Journée d'étude, 17 avril 2015
Le jeune homme en France au XIXe siècle. Contours et mutations d’une figure
Le 17 avril 2015 s’est déroulée, à l’Université du Québec à Montréal, une journée d’étude intitulée «Le jeune homme en France au XIXe siècle. Contours et mutations d’une figure», organisée par Véronique Cnockaert, Nathanaël Pono et Solène Thomas.
La Révolution française a opéré une profonde mutation dans la perception des genres, c’est-à-dire dans l’appréhension du masculin et du féminin comme construits sociaux. Le passage de l’Ancien régime à la France moderne opère une rupture épistémologique forte, laquelle permet de repenser les frontières entre masculin et féminin. Dans ce contexte de mutations sociales, culturelles, politiques et identitaires, c’est la figure du jeune homme qui retiendra notre attention. Ainsi que le remarque Anne-Marie Sohn, «le lent processus qui, entre quatorze et vingt-cinq ans, conduit l’adolescent à l’âge d’homme reste encore largement inexploré. Il constitue pourtant une voie d’approche privilégiée pour comprendre les masculinités.» Être un homme ne va pas de soi, mais résulte d’un long apprentissage pour maîtriser l’habitus et les comportements masculins (ou perçus comme tels). La question du jeune homme au XIXe siècle rejoint donc le champ des gender studies, en s’attachant à la question de la représentation du masculin et de la virilité. Le XIXe siècle consacre pour Alain Corbin «l’emprise maximale de la vertu de virilité». Un système de valeurs, de représentations et de codes masculins s’impose alors avec force. Dès son plus jeune âge, le garçon doit s’endurcir. A l’adolescence, le jeune homme teste sa bravoure dans des rixes de groupes ou des duels singuliers, il éprouve sa résistance à l’alcool et au tabac (marqueurs sociaux de la masculinité), se laisse pousser barbe et moustache, cherche, en somme à se prouver homme. Toutefois, le XIXe siècle voit aussi se brouiller les frontières entre masculin et féminin; les femmes investissent désormais des espaces familiaux, professionnels et artistiques qui étaient jusque là réservés aux seuls hommes.
Cette journée d’étude visait à étudier, selon une approche pluridisciplinaire, la construction sociale et identitaire du jeune homme au XIXe siècle, d’un point de vue collectif ou individuel, dans ses rapports avec la femme, mais aussi dans la perspective d’un conflit générationnel avec l’homme accompli (patron, ancêtre, professeur).
Communications de l’événement
Quelle éducation pour l’homme en devenir? Les débats autour de l’enseignement des classiques dans le Québec du XIXe siècle
«Quelle éducation pour l’homme en devenir? Cette question suite beaucoup de débats, suscite aussi de nombreux projets pédagogiques au XIXe siècle et encore au XXe, tant en France qu’au Québec. L’objectif de ma présentation est de vous présenter ces débats et projets pédagogiques et réfléchir avec vous sur la conception de la masculinité que ces projets et débats sous-tendent. Je précise d’emblée que ce dont je vais vous parler est le jeune homme issu des milieux aisés, de ces milieux qui sont en mesure de payer au XIXe siècle l’éducation à leur fils, une éducation plus avancée, une éducation secondaire qui va au delà de l’instruction primaire de base. Mon intention est de vous parler du modèle québécois, je suis une spécialiste de l’histoire du Québec, mais en tentant de le placer dans un contexte plus large, qui nous permettra éventuellement de faire des liens.»
Christine Hudon est professeure titulaire au département d’histoire et doyenne de la faculté de la faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Sherbrooke, ses recherches portent sur l’histoire religieuse québécoise et l’histoire de la masculinité.
La posture de la honte: représentation du jeune homme dans «La débâcle» d’Émile Zola
«Dans La Débacle d’Émile Zola, la défaite de Sedan semble temporellement marquer une double rupture historique. D’une part on assiste à l’effondrement du Second Empire, symbole même de la décadence et de la corruption, et d’autre part à l’effacement d’une conception épique de la guerre par l’avènement d’une guerre moderne. En cette époque de décadence, où technique et science semblent contraindre le combattant à adopter la posture de la honte, nous sommes en droit de nous demander si l’armée présente toujours un lieu où le jeune garçon peut faire l’apprentissage de la masculinité et exprimer sa virilité. Au cours de notre communication, nous tenterons de comprendre comment la fiction prend en charge les représentations du jeune militaire dans ce dix-neuvième volume de la série des Rougon-Macquart. Nous croyons que l’auteur instrumentalise ici la figure du jeune homme pour parvenir à critiquer le régime politique du Second Empire, l’armée étant la première institution du régime ou l’outil principal de la mise en œuvre de la politique de l’Empereur. Nous soutiendrons l’hypothèse que dans une logique purement zolienne, on ne peut assister qu’à l’effondrement du modèle héroïque et la castration symbolique du jeune militaire.»
