Entrée de carnet

Le pied bot: Allégorie d’une société boiteuse dans «Madame Bovary» de Flaubert

Malia Sayed
couverture
Article paru dans Imaginaire de l’écrit dans le roman, sous la responsabilité de Véronique Cnockaert (2014)

Aucun écrivain de la littérature française n’aura donné lieu à autant d’analyses, de relectures et de découvertes que l’auteur de Madame Bovary. Contemporain du réalisme, du naturalisme naissant, Flaubert va à l’encontre de son père– grand chirurgien de la monarchie de juillet– et consacre toute sa vie à l’écriture. La parution de Madame Bovary en 1856, fruit de cinq années consécutives de travail acharné, de documentation détaillée, vaut à son auteur une notoriété fulgurante. Son roman, opérant une vraie révolution romanesque, se caractérise par une rupture profonde avec ses œuvres antérieures. C’est désormais l’objectivité impersonnelle affectée qui est mise en œuvre, un regard clinique selon l’expression de Sainte-Beuve, sur le monde ambiant. Il s’agit d’une description analytique qui reflète, dans ses thèmes et dans ses formes, les mutations d’une histoire collective marquée par les circonstances de l’époque. Le roman de Flaubert témoigne, en effet, d’un moment historique exceptionnel: «Au XIXe siècle, l’occident accède à l’alphabétisation de masse, les progrès enregistrés au Siècle des Lumières se poursuivent, et entraînent l’apparition d’un nouveau public de lecteurs, à la croissance rapide, consommateur de journaux et de romans bon marché1Martin Lyons, «Les nouveaux lecteurs au XIXe siècle. Femmes, enfants, ouvriers» dans Gugliélmo Cavallo et Roger Chartier, Histoire de la lecture dans le monde occidental, Seuil, coll. «Points/Histoire», 2001 (1995), p. 393». Ce siècle sera donc marqué par la culture de l’écrit qui prendra toute son ampleur avec la naissance des nombreuses institutions représentant la justice, la loi, la bureaucratie, l’enseignement, le journalisme et les sciences.

L’anthropologue britannique Jacques Goody souligne que ces institutions complexes reposent sur l’écriture, mode de transmission fiable qui facilite les relations humaines. Il nous apprend que la littératie, en tant que nouveau moyen de communication, a eu des effets considérables sur la vie sociale: «Si la littératie universelle a rarement fait débat jusqu’au XIXe siècle, si d’un certain point de vue la lecture et l’écriture étaient des phénomènes minoritaires, dans le long terme ces activités ont profondément affecté l’existence à la fois intérieure et extérieure de toute la population2Jacques Goody, «Les technologies de l’intellect» dans Pouvoirs et savoirs de l’écrit, Paris, la Dispute, 2007, p.195». Or, s’il est vrai que l’écriture permet d’établir une meilleure connexion dans une société, si elle sert à créer des idéologies qu’elle transmet aisément, il faut convenir qu’elle pourrait, de ce fait, devenir un instrument de domination.

C’est toute cette question de la domination littératienne qui nous intéresse dans la présente étude. Il s’agit d’explorer les différents enjeux de la raison graphique, comme la nomme Goody, afin de comprendre ses effets sur la société. Nul ne doute que le roman flaubertien montre un univers structuré par la littératie qui ne marque pas seulement la genèse du roman, comme nous allons tenter de le démontrer, mais aussi ses objets et ses personnages. En effet, tous les personnages de Madame Bovary baignent, différemment, dans l’univers de la raison graphique et cette expérience ne sera pas sans laisser un profond impact sur leur identité et sur leur perception du monde. Dans quelle mesure la littératie affectera-t-elle leur existence? Quels seraient les différents enjeux de la raison graphique dans le récit? De quelle manière l’auteur a-t-il illustré ces profondes mutations résultant de la raison graphique?

Afin de répondre à ces questions, nous nous baserons sur le chapitre XI de Madame Bovary. L’épisode éloquent du pied bot constitue, en effet, le point culminant du récit et illustre, à lui seul, les différentes manifestations de la raison graphique.

Nous nous intéresserons donc, dans une première partie, à la question de la littératie. Les portraits des personnages d’Homais et d’Emma seront scrutés à la loupe afin de comprendre la manière dont ils vivent cette expérience littératienne. Avec eux seront abordés les pouvoirs de la presse et du scientisme ainsi que les mauvaises lectures dont s’est imprégnée la jeune fille. La seconde partie sera consacrée à la figure de Charles Bovary et à la construction de son identité qui portera les empreintes de cette littératie dominante. La question de la claudication sera examinée de près et nous tenterons de montrer comment celle-ci dévoile un désarroi individuel d’abord puis collectif. Ces analyses nous amèneront, enfin, à nous interroger sur l’échec total, dans ce roman, de toute tentative d’accomplissement et, prenant appui sur les éléments textuels, nous conclurons en essayant d’ancrer l’œuvre dans une perspective plus globale.

Avant de plonger dans l’analyse, un bref rappel des événements nous permettra de contextualiser l’extrait.

On se souvient que l’œuvre s’ouvrait sur un monde purement littératien avec l’arrivée burlesque de Charles Bovary au collège de Rouen, présenté d’emblée comme un campagnard médiocre, ridicule avec sa fameuse casquette. Nous avons été témoin des difficultés qu’il éprouvait à s’adapter aux codes de l’institution scolaire et comment il semblait pénétrer dans un monde inconnu et hostile3L’analyse de Jean-Marie Privat sur l’incipit de Madame Bovary illustre parfaitement l’entrée de Charles dans le monde littératien de la culture scolaire. Voir à ce sujet Jean-Marie Privat, Bovary Charivari, essai d’ethno critique, Éditions CNRS, Paris, 2000 (1994), p.111 -143. Faisant toutefois preuve de labeur, il réussira, après un premier échec, à décrocher son diplôme d’officier de santé et s’installera à Tostes où il exercera la médecine et se mariera, sous les recommandations de sa mère, avec une vieille veuve qu’il n’aime point, mais qu’il acceptera de subir comme il subissait ses études. Un soir qu’il repose auprès de sa femme, Charles doit se rendre précipitamment aux Bertaux pour réduire la fracture de Monsieur Rouault, le père d’Emma. S’il tombe sous le charme de cette dernière, il n’osera néanmoins retourner au Berthaux par crainte de susciter la jalousie de la vieille épouse. Fort heureusement, celle-ci, apprenant qu’elle est ruinée, succombera huit jours après, sous l’effet du choc. Auront lieu alors les noces campagnardes que le père d’Emma précipitera, les désillusions conjugales de la jeune mariée ennuyée et déçue par Charles qui ne répond pas à l’image des hommes qu’elle a rencontrés dans ses lectures romanesques, d’où le début de ses troubles nerveux qui persuaderont Charles d’abandonner sa clientèle et de s’installer désormais à Yonville. Emma commet bientôt son premier adultère et se lance éperdument dans une histoire d’amour avec Rodolphe boulanger, un séducteur de comices agricoles qu’elle vient à peine de connaître. Se lassant de cette passion étouffante, son amant prendra ses distances, livrant Emma à un désarroi tel qu’elle tente de se repentir tout en cherchant un moyen pour être heureuse et devenir une épouse aimante. Ce moyen, véhiculé par M. Homais, l’apothicaire de Yonville, constituera l’inauguration de notre épisode.

La prédominance de la littératie 

«Il avait lu dernièrement, l’éloge d’une nouvelle méthode pour la cure des pieds bots: et comme il était partisan du progrès, il conçut cette idée patriotique que Yonville, pour se mettre au niveau, devait avoir des opérations de stréphopodie4Gustave Flaubert, Madame Bovary, mœurs de province, reproduction au trait de l’original de 1857 annoté par Gustave Flaubert, postface d’Yvan Leclerc, Éditions Droz, coll.: «Michel Lévy», Paris, 2011, p. 246. Les numéros de pages indiqués entre parenthèses dans le corps du travail renvoient à cette édition.».

