Entrée de carnet

La puissance figurale des images oniriques chez Pedro Pires

François Prud'homme
couverture
Article paru dans OIC: Observatoire de l’Imaginaire Contemporain, sous la responsabilité de Groupe de recherche de l'OIC (2011)

Dans le cadre du Groupe de recherche: L’Observatoire de l’imaginaire contemporain 4 (OIC- 4) «Une folie du voir: images et écrans dans l’extrême contemporain» sous la direction de Bertrand Gervais et Vincent Lavoie (études littéraires et sémiologie).

Pires, Pedro. 2011. «Hope» [Capture d’écran: Vidéo] Source: http://pedropiresfilms.com/fr/index.php/hope_movie/

Pires, Pedro. 2011. «Hope» [Capture d’écran: Vidéo]
Source: http://pedropiresfilms.com/fr/index.php/hope_movie/
(Credit : Pires, Pedro)

Cette image, photogramme tiré de la première scène du court-métrage Hope (2011) du cinéaste Pedro Pires, est puissante par sa capacité d’évocation figurale puisqu’elle nous permet, dans le sens où l’entend Philippe Dubois1Philippe Dubois, «La question du figural», in Pierre Taminiaux et Claude Murcia (dir.), Cinéma/Art(s) plastique(s), Paris, L’Harmattan, 2004, pp. 51-76., de voir ce que voit le cinéma. C’est-à-dire qu’une fois débarrassée de sa référence mimétique à La création d’Adam de Michel-Ange (1508-1512) et à l’Enfant géopolitique observant la naissance de l’homme nouveau de Salvador Dalí (1943), une fois saisi le paradigme métaphorique de l’univers martial, des désastres de la guerre à la chute de l’homme dans la bêtise de l’orgueil et de la vanité, ce photogramme permet la prise en considération de la figurabilité permise par le cinéma de l’onirisme, la poétique de l’image brute dans sa dimension phénoménologique, sans appel dialogique ou narratif, bref, le travail de l’image en train de se faire, en train de se regarder. 

À l’instar de la scène centrale du film Blow up d’Antonioni (1966), telle que la décrit Dubois, le film de Pires est une:

Scénographie visuelle (qui se déroule presque exclusivement par et dans l’image : il n’y a pas un mot de dialogue), enclenchée par la seule puissance d’expansion du détail et aboutissant à un double effet contradictoire (ou plutôt dialectique) de reconstruction du réel (d’un côté) mais qui s’avère en fait (de l’autre côté) construction d’une fiction, jusque dans l’indécidable.2Ibid., p. 71.

La disposition des corps et des objets, par exemple la ligne dessinée par le bras du général et poursuivit par la crevasse longitudinale, est une mise-en-scène assumée, une disposition spatiale pensée pour figurer l’irréel dans une plasticité plus près de la réalité que de l’onirisme qu’elle introduit. L’indécidabilité dont parle Dubois dans la citation précédente réside ici dans le dialogue qui s’effectue entre le réalisme des couleurs rehaussées par le grain grossier du sable et de la rocaille, voire de l’iconicité véhiculée par les vêtements militaires des personnages, et l’invraisemblance de la disposition des corps dans l’espace. Nous sommes ébranlés face à cette rencontre entre la réalité et la fiction dans ce seul instant cinématographique, qui connote sans doute l’ironie dramatique propre à la nature de l’image filmique: nous savons, en tant que spectateurs, que nous avons affaire à de la fiction, mais tout est mis en œuvre pour nous faire croire le contraire tout au long de la projection du film, voire même l’instant d’une image.

La commotion éprouvée par l’appréciation de la rencontre entre réel et fiction tient de la déchirure, de la coprésence du visible et du lisible dans le contraste, dans l’hétérogénéité de ce qui est sens et de ce qui est senti en regardant le photogramme. Ce qu’on y voit est la juxtaposition d’un même à un autre, dans laquelle on reconnaît autant la nature de notre monde réel que la sensation d’un je-ne-sais-quoi foudroyant, qui heurte l’esprit de sa singularité inexplicable. La disposition des corps et l’éparpillement des objets propres à l’univers militaire offrent une sorte d’altérité au réalisme global de l’image, invitant à voir la suite du film de Pires d’une manière inédite.

En somme, ce photogramme résume parfaitement le paradoxe à la base des 11 minutes du court-métrage de Pedro Pires: la coprésence du réel et de l’irréel dans l’antichambre de la mort, alors que l’esprit humain flotte entre les souvenirs de sa plus récente existence et une espèce de défiguration de cette réalité par l’entremise d’un effet d’altération, une exigence de représenter en image certains éléments signifiants inscrits dans l’inconscient humain.

 

  • 1
    Philippe Dubois, «La question du figural», in Pierre Taminiaux et Claude Murcia (dir.), Cinéma/Art(s) plastique(s), Paris, L’Harmattan, 2004, pp. 51-76.
  • 2
    Ibid., p. 71.
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