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The Days of Awe

Jean-Philippe Gravel
couverture
Article paru dans Romans états-uniens, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Nissenson, Hugh (2005) The Days of Awe, Naperville, Sourcebook, 308p.

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

Roman écrit sous le signe de la crainte de la mort, de la maladie et du vieillissement, mais aussi sur la persistance de la vie, son lot d’épreuves et d’incertitudes, The Days of Awe est un roman dont la tonalité crépusculaire sied bien à l’âge avancé de son couple central, et de l’événement qui vient bouleverser leur vie. À la fin de l’été 2001, dans l’Upper West Side, Artie Rubin, 67 ans, planche sur un nouvel ouvrage illustré inspiré par la mythologie nordique tandis que sa femme, Johanna, s’occupe des portefeuilles boursiers de sa clientèle. Pendant que la mort et la maladie disséminent leur entourage, Artie, pourtant juif séculier, participe aux rituels des « jours redoutables » de la liturgie juive, période au cours de laquelle, entre Romosh Hashanah et Yom Kippour, il est rapporté que Dieu détermine lesquels de ses sujets mourront au cours de l’année nouvelle. Persuadé qu’il mourra à 73 ans comme son père, Artie se soucie surtout des ennuis de santé de Johanna, qui se révèle atteinte d’une forme d’hypertension grave. Le couple se réjouit pourtant d’apprendre que sa fille attend un garçon, bien que l’annonce soulève des questions délicates, le père du futur enfant refusant de faire circoncire le bébé. Entre temps, les amis de leur fille traversent aussi leurs épreuves : Sut, un informaticien travaillant dans une entreprise sise au 102e étage de la tour nord du World Trade Center, ne se remet pas d’avoir vu Guy, son supérieur, lui ravir la femme qu’il aimait; un ami des Rubin, Adam, en rémission d’un cancer, admet difficilement l’homosexualité de son fils. Arrivent les événements du 11 septembre, qui happent ces drames intimes dans le canevas de la grande Histoire, procédant à la sélection arbitraire des vivants et des morts. Faut-il céder à la peur, à la colère? Faut-il renier sa foi, ou retourner à celle de ses ancêtres? C’est ce dernier parti qu’adopte Artie, préoccupé par la santé de plus en plus fragile de sa femme, mais les voies (et l’ironie) divines restent insondables, jusqu’à la fin.

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Roman

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Le roman est polyphonique et surprend beaucoup par sa plasticité discursive et focale. Le cadre narratif premier est celui d’un récit non-focalisé qui aménage de nombreux passages en focalisation interne de diverses sources. Aussi les passages en discours immédiat sont nombreux (fragments de monologues intérieurs, dialogues rapportés en discours direct). Les vraies et fausses citations sont également fréquentes (voir 3c). Enfin, le statut même du narrateur n’est pas entièrement stable, puisque le roman comporte ce qui semble de discrètes interventions d’auteur, métalepses où le « I » de ce qui semble un narrateur homodiégétique intervient à deux reprises, toujours pour méditer sur l’isolement d’un personnage secondaire. Cela semble un signe discret de solidarité du narrateur pour Ella, la femme de ménage noire qui œuvre au domicile d’Artie et Johanna (voir page 40 et 72), et que ceux-ci projettent de congédier. Ce traitement particulier laisse entendre qu’un autre personnage secondaire, Betty Cook (qui est la fille d’Ella), est peut-être l’émettrice intra-diégétique du roman en entier. (cf. p. 142.)

Par ailleurs, si la chronologie des événements semble assurée par la datation des entrées du journal d’Artie Rubin, celle-ci s’avère comporter des erreurs. Vu la séquence des événements, il n’y a pas de doute que les entrées marquées de « Sept. 3, 2002, mon. 1 p.m. » (p. 121), « September 7, 2002. Fri. 2 p.m. » (p.135) et Sept. 8, 2003. Sat. 9 a.m. » (p.140) se déroulent la même année (soit en 2001). Ces erreurs cessent d’apparaître une fois franchi le seuil symbolique de 9/11.

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

Particularisée, elle se centre sur l’attentat perpétré sur les tours jumelles du WTC, placé au milieu du roman.

