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The Free Culture Game: illustrer la philosophie du copyleft par le ludisme

Laboratoire NT2
couverture
Article paru dans Délinéaires (2009), sous la responsabilité de Laboratoire NT2 (2009)

Molleindustria, un regroupement d’artistes qui créent des jeux vidéos engagés, a lancé un jeu dont la thématique est le partage de la culture, la notion de marché libre des idées et la menace commerciale du copyright.

Le jeu s’appelle The Free Culture Game. Son fonctionnement est simple : à l’aide d’un curseur qui prend la forme d’un c inversé (le logo qui symbolise la pratique du copyleft), le joueur doit déplacer des icônes d’ampoules (qui représentent les idées en circulation libre) vers des personnages représentés par des pictogrammes en forme d’humain, dans un territoire circonscrit par un cercle blanc. Ce territoire est le « common » un espace de création collective et de partage. À l’extérieur de ce territoire se trouve un cercle plus foncé. Cet espace représente le marché, où les idées sont commercialisées et vendues. Un « ennemi », le vectorialiste, aspire les icônes flottantes de connaissance afin de les avaler et de les transformer en idées pré-formatées qu’il redistribue aux pictogrammes sombres, les maintenant dans une zone d’ombre où les idées ne circulent plus. Lorsque les personnages ne sont plus nourris par des idées, ils basculent dans la zone sombre.

Le but du jeu est donc de faire circuler les icônes d’idées entre les personnages appartenant à la zone commune à l’aide de l’icône copyleft. Les icônes d’idées sont absorbées par les personnages, qui les conservent un certain temps avant de propulser une nouvelle icône dans le territoire commun. Il faut également éviter de voir les icônes d’idées être aspirées par le vectorialiste, puisque ces idées seront retirées de l’espace commun et demeureront enfermées dans le marché. Pour assurer que les personnages ne basculent dans la zone sombre du marché, il faut donc incessamment « nourrir » les personnages avec de nouvelles idées.

Le jeu illustre donc une philosophie participative : par ces principes de jeu, les créateurs font la démonstration que la circulation libre des idées est nécessaire afin de permettre une création dynamique et constamment renouvelée, au risque que le marché s’accapare les idées et les enferme dans un cercle fermé et restreint. Le travail est d’ailleurs toujours à recommencer : les idées demeurent temporairement dans la tête des personnages, et permettent l’apparition de nouvelles idées.

À noter également : il est impossible de « terminer » le jeu, ou de « perdre définitivement ». Lorsque toutes les icônes d’idées sont distribuées aux personnages, le jeu continue, et de nouvelles icônes apparaissent peu de temps après, demandant donc au joueur de les faire circuler à nouveau et de les protéger contre une aspiration dans le vectorialiste qui les enfermera dans le circuit privé. À l’inverse, même quand tous les personnages se retrouvent du côté du marché, il n’y a aucune mention de Game Over, puisque finalement un nouveau personnage apparaît dans le territoire commun et lance des idées à la ronde, signifiant ainsi qu’il y aura toujours quelqu’un de prêt à partager de nouvelles idées et que le marché ne pourra jamais complètement posséder en entier le capital intellectuel de la société.

Pour inintéressante que soit l’expérience de jeu, puisque les balises de réussite et d’échec sont inexistantes, The Free Culture Game présente un bel exemple de jeu vidéo au service de l’art engagé : l’expérience de jeu n’est pas conçue afin d’en tirer un plaisir ludique. Au contraire, la frustration de ne pouvoir terminer le jeu ouvre une réflexion sur l’échange et le partage des idées : une manière pour les artistes de faire passer leur message à travers l’expérience du joueur.

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