Cahiers Figura, numéro 32, 2013

Traduire le texte érotique

Pier-Pascale Boulanger
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La traduction du texte érotique est une tâche ardue parce que, à cheval entre deux imaginaires culturels, elle soulève la question des valeurs morales et littéraires rattachées à la représentation du sexe. Le récit érotique oblige le traducteur à déterminer ce qui peut être montré et ce qui doit être caché dans la culture d’arrivée; soit la traduction freine la force érotique du texte original par l’euphémisme et la censure, soit elle la transmet. Les textes réunis dans le présent numéro étudient comment le texte érotique fonctionne dans sa langue source et comment ce fonctionnement peut être rendu dans la langue cible.

Avec des textes de Philippe Di Folco, Pier-Pascale Boulanger, Andrew Branch, Jean-Marc Gouanvic, Slimane Lamnaoui, Nitsa Ben-Ari, Sabine Kraenker et Ulla Tuomarla, Yannick Pierrisnard et Pavel Cazenove.

Articles de la publication

Shawn Huffman

Présentation

Tout espace, tout corps qui existe visuellement baigne dans une lumière. Celle-ci donne vie à l’espace, le meuble et le métamorphose. La lumière anime le spectacle au rythme de ses changements et emporte le sujet dans une fluidité perceptive mettant en relief sa dimension émotive.

Philippe Di Folco

La pornographie est-elle une esthétique?

Quel que soit le registre d’exposition, fiction ou documentaire, la phénoménologie de l’activité sexuelle humaine en ses performances se heurte encore à un triple régime régulateur: le droit écrit, les usages et notre peur. De nos jours, en Occident, aucun arsenal juridique solide n’est opposable à la libre publication de textes érotiques regardés comme obscènes et souvent désignés, à tort, comme pornographiques. La censure effective, si jamais, provient du dispositif marchand, par exemple du prescripteur, comme le fait d’un refus de promotion.

Pier-Pascale Boulanger

Traduire pour faire jouir

Si «les traducteurs ont des pudeurs que les auteurs ne connaissent pas», c’est peut-être parce qu’ils pressentent l’inquiétante force des mots. C’est pourtant cette force qu’il faut rendre lorsqu’il s’agit de traduire un texte érotique, dont la fonction avouée est d’exciter le lecteur. Il n’est pas simplement question de traduire les mots, mais aussi la manière d’être des mots dans le langage. Et on se rend compte pour chaque type de texte, qu’il s’agisse d’un récit érotique, d’un texte humoristique ou d’un roman d’action, qu’il y a une efficacité de moyens.

Andrew Branch

La traduction fictive en tant qu’élément érotique dans le roman «Elles ne se rendent pas compte» de Boris Vian

En 1950, le court roman «Elles se rendent pas compte» parut en France, annoncé comme la traduction du quatrième roman de Vernon Sullivan, auteur afro-américain dont l’œuvre était trop controversée pour être publiée dans son propre pays. Le texte présente une version subversive du roman noir: le secours d’un jeune mondain qui se frotte à des personnages douteux dans un univers où l’homosexualité, le travestisme, et la supercherie des sexes soustendent les nombreuses aventures sexuelles des protagonistes.

Jean-Marc Gouanvic

L’érotique en série noire. Sexualité masculine et non-violence

En marge des récits spécifiquement érotiques, toute une classe de textes effleure la représentation érotique du corps, en particulier les romans policiers de la Série Noire. Or il semble que Marcel Duhamel, le fondateur de la Série Noire, ait très tôt eu des réticences vis-à-vis de la sexualité explicite, du discours direct relatif au corps jouissant. Et on est quelque peu étonné à la lecture des romans traduits de l’anglo-américain après-guerre de l’hypersexualisation subreptice du texte du roman noir. Cette hypersexualisation passe par des personnages de jeunes hommes et de jeunes femmes qui sont des modèles de séduction et ne semblent être là que pour éveiller les désirs de ces mêmes protagonistes entre eux.

