Entrée de carnet

Entretien avec Éric Simard, de la collection Hamac (éditions du Septentrion)

Pierre Luc Landry
Éric Simard
couverture
Article paru dans Antichambre: entretiens et réflexions, sous la responsabilité de Équipe Salon double (2013)

Afin d’aborder la rentrée littéraire automnale, Salon Double a mené une série d’entretiens avec plusieurs éditeurs afin de découvrir leur historique, leurs politiques éditoriales et leurs vues plus larges sur la littérature contemporaine. La série se poursuit par un entretien avec Éric Simard, responsable des communications et directeur de la collection Hamac aux éditions du Septentrion.

Entièrement consacré à la fiction, Hamac se décline de trois façons. Il y a la collection Hamac, consacrée à la littérature contemporaine (romans et nouvelles), Hamac-carnets, vouée à la publication de blogues et de carnets de voyage et Hamac classique, dédiée, entres autres, aux romans historiques ou d’époque.

Pierre-Luc Landry [PLL]: Pour le néophyte qui œuvre à l’extérieur du «milieu du livre», les choses peuvent être floues: Hamac n’est pas vraiment une maison d’édition, mais plutôt une collection qui jouit d’une certaine indépendance par rapport aux éditions du Septentrion auxquelles elle est rattachée. À quel moment la collection Hamac a-t-elle vu le jour? Qu’est-ce qui a motivé la décision de fonder cette nouvelle collection dont les objectifs s’éloignent quand même beaucoup de ceux des éditions du Septentrion? Est-ce que vous sentez que votre collection a permis de combler un vide qui existait sur la scène littéraire contemporaine?

Éric Simard [ES]: La collection Hamac a été créée à l’automne 2005 avec la parution de deux romans. Le but était de différencier les publications littéraires des essais. Comme Septentrion est spécialisé en histoire, les romans qu’ils publiaient se confondaient aux essais quand ils ne passaient pas inaperçus. En créant Hamac, il y avait aussi une volonté de développer le volet littéraire.

Je ne sais pas si Hamac vient combler un vide, mais une chose est certaine, on s’inscrit dans le renouveau que connaît la littérature québécoise depuis une dizaine d’années.

[PLL]: Quelle politique éditoriale vous êtes-vous donnée, quelle ligne directrice ou vision de la littérature vous oriente? Est-ce que votre politique éditoriale a changé depuis le début de vos activités?

[ES]: Ce qu’on recherche avant tout dans les textes, c’est d’abord une voix. Ça peut sembler banal, mais des véritables voix littéraires, c’est assez rare à trouver. Si la voix est là, il faut que ce qu’elle raconte nous captive, nous happe, nous rejoigne, nous touche. À partir de là, ils peuvent prendre des formes différentes. Jusqu’à présent, nous avons publié plusieurs fictions qui tournaient autour de l’intime. Mais nous nous ne confinons pas uniquement dans ce créneau.

Au début, Hamac était moins défini. Un roman historique avait autant de chance de se retrouver dans la collection qu’un roman policier ou contemporain, par exemple. C’était littéraire dans son sens très large. Maintenant, Hamac se consacre uniquement à la littérature contemporaine.

[PLL]: Hamac publie de la fiction, mais aussi des carnets. Cela a commencé par la parution successive de trois blogues transformés en livres. Parlez-nous un peu de cette «collection dans la collection».

[ES]: Ces trois premiers titres, dont faisaient partie Les Chroniques d’une mère indigne, sont parus en 2007 à une époque où les blogues envahissaient la toile. Comme il y en avait en abondance, et de très bons, on essayait de repérer les meilleurs pour les transformer en livres. C’était une idée très originale et assez avant-gardiste. On a d’ailleurs été dans les premiers à le faire. Évidemment, on reste à l’affut pour dénicher de bons blogues (ils sont rares, mais il en reste encore). Mais avec l’arrivée des médias sociaux, on a vu la blogosphère s’essouffler un peu. Pour éviter que cette collection s’essouffle à son tour, ce qui serait arrivé tôt ou tard, on a décidé d’élargir son mandat en restant dans l’idée du carnet. On publie maintenant des carnets de voyage et on est ouvert à faire paraître de bons textes qui empruntent à la forme du carnet. C’est une collection qui plaît et qui a encore un bel avenir devant elle.

[PLL]: Votre catalogue s’est modifié encore tout récemment après la création d’Hamac classique, une autre «collection dans la collection» consacrée aux romans historiques. Considérant que les premiers titres publiés chez Hamac étaient parfois assez près du genre historique, qu’est-ce qui a motivé cette segmentation de votre catalogue?

[ES]: Effectivement, les premiers titres publiés dans la collection Hamac pouvaient s’apparenter aux romans historiques, mais comme je l’ai mentionné, au début Hamac n’était pas encore défini. C’est en 2007 qu’on l’a fait et c’est devenu clair qu’on y publierait que de la littérature contemporaine. Entre-temps, puisque l’histoire, c’est la force du Septentrion, on continuait de recevoir beaucoup de manuscrits de romans historiques. C’était un naturel pour les auteurs de penser à nous. Plutôt que de les ignorer, surtout que le genre est de plus en plus populaire, on a créé Hamac classique.

[PLL]: Comment peut-on assurer sa diffusion et sa survie quand on est un «petit» joueur dans le monde de l’édition québécoise, où quelques groupes d’éditeurs obtiennent pratiquement toute la visibilité, tant en librairie que dans les médias? Quel rôle joue le numérique dans votre stratégie de commerce?

