Colloque, 28 octobre 2010

Bécassine ou comment on fait les bécasses

Marie-Christine Vinson
couverture
Idiots, figures et personnages liminaires, événement organisé par Véronique Cnockaert, Bertrand Gervais et Marie Scarpa

Le personnage de bande dessinée, Bécassine (1905) est devenue le protype proverbial (ce n’est pas si fréquent) de l’amusante et sympathique idiote. Mais la Bécassine de papier est plus complexe que la représentation réductrice qu’on en a habituellement.

Le travail que je propose s’interroge sur la manière dont cette fiction pour la jeunesse construit ce personnage dont le trop plein d’idées est l’indice d’une idiosyncrasie culturellle et d’une organisation du monde in progress. Cette genèse d’une bécasse ou plus exactement d’une bécassine (petite bécasse) je l’étudie dans deux albums, les premiers dans la chronologie de l’héroïne, L’enfance de Bécassine, Bécassine en apprentissage.

Le premier temps de l’analyse, Bécassine entre coutume (sociale) et destin (personnel, porte sur les ratages culturels (au sens socio-anthropologique du terme) qui parasitent le processus normal de socialisation. Bécassine passe très mal les seuils symboliques, aux prises qu’elle est, avec la violence symbolique des siens, les manières de faire et les façons de dire modernes. Ayant tout à apprendre puisque tout est codé –même si l’arbitraire social est toujours présenté comme une évidence doxale– Bécassine est tiraillée entre un imaginaire de la culture coutumière traditionnelle et un destin personnel exigé par la vie moderne dont elle ne maîtrisera jamais naturellement le mode d’emploi.

Le deuxième temps de l’analyse, Bécassine entre idiotie et idiotisme, montre que le rapport du personnage au langage des autres est représentatif de ses difficultés. Ce trouble dans la communication porte plus particulièrement sur l’aspect imagé des façons de parler ou sur les expresions idiomatiques, ces « micro-mondes » dont parle M. Bakhtine. D’ailleurs, sans bouche, sans oreille, notre héroïne semble graphiquement (pré)destinée à une forme congénitale de mal entendu. Et en effet Bécassine met le sens dessus dessous.

Personnage liminaire, Bécassine reste «empêtrée» le passage des seuils des initiations qui font grandir. Mi-enfant, mi-adulte, elle ne vieillit jamais, et peut vivre des aventures infinies.

Maitresse de conférence en langue et littérature française à l’INSPÉ – l’Université de Lorraine, Marie-Christine Vinson est membre du Centre de recherche sur les médiations (communication, langue, art, culture). Ses thématiques de recherche portent sur l’ethnocritique de la littérature, la littérature de jeunesse, les pratiques de lecteurs et les médiations littéraires.

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