Colloque, 11 au 13 mai 2015
Raconter l’aliment. La gastronomie et ses récits contemporains
Organisé par Marie-Christine Lambert-Perreault (UQAM) et Geneviève Sicotte (Concordia), le colloque Raconter l’aliment. La gastronomie et ses récits contemporains s’est tenu à l’Université Concordia du 11 au 13 mai 2015, sous l’égide du Département d’études françaises de l’Université Concordia et de Figura NT2 Antenne Concordia.
La gastronomie, c’est non seulement ce que l’on mange, mais tout ce que l’on imagine autour de l’aliment, de ses codes et de ses rituels, des contraintes qu’il impose et des plaisirs qu’il permet. Or depuis toujours, le récit a été l’une des formes privilégiées à travers lesquelles la gastronomie a été pensée. Le colloque Raconter l’aliment se propose d’examiner cette importance du récit dans l’imaginaire gastronomique contemporain en ouvrant la réflexion à un ensemble de supports et de formes. Seront ainsi envisagées des œuvres provenant de médias variés: la littérature, mais aussi le théâtre, les livres de recettes, la bande dessinée, les jeux vidéo, le cinéma et la télévision, les sites web et les blogues, les arts visuels et la performance. Non seulement ces récits reflètent et nourrissent l’imaginaire social, mais dans certains cas, leur forme esthétique les conduit à interroger les codes existants, à jouer avec les normes et les idées reçues, bref à modifier l’idée même que nous nous faisons du fait alimentaire.
L’événement Raconter l’aliment a rassemblé près de 30 chercheurs et créateurs, canadiens et internationaux. Au menu du colloque: des dizaines de conférences, une causerie avec l’écrivaine Kim Thúy, une présentation d’un extrait de la pièce Ubu sur la table par Olivier Ducas et Francis Monty (Théâtre de la Pire Espèce), une projection de l’œuvre «Qu’est-ce qu’on mange, m’man?» de l’artiste Jocelyne Thibault et une performance des conteurs Anne-Marie Aubin et Alain Charpentier.
Communications de l’événement
Le «repas gastronomique des Français» et ses récits, de l’enquête de terrain à l’inscription Unesco de 2010
Le 16 novembre 2010, le repas gastronomique des Français a été inscrit sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, en référence à la convention de l’UNESCO de 2003. Cette inscription a salué comme couronnement au patrimoine de l’humanité de la gastronomie française et accessoirement, bien entendu, de son excellence. Démontrant ainsi non seulement l’instrumentalisation du concept de patrimoine culturel immatériel, mais encore (et c’est ce qui nous intéresse ici) la complexité qu’il y a à analyser la gastronomie.
En effet, la gastronomie est objet multidimensionnel, au sens imprécis, un mot tiroir qui alimente un discours omniprésent. Si le terme s’inscrit dans un lexique grec, très vite il est entré dans la langue française et, depuis, il est devenu un mot français et la France s’est appuyée sur le mot pour persuader le monde de l’exceptionnalité de sa chose. Dans le cadre du colloque, j’ai proposé de retracer la complexité de cet objet à travers les mises en récit successives de la gastronomie qui ont accompagné ce processus de candidature à l’inscription à l’UNESCO.
Julia Csergo est historienne et spécialiste d’histoire culturelle contemporaine. Elle est professeure au département d’études urbaines de l’école de gestion de l’Université du Québec à Montréal et est chercheure associée à la chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain de l’UQAM, au centre de recherche en tourisme et patrimoine de l’UQAM, au laboratoire d’études rurales de Lyons 2 et au laboratoire ISOR de Paris 1.
Quand l’emballage se fait biographe de l’aliment
On parle de plus en plus souvent de la circulation généralisée des nourritures. La circulation d’une marchandise comestible produit plusieurs types de récits, mais produit toujours des récits: Journal de voyage qui retrace les déplacements réels ou supposés des produits, chronique sociale qui varie en fonction des différents milieux auxquels le produit est destiné, mythologie qui rappelle les origines supposées, réelles ou fantasmées du produit. Toute cette dimension narrative se retrouve dans les discours des personnes, mais aussi, sur les emballages qui enveloppent les produits et sans lesquels sans commercialisation ne peut guère intervenir.
