Entrée de carnet

Pour en finir (une fois pour toutes?) avec Stephen King

Jean-Philippe Gravel
couverture
Article paru dans Les meilleurs vendeurs, sous la responsabilité de Pierre Luc Landry (2012)

Je suis convaincu que la peur est à l’origine de la plupart des mauvais textes.

– Stephen King

Le monde du livre abonde en ouvrages conçus comme des guides de survie et du «bien écrire» à l’intention des écrivains débutants ou pas très sûrs d’eux, des livres qui essaient d’apporter des réponses à des questions comme Qu’est-ce que vivre en écrivant?, mais aussi, surtout, Où trouver mes idées? Pourquoi lire si je veux écrire? Qu’est-ce qu’une bonne description, un bon dialogue, un agent littéraire, une lettre de refus? Comment écrire mon premier roman en un mois et le faire publier? Ces livres ont généralement en commun qu’ils ne sont pas dus à la plume d’auteurs de best-sellers brevetés, mais de celle de coachs d’écriture, de professeurs d’ateliers d’écriture et de directeurs de revues littéraires —d’auteurs dont l’œuvre, si estimable qu’elle soit, loge rarement à l’enseigne des palmarès des plus gros vendeurs de la planète.

Dès lors, que se passe-t-il lorsqu’un des plus grands écrivains à succès consent à parler boutique, comme Stephen King le fait dans un intéressant ouvrage pratico-biographique, Écriture, mémoires d’un métier (2001)? On tend l’oreille, évidemment, quoique l’on pense de ses romans.

Et ce que j’en pense est assez compliqué, très personnel aussi. C’est à Stephen King que je dois mes premiers émois de lecteur de romans. J’ai lu The Shining (1977) en cachette à onze ans; premier roman que je lus de ma propre initiative, dans une ambiance grisante de secret et de clandestinité. Je ne conçois toujours pas de meilleure porte, aujourd’hui, pour entrer dans le monde de la littérature que celle-là: montrez-moi un lecteur assidu de Beckett et de Proust, et je vous montrerai un adolescent qui a fait ses premières classes littéraires en lisant des auteurs comme King.

Mais la suite de l’histoire se complique. Au cours des six années suivantes, j’ai lu du King à m’en écœurer. Et c’est à It (1986) que revient le mérite de m’avoir écœuré de ses histoires pour de bon. Peut-être y a-t-il, dans la carrière de King, un «avant» et un «après» It: depuis It, King semble publier ce qu’il veut, allongeant au kilomètre des romans plus ou moins bien ficelés, dans une apparente absence de contrôle éditorial, lui permettant de devenir une industrie à lui tout seul. Son nom fait confortablement recette, même si son imaginaire n’a pas su imposer à l’horreur moderne des figures aussi marquantes, iconiques, que celles de ses débuts: Carrie White, figure-type d’adolescente souffre-douleur devenue tourmenteuse et bourreau dans Carrie (1974), ou Jack Torrance, écrivain que l’échec et la bouteille finissent par rendre fou dans un hôtel hanté (The Shining).

«Et pourtant, nous autres prolos, nous nous soucions de la langue que nous employons […]; nous avons la passion de l’art et la manière de raconter des histoires par le biais de l’écrit», se défend l’auteur dans Écriture, mémoire d’un métier (p.11-12). On tâchera d’en rendre compte, quand se pointera la tentation de n’offrir ici qu’une lecture ad hominem de son livre —par seul désir d’employer ses propres paroles pour prouver l’inconstance de son talent.

*

Il est un registre où Stephen King excelle, particulièrement dans ses essais et ses préfaces: celui de la candeur, de ce ton conversationnel et décomplexé, cette attitude d’hôte sympathique et d’artisan humble qui sait nous parler boutique sans forfanterie. Et c’est porté par cette voix entraînante qu’Écriture, mémoire d’un métier dispense ses conseils, ainsi qu’une forme de confession biographique et d’auto-analyse qui se prête d’autant plus au jeu de la lecture littéraire, c’est-à-dire à une recherche, en quelque sorte, de l’inconscient du texte, qu’elle finit par dresser, de manière sans doute peu exhaustive mais révélatrice, l’autoportrait d’une écriture et de ce que j’appellerais son «fonds de commerce».

Scan #1

L’ouvrage, excepté ses avant-propos et les annexes qui le complètent, se structure en quatre parties. La première, «CV», raconte les années d’apprentissage et de galère de l’auteur, ses débuts difficiles dans la vie, de son enfance traumatisée par les docteurs aux débuts de son mariage, avec son cortège de boulots minables et les pétrins dans lesquels sa plume turbulente le mettait à l’école. On y découvre, en outre, comment le manuscrit de Carrie, fut sauvé des poubelles par sa femme Thabita avant de connaître le destin que l’on sait. Mais un coda sur les problèmes de King avec la bouteille suggère que le début de la célébrité ne mit pas un terme à ses déboires; on apprendra aussi que sa pratique d’écriture a souvent pris la forme d’un combat contre une honte profonde et fondamentale, un «complexe de l’imposteur» qui le hantera longtemps.