Éric Boulanger est docteur en études littéraires. Il s’intéresse tout particulièrement à la littérature de guerre du XXe siècle, à la fictionnalisation du témoignage, aux discours identitaires et au rapport entre littérature et histoire. Son travail se caractérise par une approche interdisciplinaire qui allie à la fois littérature, histoire et sociologie. Il a enseigné la littérature de guerre et la littérature québécoise à l’UQAM. En 2014, paraissait, La plume au fourreau. Culture de guerre et discours identitaire dans les textes poétiques canadiens du XVIIIe siècle aux Presses de l’Université Laval, une version remaniée et enrichie de son mémoire de maîtrise.
«Tu seras enfant toute ta vie»: l’échec d’un passage liminaire dans «Le Petit Chose» d’Alphonse Daudet
«Tu seras un enfant toute ta vie. Cette sentence est prononcée trois fois contre Daniel Eyssette, alias le petit chose: une fois par l’abbé Germane à la fin de la première partie du roman et deux autres fois par son frère Jacques, au début et à la fin de la seconde partie. En effet, l’histoire du Petit Chose est un échec, celui de la traversée du passage liminaire qui devait conduire Daniel Eyssette de l’enfance à l’âge adulte. Dans son ouvrage Sois un homme, Anne-Marie Sohn écrit ceci à propos de la transformation du jeune homme en adulte: “L’intériorisation des valeurs masculines est donc un long processus étalé sur une dizaine d’année et fondé sur des épreuves répétées qui permettent de tester sa virilité et de l’afficher”. Si Daniel Eyssette échoue, c’est qu’il ne réussit guère ces épreuves nécessaires à cette agrégation. Quelles sont donc les raisons d’un tel échec?»
Nathanaël Pono est étudiant au doctorat en études littéraires à l’Université du Québec à Montréal, il s’intéresse aux liens entre génétique et correspondances dans les lettres d’écrivains.
Les hommes maigres sont de rudes hommes. Étude du jeune homme dans «Le ventre de Paris» d’Émile Zola
«Ma présentation vise à cerner un échantillon du jeune homme, non pas pour en proposer une définition exhaustive, mais bien pour en tracer l’esquisse, la forme, à partir du roman Le ventre de Paris d’Émile Zola, publié en 1873. C’est un texte qui reprend le thème assez présent au XIXe, un siècle marqué par les révoltes et les naissances de revendications sociales et l’idéalisme révolutionnaire. L’angle qui m’est apparu pertinent pour cerner le jeune homme est celui du corps, de ses déterminations sociales ainsi que de la manière dont ce corps est saisi et transformé par les discours. Le parcours dans lequel je vous entraîne va se faire en trois temps. Je vais d’abord aborder la question du stéréotype de la virilité qui domine le XIXe siècle et sa systématisation des corps. Puis, je m’attacherai à la figure de Florent pour voir quelle image du jeune homme est déployée dans le texte et quels éléments du stéréotype sont ébranlés ou reconduits. Finalement, je vais tenter de poser quelques conclusions sur les liens entre le jeune homme, son corps et la politique».
Soline Asselin est étudiante à la maitrise en études littéraires à l’UQAM et ses recherches portent sur les liens entre idéologie et textes littéraires dans la littérature norvégienne contemporaine.