Le lecteur plonge de plein pied dans l’univers de la littératie. Ici, l’écriture, comme on le constate, est intimement liée à la modernité, à la révolution technique et celles des sciences. L’information que reçoit Homais lui est transmise par la lecture d’un journal. La presse est donc au cœur de la raison graphique. D’ailleurs, Balzac, contemporain de Flaubert, déclare nettement dans la revue parisienne, le 29 août 1840 que «La presse est en France un quatrième pouvoir dans l’État: elle attaque tout et personne ne l’attaque5Honoré de Balzac,  « Chronique de la presse» dans  Revue parisienne, dirigée par M. De Balzac, Juillet-septembre 1840, Slatkine Reprints, Genève ,1968, p.243.» Bien qu’elle ne soit pas une institution à l’image des trois premiers pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire, la presse devient toute puissante au XIXe siècle, elle peut se retourner contre le système, faire et défaire des ministères, et manipuler aisément les opinions.

À cet égard, le réel rencontre la fiction puisque le roman doit tout son succès au pouvoir de la presse. En quelques semaines, Flaubert était devenu un écrivain connu (1857) à la suite de son procès pour attaques aux mœurs sociales. Le scandale diffusé par les journaux, suscitant la curiosité du public, fera de Madame Bovary l’un des best-sellers du siècle. Cela n’empêche point Flaubert d’exprimer tout haut sa position dans une lettre à Louise Colet: «Qu’est-ce que tout ce qu’ils disent m’importe? Je suis peu curieux de nouvelles, la politique m’assomme, le feuilleton m’empeste. Tout cela m’abrutit ou m’irrite. […] Oui, j’ai un dégoût profond du journal6Lettre à Louise Colet, le 26 août 1846 dans Correspondance, Édition de Jean Bruneau, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», Tome I, p. 313-314».

Qui a lu Flaubert connaît ses critiques virulentes contre cette nouvelle révolution littératienne (dont témoignera plus tard son dictionnaire des idées reçues) qu’il considère comme l’une des principales causes de la déshumanisation et de la fragmentation de la société. Le développement de ces nouveaux pouvoirs, selon lui, ne fait que renvoyer à une image de dégradation sociale que le personnage du pharmacien incarne par excellence. Partisan du progrès, selon l’expression de l’auteur, Homais va se soumettre à l’exigence de la modernité pour pouvoir accéder à un niveau supérieur. À cet égard, l’emploi de l’italique est très révélateur. Comme le rappelle Maurice Grevisse, le recours à l’italique «sert soit à indiquer que les mots sont employés avec une valeur différente de leur valeur ordinaire; soit à marquer que le scripteur ne les reprend pas à son compte; soit à attirer l’attention sur leur importance7Maurice Grevisse, le Bon usage, 13ème édition par André Goose , Édition Duculot. Paris-Louvain-La Neuve, 1994, p.88». L’italique, procédé cher à Flaubert, représente souvent une mise à distance qui traduit une ironie et, surtout une dénonciation des stéréotypes. L’accès à un niveau supérieur, symbolisant l’ascension sociale et matérielle, sera justement le moteur principal qui véhiculera toutes les entreprises d’Homais. Nous verrons, un peu plus loin, une nouvelle occurrence de l’italique lorsqu’Homais, sollicitant tout le village de Yonville, réussit à manipuler Hippolyte pour qu’il se fasse opérer:

Le malheureux céda, car ce fut comme une conjuration. Binet, qui ne se mêlait jamais des affaires d’autrui, madame Lefrancois, Artémise, les voisins, et jusqu’au maire, M. Tuvache, tout le monde l’engagea, le sermonna, lui faisait honte; mais ce qui acheva de le décider, c’est que ça ne lui couterait rien. (248).

L’auteur peint le cynisme, l’ignorance, le comportement grégaire du peuple que symbolisent les habitants de Yonville. N’avoue-t-il pas à Louis Bouilhet qu’il «sent contre la bêtise de son époque des flots de haine qui l’étouffent8Lettre à Louis Bouillet, le 30 septembre 1855». L’ironie est à son paroxysme: Ça ne lui couterait rien, mis en italique, renvoie au triomphe du matérialisme. Tout se monnaie, en effet, dans le récit et le fait qu’Hippolyte n’ait rien à payer pour se faire opérer semble une grande faveur qui mérite de la reconnaissance et de l’obéissance de sa part, car personne ne paraissait comprendre «cet entêtement, cet aveuglement à se refuser aux bienfaits de la science» (248). Tout le monde semble être sous l’emprise d’Homais. Dès son entrée dans le récit, l’apothicaire de Yonville se posera comme l’un des principaux personnages du roman. Envahissant peu à peu la narration et le couple Bovary, il ne tardera pas à paraître l’incarnation parfaite de la bourgeoisie rurale opportuniste que Flaubert exècre:

On comprend que M. Homais, chercheur autodidacte et isolé, essaye à la fois de se faire reconnaître par la distinguée Académie de Rouen et souhaite appartenir de droit à un grand nombre de sociétés savantes pour fréquenter, se faire connaître et reconnaître des notabilités intellectuelles les plus en vue de sa province9Jean-Marie Privat, Bovary Charivari, op.cit., p.201

Le lecteur ne sera donc point surpris de constater l’influence immédiate de cet article d’orthopédie sur Homais. Mû par ses intérêts personnels, il voit en cette opération un changement radical dans sa situation de «prétendu savant». Ainsi se précipite-t-il vers Emma pour l’inciter à convaincre Charles d’opérer le pied bot d’Hippolyte, le garçon d’auberge. Nous le verrons alors utiliser plusieurs procédés de la raison graphique pour être persuasif: «Car disait-il à Emma, que risque-t-on? Examinez (et il énumérait sur ses doigts, les avantages de la tentative): succès presque certain, soulagement et embellissement du malade, célébrité vite acquise à l’opérateur.» (246)

On assiste à une énumération qui coupe le récit. Ce classement, clairement représenté par des points, renvoie à une liste imaginaire que définit Jacques Goody comme étant un élément qui facilite la communication et qui a une influence directe sur le cognitif: «La liste suppose un certain agencement matériel, une certaine disposition sociale […] elle facilite, c’est le plus important, la mise en ordre par leur numérotation, par leur son initial ou par catégories. Et ces limites, tant qu’externes qu’internes, rendent les catégories plus visibles10Jacques Goody, «Que contient une liste» dans La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Éditions de Minuit, 1979, p.150». M. Homais fera aussi appel au pouvoir de l’oralité puisqu’«[Hippolyte] ne manquerait pas de raconter sa guérison à tous les voyageurs» (246). Mais si le pouvoir de l’oral côtoie, comme le dit si bien Goody, le pouvoir de l’écrit, c’est ce dernier qui sera prédominant et finira par convaincre tout à fait Emma: «Homais baissait la voix et regardait autour de lui, qui donc m’empêcherait d’envoyer au journal une note là-dessus? Eh mon Dieu un article circule…on en parle. Cela finit par faire la boule de neige! qui sait? qui sait?» (246) Car Homais possède le pouvoir que donne l’écriture, cette technologie de l’intellect à laquelle Goody attribue «des effets d’une puissance sans pareil […] des effets sociaux et politiques: forte de ses performances scientifiques et artistiques, la raison graphique subordonne la pensée orale et avec elle, les sociétés et les classes qui ne maitrisent pas l’écriture11«La matière des idées», entretien avec Jacques Goody, dans Vacarme 49, automne 2009 p. 4-12 http://www.vacarme.org/article1814.html». On repère, par ailleurs, dans le champ lexical, le mot circuler qui met l’accent sur l’importance de l’écriture à concrétiser le succès. L’article est comparé à une roue qui symbolise la rapidité de diffuser l’information par le biais de l’écrit. Ainsi, Homais conçoit les médias et le scientisme comme un absolu qui a le pouvoir de tout transfigurer et, pour arriver à ses fins, il donnera tout le pouvoir à ses arguments pour persuader l’héroïne. Si Homais fait appel à ces différents procédés de la littératie, c’est qu’il est sûr de trouver en Emma une parfaite répondante, étant elle-même façonnée par la culture de l’écrit.