Pour cette présentation, je m’intéresserai à la production de la feuille de brick, venue de Tunisie en France au début des années soixante.
Le mieux manger: leçons tirées des campagnes publicitaires du concours DUX
Qu’est-ce que le programme DUX? C’est un programme mis de l’avant par une compagnie nommée EDIKOM. Il s’agit d’un concours de reconnaissance pour le secteur agroalimentaire au Québec. Le concours se décline en trois catégories:
La première catégorie, «Produits», a effectivement deux sous-catégories, soit les produits prêts à la consommation et les ingrédients et technologies. La seconde est celle des «communications», qui a plusieurs sous-catégories pour plusieurs types d’entreprises. Finalement, dans la catégorie «Projets» on retrouve différents projets, par exemple un centre sportif voulant éliminer la malbouffe de son menu.
En l’espace de trois ans, le prix DUX a gagné une traction incroyable au Québec. Pourquoi? Entre autres, parce qu’au mois de janvier, on a une occasion de se rassembler. C’est toute l’industrie alimentaire qui est là, dans une même pièce. Pour un soir ils ne compétitionnent pas, ils ne sont pas la pour décrocher un contrat, ils sont là pour célébrer ce qu’ils font de bien et il y a quelque chose de magique dans cette soirée.
Dîners imaginaires et repas-fantasmes: la narration informulée de la recette de cuisine
La recette de cuisine rappelle une forme d’écriture. Griffonnée à la main sur une feuille blanche, consignée dans un livre de cuisine, la ségrégation se devine déjà à la place qu’on lui réserve.
Alors qu’on admet assez volontiers qu’un ouvrage de cuisine puisse être autre chose qu’un manuel, la recette, elle, reste avant tout technique. La bonne recette, éprouvée, pratique, exacte dans ses indications et ses proportions est celle qui conduit à la production du bon plat. La recette, a priori, ne raconte rien, elle ne veut rien dire, au-delà de ce qu’elle dit explicitement. Pourtant, notre expérience de cuisinier amateur et de collectionneur de recettes suggère autre chose.
Les mises en récit des recettes de cuisine à la télévision: intégrer la cuisine à la vie
Depuis qu’elles sont apparues sur les écrans de télévisions au milieu des années 1950, les émissions de cuisine française ont été largement construites sur le mode de la démonstration. Des programmes des années 1950-60 aux programmes des années 1990 et 2000, le registre didactique domine très nettement.
Sur un plateau de télévision, on peut voir les protagonistes présenter des recettes face à la caméra en donnant des explications techniques et ainsi proposer un clair exposé des techniques culinaires.
Cependant, à partir des années 2000, de nouveaux programmes ont pris leurs distances avec cette approche théorique pour intégrer la présentation de recettes à des récits.
Du «power-up» à la recette: la nourriture dans les jeux vidéo
J’aimerais commencer en vous présentant brièvement certaines notions de base en études vidéoludiques avant de plonger dans le vif du sujet et d’illustrer quelques fonctions de la nourriture que j’ai observées dans un corpus de jeux vidéo étendu.
Ma réflexion sur la nourriture dans les jeux vidéo est embryonnaire, je souhaite donc aujourd’hui avant tout faire une introduction au monde vidéoludique par le thème de la nourriture. Puisque nous participons qui porte sur les récits contemporains de l’alimentation, je discuterai brièvement de la manière dont la notion de récit peut, ou pas, s’appliquer aux jeux vidéo.
Jérôme-Olivier Allard est doctorant en études cinématographiques à l’Université de Montréal. Boursier du FRQSC et du CRSH, il s’intéresse dans sa thèse, dirigée par Bernard Perron, aux représentations animalières et au spécisme dans les jeux vidéo. Codirecteur des ouvrages Télé en séries (XYZ, 2017) et La mort intranquille. Autopsie du zombie (PUL, à paraître), il a publié plusieurs articles et chapitres de livres consacrés aux jeux vidéo ainsi qu’à la littérature et au cinéma de genre.