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

  1. Les événements sont-ils présentés de façon explicite? Les attentats sont évoqués par la transcription de deux conversations téléphoniques qui se déroulent simultanément aux événements ou dans leur immédiat après-coup. La première (simultanée) est entre Guy et sa fiancée, alors que celui-ci, coincé dans son bureau du 102e étage de la tour Nord après l’encastrement de l’avion, s’apprête à sauter par la fenêtre. La conversation a la tonalité tragique familière à ce que la diffusion des enregistrements authentiques (notamment sur You Tube) a révélé. Ce point de vue sur les événements d’une victime qui s’apprête à mourir est tenu jusqu’au bout puisque la narration relate aussi en focalisation interne les sensations et les ultimes pensées de Guy tandis qu’il tombe (cf. p.151-2), une page brève mais d’une grande intensité qui aurait exigé à l’auteur deux semaines pour s’écrire. (cf. voir http://nymag.com/nymetro/arts/books/14450/) [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée]Un second dialogue a lieu ensuite entre Chris et Sut; ce dernier ayant été sauvé in extremis du sort de son supérieur par une gueule de bois qui a retardé l’heure de son lever et son arrivée au travail. « I saw a jet flying low overhead bank to the left. […] Like in a dream, I watched the jet close on the South Tower. There was a platinum and gold flash and a gigantic ball of fire. I’ll never forget the colors—platinum and gold. Chris? Listen. The truth is, I overslept because I passed out last night. I have a terrible hangover. […] I’m alive because I got drunk last night. […] Why? Answer me that. There must be an reason. » (p.153-4)
  2. Guy et Sut décrivent les avions impliqués dans les attentats: l’irréalité de leur apparition, le fracas de l’explosion, la puissance du bruit.
  3. Présence des médias: Artie relate accessoirement dans son journal avoir suivi la couverture des événements sur CNN. Le téléphone portable est cependant « mis en scène » dans la séquence des attentats puisqu’il permet à Guy d’échanger ses dernières paroles à sa fiancée avant de mourir.

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

Guy est victime des attentats et devient un « homme qui tombe », ce qui permet au romancier (et comme le dirait Don DeLillo) de s’installer à l’intérieur des tours. Le point de vue général sur les événements est celui d’hommes et de femmes occidentaux, dont un couple de juifs laïques; l’un des témoins directs des attentats (Sut) est chrétien. Aucun professionnel (pompier, ambulancier, etc.) n’est représenté. Cependant, à la suite des attentats, Artie Rubin et Judy (sa fille) décident de s’impliquer dans la gestion de l’après-coup des attentats en allant prêter assistance aux proches des disparus, au « […] 69th Regiment Armory on Lex between 25th and 26th street [,] the designated central processing center for missing people » (p.172). Cette implication concerne la rédaction des fiches de signalement et l’évaluation de la viabilité des réclamations qu’ils adressent aux assureurs. Les séquelles des attentats auprès des personnages vont du deuil (lorsqu’il s’agit de proches de disparus) à, plus généralement, un questionnement sur leurs idées et convictions, tant politiques que religieuses. Chacun accuse le choc à sa façon, à un niveau intime en priorité : les réflexions amères ou révoltées sur le conflit israélo-palestinien se situent au niveau de l’opinion personnelle au même titre que les inquiétudes, par exemple, d’un couple de futurs parents (et de leurs familles) sur ce que les attentats laissent présager du « genre de monde » dans lequel vivront leurs enfants.

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Aucun son.

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

La narration exploite les ressources d’une esthétique du «copier-coller» qui intègre nombre d’éléments d’intertexte, fictifs la plupart du temps (extraits du journal d’Artie Rubin, correspondance électronique, extraits d’œuvres fictives) et authentiques à l’occasion (passages de la Torah, citations littéraires). Divers changements typographiques identifient ces passages : mise en retrait des citations, italicisation des entrées du journal, emploi d’une police de caractères différente dans la correspondance électronique.

Autres aspects à intégrer

New York est un personnage à part entière dans ce roman. Elle y est évoquée comme une ville aimée bien qu’elle soit aussi une ville dont l’histoire est violente : témoin cette mosaïque de marbre dans Central Park en mémoire de la mort de John Lennon (p.80-81), ou Artie se souvenant d’avoir découvert, un soir, la dépouille d’un chauffeur de taxi assassiné entre la 81e et la 82e avenue (p.81). Le décor est parfois très particularisé, évoquant des lieux repérés avec précision (accentuée par l’emploi de l’article défini) : une fenêtre précise au 102e étage de la tour Nord du World Trade Center (que Guy considère comme sa « fenêtre chanceuse » et par laquelle il se jettera dans le vide), ou un banc particuler à Central Park : « […] the bench among the dogwood and ginko trees near the 72nd Street Exit » (p.81).

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

This luminous and riveting novel — from a National Book Award and Pen-Faulkner Award finalist — evokes a love story so memorable that it provides insight into life’s most profound mysteries. At age 67, Artie Rubin finds his world shaken to its foundation by events he cannot control. Artie’s tale is both universal and unique. It is the story of the end of things and their beginnings, of friends and family, of connections lost and the endurance of love. The Days of Awe is a breathtaking call to living.

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

It’s called The Days of Awe, and it is another riff, on the Agnon book called Days of Awe. It is a contemporary — as I say, it’s about a secular — it’s seen through the eyes of a secularist. It is the days of awe and it also takes place — it begins in August 2001, and encompasses 9/11, which is part of the days of awe. […] I found that the coincidence of choosing this span of time — there’s a very specific reason, because something happens in Israel: the killing of some Hamas leaders just prior to the beginning of the novel; it’s a leitmotiv of the novel. And then I found myself, that I had to deal with New York … the days of awe … 9/11. And I found that it was no real effort to integrate — because what interests me profoundly is the religious implication of these events. What interests me profoundly is the religious implications of 9/11. How did that effect the people who were believers? Just as how the events in the life of my protagonist affect his belief in what does he believe. And in a sense — even though it sounds pretentious to say so — I am writing a “”spiritual history”” of this, of this event, and that’s what interests me.