Or, si notre pharmacien paraît aliéné par les médias et l’immense progrès des sciences, Emma, en revanche, est soumise à une autre raison graphique; celle de ses lectures de romans à l’eau de rose dont elle s’est imprégnée tout au long de sa jeunesse. Les études faites sur Madame Bovary ont largement mis l’accent sur le fait qu’elle était mauvaise lectrice et qu’elle voyait le monde à travers ses rêveries romanesques et son imaginaire. Nous ne pouvons que souligner le fait qu’elle est dans l’érotisation de la lecture dans le sens où elle désire à tout prix reproduire le schéma qu’elle s’est fait des hommes séducteurs, à l’image des princes charmants. Ce genre de romans, tel que le mentionne Martyn Lyons «fait naître des attentes sentimentales peu raisonnables, des émotions érotiques qui menacent la chasteté et les bonnes mœurs12Martin Lyons, «Les nouveaux lecteurs au XIX siècle», Op.cit., p. 401». Les effets de ce genre de littératie ont été constatés sur la conduite de notre héroïne. Elle refuse de voir les qualités de Charles, elle ne voit en lui qu’un être faible, lâche, incapable, sans caractère: «il n’enseignait rien, celui-là, ne savait rien, ne souhaitait rien […] sa conversation est plate comme un trottoir de rue.» (59) Emma recherche, inlassablement, un homme fort et dominant, c’est-à-dire l’opposé de son époux. L’offre que propose Homais se représente donc comme l’ultime chance à saisir, cette intervention chirurgicale lui permettant d’assouvir ses convoitises, luxe et volupté mêlés:

En effet, Bovary pouvait réussir; rien n’affirmait à Emma qu’il ne fut habile, et quelle satisfaction pour elle que de l’avoir engagé à une démarche, d’où sa réputation et sa fortune se trouveraient accrues? Elle ne demandait qu’à s’appuyer sur quelque chose de plus solide que l’amour (246).

Ainsi la réputation va-t-elle de pair avec le pouvoir financier, symptomatisant la primatie du matérialisme et de l’effondrement des valeurs. La chosification des sentiments humains ne fait qu’intensifier cette idée d’une matérialité récurrente dans la narration. L’amour devient valeur marchande et, désirant à tout prix accéder à un nouveau rang social, Emma ne pourra réaliser ses ambitions que par procuration. Outre la matérialité omniprésente, nous percevons également dans le passage les manifestations d’un déséquilibre par l’emploi du terme s’appuyer. Un déséquilibre qui s’accentuera au fur et à mesure que nous avançons dans la lecture. Emma, vacillante, a besoin d’un appui plus solide que doit concrétiser le succès de Charles.

Ce dernier «sollicité par l’apothicaire et par elle, se laissa convaincre. Il fit venir de Rouen le volume du docteur Duval, et tous les soirs, se prenant la tête entre les mains, il s’enfonçait dans cette lecture.» (247) La raison graphique qui émane du passage est éloquente. Nous retrouvons le même Charles du collège de Rouen subissant la littératie. Les expressions employées rendent compte de la pénibilité de la lecture ou de la violence du monde littératien. En effet, Charles s’enfonce, c’est une descente vers le bas alors que la connaissance et le savoir devraient, au contraire, lui permettre de s’élever. Cette image de pénibilité sera d’autant plus renforcée par l’emploi des technolectes au passage qui suit: «Il étudiait les équins, les varus et les valgus, c’est-à-dire la stréphocatopodie, la stréphendopodie et la stréphopodie la stréphypopodie et la stréphanopodie». L’auteur dénonce avec humour le pédantisme et la révolution des sciences modernes dans tous les domaines, dont la médecine.

Dans son ouvrage Écriture et Iconographie (1973), François Dagognet fait observer la révolution graphique dans le domaine de la médecine qui consiste à appliquer de nouvelles méthodes, de nouveaux instruments afin de rendre les expériences plus facilement réalisables

La vraie médecine moderne consiste à inventer des possibilités de capture à distance […] elle prend appui non plus sur des symptômes […], mais sur des indices objectifs. Cette exégèse entraine à la fois une valorisation de la médecine et l’effacement du médecin […] Appareillage sensible, mais neutre, strict décodage, science rigoureuse de la lecture: telle est la vraie médecine actuelle13François Dagognet, «Les iconographies ordinatrices et inventives» dans Écriture et iconographie, Paris, Vrin, 1973, p. 88, 89.

Flaubert réfute justement cette méthode basée désormais sur «un strict décodage», sur le déchiffrement des lignes imprimées selon un schéma linéaire. Cette rigoureuse lecture sera complètement inaccessible à Charles. Il se sent accablé, voire écrasé par les contraintes insupportables d’une trop lourde littératie. Tel que le rappelle Bruno Latour: «la difficulté n’est pas dans la pensée, mais dans le fait de s’en tenir exclusivement au papier, quelles que soient les conséquences, les apories, les absurdités que l’on découvre, sans jamais chercher à faire appel du résultat à l’aide du «bon sens» ou des autres sens14Bruno Latour, «Les vues de l’esprit», Une introduction à l’anthropologie des sciences et des techniques, culture et technique, Volume 5, n. 27, 1987, p.92 ». Or, Charles manque de bon sens, c’est un très mauvais lecteur. Toute la littéracie dont il est question pèse sur lui. Il est complètement désemparé dans cet univers submergé par la raison graphique. La littératie provoque un vrai désordre dans sa vie. Lui qui aurait souhaité une vie paisible et «mâché son bonheur tranquillement», se retrouve ainsi victime de la révolution littératienne; celle du journalisme, du scientisme et de l’affairisme que représente Homais d’une part et celle des «romans bon marché» dont sa femme s’est imbibée d’autre part. Piégé, entre Homais, que seule l’ascension sociale obsède et Emma qui plane dans ses rêveries romanesques le dévalorisant sans cesse par son regard, Charles ne peut que s’enfoncer davantage et plonger dans le désarroi le plus total.

L’épreuve du rite de passage: la pratique à l’œuvre

Martin Heidegger nous fait remarquer que «Ce qu’on appelle nager, nous ne pourrons jamais l’apprendre à travers un traité sur la nage […] seul le saut dans le torrent nous le dit15Martin, Heidgger, Qu’appelle-t-on penser? Essais Philosophiques, traduit de l’allemand par Aloys Becker et Gérard Granel, collection fondée par Jean Hippolite, Presses Universitaires de France, 1973, p. 33». Charles sera donc mis à l’épreuve. Le moment est venu de mettre toutes ses théories en pratique, méthode privilégiée par Flaubert dans tous ses romans. Avant d’écrire, notre «homme plume» s’oriente, visite les lieux, se documente et se renseigne. Ce n’est donc point surprenant que le choix de l’opération du pied bot ne soit pris au hasard:

Pour savoir quel tendon couper à Hippolyte, il fallait connaître d’abord, quelle espèce de pied bot il avait […] Il avait un pied faisant avec la jambe une ligne presque droite, ce qui ne l’empêchait pas d’être retourné en dedans, de sorte que c’était un équin mêlé d’un peu de varus, ou bien un léger varus fortement accusé d’équin […] Or, puisque c’était un équin, il fallait couper le tendon d’Achille, quitte à s’en prendre plus tard au muscle tibial antérieur, pour se débarrasser du varus; car le médecin n’osait d’un seul coup risquer deux opérations, et même il tremblait déjà, dans la peur d’attaquer quelque région importante qu’il ne connaissait pas (248-249).

