Article d'une publication
L’imaginaire mémoriel. Détournements de l’archive
Dans Le Livre du rire et de l’oubli, Milan Kundera raconte l’histoire de la photographie de Klement Gottwald, prise en février 1948 lors du coup d’état. On s’en souvient: sur un balcon à Prague se trouvent réunis le chef communiste et ses compagnons révolutionnaires. Gottwald, pour s’adresser à la nation, porte le chapeau de fourrure de son camarade Clementis: sacrifice symbolique sous la neige qui tombe par un temps de grand froid. La photo, dont le Parti diffuse des centaines de milliers d’exemplaires, entre dans l’iconographie du régime, partout visible. Quatre ans plus tard, après la disparition de Clementis, pendu à la suite d’accusations de trahison, son image disparaît, effacée de tous les livres d’histoire et de tous les exemplaires de la célèbre photo. Reste pourtant la trace, l’indice qu’est le chapeau. C’est dans ce souvenir silencieux, ce reproche muet que Janice Best situe le paradoxe de la censure et l’inévitable échec de celle-ci. Car, pour être vraiment efficace, la censure se doit de supprimer toute trace du processus même de suppression; sinon, les silences se mettent à parler, les absences à signifier. Par exemple, ne suffit-il pas de mettre des ouvrages à l’Index, ni même, comme l’a voulu l’Impératrice Marie-Thérèse, de supprimer le catalogue dudit Index pour éviter que l’on lise les titres des ouvrages interdits; il faudrait aller plus loin jusqu’à la suppression de toute trace de l’acte même d’interdiction.