One of the things that was fascinating about 9/11 and the American response is that there was an immediate religious response. There was a profound outpouring of religious feeling. Only in America — we’re a deeply religious civilization; we always have been. We have separation of church and state but our population is deeply, deeply religious. And so one of the things that interested me very much was the outpouring of religious thought and sermons about 9/11. And of course, ultimately it is a conflict — like it or not — of religions that is going on in here. There is an intense conflict between Islamism and the Western religious vision. […]

— « January Interview. Hugh Nissenson by Richard Klin », in January Magazine, nov. 2003. http://januarymagazine.com/profiles/nissenson.html (Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée).

Q. What was the genesis of The Days of Awe?
A. I began writing the book in the spring of 2001. I had already conceived the outlines of Artie’s Story. It would be his spiritual history. I knew the action of the book would begin on August 1 of that year and continue through the Jewish High Holidays—The Days of Awe. Then came 9/11. I had to deal with it. I had to integrate it into my plot. How did it affect the faith of the various characters—Christians and Jews—in the novel? […] Both [the Holocaust and 911] are the most significant occurences in Jewish history since the fall of the Second Temple in 70 AD. I believe that wether or not you interpret these […] as havint religious implications or as purely historical in nature, their impacts on the Jews—on the world—is overwhelming. […]
— « A conversation with Hugh Nissenson », in The Days of Awe, p.301-2.

Citer la dédicace, s’il y a lieu

« For Marilyn, Kore, Kate, and Alan, and to the memory of Paul Gottlieb. »

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

La quantité d’articles critiques sur cette œuvre, sur le Web, est assez mince, presque inexistante.

Impact de l’œuvre

Le titre a figuré dans la liste des « best books of 2005 » du Washington Post.

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

Comme le mentionne le titre, le récit se déroule au cours des « jours redoutables », également connus comme les dix jours de pénitence qui, dans le calendrier liturgique juif, séparent Roch Hachana du Yom Kippour, pendant lesquels Dieu évalue les actions et le repentir des Juifs de l’année écoulée pour les inscrire (ou non) dans le Livre de la Vie de la nouvelle année. Ce rituel est d’une importance culturelle assez grande pour que quantité de membres de la communauté juive laïque y participent. De fait, dans The Days of Awe, l’onde de choc propagée par les événements du 11 septembre 2001 signale un bouleversement dans le cheminement spirituel ou identitaire de certains personnages. Les questions de la judéité envisagée comme simple motif d’appartenance culturelle ou comme ciment de la foi religieuse tendent à s’assimiler ou à  inverser leurs pôles. Ce qui n’empêche pas les personnages du roman d’interpréter les attentats tantôt sous un angle géopolitique (le conflit israélo-palestinien, l’atteinte à l’impérialisme américain), tantôt religieux (l’attentat sera interprété comme la punition d’un Dieu vengeur, ou la preuve de l’absence de celui-ci, selon les points de vue). L’approche de Nissenson, dialogique, observe ces changements sans trancher : la question de la foi humaine comme force agissante dans l’Histoire l’intéresse davantage que les réponses qu’elle apporte.

Des thèmes secondaires gravitent autour de cet axe, tels que l’oubli et la mémoire, la consolidation (ou la rupture) des liens familiaux ou amicaux, les pouvoirs mortifères ou regénérateurs de la foi, l’absurdité de la mort, et bien sûr l’histoire juive récente (holocauste, fondation de l’état d’Israel) et la création artistique.  Des parallèles sont également à établir entre ces événements et la fascination d’Artie pour les mythologies du monde, qui est peut-être pour lui un moyen détourné de rester à proximité de ses racines religieuses.

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

« I’m proud of the American flags hanging from all the awnings on West End. Goddamn fucking arabs. America attacked. Unbelievable. A new era in our history. We’re vulnerable to be attacked in our own soil. I take it personally. “You may not be interested in history,” says Trotsky. “But history is interested in you.” (p. 169 (extrait du journal de Artie))

Why doesn’t [Chris, my son] name his son after me? He’s under some obligation to [Artie] Rubin to name the boy after Rubin’s father. What could it be? Rubin wants the boy circumcised! That’s it—I’m sure. Circumcision’s big with Jews. Chris feels like I do about it. He’s naming the boy Samuel to make up for not circumcising him. Jews and Muslims cut themselves off from us—ha! ha!—by circumcision. Damned contentious Semites! Their war’s spread here! (— « Richard », p.181.)

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

Il est à noter que l’édition actuelle du roman comporte deux sections en annexe : « A conversation with Hugh Nissenson » (soit un bref entretien avec l’auteur, p. 297-303), et « Reading Group Questions and Topics for Discussion » (p.305-308).

Couverture du livre

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