La seconde partie, «Boîte à outils», est celle qui s’apparente le plus au «guide pratique» proprement dit; c’est aussi l’une des plus courtes (30 pages). Ayant déjà mentionné que ce qu’il pourrait en dire a déjà été abordé dans The Elements of Style de William Strunk Jr. et E.B. White (1918), King se met à une défense concise du respect de la grammaire, de la phrase active, du paragraphe construit, du vocabulaire et de la précision lexicale, par l’entremise d’une comparaison filée qui assimile les composantes de la «bonne» langue littéraire à une boîte à outils. La troisième partie, «Écriture», entre plutôt dans ce qu’est, pour King, le métier d’écrire comme Vitas Novæ. Bien que l’auteur s’y autorise quelques conseils, c’est plutôt la défense de sa propre posture qui occupe l’avant-scène: un portrait assez libre de ce que sont ses habitudes, ses routines de travail, ses convictions personnelles, ses arrangements avec l’inspiration. De bonnes pages y sont consacrées, en outre, à la genèse de Misery (1987), aux difficultés du massif Fléau (The Stand, 1978), et aux enjeux dramatiques et moraux de Dead Zone (1979). Enfin, la dernière partie, «De la vie: un post-scriptum», clôt l’ouvrage sur une dernière touche biographique, puisque King y raconte comment, en juin 1999, il manqua de trouver la mort lorsque la camionnette d’un chauffard le happa violemment sur une route de campagne, un incident qui avait fait les manchettes à l’époque. Le récit de sa convalescence et de son retour à l’écriture permet à l’auteur d’exprimer de nouveau sa gratitude envers sa famille et spécialement sa femme, Thabita, dont Écriture, mémoires d’un métier aura maintes fois illustré le soutien «héroïque».

Une écriture conjuratoire?

Les amateurs du genre s’étonneront de voir Stephen King piloter ses Mémoires d’un métier avec un ton aussi invariablement serein. C’est que le texte de présentation de l’édition française permettait de s’attendre (un peu) à autre chose. En effet, on y lit:

Stephen King explique sa fascination pour l’horreur comme un moyen de combattre l’angoisse, une sorte de psychanalyse à l’envers: écrire les pires choses qui puissent arriver aide à se débarrasser de la peur. Il écrit non sans humour: «Je suis le malade, et on me paie pour l’être» (p.3).

Or, Écriture, mémoires d’un métier ne comporte aucune trace de pareil aveu. Les éditeurs se seraient inspirés d’autres sources, articles et entrevues, qui rendent effectivement ce son de cloche. Par exemple, un article publié en ligne sur le site Web du quotidien Daily Mail à l’occasion d’une biographie non-autorisée, évoquait sensationnellement les débuts difficiles de King et son alcoolisme:

Forced to work in a laundry during the school holidays to help pay the bills, and receiving a string of rejection letters from publishers, King became increasingly frustrated at his failure as a novelist. When he was drunk, his anger became focused on his children.
«I wanted to grab them and hit them», he has admitted. «Even though I didn’t do it, I felt guilty because of my brutal impulses. I wasn’t prepared for the realities of fatherhood.»
The death of his mother at the end of 1973 sent him into a depression which did not lift even after the publication of his first success, Carrie, the following year.
[…]
Still tormented by a desire to hurt his children, he turned the technique he had learned as a child himself —believing that if he wrote about something bad, then it would never happen. This resulted in The Shining, the story of a little boy whose alcoholic father tries to kill him […] (Leafe, 2009: en ligne).

Ce passage jette un éclairage cru sur ce qu’Écriture, mémoires d’un métier n’aborde pas, peut-être parce que cela ne se traduit pas en conseil raisonnable («If you write about something bad, then it will never happen») à l’adresse des débutants. Mais c’est un aveu qui touche, assurément, un ressort fondamental, presque archaïque, de la poussée créatrice de cet auteur (comme pour bien d’autres), éclairant la question du pourquoi en dehors du comment, quant à elle assez bien détaillée dans le livre. Tout écrivain se doute qu’écrire est une activité qui, en dehors de la discipline qu’elle exige, repose aussi sur un socle obsessionnel, qu’elle peut s’accompagner d’une dimension magique et superstitieuse —un chèque en blanc adressé à la «toute-puissance des pensées» chère à Freud, clé des songes que chacun doit trouver pour lui-même. Il n’empêche que cette conception de l’écriture comme un acte conjuratoire et un exorcisme éclaire trop bien ce qui fonde l’écriture de King (et son fonds de commerce) pour être abandonnée.

La honte, la vérité et la merde: une histoire édifiante

L’anecdote est classique. Revenu du cinéma, où il a vu Le Puits et le pendule, King, jeune adolescent, «novélise» l’adaptation d’Edgar Allan Poe par Roger Corman, en tire quelques copies ronéotypées et entreprend de les vendre à ses camarades de classe. «[À] midi, j’en avais vendu deux douzaines […]. [C]ela paraîssait trop beau pour être vrai», dit-il (p.57). Et ça l’était: le lendemain, la directrice de son école l’oblige à rembourser ses «clients» en lui assénant un discours des plus familiers:

«Ce que je ne comprends pas, Stevie […], c’est ce qui te pousse à écrire des bêtises pareilles. Tu as du talent. Pourquoi le gâcher ainsi?» […] [J]e dois dire, à son crédit, que sa question n’était pas entièrement rhétorique —mais je n’avais rien à offrir pour ma défense. J’avais honte (p.58).