Le personnage d’Octave Mouret dans «Pot-Bouille» d’Émile Zola, ou la survivance des stéréotypes
«La barbe, le tabac, la bravoure et la force ne sont que quelques exemples des nombreux éléments connotés virils depuis la Grèce antique. Ils constituent le fondement du stéréotype de la masculinité qui était observé en France par les jeunes hommes jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle. La formation du jeune se trouve ponctuée de multiples épreuves et de rites qui visent à le faire passer du statut d’enfant à celui d’adulte. S’intéresser à la problématisation du jeune homme au XIXe siècle, c’est donc étudier le degré d’importance de ces rites de la virilité dans sa formation. Pour se faire, nous nous proposons de restreindre notre champ d’étude à une œuvre de Zola, Pot-bouille, publiée en 1882, dont le héros est Octave Mouret, une jeune bourgeois qui ne reprendra les stéréotypes antiques de la masculinité que pour mieux se les approprier. Octave apparaît pour la première fois dans le roman La conquête de Plassans, sous les traits d’un jeune adolescent que son père, François Mouret, enverra en formation dans une maison de commerce de Marseille. On le retrouvera ensuite dans Pot-Bouille, alors devenu un jeune homme séduisant de vingt-deux ans s’établissant à Paris dans le but de s’élever socialement et professionnellement.»
Catherine Truchon est étudiante à la maîtrise en études littéraires à l’UQAM, elle s’intéresse à l’imaginaire qui entoure les bas quartiers londoniens.
Stéréotypies subversives ou le nom propre chez Maupassant
«L’hystérie, pourquoi ce mystère physiologique, ne ferait-il pas le fond et le tuf d’une œuvre littéraire, ce mystère que l’académie de médecine n’a pas encore résolu et qui, s’exprimant dans les femmes par la sensation d’une boule ascendante et asphyxiante, se traduit chez les hommes nerveux par toutes les impuissances et aussi par l’aptitude à tous les excès. L’homme nerveux dont on parle ici est confondu et on l’assimile à la femme hystérique. C’est un portrait du masculin que l’on trouve de façon récurrente chez à peu près tous les auteurs vus aujourd’hui. De façon générale, ces auteurs confortent le lecteur dans ses automatismes par l’intermédiaire de stéréotypes et d’enthymèmes et lui procure un assemblage narratif en apparence cohérent. Cette représentation littéraire du jeune homme au XIXe siècle fait écho à une conception de l’identité qui insiste sur le caractère ambigu de celle-ci. Chez Balzac et Maupassant, par exemple, les pronoms et les substantifs employés dans Sarrasine ou dans Rose, ne renvoient à aucun genre, mais simplement à un nom programmatique, dont l’assonance trouble l’identité sexuelle du personnage principal. Cet ensemble produit un effet de brouillage par lequel l’écriture sépare le langage du corps, laissant un vide, un espace de liberté qui montre, comme le souligne Barthes, que toute subversion commence par le nom propre. C’est à partir de cette conception que cette communication se propose d’étudier l’ambiguïté dans la représentation du jeune homme.»
Walid Romani est étudiant au doctorat en études littéraires à l’UQAM, ses recherches portent sur l’acte de lecture et le dispositif texte image. Il prépare sous la direction de Rachel Bouvet une thèse intitulé Le lecteur fictif dans The Alexandria Quartet de Lawrence Durrell.
L’idéal androgyne: la représentation du jeune homme dans la littérature décadente fin-de-siècle
«Dès le commencement des années 1880, beaucoup de jeunes gens ressentent un sentiment de décadence qui prend la forme d’une conviction de la disparition prochaine de la civilisation européenne. Les écrivains décadents, grâce à une écriture subversive, souvent inspirée de leur propre mode de vie original, on pense à Oscar Wilde pour l’Angleterre ou à Jean Lorrain pour la France, tournent le dos aux valeurs en vigueur et remettent en question l’ordre établi. C’est d’ailleurs contre l’idée même de nature qu’ils en ont, leur littérature est marquée par la conviction qu’il faut refuser les déterminismes. Comme Jean Pierrot dans son ouvrage, L’Imaginaire décadent, il faudra pour bien des écrivains de la fin du siècle « fuir la nature, refuser autant que possible les lois biologiques de l’espèce». Aussi, sur le plan social, la fin du siècle voit naître plusieurs revendications provenant des minorités, sexuelles notamment. Stigmatisés par le développement de la psychopathologie sexuelle et par le discours moraliste de l’époque, les homosexuels commencent à afficher plus ouvertement leur mode de vie et à le faire valoir.»
Catherine Ouellet est étudiante à la maîtrise à l’UQAM, son sujet de mémoire porte sur la représentation et la signification de la maladie dans l’oeuvre d’Anne Hébert.
