Entrée de carnet
Lecture du poème «L’ordre du jour…» de Valérie Rouzeau
L’ordre du jour d’avance rebute
Au point de désirer au lit
Rester jusqu’à plus de midi
L’heure bandante par excellence
Avec minuit car mieux vaut tard
Que jamais pour le seul plaisir
Tiens se faire un tour de cadran
Un joli tour bien joué au temps
Sale temps d’horloge chronos usant
Nos carcasses avec nos cervelles
Verse-moi du vin dans la clepsydre
Around the clock you sleep you rock
Et de midi à minuit fuck
Off l’ordre du jour enjambé. (Rouzeau : 92)
«L’ordre du jour…» est tiré du recueil Vrouz (2012), dans lequel sont rassemblés 150 poèmes sans titre de 14 vers chacun, ce qui fait de ce recueil un véritable petit laboratoire du sonnet, pensé par Rouzeau comme une forme poétique souple, taillable et corvéable à merci, à même de dire «la vie, qui grouille dans sa matérialité et dans sa quotidienneté les plus simples», et de l’exprimer par le truchement de «mots qui ne rechignent pas à emprunter au langage phonétique, concret et même pesant, qui s’entremêlent dans des jeux de mots et dans l’assimilation de registres et de langues différentes.» (Bricco: 109)
De la musique rock & roll avant toute chose
«Rock Around the Clock» est une chanson de rock & roll composée en 1952 par Max C. Freedman et Jimmy De Knight. La version la plus connue est celle qui a été enregistrée par Bill Haley & His Comets en 1954:
One, two, three o’clock, four o’clock, rock
Five, six, seven o’clock, eight o’clock, rock
Nine, ten, eleven o’clock, twelve o’clock, rock
We’re gonna rock around the clock tonight
Ici, pour bien comprendre le propos de la chanson, il faut entendre «fuck» en lieu et place de «rock», ce qui est par ailleurs souligné dans le poème de Rouzeau, où ces deux termes riment au prix d’un enjambement pour le moins osé (et, par là, justement très rock). En effet, la rime est obtenue grâce à la coupure de l’expression «Fuck Off» et le décalage du terme «Off», au tout début du dernier vers, entraîne à son tour un effet de sens puisqu’il rappelle humoristiquement qu’un des sens du mot «off», en anglais, est «décalé», «à côté de ses pompes».
La chanson de Freedman et De Knight évoque le fantasme d’une baise infinie:
When the chimes ring five, six and seven
We’ll be right in seventh heaven
Oh, when it’s eight, nine, ten, eleven too
I’ll be goin’ strong and so will you
When the clock strikes twelve we’ll cool off then
Start rockin’ ’round the clock again
Dans l’imaginaire rock, cette célébration du sexe et de la dépravation se veut une façon de souligner un anticonformisme, le rejet d’une morale étriquée, un refus de s’en remettre aux usages bourgeois du temps: ici, la nuit est ardemment vécue et le lendemain s’annonce tout aussi torride.
La répétition du terme «clock» (21 occurrences au total dans la chanson) souligne non sans ironie l’obsession – pas sexuelle du tout – des gens comme il faut pour le temps, pour les usages sains et bénéfiques qu’on devrait en faire, à savoir produire le jour et dormir la nuit. C’est toutefois le mot «rock» (35 occurrences au total dans la chanson) qui l’emporte: cette surenchère dit bien que les jeunes rock & rollers sont bien davantage excités par les mouvements de va et vient de leurs hanches que par ceux du pendule qui marquent le temps dans le salon de leurs parents.
Comment le poème de Rouzeau dialogue-t-il avec cette chanson archi-célèbre? Comment ce sonnet, qui est une forme poétique qu’on associe volontiers à la tradition, resémantise-t-il ou remotive-t-il cet hymne endiablé à la rébellion et au sexe? Enfin, si la chanson rock a clairement été écrite contre quelque chose en 1952, à quoi s’oppose le poème de Rouzeau en 2012? Et, si opposition il y a (ou pas), qu’est-ce que cela dit du rôle de la poésie dans l’espace social français contemporain de sa rédaction?
