Entrée de carnet

L’idiotie dans la poésie-performance

Yan St-Onge
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Article paru dans Actualisation en cours, sous la responsabilité de Yan St-Onge (2012)

C’est en lisant le texte «Des bêtes à parler et à tournoyer dans la caverne» du poète-performeur Charles Pennequin que je me suis posé la question du rapport entre la poésie-performance et l’idiotie.

Refusant l’idée que l’idiotie est une régression, Charles Pennequin revendique un intérêt pour l’idiotie: «L’idiotie, le poème neuneu, la poésie au ras des pâquerettes, se mettre plus bas que terre, se mettre honteux, c’est quelque chose qui m’a toujours travaillé» (C. Pennequin, p.266). Cherchant à «remuer les choses dedans sa bouche», le poète revendique cette part d’idiotie qui permet d’énoncer ce «dont on ne veut pas entendre parler» (p.266). Pour Pennequin, la poésie-performance mène à «la joie» puisque «la jouissance arrive du fait qu’on fait exploser ce qu’on pense dans des poèmes» (p.266).

Ce n’est pas tout à fait clair, dans le texte de Pennequin, si l’idiotie relève davantage de la poésie ou de la performance. En revanche, sa conception de la poésie implique, on pourrait dire intrinsèquement, la performance. C’est d’ailleurs explicite dans la façon qu’il exprime l’importance de «la voix-de-l’écrit», soit la voix du texte lui-même (principe qu’il reprend de Christian Prigent), et la «voix dans la bouche», soit la voix matérielle produite par un corps vivant, ce qui reprend le principe central de ce qu’on appelle généralement la poésie sonore (p.265). Plus précisément, il présente l’interrelation du corps et du texte: «C’est le corps qui avance dans l’espace avec le poème en bouche et la circulation de tout ça fait poème» (p.265). Ainsi, le «poème» n’est plus seulement une forme textuelle, mais bien une forme composite incluant autant le texte que le corps.

L’idiotie propre à la poésie ou à la poésie-performance est celle d’un jeu avec le langage permettant de secouer, de perturber, de déborder du cadre, de déborder de soi. Comme la poésie «dit le moment où ça peut partir en vrille» (p.266), elle fait peur, comme l’idiot. C’est pourquoi tant de gens ne «croient» pas à la poésie:

«Seulement le vivant n’y croit pas. Il préfère les discours des chefs, des autorités, de l’église, du patronat, il préfère en chier de la publicité et de la morale que de voir qu’il chante à tue-tête dans sa tête à longueur d’année. On ne veut pas croire au fait qu’on est des bêtes à parler et à tournoyer dans la caverne avec des torches allumées dans le noir et qu’on ne voit rien et qu’on danse. On ne veut rien voir de tout ça bien souvent.» (p.266-267)

Dans la poésie, il y aurait une énonciation (un dire) authentique, à l’instar de ce que peut faire l’idiot; la poésie, «ça dit vraiment en dehors des clous du discours» (p.267). La notion d’idiotie serait donc au coeur de l’approche des poètes-performeurs et poètes-performeuses qui débordent du cadre, qui tordent le langage pour faire émerger de l’inattendu «emmerdant» pour rester dans le lexique de Pennequin, ce qui, inévitablement, dérange.

Référence: Charles Pennequin, «Des bêtes à parler et à tournoyer dans la caverne» dans Olivier Penot-Lacassagne et Gaëlle Théval (dir.), Poésie & Performance, Editions nouvelles Cécile Defaut, 2018, p. 263-270.

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