On observe que les termes employés illustrent tout à fait l’incompétence flagrante de Charles «il n’ose risquer», «il tremble déjà», il y a des parties dans le corps qu’il ne connaît pas! Il n’arrive ni à distinguer les pathologies ni à diagnostiquer le cas d’Hippolyte. Ce passage témoigne également d’une documentation scientifique détaillée de la médecine moderne. Flaubert décrit avec minutie le cas du pied bot et de son opération. Ceci n’a rien d’étonnant quand le lecteur apprend que la démonstration de l’opération du pied bot ainsi que le livre du Dr Duval dont il est question dans l’extrait ne sont point une fiction. Flaubert a pu avoir accès au Traité pratique du pied bot qui portait à la première page le nom signé V. Duval que ce dernier adressait au père de Flaubert, son collègue à l’époque. Le manuel sur la cure des pieds bots témoigne de résultats impressionnants de la méthode que Duval assure avoir adoptée à de nombreux cas. Ainsi, pouvons-nous lire en 1843, dans le journal de médecine et de chirurgie L’Expérience:

M. le docteur Duval eut l’idée ingénieuse d’appliquer la tonomie à ces difformités et ses opérations furent couronnées des plus beaux résultats. Ce fut le 8 août 1837 que M. Duval pratiqua la première de ces opérations. Depuis lors, plus de cent cinquante malades ont dû leur guérison à cette pratique, qui n’est certes pas une des moins belles conquêtes de la chirurgie moderne16L’expérience, journal de médecine et de chirurgie publié par M. Le Docteur J.-A. Henroz, septième année, N.314, le 6 juillet 1843, p. 139.

Contestant ces nouvelles méthodes inventives qu’il considère extrêmement dangereuses, Flaubert ira jusqu’à ridiculiser les déclarations du Dr Duval en faisant par le biais de Charles un contre-modèle fâcheux des réussites duvaliennes. Suivant à la lettre les enseignes prodiguées dans l’ouvrage du grand chirurgien, Charles accompagné d’Homais va se livrer à une expérience traumatisante, qui consistera à dévoiler une vraie mise à mal de tout l’exploit de la médecine moderne.

Or, si la description de l’auteur illustre une recherche méticuleuse des nouvelles méthodes savantes, il faut noter cependant que le motif du pied bot ne se limite pas pour nous à son seul aspect scientifique. En effet, la mythologie grecque nous enseigne des réflexions surprenantes sur ce cas d’infirmité qui a laissé des traces importantes dans la littérature et l’iconographie. Les analyses de l’aspect psychologique de la claudication en Grèce ancienne réalisées par Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal Naquet17Voir à ce sujet Jean- Pierre Vernant, Pierre Vidal Naquet, Œdipe et ses mythes, Éditions Complexe, 1988 avec les contributions de Marie Delcourt, Karin Ueltschi, Françoise Héritier, Nicole Belmont et Françoise Yche-Fontanel, pour ne citer que ceux-là, font ressortir quelques détails qui mériteraient qu’on s’y attarde.

Il va sans dire que la perfection et la beauté sont les qualités majeures qui définissaient les dieux grecs. L’infirmité dans l’antiquité était synonyme de monstruosité et d’anomalie. Les parents qui donnaient naissance à un enfant boiteux devaient s’en débarrasser par crainte que ce dernier contamine les autres et que le fléau ne s’abatte sur la cité. Tout être déformé représentait un signe de courroux divin infligé aux parents. La figure du dieu boiteux, Héphaïstos, connu également sous le nom du dieu forgeron, est une exception à la norme. Né infirme, Héphaïstos serait le fils de Zeus si Héra ne l’avait pas enfanté seule. Les raisons de son infirmité varient selon les sources18Voir à ce sujet Marie Delcourt, Héphaïstos ou la légende du magicien, Paris, les Belles lettres, 1957, chapitre II. La première version nous apprend que Héra aurait voulu imiter Zeus (qui a engendré seul Athéna) en donnant naissance à Héphaïstos sans géniteur. Mais son fils naît infirme, la perfection étant exclusivement attribuée au masculin. Une femme enfantant seule ne peut donner naissance qu’à un corps mal achevé, incomplet. Ayant découvert la claudication de son fils, Héra l’aurait lancé du haut de l’Olympe. Une autre légende suppose que c’est Zeus qui l’aurait précipité de l’Olympe19Un passage d’Homère affirme que Zeus est bien le père d’Héphaïstos dans l’Iliade, traduction de Jean-Baptiste Dugas-Montbel , 1828, chant 15 où Poséidon se révolte contre les ordres de Zeus (d’abandonner l’armée grecque) envoyés par la messagère Iris: «Jamais, par la force de son bras, il ne m’épouvantera comme un lâche: c’est assez pour lui d’effrayer de ses menaces les fils et les filles auxquels il donna le jour; eux, doivent par nécessité se soumettre à ses ordres[…] si, malgré moi et la terrible Athéna, si, malgré Héra, Hermès, et le roi Héphaïstos, il épargne les hautes tours d’Ilion[…]qu’il sache que tous nous lui vouons une haine implacable»., furieux de voir Héphaïstos défendre et secourir Héra que Zeus avait attachée, lors d’une dispute divine, par les pieds dans les airs. L’infirmité d’Héphaïstos implique à la fois le manque de fertilité masculine dans sa gestation et les enfants maudits, les petits monstres que les Grecs redoutaient sans cesse. Qu’il soit né infirme ou qu’il ait été lancé de l’Olympe, Héphaïstos était boiteux donc inférieur aux autres dieux.

Tout homme libre et héroïque chez les Grecs est représenté par la verticalité tandis que la courbe et la position arquée sont synonymes de servitude et de soumission. Un être courbé et disgracieux ne peut occuper qu’une place très peu élevée dans la hiérarchie sociale. Héphaïstos dans sa démarche claudicante illustre cette idée d’asservissement. Ce n’est point un guerrier. Ne pouvant combattre, il est le forgeron des dieux combattants de l’Olympe. Il se trouve continuellement dans l’obligation de les servir et répondre à leurs caprices. Il doit se soumettre à la volonté des autres dieux. Seul difforme de la divinité de l’Olympe, il accomplit des tâches semblables aux serviteurs terrestres. Il suscite le mépris et la raillerie de tous les dieux. Il est également cocu et quand il le découvre et capture Aphrodite avec son amant, loin de plaider sa cause, les dieux le ridiculisent et le méprisent davantage. Héphaïstos est ainsi représenté comme un anti-Dieu.

Ces études sur la mythologie grecque permettent d’ouvrir une porte à plusieurs interprétations qui trouveront leur place dans l’univers romanesque. Il nous parait donc judicieux d’exploiter ces analyses afin de nous interroger sur la fonction de la claudication dans le récit. Il semblerait, en effet, que la valeur attribuée à ce genre d’infirmité dépasse abondamment le sens littéral de la boiterie. Jean-Pierre Vernant souligne:

La catégorie du boiteux n’est pas strictement limitée à un défaut du pied, de la jambe et de la démarche, elle est susceptible d’une extension symbolique à d’autres domaines que le simple déplacement dans l’espace, elle peut exprimer métaphoriquement toutes les formes de conduite qui apparaissent déséquilibrées, déviées, ralenties ou bloquées […] la boiterie quand un homme ne marche pas droit, le bégaiement, quand un homme boitant de la langue au lieu du pied, traîne le pas de son discours, autant de marques convergentes que le mythe utilise en liaison avec les thèmes de l’indiscrétion ou du malentendu pour exprimer des défauts, des distorsions ou des blocages de la communication aux différents niveaux de la vie sociale: communication sexuelle, transmission de la vie […] échanges verbaux, communication de soi avec soi […]20Jean-Pierre Vernant, «Le Tyran boiteux: d’Œdipe à Périandre» dans Œdipe et ses mythes, op.cit., p. 55, 56.