L’ordre honni
Le poème de Valérie Rouzeau débute par une assertion à la fois très claire et ambigüe. Tout dépend du sens qu’on accorde à l’expression «ordre du jour». De manière générale, le rebutant «ordre du jour» peut renvoyer au déroulement d’une journée qui s’annonce pénible. Plus techniquement, il peut signifier la liste des sujets qui seront abordés lors d’une réunion qui promet d’être particulièrement soporifique – le poème invite d’ailleurs à lire l’expression dans ce sens, puisqu’au début du deuxième vers, les mots «Au point» donnent l’impression qu’un des sujets qui figure à l’«ordre du jour» va être précisé (mais la suite du vers conduit promptement le discours ailleurs, loin de la salle de réunion; j’y reviendrai). Enfin, l’expression «l’ordre du jour» peut encore signifier à plus grande échelle et renvoyer à une règle de conduite admise, pratiquée et jugée capitale dans une société donnée. Reformulé en ce sens, l’«ordre du jour» devient la principale prescription morale ou idéologique de l’époque.
Malgré l’ambiguïté sémantique du vers liminaire, qui empêche dans un premier temps de déterminer le sens exact de l’«ordre du jour», il est cependant clair que ce dernier est subi: il exerce une pression; il structure (le quotidien, les activités professionnelles ou la vie en société) et cet ordonnancement est jugé irritant. Si l’«ordre» peut être défini comme une disposition qui satisfait l’esprit, il apparaît clairement que le sujet qui prend la parole ici sait d’avance que ce qui l’attend sera accablant.
La rhétorique inclusive que développe le poème donne d’ailleurs à lire que le sentiment de dégoût ressenti par le sujet d’énonciation est partagé. Elisa Bricco remarque à cet effet qu’une communication très particulière avec le lecteur se met en place dans les poèmes de Rouzeau: «tout en n’apparaissant pas ouvertement en tant qu’entité dans les poèmes, celui que la linguistique de l’énonciation désigne comme co-énonciateur y est sollicité vivement.» (108-109) C’est tout particulièrement le cas dans le poème qui nous intéresse. Les verbes à l’infinitif (désirer, rester) sont «disponibles»: puisqu’ils ne sont pas conjugués, tout lecteur peut se sentir concerné par eux et peut se les approprier. Le verbe pronominal «se faire», précédé de l’interjection «Tiens», invite à s’imaginer soi-même, en tant que lecteur, «faire un tour de cadran». Dans le vers «Nos carcasses avec nos cervelles», le discours qui était jusque-là implicitement tourné vers autrui s’ouvre à lui de manière explicite: l’emploi du pronom «nos» permet la constitution d’une confrérie de gens amochés par les rigueurs de l’«ordre du jour». Le recours à l’impératif «Verse-moi» au début du onzième vers donne à lire qu’une tierce personne viendra en aide au sujet lyrique. Enfin, le pronom personnel «you», qui apparaît deux fois dans le vers suivant, désigne le sujet lyrique tout en pointant le lecteur du doigt.
Jouissif sommeil
En guise de représailles à la pression exercée par l’«ordre du jour», le sujet lyrique décide d’adopter et de vanter les mérites d’une activité de nuit: le sommeil. Contrairement au couple fougueux de la chanson «Rock around the clock», qui agit et s’agite tout au long de la nuit pour rappeler son refus de vivre à l’heure des endormis, le sujet lyrique du poème de Rouzeau choisit et encourage plutôt de fermer les yeux en plein jour. Mais ce qu’il y a de particulier est que tout au long du poème, le doux sommeil «désiré» est justement présenté et décrit par le biais de mots et d’expressions qui font signe vers la sexualité.
Dans la chanson «Rock around the clock», midi ne sonne pas la fin des hostilités: au contraire, c’est le signe d’un nouveau départ pour les amants. Dans le poème, si «midi» est l’«heure bandante par excellence», c’est parce qu’il est excitant de passer tout droit et de dormir tout au long du jour. C’est d’une jouissance de la traîne dont il est avant tout question. Ce n’est pas pour rien que le segment de la phrase «Avec minuit» est rejeté au vers suivant1Voire même plus loin encore si on redistribue les vers en respectant leur organisation dans un sonnet: puisqu’il se trouve au début du cinquième vers, il devient un rejet strophique.: la manœuvre poétique a pour effet de donner l’impression que cette heure de la nuit, réputée plus «sexy» que midi, est mentionnée pour la forme, pour rappeler que ce cliché n’est justement pas à l’ordre du jour dans le poème que nous avons sous les yeux. Une autre convention est mise à mal immédiatement après, quand le proverbe «mieux vaut tard que jamais», lui aussi tranché en deux par un rejet, est à son tour trafiqué. Ici, l’expression ne signifie pas qu’il est toujours préférable d’honorer ses engagements, y compris quand du retard a été pris. Elle dit au contraire qu’il est toujours mieux de dormir tard en plein jour une fois de temps en temps que de ne jamais le faire.