Un an après pourtant, non seulement King récidive-t-il, mais il en rajoute: dans la tradition de Mad Magazine, il conçoit The Village Vomit, dont le contenu verse dans l’humour de toilettes et le calembour douteux, et où il s’en prend particulièrement au corps professoral de son école. Une Miss Margitan, professeure de secrétariat, prenant très mal d’y avoir été surnommée «Miss Maggot» (mademoiselle asticot), demande l’expulsion de Stevie pour quelques jours. Il s’en tirera après avoir présenté des excuses officielles, subi une poignée de retenues, vu radier son nom du tableau d’honneur de l’école et, assurément, angoissé beaucoup (car qu’en aurait pensé maman?). Il introjecte à cette occasion un sévère critique intérieur qui le tourmentera longtemps: «Depuis lors je n’ai guère touché à la satire» (p.64) dira-t-il, ce qui est assez vrai. Et il ajoute:

J’ai passé pas mal d’années par la suite —trop, j’en ai l’impression— à avoir honte de ce que j’écrivais. Je crois que j’ai dû attendre d’avoir quarante ans pour me rendre compte que la plupart des auteurs de fiction et de poésie ayant publié ne serait-ce qu’une ligne ont été un jour ou l’autre accusés de gâcher le talent que Dieu leur avait donné. Si jamais vous écrivez (ou peignez ou dansez ou sculptez ou chantez, peu importe), il y aura toujours quelqu’un pour essayer de vous faire croire que vous êtes un minable, c’est tout. Je n’invente pas: ce sont les choses telles que je les vois [et j’ai continué longtemps] d’entendre [la directrice de l’école] me demander pourquoi je gaspillais mon talent, pourquoi j’écrivais des âneries (p.58-59).

Tout écrivain ayant exercé sa plume turbulente de bonne heure porte en lui le souvenir d’humiliations comparables, et celles de King nous amusent parce qu’elles n’ont rien qui puisse distinguer ses épreuves des nôtres. C’est dans les cours d’écoles et les bureaux des proviseurs que des générations d’apprentis écrivains ont un avant-goût de l’idée que les «démons de l’écriture» demandent, quand on y cède, qu’on leur paie un certain tribut. Ce n’est pas une pratique innocente, reste que l’épreuve de la honte peut avoir ses vertus, et finir par rapporter. Carrie, par exemple, n’aurait pas vu le jour (ni connu le succès que l’on sait), si l’épouse de King n’en avait tiré le premier manuscrit des poubelles pour l’enjoindre à le terminer:

[Et] j’ai compris que le fait d’arrêter la rédaction d’un texte simplement parce que c’est difficile, sur le plan affectif ou sur celui de l’imagination, est une mauvaise idée. Il faut parfois continuer même quand on n’en a pas envie, et il arrive qu’on fasse du bon boulot alors qu’on a l’impression d’être là, à pelleter bêtement de la merde, le cul sur une chaise (p.93).

De fait, dans Écriture, mémoires d’un métier, la «merde» ne semble pas un terme banal. C’est plutôt un trope récurrent, dont on pourrait suivre la trajectoire comme suit: après avoir constitué une faiblesse (l’auteur se demandant si ce qu’il écrit en serait), elle se reconvertit en force, sous le couvert d’un parti-pris pour l’honnêteté, et le maniement d’une langue authentique. Non seulement l’auteur refuse de se taire, mais il saisit toutes les occasions possibles pour appeler une crotte une crotte; honnêteté nécessaire défendue comme «une bouffée d’air frais et vivifiant [sic] dans une pièce que d’aucuns préféreraient garder fermée» (p.224) :

Il est important de dire la vérité; tellement de choses en dépendent […]. La legion of Decency n’aime pas le terme merde, et si ça se trouve, vous ne l’aimez pas non plus; mais […] jamais un gamin n’a couru jusqu’à sa mère pour lui rapporter que sa petite sœur avait déféqué dans la baignoire. Il a pu employer diverses expressions comme fait caca ou simplement fait, mais a chié, j’en ai bien peur, est ce qui lui sera spontanément venu à l’esprit […] (p.221).

Petite esquisse d’un fonds de commerce

Pourquoi les livres de King vendent-ils si bien? Hormis les considérations commerciales à rendre jaloux n’importe qui, c’est certainement parce que les valeurs qu’il défend, les angoisses qu’il y conjure et la langue qu’il emploie sont celles d’une bonne majorité. Prenons d’abord le fonds commun, souvent trivial, dans lequel King puise l’arsenal de ses objets phobiques: hormis, bien sûr, le forfait gothique standard avec ses cryptes, ses araignées et ses esprits malfaisants, c’est du côté de l’horreur dite «moderne» que l’imagination de King ne connaît pas de limites. Il semble chez lui que tous les objets de la vie domestique s’exposent à devenir les hôtes de quelque anima maléfique. Voitures hantées et téléphones cellulaires maléfiques, climatiseurs maléfiques, sécheuses maléfiques, aspirateurs maléfiques, hôtels maléfiques, supermarchés maléfiques, jouets maléfiques, réfrigérateurs maléfiques, ordinateurs et logiciels de traitement de texte maléfiques, placards maléfiques, broyeurs à déchet maléfiques et rasoirs électriques maléfiques menacent tous, tôt ou tard, de se retourner contre le malheureux consommateur, devenu victime des produits de la vie courante qui assurent son confort en même temps que son esclavage. Si Dieu est dans les détails, le Diable est dans les objets: c’est en partie le mantra que ressasse l’œuvre de King, tel un catalogue raisonné, parfois loufoque, d’un authentique «cauchemar climatisé». Et ce, de la nouvelle au pavé, sans compter son unique film à ce jour, Maximum Overdrive (1986), où les distributrices de sodas utilisent leurs cannettes comme des projectiles, les guichets automatiques envoient les clients se faire foutre et une tribu de camions autopilotés fait basculer l’Amérique dans la terreur.