«Dessine-moi une recette», Gastronomie et BD
«S’il vous plaît, dessine-moi un mouton» demande le petit prince à l’aviateur et comme l’aviateur ne sait pas bien dessiner, il trouve un truc et lui dessine une caisse en lui disant «le mouton que tu veux est dedans».
Les BD gastronomiques fonctionnent également d’une manière similaire, certaines d’entre elles ont l’air de livres de recettes, de manuels pratiques ou d’ouvrages documentaires dont elles intègrent différents aspects. On peut se demander si elles sont vraiment destinées à être mises en pratiques et on peut se demander dans quelle bibliothèque on doit la placer, celle de la cuisine ou celle du salon.
À mon avis, les plus réussies de ces BD sont surtout des manières de raconter des histoires, faire évoluer des personnages, bref, des tremplins pour l’imaginaire.
La Dernière Cène dans le tableau vivant: de Pasolini aux pratiques actuelles
Ce livre retrace une histoire de l’utilisation des aliments dans les pratiques performatives. Des premières pratiques avec les futuristes dans les années 20 et 30 jusqu’à l’art relationnel puisque j’avance comme hypothèse que l’usage de la nourriture en art performatif avait été reconnu sur le plan théorique en bonne partie grâce à l’art relationnel. De sorte que, un genre qui est encore à définir, le tableau vivant, n’a pas encore été considéré. Pourtant, c’est un genre qui m’intéresse beaucoup.
La présentation d’aujourd’hui, qui n’est certainement pas en art visuel, mais en cinéma, me permet de rebondir sur cet intérêt pour le tableau vivant et voir comment sera utilisée dans le tableau vivant en prenant comme point d’ancrage une œuvre déterminante, soit La ricotta de Pasolini.
Mélanie Boucher est professeure en muséologie et patrimoine à l’École multidisciplinaire de l’image de l’Université du Québec en Outaouais. Spécialisée dans l’art du XXe et du XXIe siècles, elle poursuit une pratique en commissariat d’exposition. Elle a réalisé des expositions pour le Musée national des Beaux-Arts du Québec, la Galerie de l’UQAM, le Musée d’art de Joliette et, entre 2002 et 2005, elle a travaillé à la mise sur pied, au co-commissariat et à la direction de la publication de la première édition de Orange, l’événement d’art actuel de Ste-Hyacinthe, une triennale portant sur le thème de l’agroalimentaire. Elle a dirigé des livres et publié des textes dont plusieurs traitent de nourriture. Son livre La nourriture en art performatif.
Les VISCÉRAUX / Une esthétique de l’appétence
Le titre de notre exposé est la thématique de la 5e édition de l’événement orange. Qu’est-ce que l’événement orange? D’abord, c’est un événement savoureux à saveur de savoir, qui a été fondé par Mélanie Boucher en 2003 en cofondation avec Marcel Blouin qui est le directeur général du centre Expression à St-Hyacinte.
St-Hyacinte est d’abord une ville dont l’économie est dominée par l’industrie agroalimentaire et c’est pour cette raison qu’ont été associés art contemporain et nourriture et tout ce qui est alimentaire. C’est donc une sorte d’événement laboratoire, événement, comme on le disait, à saveur de savoir. À travers cet événement, on explore la nourriture, nos habitudes alimentaires, la nourriture comme médium et comme médium artistique, particulièrement dans l’art performatif.
Céline Mayrand a été commissaire d’un grand nombre d’exposition au Québec et à l’étranger. Elle est l’auteure d’un grand nombre d’essais sur l’art contemporain.
Sylvie Tourangeau est artiste et auteure.
Métaphysique de la faim d’Amélie Nothomb
Cette communication se conçoit comme une sorte de prolongement de mon mémoire en recherche et création dont la portion essayistique traitait en grande partie du roman Biographie de la faim d’Amélie Nothomb sous l’angle d’une potentielle réincarnation du corps anorexique à travers la performativité textuelle.