Cette notion particulière de la claudication aurait donc un sens purement symbolique qui nous permettrait d’établir un parallèle intéressant avec le récit. La claudication est, en effet, une grande métaphore des différentes formes de déséquilibre qui émanent du roman. Déséquilibre social, déséquilibre conjugal. Ne pouvons-nous pas voir cette figure métaphorique du dieu boiteux dans le personnage de Charles, cocu, dominé et ridiculisé aussi bien dans sa vie sociale que privée? Si le garçon d’auberge boite stricto sensu, Charles, lui, boite dans ce monde où il ne trouve pas sa place. Il bégaie quand il demande la main d’Emma: «Père Rouault…père Rouault…balbutiait Charles» (36). Embarrassé en société, mal aimé, mal accepté, notre protagoniste n’arrive pas à déchiffrer ce qu’il lit. Il ne saisit pas les codes de la nouvelle ère moderne, il est dans l’incapacité totale de décrypter, de comprendre son monde. Il est également incapable de lire les pensées de sa femme. Il boite continuellement dans son amour pour Emma. Confiné dans un rôle qui ne lui sied pas, il peine à devenir lui-même, à exister en son nom. Sa virilité est régulièrement remise en question, lorsqu’il est soumis d’abord à sa mère qui décide tout pour lui, faisant ainsi planer sur lui un spectre de castration qui ne le quittera pas tout au long de sa vie. Son défaut de virilité transparaitra à travers ces images de mollesse et de passivité, quand il se résignera à épouser la vieille veuve et cèdera à ses caprices comme, plus tard, à ceux d’Emma. Son statut d’homme ne sera donc point valorisé après le mariage, il ne pourra ni s’affirmer ni s’imposer. Charles sera ainsi réduit à cette figure de «moitié d’homme21Voir à ce sujet Françoise Héritier, «La moitié d’homme», Une figure multivalente https://lhomme.revues.org/1675 et Nicole Belmont, Moitié d’homme dans les contes de tradition orale: Lieux, usages et signification d’un mot singulier, https://lhomme.revues.org/1676 », à cette image d’antihéros à l’instar du dieu boiteux.

En fait, force est de remarquer que ces analogies émaillent tout le portrait de Charles. Il faut noter cependant que cette figure du dieu forgeron dissimule un pouvoir magique. Bien que sa vie soit à plaindre, le divin forgeron sera reconnu pour ses œuvres d’art qui susciteront l’admiration. Car Héphaïstos va apprendre les secrets de la magie et de l’orfèvrerie grâce à Caladion et aux magiciennes Thétis et Eurynome qui l’ont recueilli à sa chute de l’Olympe dans une profonde grotte, au milieu de l’océan. Les talents particuliers du dieu forgeron se manifesteront dans son aptitude à fabriquer des talismans et à inventer des objets magiques. Nous pouvons lire dans l’Iliade22LIliade, op.cit., chant 18 qu’il a façonné des demeures olympiennes aux portes infranchissables, des bijoux, des colliers, des boucliers mouvants. Il aura même le don de forger des automates, des objets qui peuvent se mouvoir d’eux-mêmes et demeurer à la disposition des dieux sans que ces derniers fassent le moindre effort23Voir au sujet des différents objets créés par Héphaïstos, Marie Delcourt, op.cit., chapitre III. Ayant acquis ces compétences extraordinaires, Héphaïstos retournera sur l’Olympe pour libérer Héra du trône enchanté. Cette étape implique l’ascension du dieu forgeron dans le monde divin, dans une sorte d’euphorie, à la rescousse de sa mère. L’historienne Marie Delcourt considère cette étape comme une phase d’initiation puisque ces capacités extraordinaires ne peuvent être atteintes qu’à la suite de souffrances rituelles caractérisées, dans le cas d’Héphaïstos, par sa chute en bas de l’Olympe représentant une descente aux enfers. Son retour dans le ventre de la terre mère et son infirmité seraient le symbole de sa mutilation, du prix de son initiation: «La légende d’Héphaïstos nous offre donc le mythe complet de l’initiation du magicien24Ibid., p.136».

Cette approche positive de la claudication permet assurément d’élargir les horizons et de soulever de nouvelles interrogations. En prenant compte de ces analyses, nous pourrons avancer que la figure de claudication dans la littérature serait l’emblème d’un rite de passage, d’une nécessité d’affronter des dangers, de surmonter des obstacles pour faire preuve d’honneur et de courage. Ce rite se doit d’être vécu soit pour acquérir une identité, soit pour marquer le passage de la puberté à l’âge adulte ou d’un sexe à l’autre. Ainsi que le rappelle Marie Scarpa: «La construction de l’identité se fait dans l’exploration des limites, des frontières, toujours labiles, en fonction des contextes et des moments de la vie, sur lesquelles se fondent la cosmologie d’un groupe social, d’une communauté […]25Marie Scarpa, «Le personnage liminaire» dans Véronique Cnockaert, Jean Marie Privat et Marie Scarpa, l’ethnocritique de la littérature, coll. «Approches de l’imaginaire», Presses de l’Université du Québec, 2011, p. 181

À la lumière de ces réflexions, nous serons tentés de voir en l’opération du pied bot, le symbole du rite de passage qui s’impose à Charles. L’épreuve d’identité et de virilité à laquelle il doit se soumettre, étant le seul moyen d’acquérir un nouveau statut dans la société et de prouver à Emma qu’il est digne de son amour pour que celle-ci puisse le retrouver dans le même état d’extase que celui du mythe. Le salut de Charles réside désormais dans la concrétisation de l’épreuve. Pourrait-il enfin devenir un héros? Seule la réussite de la chirurgie orthopédique va le prouver. Elle servira à matérialiser l’initiation de Charles à une nouvelle étape de la vie, elle permettrait de déboucher sur un autre monde que le sien. Ce moment de son existence est interprété comme une véritable épreuve initiatique qui représentera un revirement, lui permettant de s’intégrer dans la société. Il ressusciterait alors en tant qu’homme et acquerra enfin son identité.

L’échec du rite du passage: un humanisme problématique et douloureux

C’est ainsi que nous assisterons à la scène éloquente où Charles s’initie, avec terreur, au Nouveau Monde, celui des éminents savants, des scientifiques, des dominants:

Ni Ambroise Paré appliquant pour la première fois depuis Celse […] la ligature immédiate d’une artère; ni Dupuytren allant ouvrir un abcès à travers une couche épaisse d’encéphale; ni Gensoul, quand il fit la première ablation de maxillaire supérieure, n’avaient, certes, le cœur si palpitant, la main si frémissante, l’intellect aussi tendu que M. Bovary quand il approcha d’Hippolyte son ténotome entre les doigts (249).

Cette scène marque la frontière s’établissant entre les deux mondes qui s’affrontent, entre ce qu’il est, un simple officier de santé, limité et sans ambitions et tel qu’il se veut ou plutôt tel qu’on le veut, un homme fort, brillant, célèbre et riche. La réalisation de ce projet semble porter ses fruits, car déjà la scène d’extase des retrouvailles, que nous avons déjà évoquée entre le dieu boiteux et sa mère, se retrouvera dans le magnifique passage où Emma attend son mari, son héros, qu’il vienne la conquérir:

Emma, tout anxieuse, l’attendait sur la porte. Elle lui sauta au cou; ils se mirent à table; il mangea beaucoup; et même il voulut au dessert prendre une tasse de café, débauche qu’il ne se permettait que le dimanche lorsqu’il y avait du monde.