*

Dans Mémoires d’un métier, le portrait que le «roi de l’horreur» présente de lui-même est celui d’un travailleur obstiné, doublé d’un croyant (il est catholique) et d’un homme de famille heureux et reconnaissant. En mitan de carrière et passé la cinquantaine, King semble s’être relativement débarrassé de ses démons familiers et de ses vieilles hontes, du moment où ils ne semblent plus hanter autre chose que les pages qu’il écrit. Mais le passé qu’évoque la première partie de son livre ne cache en rien la marque profonde qu’a laissé sur son écriture les humiliations de ses débuts difficiles, ses penchants autodestructeurs, sa nature inquiétée par l’échec, et son imagination portée à exacerber le potentiel catastrophique de n’importe quelle situation.

Pourtant, en dehors de ce chaos, ses romans ne défendent pas moins le même ensemble de valeurs chrétiennes, testées et approuvées, qu’encense le King serein d’Écriture: la foi en la bonté de l’homme, la fonction de pilier social (et identitaire) accordée au couple et à la famille, la possibilité du salut par l’épreuve, les vertus rédemptrices de l’amour, et la tolérance enfin. Car c’est lorsque ces valeurs sont mises en crise ou menacées que l’horreur survient. Chez King, le chaos et la peur interviennent souvent lorsqu’une entité maléfique, mélange de péché personnel et de manifestation paranormale, perturbe cet équilibre naturel ou chrétien des choses, qu’il faudra bien sûr restaurer. Si on peut qualifier d’opposés ces deux termes, l’imagination de King demeure somme toute plus portée sur la morale que la perversion, se faisant volontiers manichéenne (il distribue maintes fois, en commentant d’anciens romans, les rôles de ses personnages entre «les bons» et «les méchants»), au contraire, par exemple, d’un écrivain comme Clive Barker.1Les premières pages des romans de genre sont souvent les meilleures ou, à défaut de l’être, les plus extrêmes. Ainsi, quand Clive Barker, au début de son premier roman, Le Jeu de la damnation (1988 [1985], p.9), installe le décor d’une Berlin occupée dans l’après-guerre (qu’a également exploré Thomas Pynchon dans Gravity’s Rainbow [1973]), où toutes les perversions sont permises, j’éprouve pour ainsi dire en une page un «frisson» d’amoralité absolue, horrifique, proprement sadienne et de permissivité tentatrice plus intense que ne m’ait jamais apporté la somme des romans de King que j’aie lu. Le passage concerné est le suivant:

[…] Aucun appétit, aucune curiosité ne demeurait insatisfaite en ces lieux. Les plus profonds secrets du corps et de l’esprit étaient disponibles pour quiconque se sentait l’envie de les découvrir. On en faisait des jeux. Pas plus tard que la semaine précédente, le voleur [soit le personnage du point de vue duquel est racontée cette scène] avait entendu parler d’un jeune homme qui jouait à l’ancien jeu du bonneteau (vous avez vu la carte? hop! vous ne la voyez plus) en substituant, avec le génie de la folie, aux trois cartes deux sceaux et la tête d’un bébé.
Ce n’était pas le pire; le bébé était mort et les morts ne souffrent pas. Il y avait d’autres passe-temps à la disposition de ceux qui pouvaient payer, les plaisirs qui utilisaient les vivants comme matière première. Pour ceux qui possédaient certains désirs et l’argent pour les satisfaire, un trafic de chair humaine s’était mis en place. […] La moitié d’un quignon de pain suffisait à acheter une des filles de réfugiés —dont certaines étaient si jeunes qu’elles avaient à peine des seins à caresser— pour en retirer un plaisir plusieurs fois renouvelé dans les ténèbres complices; personne n’entendait leurs plaintes et celles-ci étaient bien vite interrompues d’un coup de baïonnette quand les mignonnes avaient perdu leur charme. De tels homicides passaient inaperçus dans une ville où des milliers d’êtres humains avaient déjà péri. L’espace de quelques semaines —le temps de passer d’un régime à l’autre— tout devenait possible: aucun acte n’était répréhensible, aucune perversion n’était taboue. (p.9)

De plus, il est clair que l’expérience de la honte —de ses hontes— n’a cessé de compter dans son œuvre. Celle-ci, du moins, s’avère particulièrement sensible aux épreuves et aux anxiétés de l’Average Joe, du gars ordinaire, trimant dur dans un job ingrat, ne sachant jamais s’il joindra les deux bouts, s’il trouvera enfin la paix.2Une autre figure familière, bien sûr, est celle de l’adolescent complexé, impopulaire, qui va toujours s’asseoir dans le fond de la classe et qui est victime des mauvaises plaisanteries de ses camarades: voir, en outre, Carrie. «[Je] n’ai pas été élevé parmi ceux de la haute. Je sors de la classe moyenne inférieure américaine, et c’est à elle qu’appartiennent les personnes dont je peux parler avec le plus d’honnêteté, car ce sont celles que je connais le mieux», avance-t-il (p.223). De fait, il est assez constant que l’horreur, dans ses livres, se construise à partir d’événements quotidiens, des crises les plus domestiques: comment annoncer la mort d’un chat à ma fille? Comment gérer mon sentiment d’échec, mes pulsions agressives, ma tentation de boire? Comment faire face aux tourments de la paternité, à tout ce qui m’excède?

