation: «[e]n se déplaçant, les migrants souhaitent sans aucun doute rompre une fois pour toutes avec cette engeance, mais ils n’y parviennent pas. La linéarité simple et transparente du récit familial demeure un horizon jamais atteint, le récit soulignant bien plus les revirements, les changements de cap, les ruptures et les conflits inattendus qui l’ont marqué.» (2010, 92) En dépit de ce travail de sélection des faits, la venue christique de l’enfant marqué par le privilège de sa naissance, lui l’héritier de la rupture migratoire, ne cesse jamais de reproduire, dans ses organes mêmes, la puissance originaire du conflit mimétique. Imbu de sa différence, cet enfant à la source du récit est pourtant le signe vivant du retour du Même.
En fait, les deux derniers récits de Lignes de faille, ceux de Sadie et de Kristina, fortement axés sur la responsabilité de la mère au sein de la filiation, démontrent que la transmission de la violence à travers les générations est fortement intériorisée. L’enfant-narrateur, habité par ce que le récit appelle l’Ennemi, est alors déchiré par des forces contradictoires et autodestructrices qui transcendent les époques et les générations: «Sadie, il dit, tu accepteras ce qui se passe parce que tu es une fille mauvaise et une menteuse et ta mère est une femme mauvaise et une menteuse et tu as hérité de toutes ses tares. Je te possède totalement et, comme elle, tu continueras de pécher toute ta vie. Jamais, je ne te relâcherai, Sadie.» (LF, 363-364) Alors qu’elle se regarde intensément dans le miroir vers la fin du roman, Kristina n’arrive pas à déceler ce qui la distingue de sa mère et de sa grand-mère. Ces réflexions sont suivies dans le texte de plusieurs épisodes oniriques où l’enfant est victime de violence irrationnelle. Loin de résoudre ces tensions, l’arrivée de Johann, l’enfant adoptif, au terme du quatrième récit, ne fait que confirmer la dépossession de l’origine qui est au cœur du flux généalogique de ces familles d’émigrés. Partir n’aura pas empêché la famille de reproduire la faille originaire. C’est cette identité non-différenciée de l’enfant qui engendre la violence victimaire. De cela, les attentats de New York n’auront été qu’une scénographie aussi frappante que futile7Plusieurs années après la parution de Lignes de faille, Huston évoquera plutôt la nécessité d’agir sur un monde en proie à l’injustice et à la souffrance. Rejetant du même souffle les chantres de l’espoir, la romancière note toutefois que le désespoir ne peut suffire à rompre des cycles de violence qui lui semblent résulter de constructions idéologiques. Voir l’important entretien accordé par Huston à Arnon Grunberg au Prague Writers Festival (Festival spisovatelů Praha) en 2019, en compagnie de Germaine Greer: en ligne (18 octobre 2019). Consulté le 11 juillet 2020..
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Au-delà des violences ponctuelles de l’Histoire et des déplacements migratoires, Lignes de faille constitue en somme un regard transversal sur la menace qui pèse depuis toujours sur la continuité de la filiation. Le récit de l’enfant-narrateur, se répétant au gré des générations, est porteur de la rupture initiale, qu’elle soit souhaitée ou non, avec le pays de naissance. Mais cette rupture, incarnée peut-être par les auteurs saoudiens des attentats de New York, ne cesse de se réitérer et de peupler l’imaginaire de l’enfance. Sur le plan théorique, Gérard Bucher propose une définition utile des rapports complexes entre le migrant et la lignée disjointe —et dès lors sacralisée— de ses ancêtres emportés par les forces de la dispersion: «L’errance doit se cristalliser comme chance, chaos qui s’ordonne, don que répercute le miracle de la première fois. […] Expliquer la logique de la démarche concerne alors la différenciation jamais définitive de l’informe et de la forme, l’écart entre la dissimulation et le recueil d(e l)’origine.» (2000, 208; en italique dans le texte) Chez Huston, l’imaginaire des attentats et des guerres démontre que cette différenciation souhaitée et souhaitable est toujours déjà compromise et que l’enfance est spécifiquement le lieu de cette compromission.