La soirée fut charmante, pleine de causerie, de rêves en commun. Ils parlèrent de leur fortune future, d’améliorations à introduire dans leur ménage; il voyait sa considération s’étendant, son bien-être s’augmentant, sa femme l’aimant toujours; et elle se trouvait heureuse de se rafraîchir dans un sentiment nouveau, plus sain, meilleur, enfin d’éprouver quelque tendresse pour ce pauvre garçon qui la chérissait. L’idée de Rodolphe un moment lui passa par la tête; mais ses yeux se reportèrent sur Charles. Elle remarqua même avec surprise qu’il n’avait point les dents vilaines. (250-251)

Notre héros semble d’emblée avoir réussi son test; sa virilité est restituée et son honneur est sauvé, du moins en apparences. Ainsi le jeune médecin aura-t-il l’illusion d’appartenir (pour quelques jours) à ce nouveau monde éblouissant, finissant par le considérer sien. Cette description renvoie à une opposition explicite entre la vie ennuyeuse et fade que menait Emma auprès de Charles et cette nouvelle vie merveilleuse, faite de luxe, d’insouciance et de bonheur qu’il semble enfin lui offrir, cristallisée plus que jamais par la réussite de la chirurgie. Comme tout succès exige la reconnaissance des médias, la scène suivante où Homais arrive avec son article publié, va intensifier cette gloire et, de ce fait, accentuer leurs illusions. Les séductions de l’article publié sont dépeintes moqueusement par Flaubert dans cette scène éloquente:

«M. Bovary, un de nos praticiens les plus distingués…»

— Ah! c’est trop, c’est trop! disait Charles, que l’émotion suffoquait.
— Mais non, pas du tout! … Comment donc? […]
— Je reprends, dit le pharmacien…

«M. Bovary, un de nos praticiens les plus distingués, a opéré d’un pied bot le nommé Hippolyte […] Le malade, chose étrange (nous l’affirmons de visu), n’accusa point de douleur. Son état, jusqu’à présent, ne laisse rien à désirer […] Honneur donc aux savants généreux! honneur à ces esprits infatigables […] Honneur! trois fois honneur! […] ce que le fanatisme autrefois promettait à ses élus, la science maintenant l’accomplit pour tous les hommes. Nous tiendrons nos lecteurs au courant des phases successives de cette cure si remarquable.» (251-252)

Cette description, loin d’être anodine, résonne en effet avec les autres passages dans lesquels Flaubert exprime toute sa haine contre les nouveaux progrès. L’ironie exaspérée de l’auteur est déjà d’un mauvais présage. Le mot honneur répété trois fois est très significatif à cet égard. Homais représente l’idée de l’ultralibéralisme, du scientisme qui s’oppose radicalement à la religion et au mysticisme. Se montrant farouche défenseur du progrès et féroce adversaire du catholicisme, M. Homais illustre le conflit entre les pouvoirs religieux et scientifique. L’auteur, se distanciant de son personnage, se révèle sceptique à l’égard des deux pouvoirs. N’affirme-t-il pas dans le cas d’Hippolyte que «la religion, pas plus que la chirurgie, ne paraissait le secourir, et l’invincible pourriture allait montant toujours des extrémités vers le ventre»? (256)

Des réflexions menées par les sociologues et penseurs humanistes contemporains ressort l’idée fondamentale qu’il serait vain de ne pas voir chez Flaubert une dénonciation virulente contre tous les pouvoirs littératiens émergeant au XIXe siècle. C’est toute cette question de système marchand, de déséquilibre et d’irrationalité que constate Flaubert, plus d’un siècle auparavant, avec grand réalisme. Ce sont là en effet des prémisses qui dévoileraient moins une vision futuriste qu’une remarquable lucidité née de l’observation d’un certain réel qui prend toute sa force au XIXe siècle. John Raltson Saul nous rappelle qu’une société humaniste et équilibrée repose essentiellement sur trois axes majeurs caractérisés par le doute, le débat et la considération. En effet, Socrate imaginait une société humaniste qui inclut tous les citoyens: «C’est une idée où le citoyen est au centre, où le doute est au centre, où le débat est au centre26John Raltson Saul, Le citoyen dans un cul-de-sac, Anatomie d’une société en crise, Édition Fides, coll.  «Les grandes conférences, 1996, p. 15» John Saul ajoute que si l’on s’intéresse aux textes classiques, ce n’est point par nostalgie ou passéisme, mais plutôt pour réinterpréter le passé et tenter d’en dégager des idées, des analyses qui permettraient de mieux comprendre notre ère. L’idée de base de l’humanisme se caractérise, selon lui, par l’exaltation des six qualités qui définissent l’homme: la raison, le sens commun, l’intuition, la mémoire, la créativité et l’éthique. Une parfaite harmonie est atteinte quand toutes ces qualités s’entremêlent et se complètent: «Imaginez ces qualités comme une sorte d’atome à six pointes maintenues en équilibre par leurs propres oppositions et vous obtenez l’image de l’être humain qui exploite ses capacités au maximum27Ibid, p. 16».

Il convient de voir que le rite de passage infligé à Charles Bovary repose inextricablement à sa capacité d’assembler ces qualités humaines, à son aptitude de faire appel à sa logique, à sa raison, mémoire et créativité mêlées. Tel que le souligne Goody «l’appropriation maîtrisée de la raison graphique, c’est l’intériorisation, l’incorporation28Jean Marie Privat, la raison graphique à l’œuvre, les actes de lecture p.45-54 http://www.lecture.org/revues_livres/actes_lectures/AL/AL108/AL108_p045.pdf » ce qui signifie que la réussite de l’épreuve de passage est liée inévitablement à la réappropriation de toute cette littératie par Charles. Or, ce dernier, imbu de préceptes mal assimilés, consent à opérer Hippolyte en toute insouciance, et ce, sans le moindre doute, qualité fondamentale, nous l’avons vu, pour tout équilibre. Charles ne manifestera point non plus la moindre hésitation, ne songera pas à sa réputation, à son devenir, à celui d’Hippolyte en cas d’échec. Suivant à la lettre les théories du manuel médical, il va enfermer le membre opéré d’Hippolyte dans la machine longuement préparée à cet effet par lui et le pharmacien en l’y laissant cinq jours! L’intuition ne sera pas non plus à l’œuvre, puisque malgré l’observation des «deux savants»

[…] du spectacle affreux des formes du pied disparaissant dans une telle bouffissure que la peau tout entière semblait prête à se rompre, couverte d’ecchymoses occasionnées par la fameuse machine […] ils jugèrent à propos de rétablir le membre dans l’appareil, et en l’y serrant davantage, pour accélérer les choses» (253).

Dès lors, les choses vont, en effet, s’accélérer et tout le monde, se rendant à l’évidence que la chirurgie est un échec total, va assister à la venue du Dr Canivet, mandé d’urgence pour sauver Hippolyte. Le praticien, sans aucun égard ni pour le malade ni pour le confrère, niant à son tour la qualité de considération propice à l’équilibre social «ne se gêna pas pour rire dédaigneusement lorsqu’il découvrit cette jambe gangrenée jusqu’au genou et déclara net qu’il la fallait amputer» (257).

Plus de doute: Charles a raté son épreuve initiatique. Plus de transition possible. Le rite de passage s’avère dysfonctionnel. C’est désormais une claudication irrémédiable qui est mise en scène. Il n’y aura point de verticalité, symbole d’héroïsme ou d’ascension. La courbe triomphe. Si «l’écriture est un dessin29Jean-Marie Privat, la littérature autour de Jacques Goody dans Pratiques, décembre 2006, n.131, 132» alors en effet, la description scripturale de Flaubert illustrera à merveille ce dessin. Nous ne pourrons que noter la multiplication des signes de la raison graphique à travers les catégories descriptives de l’auteur qui contribueront à donner l’effet de ce déséquilibre triomphant.