La famille est peut-être la cellule du bien et un pilier moral, mais elle est aussi le berceau de toutes les frustrations: aussi les responsabilités qu’elle impose ouvrent souvent la voie aux tentations maléfiques, comme lorsqu’un personnage, souvent un jeune père de famille, cède à un expédient surnaturel pour régler ou pallier un conflit domestique potentiel (cf. The Shining, Pet Sematary [1983]). Pour certains, le seul accroissement de tension de ces situations lorsqu’elles se mettent en place, l’exploration des tourments imposés par ces épreuves et le désir de s’en défiler (conflits intérieurs que King évoque généralement avec un réalisme terre à terre et une certaine compassion pour ceux qui les traversent), sont en soi une force de son talent, parfois jugée supérieures aux dérives horrifiques qui surviennent quand le Diable s’en mêle.3Voir, par exemple, ce billet du blogue d’Ameyric Patricot, «King en toc?» (2011: en ligne). (J’ajoute que les commentaires présentés sous le pseudonyme de «Beast Language», du 29 au 30 janvier 2011, sont de moi.)

Et dans ce domaine, l’imagination de King semble intarissable.

Une industrie à lui tout seul

Un bon texte peut souvent être le fruit d’une attitude: celle de quelqu’un qui n’a plus peur et qui est sans affectation (p.150-151).

Examinons un peu la nature de la productivité exceptionnelle de King, en partant de ce que dans les Mémoires, l’auteur, pragmatique, conseille à ses ouailles d’écrire 2000 mots en trois heures tous les jours. Ok mettons mille, mais comme on devine que c’est sa méthode, appliquons-lui ce calcul, sur une échelle de 40 ans de carrière. Au bout d’un mois et de 90 heures de travail, 60 000 mots auront été écrits, déjà un roman de modeste envergure, ou un traitement bien développé. Au bout d’un an, on aura obtenu 720 000 mots, autrement dit deux gros pavés de 800 pages à 450 mots la page, ce qui est un ratio mots/page assez élevé mais commun chez les hardcovers gourmands.4Hardcover: couverture rigide (ou cartonnée). Softcover: couverture souple. Il est courant que les premiers tirages de romans importants, aux États-Unis, soient publiés en «hardcover», donc en ouvrages brochés cartonnés, contrairement à ce qui se passe dans la francophonie, où même les premiers tirages présentent une couverture souple —les «couvertures rigides» demeurant une spécialité de certains fournisseurs ou d’éditions spéciales (la Pléiade de Gallimard, Québec Loisirs, le Cercle français du livre, etc.) En seconde édition, un roman américain ne sera pas nécessairement imprimé en «format poche», mais en «softcover», soit un ouvrage de même format, mais en couverture molle —le format «poche» étant en perte de vitesse sur ce marché particulier, et n’étant réservé aujourd’hui qu’aux best sellers (titres meilleurs vendeurs). Quarante années de ce régime verraient donc produire quatre-vingt pavés de 800 pages de 450 mots chacune, donc 64 000 de ces pages. Actuellement, la somme (calculée rapidement) du nombre de pages alloué à chacun des titres de la bibliographie de Stephen King sur Wikipédia s’élève à 32 000 pages, les livres écrits sous le pseudonyme de Richard Bachman inclus. Le nombre moyen de mots par page, très variable, n’est pas indiqué. Mais on peut estimer raisonnablement que Stephen King voit environ d’un quart à un peu moins d’une moitié des pages qu’il écrit, d’après ce régime, se retrouver tôt ou tard dans un livre.

Une telle cadence d’écriture n’est pas humainement impossible, mais elle exige certainement des dispositions spéciales: un certain manque d’inhibition (la honte d’autrefois étant bel et bien levée), la capacité de pouvoir écrire sous la dictée de l’esprit ou de quelque «film intérieur», une imagination prolixe enfin, prompte à faire flèche de tout bois…

*

Affaire de renouer avec les vertus comme les vices de son écriture fictionnelle, j’ouvre au hasard un roman de King: ce sera Needful Things (1991), le roman qui devait liquider une fois pour toutes Castle Rock, cette bourgade imaginaire du Maine qui avait, en outre, servi de décor à Dead Zone, Cujo (1981) et The Dark Half (1989). Les premières pages, celles du prologue, sont absorbantes, pleine de verve bonimenteuse: «Come on here, let me shake your hand! Tell you somethin’: I recognized you by the way you walk even before I saw your face good. You couldn’t have picked a better day to come back to Castle Rock […]» (p.3). Le ton narratif se situe d’entrée de jeu du côté de l’oralité, même si la narration, à l’exception du prologue et de l’épilogue, est plutôt d’un type omniscient à focalisations variables. Ce bonimenteur mystérieux, un peu cynique et au parler franchement local, plante à merveille le décor matériel et mental du roman: c’est-à-dire le réseau d’antipathies et de griefs qui, sous le vernis des apparences, gruge la petite communauté. Le lecteur est ainsi introduit de façon vivante à une multitude de personnages, à leur situation et leurs griefs potentiels envers tel ou telle. L’écheveau compliqué de tensions qu’elle dessine rappelle un peu les récits aux personnages proliférants de Robert Coover, tels John’s Wife (1996) et «Suburban Jigsaw» (2005), où l’intérêt de la lecture, s’il en est un, consiste à avoir quelque idée du réseau des liens particuliers qui unissent les personnages entre eux.

