Colloque, 12 avril 2018

Le selfie qui tue. La «cuteness» à l’encontre du bien-être animal

Vincent Lavoie
couverture
L’animal et l’humain. Représenter et interroger les rapports interespèces, événement organisé par Jérôme-Olivier Allard, Fanie Demeule, Marion Gingras-Gagné et Marie-Christine Lambert-Perreault

À n’en point douter, la pratique du «selfie», ou égoportait, correspond à l’un des usages le plus répandus de la culture visuelle contemporaine. Indissociable des usages conversationnels de l’image numérique (Gunthert, 2015), cette autophotographie participative est devenue l’emblème d’une culture du LOL et du LIKE. Or le selfie, symbole de la «me me me generation», ainsi que le titrait en 2013 le magazine Time, n’est pas qu’une forme de communication sociale ou l’expression d’une pulsion narcissique. Il constitue également un acte délétère pour certaines espèces animales. En octobre 2017, un rapport publié par l’ONG World Animal Protection s’alarmait de l’augmentation de selfies pris avec des animaux sauvages et publiés sur Instagram. Des agences touristiques, entre autres brésiliennes, étaient pointées du doigt pour offrir à leurs clients la possibilité de «toucher des animaux et de prendre des photos avec eux», une activité contraire au bien-être animal, bien-être devenu vertu cardinale de la recherche en éthique. Les images en question montrent des animaux assujettis aux côtés d’humains tout sourire, visiblement inconscients des incidences néfastes de leur geste.

Captivité forcée, docilité imposée, stress subi, alimentation inappropriée, maltraitances diverses, les conséquences de cette appétence touristique pour la cuteness exotique (Dale, 2016) sont nombreuses. De toute évidence, les représentations en cause, dont cette communication analysera une sélection représentative, sont traversées de lignes de force contradictoires. La souffrance, pierre de touche des études animales adossées à la philosophie éthique (Jeangène-Vilmer, 2015), est ainsi ignorée sinon occultée au profit de la constitution d’une iconographie de la bienfaisance et de la complicité inter-espèces. Il y a, dans ces selfies, une dénégation de la peine animale, un fantasme communicationnel, une promotion de soi et aussi une bonne intention préservationiste (Borges de Lima et Green, 2017). C’est au décryptage de ces ambigüités inhérentes aux images du tourisme de faune que cette communication est consacrée. [Texte de Vincent Lavoie]

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