Nous assistons, tout d’abord, à la figure emblématique du cabriolet du Dr Canivet «qu’il conduisait lui-même. Mais le ressort du côté droit s’étant à la longue affaissé sous le poids de sa corpulence, il se faisait que la voiture penchait un peu tout en allant […]» (258). Ce cabriolet, ne renvoie-t-il pas, sous la plume de Flaubert, à l’image du scientisme pesant qui n’avance pas en ligne droite, mais en «penchant» ce qui illustre une claudication, une inclinaison? Cette inclinaison, on la retrouve également dans le mot bande, répété trois fois dans la même phrase: «Et, comme dans les hôpitaux, l’on voyait à côté, sur une table, un tas de charpie, des fils cirés, beaucoup de bandes, une pyramide de bandes, tout ce qu’il y avait de bandes chez l’apothicaire» (250). L’occurrence du terme bande est très révélatrice. Bande, dans son sens littéral, signifie les morceaux d’étoffe qui servent à panser les blessures, à maintenir un organe, mais il évoque en même temps une inclinaison, celle que prend un navire sur un bord. Mais plus encore, une bande définit un groupe de personnes. Mais qu’est-ce exactement que veut laisser entendre l’auteur par l’occurrence de ce mot? Il n’y a jamais chez Flaubert d’objets insignifiants.

«La raison graphique, nous dit encore Goody, consiste bien en effet à faire entrer une pensée, un savoir, un message en le spatialisant, mais aussi en le géométrisant30Jean-Marie Privat, La raison graphique à l’œuvre, op.cit., p. 46.» Une observation plus fine du schéma textuel nous permettrait d’avancer que les personnages sont établis dans un espace géométrique hiérarchisé, celui de la pyramide. Aussi, la pyramide de bandes dont nous parle Flaubert laisse-t-elle suggérer une structure sociale à type pyramidal. Une pyramide de bandes, de clans dont le sommet serait la bande d’Homais et du Dr Canivet, ce dernier ne faisant qu’afficher son mépris envers tout le monde: «en arrivant chez ses malades, il s’occupait d’abord de sa jument et de son cabriolet et on l’estimait davantage pour cet inébranlable aplomb» (258) ensuite, suivi du pharmacien «sans aucun égard pour Hippolyte qui suait d’angoisses entre ses draps, ces messieurs engagèrent une conversation, où l’apothicaire compara le sang-froid d’un chirurgien à celui d’un général» (259). Quant à Homais, «la cause de tout» (256), il se tait piteusement devant les vociférations du grand chirurgien et avale sa déception «sous son sourire de courtisan […] aussi ne prit-il pas la défense de Bovary, ne fit-il même aucune observation, il sacrifia sa dignité aux intérêts plus sérieux de son négoce.» (258)

Homais opte pour l’abandon de notre médecin au comble de la honte et de l’humiliation. Ainsi, loin de partager l’espace du sommet pyramidal où brillaient Canivet et Homais «en plein soleil» (264), Charles «n’osait bouger de sa maison. Il se tenait en bas […] assis au coin de la cheminée sans feu, le menton sur sa poitrine, les mains jointes, les yeux fixes.» (260)

Les détails particulièrement riches d’enseignement, donnés par la description graphique de l’auteur vont dans le même sens et nous permettent de compléter nos analyses précédentes. Les évènements vont, en effet, propulser le couple Bovary au cœur du gouffre. Dans ce décor où objets et personnages succomberont inéluctablement, nous pouvons relever les expressions qui expriment l’oscillation: «Charles se voyait déshonoré, ruiné, perdu! Et son imagination ballotait comme un tonneau vide emporté à la mer et qui roule sur les flots» puis, plus loin, on le voit qui «se promenait de long en large dans la chambre» jusqu’au moment où «au milieu du silence qui emplissait le village, un cri déchirant traversa l’air» (261) alors Charles considérait Emma «avec le regard trouble d’un homme ivre, tout en écoutant, immobile, les derniers cris de l’amputé qui se suivaient en modulations traînantes, coupées de saccades aiguës , comme le hurlement lointain d’une bête qu’on égorge» (262).

Après l’amputation, l’oscillation cèdera aussitôt la place à l’effondrement, à la chute verticale. Alors «Charles s’affaissa dans son fauteuil, bouleversé […] pleurant, et sentant vaguement circuler autour de lui quelque chose de funeste et d’incompréhensible.» (263) L’épisode se clôt sur cette figure d’un parfait ratage, révélant l’état d’esprit d’un homme épuisé, ravagé, se trouvant en proie au vertige et au désespoir dans une scène qui prépare le lecteur au dénouement fatal a posteriori du roman.

Conséquence de cette navrante expérience, notre héros perd désormais son identité, il est dépossédé de son honneur, de sa réputation, de sa femme. Plus personne n’aura de considération pour lui. L’opération du pied bot révèlera son incurable ineptie. Quant à Emma, l’irréalisation de ses projets la plongera dans «l’adultère triomphant» (262). Elle se rend désormais à l’évidence que cet être raté ne répondra jamais à la figure d’amour tissé de fièvre et de passion dont elle avait tant rêvé. S’il a toujours existé entre eux un mur d’incommunicabilité, il atteindra son paroxysme à la suite de l’amputation: «et ils se regardèrent silencieusement, presque ébahis de se voir, tant ils étaient par leur conscience éloignés l’un de l’autre» (262) et Charles, éternel mauvais lecteur, ne saura pas lire «les deux flèches de feu prêtes à partir» (262) que lui lançait Emma en le fixant. Sollicitant sa tendresse et sa compréhension, Charles nous fait assister à un moment des plus pathétiques:

— Embrasse-moi donc, ma bonne!
— Laisse-moi! fit-elle, toute rouge de colère.
— Qu’as-tu? qu’as-tu? répétait-il stupéfait. Calme-toi! Reprends-toi! … Tu sais bien que je t’aime! … viens!
— Assez! s’écria-t-elle d’un air terrible.
Et s’échappant de la salle, Emma ferma la porte si fort, que le baromètre bondit de la muraille et s’écrasa par terre. (263)

Ainsi, avec la chute du baromètre, le déséquilibre ne sera-t-il même plus mesurable!

Conclusion

Au terme de notre analyse, il nous semble qu’il y a dans ces métaphores longuement analysées, un côté inéluctable d’une peinture des circonstances sociopolitiques. «Une œuvre d’art, nous dit Sartre, est à la fois une production individuelle et un fait social31Jean Paul Sartre cité par Serges Doubrovsky dans Pourquoi la nouvelle critique, Éditions Denoël/ Gonthier, 1972, p. 60.». Nous avons affaire dans Madame Bovary au regard d’un écrivain du XIXe siècle qui, grâce à son culte du style et sa maîtrise scripturale, nous a transportés dans un univers structuré par la raison graphique. Ne s’étant pas contenté de raconter une histoire, mais l’Histoire avec un grand H, il nous peint une mutation, celle d’une passation d’un pouvoir, d’une bourgeoisie qui avait, à ses yeux, encore un visage humain, à un autre qui n’a plus rien d’humain.

Ainsi la boiterie a-t-elle inspiré non seulement des conteurs et des artistes, mais aussi des écrivains dont le roman de Flaubert témoigne. La claudication, telle que nous l’avons démontrée, révèle une problématisation du rapport de l’homme à son entourage, à sa société, à son État, à sa nation. Elle marque une frontière et «c’est par ce transfert symbolique que peuvent être explicités certains des attributs et surtout la fonction par excellence d’une mutation32Karin Ueltschi, le pied qui cloche ou le lignage des boiteux, Paris, Édition Honoré /champion, 2011, p.295 ». Le cas d’Héphaïstos a permis de mettre la lumière sur l’état d’un pays et de personnages destinés à la dégénérescence. Le triomphe du règne de l’argent, du capitalisme, aura eu raison de toutes les valeurs humaines pour Flaubert qui ne croyait plus en l’avenir de la civilisation. Son fameux «Madame Bovary c’est moi» n’exprime-t-il pas ses désillusions face à une époque marquée désormais par le triomphe des bourgeois, de l’affairisme et de l’ordre. La révolution avortée de 1848, suivie du coup d’État de décembre, n’a-t-elle pas brisé les aspirations et les rêves de cette génération romantique à laquelle il appartenait?  N’a-t-il pas crié tout haut son désespoir en se disant «orphelin d’idéal» pour avoir cru aux valeurs que véhiculaient des œuvres comme Hernani de Victor Hugo qui affirmait sa confiance dans l’action des hommes pour l’avenir d’une civilisation dont les exigences s’appellent liberté, droit, justice. Et fraternité pour que chaque pas ne laisse personne sur le chemin33Voir l’analyse d’Evelyne Pieiller, «Flaubert et ses héritiers» dans Le Magazine littéraire, n.250, Février 1988, p.60. Se rendant compte que tout est leurre, Flaubert usera de tout son génie d’écrivain pour traduire son désenchantement et son pessimisme à l’égard de l’Histoire par le biais de son chef-d’œuvre. Les personnages, destinés à montrer la pourriture d’une époque qui n’a plus que le matériel et le statut social pour dieux, représentent des citoyens trompés, dépossédés, boiteux et errants dans un monde qui coule.