[ES]: C’est certain que lorsqu’on lance une nouvelle collection en littérature, on ne s’attend pas à avoir autant de visibilité que les autres, ce qui est un peu normal. On finit par ne plus trop penser à cet aspect en se concentrant sur la production; le but étant de faire paraître les meilleurs livres possibles en se disant qu’à un moment donné on reconnaîtra leur qualité et notre apport. Pour tirer notre épingle du jeu, conscient qu’on n’était pas le premier choix des auteurs, on a décidé de les accompagner pour les aider à peaufiner leur manuscrit. Cinq ans plus tard, non seulement on commence à recevoir la reconnaissance du milieu littéraire, on devient une option pour bien des auteurs. Ce qui est plutôt une progression rapide.

Côté numérique, Septentrion est l’un des chefs de file au Québec. On a pris le train avant la plupart des autres éditeurs (on offre du numérique depuis au moins cinq ans, alors que certains ne sont pas encore rendus à ce stade). D’année en année, on voit une progression des ventes et des habitudes des lecteurs. Malgré tout, ça ne représente pas encore un gros pourcentage de nos ventes globales. Au moins, on est prêt à faire face à la musique si le secteur prend de l’expansion.

[PLL]: On a le sentiment que le milieu littéraire québécois est très petit, et encore plus quand on se concentre sur ceux qui s’éloignent de pratiques littéraires à vocation commerciale. Hamac et Septentrion publient à Québec, en dehors de la sphère d’influence de Montréal. Quelle importance a la communauté immédiate, celle des auteurs, des autres éditeurs, des libraires, pour vous?

[ES]: Comme Septentrion a su prendre sa place au fil du temps au point de devenir un éditeur important au Québec, plusieurs pensent qu’on est basé à Montréal. Ça nous fait sourire, car ça sous-entend qu’un éditeur important doit nécessairement être basé à Montréal.

C’est certain que la communauté immédiate nous soutient. On sent même de leur part une certaine fierté par rapport à ce qu’on fait. C’est encore plus palpable pendant le Salon du livre de Québec. En ce qui concerne les auteurs de Québec, on remarque qu’ils ont tendance à nous soumettre plus facilement leurs manuscrits à cause de la proximité. Hamac a d’ailleurs publié plusieurs auteurs de la région. Mais ce n’est pas un prérequis. Une certaine confrérie s’est créée avec les autres éditeurs de Québec. On a évidemment des liens plus étroits avec les libraires du coin.

[PLL]: Qu’est-ce qui vous intéresse dans une écriture ou un projet, vous amène à choisir un texte en particulier parmi les manuscrits que vous recevez?

[ES]: La force de l’écriture avant toutes choses. Comme tout a pratiquement déjà été raconté, c’est la voix de l’auteur qui fait la différence. La plupart des manuscrits que nous recevons sont corrects (il y en a très peu de mauvais). La plupart mériteraient une bonne note pour la structure, l’écriture et la cohérence. Malheureusement, la plupart ne possèdent pas une voix qui leur est propre. Le taux de refus des maisons d’édition est d’au moins 90%. Comme dans n’importe quelle discipline, nous ne prenons que les meilleurs et c’est normal. Il ne suffit pas de vouloir être médecin pour le devenir. Ça s’applique aussi à l’écriture. Il ne suffit pas d’écrire pour accéder à la publication. Il faut savoir se démarquer et la seule façon, c’est de bûcher sur un texte.

[PLL]: Quels sont vos coups de cœur et coup de gueule du moment, par rapport à la situation littéraire ou aux derniers événements littéraires au Québec?

[ES]: La littérature québécoise vit de belles années en ce moment grâce à tout ce renouveau issu des Alto, Quartanier, Peuplade, Marchand de feuilles et de combien d’autres maisons qui ont vu le jour depuis une dizaine d’années. Le renouveau se sent aussi dans les liens que les éditeurs ont développés entre eux loin de la compétition de base. Ça, je trouve ça beau.

Dans les choses qui me dérangent énormément depuis quelques temps, c’est que, à trop vouloir démocratiser la lecture, les sphères culturelles et médiatiques ont fini par évacuer sa dimension intellectuelle. Les lecteurs plus exigeants que ceux faisant partie du «grand public» ne trouvent pratiquement plus leur compte et on accepte ça comme si ce n’était pas grave, comme si ça allait maintenant de soi de ne plus vouloir rejoindre cette clientèle. C’est navrant. Je dirais même plus: c’est méprisant.

[PLL]: Y a-t-il des nouveautés que vous aimeriez nous présenter? Des livres que vous avez publiés qui n’ont pas reçu autant d’attention que vous auriez souhaité et dont vous aimeriez parler?

[ES]: Le premier qui me vient en tête, c’est La Louée de Françoise Bouffière. Au niveau de l’écriture et de l’intensité dramatique, je compare ce roman au Grand cahier d’Agota Kristof ou La fille laide d’Yves Thériault. Les deux livres d’Emmanuel Bouchard Au passage (nouvelles) et Depuis les cendres (roman) méritent un plus grand lectorat. Son univers est un heureux mélange de rigueur, de poésie et de sensibilité. Emmanuel s’inscrit dans une réelle démarche d’écrivain et j’espère qu’avec le temps les gens reconnaîtront son talent. J’aimerais aussi que Stéphane Libertad (La Trajectoire et La Baleine de parapluie) soit plus lu. Dans ses romans, il fait ressortir les travers de la nature humaine en utilisant un certain cynisme non dénué d’humour derrière lequel se tapie souvent une amertume très touchante. J’adore ce mélange. Je ne voudrais pas terminer cet entretien sans vous inciter à lire le superbe roman d’Hélène Lépine Un léger désir de rouge. De la belle et haute voltige littéraire.

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