Au terme de ses quelques 700 pages, Needful Things devrait nous présenter une Castle Rock réduite à un charnier. C’est qu’elle sera tombée sous la coupe d’un étrange brocanteur, Leland Gaunt, qui ouvre une boutique bien spéciale au début du récit: une boutique —«Needful Things»— où l’on trouve immanquablement l’objet de ses rêves. Carte de baseball autographiée, abat-jour en vitrail ou talisman porte-bonheur: il s’avère que ces simples babioles comportent une telle valeur de fétiche pour ceux qui les désirent vraiment, qu’ils tueraient pour garder la leur. D’une certaine manière, Needful Things illustre le thème, décrit plus tôt, de la malignité des objets, ou de notre attachement excessif pour eux: c’est un conte moral.

Cela dit, les détenteurs de ces objets n’auront pas déboursé beaucoup pour les obtenir. Mais ils auront conclu un pacte faustien avec Leland Gaunt: «jouer un tour» à quelque citoyen désigné (déterrer un secret, détruire quelque chose, commettre une quelconque infraction) de sorte qu’éventuellement le propriétaire accusera son voisin, les paroisses ennemies se feront la guerre, chacun se montera contre l’autre jusqu’à ce que la situation dégénère en hécatombe:

“It’s best not to think too deeply about these things,” Mr. Gaunt said. He spoke idly, but there was nothing idle about his eyes, which were studying Brian’s face closely. “When I say, ‘Brian Rusk, what do you want more than anything else in the world at this moment?’ what is your response? Quick!”
“Sandy Koufax,” Brian responded promptly
(p.30).

Premier client de la boutique, Brian Rusk est un garçonnet de 11 ans qui reçoit une carte de baseball en échange de son âme. C’est aussi la victime qui laisse la plus forte impression, car tout est encore nouveau pour lui —comme pour les lecteurs. Mais lorsque ceux-ci auront vu une dizaine de clients se laisser ensorceler de la même manière —chacun son tour et à peu de variations près—, le rituel aura perdu depuis longtemps son mystère, pour se réduire à un simple procédé narratif.

*

La prose de Needful Things me rappelle aussi combien Stephen King affectionne la comparaison. «Bien ciblée, une comparaison nous ravit autant que de rencontrer un vieil ami au milieu d’une foule d’inconnus», dit-il à ce sujet dans Écriture (p.212), ce qui fait déjà une comparaison de plus. La comparaison est en effet une figure de prédilection, pour ne pas dire une manie de l’écriture de King: elle y abonde bien plus que les autres figures d’analogie —la métaphore, la métonymie, la synecdoque par exemple— bien qu’elle me semble aussi la tare évidente d’un style résolument moyen. Car si pour un styliste comme William Gass, «une rose qui saigne ses pétales» (1979: 71) transforme aussi bien la nature du sang que celle de la rose, la comparaison maintient la hiérarchie comparé/comparant bien en place; elle confond peu le lien d’identité entre les termes qu’elle rapproche. En fait, et tout comme rencontrer un vieil ami dans une foule d’inconnus, la comparaison chez King sert une fonction rassurante, elles nous rendent familières des notions abstraites en les attachant à des images concrètes. Par exemple, dans Écriture, mémoires d’un métier, le développement des comparaisons filées entre la «langue littéraire» (objet abstrait) et un coffre à outils (image concrète), entre le processus qui consiste à écrire un récit (objet abstrait) et le travail que demande l’excavation d’un fossile (image concrète), traversent de grandes fractions du livre. Mais il s’en trouve, bien sûr, de plus brèves à chaque page de ses histoires: voici, par exemple, comment King évoque le vertige de Brian Rusk, revenant d’une transe hypnotique après avoir tenu dans sa main un objet mystérieux: «It had been like holding a conch shell to your ear and hearing the sound of the ocean… only in 3-D Sensurround» (Needful Things, p.29). Comparaison kinguienne typique.

Or il est surprenant que la langue de Stephen King s’exerce si peu à la défamiliarisation dans sa manière d’employer les figures de rhétorique, qu’il privilégie un trope aussi rassurant alors qu’il travaille en plein cœur du genre fantastique. Ne serait-il pas plus juste, ou du moins plus inquiétant, et plus intéressant au niveau du style, que son langage s’exerce à nous faire rencontrer une foule d’inconnus dans un vieil ami plutôt que l’inverse?