Le terme «plaisir», lié aux notions de jouissance et de volupté, est ici associé au bienfait d’un long endormissement: «pour le seul plaisir / Tiens se faire un tour de cadran». Et cette érotisation du sommeil atteint son paroxysme dans le vers du poème qui reprend, tout en les réorganisant, les mots en anglais qui forment le titre de la chanson «Rock around the clock»: «Around the clock you sleep you rock.» Contrairement au titre de la chanson, qui réserve la place d’honneur au mot «Rock», celui-ci est repoussé à l’extrémité du vers (entre autres, comme on l’a vu, pour permettre la rime avec «Fuck»); le terme-clé de la chanson, celui qui introduit le scandale, perd sa majuscule et est relégué au second plan, arrivant derrière le verbe «sleep», action justement prohibée dans la chanson2Rappelons que, outre «rock», les verbes utilisés dans la chanson sont «join me», «have fun», «yell», «go strong». Dans le dernier couplet, quand l’horloge sonne midi, les amants essoufflés prennent un léger répit suggéré par le verbe»cool off», lequel est immédiatement suivi par «Start rockin’ around the clock again».. La formulation «you sleep you rock» suggère une équivalence entre l’action de dormir et celle de «rocker», autrement dit de baiser. Tout se passe comme si l’«acte» anticonformiste de 2012, après le sexe à outrance célébré en 1952 dans la chanson «Rock around the clock», était le sommeil prolongé.
Pour rester fidèle à ce poème, où les mots et les expressions qui renvoient au désir sexuel sont systématiquement employés de manière à souligner l’attrait du sujet lyrique pour le repos et l’inactivité, voici deux propositions de traduction de ce vers tout entier écrit en anglais. La première serait: «Tu dors toute la journée comme une pierre», où le mot «rock» renvoie à la lourdeur d’un sommeil profond ou à l’idée du bercement. La deuxième serait: «Tu fais le tour du cadran, tu assures!», où l’expression «you rock» signifierait «Tu es génial!» car «tu» ose dormir énormément et illicitement.
Le travail de resémantisation du vocabulaire à connotation sexuelle touche aussi le terme licencieux par excellence du poème, ce «fuck» sonore par lequel se termine le 13ième vers. À la faveur d’un ultime rejet, le sujet lyrique qui dit «fuck» parle moins d’un désir de forniquer, ce qui présuppose un minimum d’attraction envers autrui, que d’une volonté de tenir pour négligeable un «ordre du jour» précisément jugé rebutant.
Le dodo sans le métro ni le boulot
Le sujet lyrique rassemble donc ses forces pour déjouer ce «sale temps d’horloge». L’expression renvoie au temps du travail chronométré et comptabilisé qui détraque simultanément les «carcasses» et les «cervelles» des salariés. Ce passage du poème rappelle certains des propos tenus par Paul Lafargue dans son célèbre pamphlet intitulé Le Droit à la paresse. Dès les premières pages, on y lit que le travail «est la cause de toute dégénérescence intellectuelle, de toute déformation organique» (11); l’auteur revient à la charge vers la fin du texte, en rappelant qu’il n’est de plus sûr moyen de «meurtrir la chair et de tenailler les nerfs» (33) d’un individu que de le soumettre à un labeur répétitif et abrutissant. Les vers 9, 10 et 11 du poème de Rouzeau, ceux qui constituent le premier tercet du sonnet, ont aussi beaucoup en commun avec cet autre passage du Droit à la paresse dans lequel Lafargue expose les bienfaits engendrés par «les sages lois qui limitaient le travail des artisans des antiques corporations.» (31) Il écrit:
Parce que les producteurs d’alors ne travaillaient que cinq jours sur sept, doit-on croire, comme le racontent les économistes menteurs, qu’ils ne vivaient que d’air et d’eau fraîche? Allons donc! Ils avaient des loisirs pour goûter les joies de la terre, pour faire l’amour et rigoler; pour banqueter joyeusement en l’honneur du réjouissant dieu de la Fainéantise. (32)
Dans le poème de Rouzeau, il semble qu’on n’a plus l’énergie de faire l’amour; le «dieu de la Fainéantise» est remplacé par «chronos», dieu de la mythologie grecque personnifiant le temps. Quant aux heureuses libations du banquet, elles deviennent parfaitement imaginaires: en fait foi le vers «Verse-moi du vin dans la clepsydre3Une clepsydre est un instrument qu’on utilisait dans l’Antiquité pour mesurer le passage du temps grâce à l’écoulement de l’eau.«. Ce vers exprime le souhait d’arriver à cuiter le temps, de parvenir à le saouler pour le distordre, l’allonger, le ralentir. Et si on choisit d’imaginer que le sujet lyrique qui demande à ce qu’on lui serve son vin à même la clepsydre use d’une métaphore pour exprimer son besoin de boire et oublier momentanément les affres du temps, alors force est de constater que l’opération n’a plus grand chose de «joyeux».