De manière générale, le personnage de fiction permet justement l’ouverture d’«une zone grise dans la représentation, apte à recevoir», écrit Chloé Tazartez, «ce qui ne peut être représenté, ce qui est trop immédiat, intense et incompréhensible pour pouvoir être saisi et fixé; à savoir ce qui est au cœur de la terreur et vole en éclats avec l’attentat.» (2013, § 5) Chez Huston, l’attaque spectaculaire contre les tours jumelles du World Trade Center, instantanément médiatisée, a tracé les contours d’un avant et d’un après dont il faut saisir les mécanismes internes pour peut-être s’extraire de leur emprise. Comme à d’autres moments de l’Histoire, sans doute, la dureté des événements n’a cessé de pénétrer de façon indirecte l’ensemble des discours sociaux. Ainsi, ceux-ci se trouvent désormais colonisés par la suspicion et par une impression d’incapacité à agir sur le sens et à orienter vers l’avenir une pensée politique obnubilée par l’image en boucle des attaquants venus du ciel.
Tel est en grande partie le projet mis en œuvre par Nancy Huston dans Lignes de faille: celui d’une meilleure compréhension des fonctions du représenté et du représentable dans l’histoire de l’imaginaire de la peur légué par les auteurs des attentats du World Trade Center et du Pentagone. En réalité, la date du 11 septembre 2001 renvoie à ce qui a précédé depuis toujours au sein du représenté, c’est-à-dire aux mécanismes anaphoriques de l’origine qui président de manière récurrente au surgissement de la violence mimétique et de son imaginaire. Il ne s’agit pas de la reprise cyclique du même. Au contraire, chez Huston, la discontinuité est le propre de toute filiation. «Tous les grands systèmes mythologiques, et non pas seulement les indo-européens», constate René Girard en 1985, «possèdent ces troupes de tueurs ou tueuses surnaturels qui agissent ensemble, unanimement, et qui, ce faisant, produisent du sacré, parfois même divinisent les victimes. C’est la version pleinement mythologique des armées célestes, autrement dit des persécuteurs de Job.» (1985, 47) L’ampleur du traitement médiatique à la suite des attentats de New York a permis d’attribuer à l’effondrement des tours une fonction quasi sacrale qui vient confirmer, en filigrane de la trame romanesque, l’exceptionnalisme de l’Amérique. Cependant, cela —cette violence et cet exceptionnalisme— n’avait justement pas commencé à New York en 2001. En dépit de la surprise générale causée par ces attaques, on peut penser, à la manière de Nancy Huston, que le cours de l’H/histoire, celle des individus comme celle des collectivités, répond plutôt à une logique déterministe dont il revient à chaque génération de comprendre la portée et les limites.
Bibliographie
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Fourreau, Éric (2016) «“Les humains vivent la tête dans le sable”. Entretien avec Nancy Huston, réalisé en octobre 2015», Nectart, n°2, p.11-24.
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Lepage, Élise (2010), «Nancy Huston: empreintes et failles d’une mémoire sans frontières», Francophonies d’Amérique, n°29, p.79-95.
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Zoja, Luigi, et Donald Williams (2002), Global Nightmare: Jungian Reflections on September 11, Einsideln (Suisse), Daimon.
- 1«Huston’s novel marked a new transnational orientation in an oeuvre that was already rich and varied. Lignes de faille moves to strategic places around the globe to tell the tale of a family whose displacements have led to traits and troubles that have been transmitted across continents and generations, suggesting that while national roots may not cling to us, hereditary ones may be deferred, but not, in the end, denied.»
- 2Dorénavant, les références à cet ouvrage seront indiquées par les lettres LF, suivies de la page, entre parenthèses.
- 3Voir Lachance, 2019.
- 4Les critiques ont beaucoup fait remarquer la structure polyphonique de certaines œuvres de Nancy Huston, surtout après la parution de Prodige en 2002; voir Proulx 2011.
- 5En réponse à une question de Mi-Kyung Yi sur les écrivains et la «blessure d’origine», Nancy Huston est catégorique: «Là je ne vous suis pas du tout. Pour moi, l’idée de quête de l’origine est dépourvue de résonance. Je n’ai pas l’impression du tout de la chercher, je suis tout sauf nostalgique, je suis entièrement tournée vers les projets.» (Yi 2001, 12)
- 6Tel le personnage de Sol et sa confiance inébranlable en l’Internet.
- 7Plusieurs années après la parution de Lignes de faille, Huston évoquera plutôt la nécessité d’agir sur un monde en proie à l’injustice et à la souffrance. Rejetant du même souffle les chantres de l’espoir, la romancière note toutefois que le désespoir ne peut suffire à rompre des cycles de violence qui lui semblent résulter de constructions idéologiques. Voir l’important entretien accordé par Huston à Arnon Grunberg au Prague Writers Festival (Festival spisovatelů Praha) en 2019, en compagnie de Germaine Greer: en ligne (18 octobre 2019). Consulté le 11 juillet 2020.