Une vie de jeune homme: la satire du Calicot
«Ma communication s’inscrit au début du XIXe siècle, en France, dans le contexte des transformations sociales, économiques et industrielles qui surviennent au terme des guerres révolutionnaires et napoléoniennes. Dans cette période trouble et transitoire des premières années de la Restauration, une jeunesse anxieuse cherche à s’affirmer face à la gérontocratie en place. Cette génération, née en pleine tourmente révolutionnaire, arrive à l’orée de l’âge adulte avec l’effondrement de l’Empire et le retour de la monarchie. Si les turbulences politiques et le traumatisme de la chute de l’Empire ont contribué à forger son identité générationnelle, c’est surtout par son appartenance à un réseau social, professionnel notamment, que cette jeunesse affirme son identité collective. Le calicot est une figure emblématique de cette jeunesse qui revendique sa place dans la société civile et dans le monde viril au lendemain de l’Empire. Celui qu’on surnomme le calicot, c’est le jeune commis marchand des magasins de nouveautés, qui en est au début de sa vie professionnelle dans le commerce et qui est au seuil de sa vie de bourgeois. Cette appellation métonymique du calicot renvoie bien sur à la toile de coton imprimée à la mode, qu’il vend à prix modique. Le calicot comme jeune homme est une figure de la culture populaire du XIXe siècle que l’on va retrouver disséminée dans les vaudevilles, les chansons et les lithographies.»
Peggy Davis est chercheure régulière à FIGURA, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire. Elle est professeure au Département d’histoire de l’art de l’UQAM depuis 2004, où elle enseigne surtout l’histoire de l’art des XVIIIe et XIXe siècles. Spécialiste de l’estampe et de la culture visuelle de l’imprimé, ses travaux portent principalement sur l’estampe et la culture visuelle de la Restauration en France avec l’objectif, à terme, d’écrire une histoire sociale de l’estampe de cette période, dans laquelle l’imaginaire national joue un rôle de premier plan. Par le passé, Peggy Davis s’est intéressé à l’imaginaire des Amériques en Europe à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, dans l’estampe et l’illustration.
Le dandy de Baudelaire à la lumière des théories de la masculinité
«Mon approche sera interdisciplinaire, elle oscillera entre sociologie de la littérature, sociologie de la culture et sociologie des fictions, à travers ce courant que les anglo-saxons appellent narrative studies, c’est à dire l’étude des récits. Mon intervention portera sur le dandy, tel qu’énoncé par Beaudelaire dans ses critiques d’art mais sous un éclairage sociologique, donc un exercice de conceptualisation.»
Yves Laberge est professeur à l’Université d’Ottawa en sociologie, ses champs de spécialisations sont la sociologie de la télévision, la sociologie de la culture, les études cinématographiques, les études culturelles, mémorielles et narratives.
Portrait du décadent en jeune homme: juvénilités masculines chez Barrès, Bourget, Rachilde et consorts
«C’est sur un fait divers, qui fit grand bruit et qui survint à l’hiver 1888, que j’aimerais baser mon propos. L’affaire se déroule dans une villa de Sidi Mabrouk, près de Constantine en Algérie française. Le 25 janvier 1888, Henri Chambige, un étudiant de 22 ans a assassiné sa maîtresse, Madeleine Grille, une femme mariée de 30 ans. Il est retrouvé blessé près de son cadavre dénudé. Pour expliquer le meurtre, deux thèses s’affrontent, celle soutenue par le jeune homme, d’un double suicide raté devenu crime passionnel et celle, défendue par le mari et la mère de la défunte, de viol sous suggestion. À première vue, cet assassinat semble surtout relever du droit criminel, mais pas pour certains contemporains du drame, qui y voient la manifestation d’un crime littéraire. Ce ne serait pas la première fois ni la dernière que les fils de la criminologie et de la littérature s’entrelacent. Les faits divers n’ont cessé aux écrivains leurs oeuvres les plus fortes. L’intérêt de l’affaire Chambige est cependant d’un autre ordre. D’abord, parce que c’est apparemment la littérature qui inspire le meurtre et non l’inverse. Ensuite, parce que ce drame fait intervenir une représentation du jeune homme décadent, telle qu’elle se repend alors dans la littérature fin de siècle en France et ailleurs en Europe.»
Patrick Bergeron est professeur titulaire au département d’études françaises de l’Université du Nouveau-Brunswick à Frédericton. Il est membre du comité de gestion de la revue Frontières. Spécialiste des rapports entre la littérature et la mort, il est l’auteur de Décadence et mort chez Barrès et Hofmannsthal, paru en 2013 chez Nota Bene et Nécrophilie, un tombeau nommé désir aux éditions du Murmure en 2014.