Bien qu’Emma Bovary ait fait couler beaucoup d’encre, il n’en demeure pas moins, in fine, qu’on ne se lasse jamais de la relire et qu’elle continuera à susciter encore de nouvelles volte-face puisqu’«une œuvre est éternelle non parce qu’elle impose un sens unique à des hommes différents, mais parce qu’elle suggère des sens différents à un homme unique, qui parle toujours la même langue symbolique à travers des temps multiples. L’œuvre propose, l’homme dispose34Roland Barthes, Critique et vérité, Éditions du Seuil, coll. «Tel Quel», 1966, p.52».

 

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Vidal-Naquet, Piere et Jean-Pierre Vernant. 1988. Œdipe et ses mythes. Complexe.

  • 1
    Martin Lyons, «Les nouveaux lecteurs au XIXe siècle. Femmes, enfants, ouvriers» dans Gugliélmo Cavallo et Roger Chartier, Histoire de la lecture dans le monde occidental, Seuil, coll. «Points/Histoire», 2001 (1995), p. 393
  • 2
    Jacques Goody, «Les technologies de l’intellect» dans Pouvoirs et savoirs de l’écrit, Paris, la Dispute, 2007, p.195
  • 3
    L’analyse de Jean-Marie Privat sur l’incipit de Madame Bovary illustre parfaitement l’entrée de Charles dans le monde littératien de la culture scolaire. Voir à ce sujet Jean-Marie Privat, Bovary Charivari, essai d’ethno critique, Éditions CNRS, Paris, 2000 (1994), p.111 -143
  • 4
    Gustave Flaubert, Madame Bovary, mœurs de province, reproduction au trait de l’original de 1857 annoté par Gustave Flaubert, postface d’Yvan Leclerc, Éditions Droz, coll.: «Michel Lévy», Paris, 2011, p. 246. Les numéros de pages indiqués entre parenthèses dans le corps du travail renvoient à cette édition.
  • 5
    Honoré de Balzac,  « Chronique de la presse» dans  Revue parisienne, dirigée par M. De Balzac, Juillet-septembre 1840, Slatkine Reprints, Genève ,1968, p.243
  • 6
    Lettre à Louise Colet, le 26 août 1846 dans Correspondance, Édition de Jean Bruneau, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», Tome I, p. 313-314
  • 7
    Maurice Grevisse, le Bon usage, 13ème édition par André Goose , Édition Duculot. Paris-Louvain-La Neuve, 1994, p.88
  • 8
    Lettre à Louis Bouillet, le 30 septembre 1855
  • 9
    Jean-Marie Privat, Bovary Charivari, op.cit., p.201
  • 10
    Jacques Goody, «Que contient une liste» dans La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Éditions de Minuit, 1979, p.150
  • 11
    «La matière des idées», entretien avec Jacques Goody, dans Vacarme 49, automne 2009 p. 4-12 http://www.vacarme.org/article1814.html
  • 12
    Martin Lyons, «Les nouveaux lecteurs au XIX siècle», Op.cit., p. 401
  • 13
    François Dagognet, «Les iconographies ordinatrices et inventives» dans Écriture et iconographie, Paris, Vrin, 1973, p. 88, 89
  • 14
    Bruno Latour, «Les vues de l’esprit», Une introduction à l’anthropologie des sciences et des techniques, culture et technique, Volume 5, n. 27, 1987, p.92
  • 15
    Martin, Heidgger, Qu’appelle-t-on penser? Essais Philosophiques, traduit de l’allemand par Aloys Becker et Gérard Granel, collection fondée par Jean Hippolite, Presses Universitaires de France, 1973, p. 33
  • 16
    L’expérience, journal de médecine et de chirurgie publié par M. Le Docteur J.-A. Henroz, septième année, N.314, le 6 juillet 1843, p. 139
  • 17
    Voir à ce sujet Jean- Pierre Vernant, Pierre Vidal Naquet, Œdipe et ses mythes, Éditions Complexe, 1988
  • 18
    Voir à ce sujet Marie Delcourt, Héphaïstos ou la légende du magicien, Paris, les Belles lettres, 1957, chapitre II
  • 19
    Un passage d’Homère affirme que Zeus est bien le père d’Héphaïstos dans l’Iliade, traduction de Jean-Baptiste Dugas-Montbel , 1828, chant 15 où Poséidon se révolte contre les ordres de Zeus (d’abandonner l’armée grecque) envoyés par la messagère Iris: «Jamais, par la force de son bras, il ne m’épouvantera comme un lâche: c’est assez pour lui d’effrayer de ses menaces les fils et les filles auxquels il donna le jour; eux, doivent par nécessité se soumettre à ses ordres[…] si, malgré moi et la terrible Athéna, si, malgré Héra, Hermès, et le roi Héphaïstos, il épargne les hautes tours d’Ilion[…]qu’il sache que tous nous lui vouons une haine implacable».
  • 20
    Jean-Pierre Vernant, «Le Tyran boiteux: d’Œdipe à Périandre» dans Œdipe et ses mythes, op.cit., p. 55, 56
  • 21
    Voir à ce sujet Françoise Héritier, «La moitié d’homme», Une figure multivalente https://lhomme.revues.org/1675 et Nicole Belmont, Moitié d’homme dans les contes de tradition orale: Lieux, usages et signification d’un mot singulier, https://lhomme.revues.org/1676
  • 22
    LIliade, op.cit., chant 18
  • 23
    Voir au sujet des différents objets créés par Héphaïstos, Marie Delcourt, op.cit., chapitre III
  • 24
    Ibid., p.136
  • 25
    Marie Scarpa, «Le personnage liminaire» dans Véronique Cnockaert, Jean Marie Privat et Marie Scarpa, l’ethnocritique de la littérature, coll. «Approches de l’imaginaire», Presses de l’Université du Québec, 2011, p. 181
  • 26
    John Raltson Saul, Le citoyen dans un cul-de-sac, Anatomie d’une société en crise, Édition Fides, coll.  «Les grandes conférences, 1996, p. 15
  • 27
    Ibid, p. 16
  • 28
    Jean Marie Privat, la raison graphique à l’œuvre, les actes de lecture p.45-54 http://www.lecture.org/revues_livres/actes_lectures/AL/AL108/AL108_p045.pdf
  • 29
    Jean-Marie Privat, la littérature autour de Jacques Goody dans Pratiques, décembre 2006, n.131, 132
  • 30
    Jean-Marie Privat, La raison graphique à l’œuvre, op.cit., p. 46
  • 31
    Jean Paul Sartre cité par Serges Doubrovsky dans Pourquoi la nouvelle critique, Éditions Denoël/ Gonthier, 1972, p. 60.
  • 32
    Karin Ueltschi, le pied qui cloche ou le lignage des boiteux, Paris, Édition Honoré /champion, 2011, p.295
  • 33
    Voir l’analyse d’Evelyne Pieiller, «Flaubert et ses héritiers» dans Le Magazine littéraire, n.250, Février 1988, p.60
  • 34
    Roland Barthes, Critique et vérité, Éditions du Seuil, coll. «Tel Quel», 1966, p.52
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