Entrée de carnet

Rutland. Entre réel et imaginaire

Bertrand Gervais
couverture
Article paru dans Réflexions sur le contemporain, sous la responsabilité de Bertrand Gervais (2011)

Une étrange métamorphose survient à Rutland au Vermont.

Une histoire de super-héros.

Incipit du numéro 83 des Avengers (1970)

Incipit du numéro 83 des Avengers (1970)
(Credit : Avengers 83 (1970))

Je suis en train de terminer ma relecture de La dernière Guerre (une tâche fastidieuse), roman qui doit être publié ce printemps 2017. Je ne veux pas entrer dans le détail de l’intrigue, je veux simplement reprendre une anecdote qui y apparaît.  Elle concerne la ville de Rutland au Vermont, notamment parce qu’une étrange relation s’y développe entre le réel et l’imaginaire.
Rutland, Vermont.
Population : 17292 habitants (dixit Wikipedia). 98,6 % de caucasiens.
C’est la deuxième plus grande ville du Vermont.
John Deere, l’inventeur, y est né. (Ai-je déjà parlé de ma ceinture John Deere ?)
Mia Farrow aussi.

Or, depuis 1960, et c’est la raison pour laquelle j’en parle, la ville organise un défilé à l’occasion de l’Halloween, un défilé où les super-héros occupent une place de choix.
Oui, les super-héros. Ceux de Marvel et de DC Comics.
Tom Flagan, écrivain local et fan de comics, aurait été à l’origine de ces défilés, où l’on pouvait trouver, sur les chars allégoriques, des personnages aussi variés que Thor, The Black Panther, Captain America, Batman, The Red Skull, Wasp. Flagan était ami avec des auteurs et des dessinateurs de comics, établis pour la plupart à New York; il les invitait à participer au défilé en costume et à loger dans son domaine. On imagine sans peine le party…
Par un juste retour d’ascenseur, Rutland a commencé à apparaître dans certaines aventures. Et c’est ainsi que le défilé lui-même est apparu… Un défilé de super-héros dans une bande dessinée de super-héros. Oui.
Un véritable défilé organisé pour l’Halloween, où des gens se costument en super-héros, devient, dans les comics, un défilé où d’authentiques super-héros en costume sont présents, comme si la fiction rejoignait la réalité.
C’est rare qu’on assiste à un tel renversement. La mascarade devient littérale. Non pas par banalisation de l’héroïque, mais par une forme de transsubstantiation. Les figures redeviennent authentiques après avoir transité par le réel où elles n’étaient plus que des masques.
Un tel déplacement est monnaie courante maintenant, mais la présence du défilé de Rutland dans les pages des comics date des années 1960 ou 1970. C’est le caractère historique de cette porosité des frontières de la fiction qui étonne.
Enfant, je les lisais ces comics et je me souviens avoir vu cette case qui ouvrait une des aventures des Avengers. J’en avais déduit que la ville était imaginaire (ce n’est pas comme Gotham, simple contrepartie de New York qui ne confond personne). Mon étonnement a été grand quand je me suis rendu compte que la ville était réelle et non seulement qu’elle était réelle, mais que le défilé lui-même l’était.
C’est la puissance du carnavalesque…

Pour plus de détails, lire l’article de Jim Sabataso dans The Plaid Crew.

Les super-héros en pleine discussion

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