Il s’agit maintenant aujourd’hui d’élargir le corpus. Cultivée ou comblée, navigant entre ascèse et excès, la faim parcourt son œuvre, marquée par l’intensité. Évoluant d’un extrême à l’autre, Nothomb tisse à travers son œuvre une métaphysique complexe réunissant des concepts traditionnellement antagonistes, les faisant se côtoyer effrayés dans un certain esprit carnavalesque, tissant une sorte de témoignage de la relation complexe et problématique qu’entretien l’auteure avec son propre corps.
Fanie Demeule dispose d’un diplôme de maîtrise en recherche et création littéraire de l’Université de Montréal (2012-2014). Cette recherche s’intéressait au récit de leur maladie chez les écrivaines ayant vécu l’anorexie mentale. Elle rédige aujourd’hui une thèse de doctorat en études littéraires à l’Université du Québec à Montréal (2014-…), un projet portant sur la figure de guerrière des productions de culture populaire contemporaine. Financée par le FRQSC et le Département d’études littéraires de l’UQAM, cette recherche s’inscrit dans les champs d’études culturelles et féministes. Ses articles, publiés dans diverses revues canadiennes, traitent principalement des représentations contemporaines des femmes.
«Avec une bonne bouteille de Chianti»: sensualité et ritualité dans le cannibalisme d’Hannibal Lecter
Personne commun dans l’imaginaire de tous, Hannibal Lecter a non seulement popularisé la série en quatre tomes de Thomas Harris, il est également au cœur des adaptations cinématographiques qui en découlent et plus récemment d’une série télévisée. Le personnage est énigmatique, cultivé et gentleman, il est l’image parfaite de l’homme qui a du succès et que tous voudraient fréquenter sauf qu’Hannibal a un secret: il aime faire de la haute cuisine avec des pièces de viande d’origine humaine.
Contrairement à plusieurs études qui ont été faites sur le cannibale le plus célèbre, nous ne souhaitons pas aujourd’hui tenter de comprendre comment le raisonnement d’Hannibal le rend si charismatique ni ce qui fait de lui un monstre. Nous allons plutôt faire des observations portant sur le traitement de la nourriture, humaine ou non, dans les œuvres ayant Hannibal pour personnage en voyant comment celle-ci influence son développement psychologique.
Sophie Horth est doctorante en études littéraires à l’Université du Québec à Montréal. Elle s’intéresse particulièrement à la philosophie, à la rhétorique et à la représentation de la science en fiction. Elle collabore avec la revue numérique Pop en stock.
Ogres et ogresses dans la littérature contemporaine des femmes
Personnage du conte populaire dans la tradition orale africaine et européenne, l’ogre apparaît au XVIIe siècle avec Charles Perreault dans le conte littéraire destiné a priori à un public enfantin. «Géant des contes de fées à l’aspect effrayant se nourrissant de chair humaine» selon le Petit Robert, l’ogre est un mangeur mythique dont les appétits mesurés et anthropophages marquent siècle après siècle l’imaginaire des grands et petits.
Être surnaturel dont on sait trop s’il est de nature humaine, animale ou divine, riche collectionneur d’objets magiques (comme les bottes de sept lieux), géant métamorphe friand de chair fraîche enfantine, l’ogre possède flair et rapidité. Il est souvent malvoyant et dupe, il se laisse notamment berner par le petit poucet et le chat botté. Mélissa Rioux identifie cinq traits propres au mot de l’«ogre», soit la mendication, la chair, la faim, l’excès et les victimes innocentes. Elle rapproche une figure de l’ogre chasseur, boucher ou bourreau, ainsi que monstres anthropophages issus de la mythologie grecque (les titans, cyclopes et minotaures).
Soutenue par le FRQSC et le CRSH, Marie-Christine Lambert-Perreault achève un doctorat en études littéraires à l’Université du Québec à Montréal, sous la direction de Simon Harel et Lori Saint-Martin. Ses travaux portent sur les imaginaires de la table, la culture végane, le motif de la dévoration et les représentations de la filiation et des affects dans la littérature et les séries télévisées contemporaines.