*

Parcourir Needful Things, enfin, rafraîchit mon souvenir de l’hypertrophie, de l’expansionnisme narratif si cher à la prose de King, car il est difficile, ici, de ne pas sentir un effort volontaire, délibéré de faire gros, de tout détailler, de porter le récit jusqu’à l’exhaustion, l’excès, la redite, d’autant plus que la technique d’une narration omnisciente à variations focales multiples encourage potentiellement cette expansion jusqu’à l’infini. Par exemple, le passé (et ses traumas) d’un personnage important (et un roman de King peut en comporter beaucoup) sera construit une première fois pour le bénéfice du lecteur, puis raconté par le personnage lui-même une seconde fois —lors d’un moment dramatique— à son éventuelle douce moitié qui, elle, aura été construite de la même façon et se confiera aussi éventuellement de façon similaire. Une situation qui a d’emblée peu de secrets pour le lecteur (par exemple, la manière dont Leland Gaunt ensorcelle la population de Castle Rock) peut prendre de nombreuses pages à être élucidée par tel ou tel personnage (comme Alan Pangborn, shérif du comté et héros de l’histoire), tout cela comme si «raconter», pour Stephen King, était synonyme de «répéter». Dans les moments où la tension monte, les variations focales permettent de conjuguer un nombre excessif de trames narratives. Par exemple, les chapitres 17 et 18 du roman (p.485-542) se subdivisent au total en 42 sous-chapitres dont chacun amorce un changement de point de vue et de lieu («At about the same time Alan was heading across town to arrest Hugh Priest, Henry Beaufort was standing in his driveway» (p.485); «In the process of tearing apart George T. Nelson’s bedroom, Frank Jewett found half an ounce of coke under the mattress» (p.486); «Lenny Partridge, Castle Rock’s oldest resident […], also drove one of Castle Rock’s oldest car» (p.487), etc.). Cette méthode pourrait prouver une certaine maîtrise, chez King, de l’enchevêtrement alterné d’une myriade de sous-intrigues (qu’il a peut-être écrites séparément avant de les monter ensemble), mais elle accuse aussi, du moins pour le lecteur, comment l’auteur peut s’éprendre de certaines techniques narrative et les user jusqu’à la corde.

En finir

«Ma conviction la plus profonde, quant à l’invention des histoires, est qu’elles se fabriquent en grande partie d’elles-mêmes» (p.192), révèle King dans ses Mémoires, et il n’est certes pas le premier à défendre qu’écrire, et raconter, soit une descente dans l’inconnu. Étant son premier lecteur, l’écrivain doit chercher à se surprendre puisque c’est là sa meilleure ou sa seule garantie que le lecteur, en le lisant, se laissera surprendre aussi: «Tôt ou tard, une histoire doit bien aboutir quelque part» (p.195).

En dépit de certaines rumeurs, le présent article a pris son parti de présumer que Stephen King était l’auteur de chacune des lignes qu’il publie —et cela, en outre, parce que ses fictions accusent couramment les tares d’une écriture rapide et fonctionnelle, donnant parfois l’impression d’être improvisée, et cultivant des obsessions, des procédés qui sont un peu la signature ou la marque de commerce de l’auteur. Leur niveau stylistique est généralement moyen, les intrigues sont souvent chaotiques, la «psychologie» des personnages y est souvent surexposée, les comparaisons surabondent, l’humour de toilettes aussi, si bien que les moments cohésifs qu’ils comportent parfois empêchent rarement que quelques pages plus tard on plonge dans des visions grotesques ou que King recoure à d’évidentes facilités narratives, telles cette bombe qui explose en plein cœur du Fléau, à un moment de l’intrigue où, du propre aveu de l’auteur, le repeuplement de l’Amérique (qu’une pandémie fulgurante décimait au début du roman) avait atteint des proportions qui lui posaient problème: «Un bon coup d’épée dans le nœud gordien», dit-il non sans candeur (p.242-243).

Doit-on penser, pour autant, que la littérature de King est foncièrement mauvaise? Il y a trop de preuves, au contraire, qui indiquent qu’à travers (ou grâce à) ces écueils, King parvient à faire quelque chose de bien, à être efficace, à savoir émouvoir, toucher certaines cordes sensibles, bref, savoir exercer son art, dussent ses forces nous paraître souvent des faiblesses sous d’autres aspects. Pour la critique littéraire spécialisée, le best-seller est peut-être le plus atypique des objets: son succès massif et populaire semble le disqualifier d’emblée en tant qu’objet d’étude sérieux, et pourtant il arrive qu’il comporte d’évidentes qualités artistiques et qu’il puisse exsuder un univers d’obsessions privées aussi fourni que la plus excentrique, la plus personnelle des créations. Pour des raisons qu’il ne nous appartient pas d’expliquer, le critique littéraire se fait encore, dans sa spécialité, un dilemme de cette dichotomie entre l’art et le commerce —un problème qu’a pourtant résolu depuis longtemps celui qui s’intéresse, par exemple, au rock et au cinéma, où il va presque de soi d’accepter les œuvres à la fois comme des créations personnelles et des objets de communication de masse. Et d’ailleurs (pour paraphraser Malraux), la poésie est (aussi) une industrie.

Comme le suggère le double et paradoxal épigraphe qui coiffe Écriture, mémoires d’un métier (où, à un mot de Cervantès —«L’honnêteté est la meilleure stratégie»— succède celui d’une source anonyme —«Les menteurs prospèrent»— qui est peut-être de King lui-même), il faut peut-être concevoir qu’on puisse être à la fois honnête et prospère.

Comme Stephen King. Ou peut-être pas.

 

Bibliographie

BARKER, Clive (1988), Le Jeu de la damnation, Paris, J’ai Lu.

COOVER, Robert (1992), La femme de John, Paris, Seuil.

——– (2005), «Suburban Jigsaw»,  A Child Again, San Francisco, Mc Sweeney’s, p.194-216.

GASS, William H. (1979), Fiction and the Figures of Life, Boston, Goodine.