Slimane Lamnaoui

La traduction de l’éros arabe entre thème et version, corps culturel et corps textuel. L’épitre d’Al-Jahïz, «Éphèbes et courtisanes»

La traduction est la forme la plus insidieuse du dialogue des civilisations. Sa tâche en tant que médiation entre langues et cultures intrinsèquement différentes doit négocier un sens pertinent tenant compte de la spécificité de deux blocs monolithiques, de manière à signifier sans trahir la langue de départ ni brader pour autant la langue d’arrivée. Cependant, au-delà de sa dimension fonctionnelle, elle est appelée à tirer profit de son messianisme, celui d’unir les hommes à partir de ce qui les sépare. Cette utopie de resserrer les deux rives doit surveiller constamment cette différence, veiller sur elle, loin du dessein pervers de l’abolir, afin d’éveiller dans la langue d’arrivée la présence de ce qu’il y a d’insubstituable dans l’autre.

Nitsa Ben-Ari

Demoiselle en détresse. Le modèle érotique préféré de la culture populaire hébraïque

Examiner la trajectoire des modèles érotiques les plus prisés dans la littérature populaire, y compris les romans de gare, d’une culture qui, pour des raisons exposées par ailleurs, a agrémenté l’image du «sabra puritain» donne un point de vue privilégié tant sur la littérature de grande diffusion (mainstream) que sur la littérature subversive. Le principal objectif du présent article consiste à examiner l’apport de trois manifestations du modèle de la demoiselle en détresse à la littérature populaire israélienne des années 1940 à la fin des années 1960.

Sabine Kraenker & Ulla Tuomarla

De «Passion simple» à «Se perdre», de «Passion simple» à «Pudhas intohimo»

«Se perdre» d’Annie Ernaux, publié en 2001, est le journal réel d’une passion amoureuse, celle qui avait inspiré le récit autobiographique «Passion simple». Le journal intime de «vérité crue» est ainsi à la base du récit paru lui en 1991. Le récit «Passion simple» a lui-même été traduit en finnois sous le titre «Puhdas intohimo» en 1996, titre que l’on pourrait traduire en français par «passion propre», propre dans le sens où il s’agirait dans le livre d’évoquer seulement la passion amoureuse, pure et exempte de tout autre sentiment. Notre objectif est de voir comment le journal décrit la passion amoureuse, comment le récit retravaille celle-ci et, enfin, comment la traduction en finnois la rééclaire dans une autre langue et une autre culture.

Yannick Pierrisnard

Équivalences érotiques. Apollinaire traduit, Apollinaire traducteur

L’étude de la matière érotique permet d’envisager la traductologie sous un angle tout à fait original, comparé à l’appareil herméneutique habituellement utilisé dans le domaine de la traductologie littéraire. Ces deux disciplines demeurent jusqu’ici tributaires des réflexes de la traduction philosophique, essentiellement structurée par l’attention qu’elle porte à la notion de référent. De même, la traductologie plus particulièrement consacrée au domaine esthétique et poétique s’attache bien naturellement à maintenir un difficile équilibre entre l’équivalence signifiante d’une traduction vis- à-vis du texte original, et une relative isomorphie du style du premier auteur (pour employer la terminologie de Paul Ricœur).

Pavel Cazenove

Sade, pornographe

Selon l’opinion, un bon écrivain c’est quelqu’un qui a quelque chose à dire et qui le dit bien. Alain Robbe-Grillet —grand sadien s’il en est— a proposé, sous l’apparence d’un paradoxe facétieux mais qui se révèle fort juste, de «définir» l’écrivain comme quelqu’un qui n’a rien à dire et qui le dit mal. Partir du principe qu’un écrivain doit avoir quelque chose à dire, un message profond à faire passer, cela revient à considérer son écriture comme simple acte de communication, alors qu’elle ne peut être qu’une construction, une création.

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