KING, Stephen (1974) Carrie, New York, A Signet Book.

——– (1977), The Shining, New York, A Signet Book.

——– (1978) The Stand, New York, A Signet Book.

——– (1979), The Dead Zone, New York, A Signet Book.

——– (1981), Cujo, New York, A Signet Book.

——– (1983), Pet Sematary, New York, A Signet Book.

——– (1986) [scénario et réalisation], Maximum Overdrive, De Laurentiis Entertainment Group, film.

——– (1986), It, New York, A Signet Book.

——– (1987), Misery, New York, A Signet Book.

——– (1989), The Dark Half, New York, A Signet Book.

——– (1991) Needful Things, New York, Viking

——– ([2000] 2001), Écriture, mémoires d’un métier, traduit de l’anglais (États-Unis) par William Olivier Desmond, Paris, Albin Michel.

LEAFE, David (2009), «Stephen King’s Real Horror Story: How the novelist’s Addiction to drink and drugs nearly killed him», Mail Online [en ligne]. http://www.dailymail.co.uk/tvshowbiz/article-1178151/Stephen-Kings-Real-Horror-Story-How-novelists-addiction-drink-drugs-nearly-killed-him.html (Page en ligne depuis le 12 mai 2009).

PATRICOT, Ameyric (2011), «King en toc?», La Littérature sous caféine [en ligne]. http://www.aymericpatricot.com/dotclear/index.php?2011/01/25/545-king-en-toc#co (Page en ligne depuis le 25 janvier 2011).

PYNCHON, Thomas (1973), Gravity’s Rainbow, New York, Penguin Books.

STRUNK, William et E.B. White (1918), The Elements of Style, New York, Penguin Press.

  • 1
    Les premières pages des romans de genre sont souvent les meilleures ou, à défaut de l’être, les plus extrêmes. Ainsi, quand Clive Barker, au début de son premier roman, Le Jeu de la damnation (1988 [1985], p.9), installe le décor d’une Berlin occupée dans l’après-guerre (qu’a également exploré Thomas Pynchon dans Gravity’s Rainbow [1973]), où toutes les perversions sont permises, j’éprouve pour ainsi dire en une page un «frisson» d’amoralité absolue, horrifique, proprement sadienne et de permissivité tentatrice plus intense que ne m’ait jamais apporté la somme des romans de King que j’aie lu. Le passage concerné est le suivant:

    […] Aucun appétit, aucune curiosité ne demeurait insatisfaite en ces lieux. Les plus profonds secrets du corps et de l’esprit étaient disponibles pour quiconque se sentait l’envie de les découvrir. On en faisait des jeux. Pas plus tard que la semaine précédente, le voleur [soit le personnage du point de vue duquel est racontée cette scène] avait entendu parler d’un jeune homme qui jouait à l’ancien jeu du bonneteau (vous avez vu la carte? hop! vous ne la voyez plus) en substituant, avec le génie de la folie, aux trois cartes deux sceaux et la tête d’un bébé.
    Ce n’était pas le pire; le bébé était mort et les morts ne souffrent pas. Il y avait d’autres passe-temps à la disposition de ceux qui pouvaient payer, les plaisirs qui utilisaient les vivants comme matière première. Pour ceux qui possédaient certains désirs et l’argent pour les satisfaire, un trafic de chair humaine s’était mis en place. […] La moitié d’un quignon de pain suffisait à acheter une des filles de réfugiés —dont certaines étaient si jeunes qu’elles avaient à peine des seins à caresser— pour en retirer un plaisir plusieurs fois renouvelé dans les ténèbres complices; personne n’entendait leurs plaintes et celles-ci étaient bien vite interrompues d’un coup de baïonnette quand les mignonnes avaient perdu leur charme. De tels homicides passaient inaperçus dans une ville où des milliers d’êtres humains avaient déjà péri. L’espace de quelques semaines —le temps de passer d’un régime à l’autre— tout devenait possible: aucun acte n’était répréhensible, aucune perversion n’était taboue. (p.9)

  • 2
    Une autre figure familière, bien sûr, est celle de l’adolescent complexé, impopulaire, qui va toujours s’asseoir dans le fond de la classe et qui est victime des mauvaises plaisanteries de ses camarades: voir, en outre, Carrie.
  • 3
    Voir, par exemple, ce billet du blogue d’Ameyric Patricot, «King en toc?» (2011: en ligne). (J’ajoute que les commentaires présentés sous le pseudonyme de «Beast Language», du 29 au 30 janvier 2011, sont de moi.)
  • 4
    Hardcover: couverture rigide (ou cartonnée). Softcover: couverture souple. Il est courant que les premiers tirages de romans importants, aux États-Unis, soient publiés en «hardcover», donc en ouvrages brochés cartonnés, contrairement à ce qui se passe dans la francophonie, où même les premiers tirages présentent une couverture souple —les «couvertures rigides» demeurant une spécialité de certains fournisseurs ou d’éditions spéciales (la Pléiade de Gallimard, Québec Loisirs, le Cercle français du livre, etc.) En seconde édition, un roman américain ne sera pas nécessairement imprimé en «format poche», mais en «softcover», soit un ouvrage de même format, mais en couverture molle —le format «poche» étant en perte de vitesse sur ce marché particulier, et n’étant réservé aujourd’hui qu’aux best sellers (titres meilleurs vendeurs).
Type d'article:
Ce site fait partie de l'outil Encodage.