Comme c’était le cas pour l’expression «l’ordre du jour», la formule «sale temps d’horloge» peut elle aussi prendre un sens assez large si on accorde au mot «temps» la valeur d’ère ou d’époque. Elle pourrait être reformulée ainsi: «époque pourrie par la vitesse, la culture de la performance et le productivisme». Chose certaine, le sujet lyrique du poème de Rouzeau n’entend pas être en avance sur son temps… Son projet consiste plutôt à le prendre, son temps, et à repousser le moment où il faudra à nouveau se plier au «sale temps d’horloge». Et ici, on touche à un aspect important du poème: l’insoumission désirée est présentée comme un geste occasionnel.
Quand on «joue un tour au temps», on s’adonne à une performance, à une action circonscrite dans le temps. Et ce tour n’est pas pendable: rater une journée de boulot, c’est un «joli tour», autrement dit un acte «gentil», plaisant, qui n’est pas trop grave. Cette révolte mineure qui, comme on dit, ne changera pas le monde, renforce toutefois le pouvoir performatif de ce poème. Il est imaginable de se dire qu’on ne jouera pas le jeu du temps pendant une journée, qu’on décidera de ne pas aller travailler «aujourd’hui». Ce poème, qui n’a rien de révolutionnaire, n’engage pas à bouleverser de fond en comble une époque pourrie par la vitesse. Il rappelle plutôt qu’à l’échelle moyenne qui est la nôtre, rester au lit toute une journée peut être une douce et salvatrice riposte à l’«ordre du jour».
Le salut par le sonnet
C’est entre autres comme cela que ce poème entre dans la vie du lecteur: en lui rappelant qu’une fois de temps en temps, il est possible et même souhaitable d’arrêter de participer. Le poème de Rouzeau est aussi performatif au sens où il réalise lui-même ce qu’il énonce. Écrire un sonnet en 2012, c’est déjà se soustraire à l’ordre du jour poétique compte tenu du fait que cette forme, que d’aucuns jugent indissociable de la tradition et de contraintes rébarbatives, n’est certainement plus au goût du jour. De ce point de vue, le «joli tour bien joué au temps» renvoie à l’acte créateur lui-même, étant entendu que dans une perspective productiviste, rien n’incarne mieux le gaspillage de temps et la dilapidation d’énergie que l’écriture poétique et, a fortiori, que l’écriture d’un sonnet.
C’est toutefois dans le dernier vers que se trouve la marque d’autoréflexivité la plus claire: si le terme «enjambé» dit que l’ordre du jour a bel et bien été outrepassé, il ne manque pas d’attirer l’attention sur le procédé poétique de l’enjambement, auquel le poème fait la part belle et grâce auquel l’ordre du jour est si admirablement disloqué. Ici, il est nécessaire de faire un dernier petit détour du côté de la chanson «Rock around the clock». Si, comme cela a été mentionné plus haut, l’omniprésence du mot «rock» souligne l’intérêt marqué – et certainement en partie imaginé – de la jeunesse des années 1950 pour les activités à caractère sexuel, elle fait aussi écho au triomphe du rock & roll, genre musical qui s’impose à partir des années 1950. Puisque le rock & roll est fondé sur une esthétique du choc frontal, il est naturel qu’un de ses premiers hymnes, «Rock around the clock», abuse de la répétition du mot «rock» pour rappeler qu’il n’est tout simplement plus possible d’ignorer ce type de musique. Chez Valérie Rouzeau, qui n’ambitionne pas d’écrire une chanson rock mais un sonnet pour le moins déjanté, le poème se tend des miroirs plus subtilement. En fait, elle adopte une stratégie qui s’oppose carrément à celle qui est mise de l’avant dans la chanson. Il faut attendre jusqu’au tout dernier moment pour que soit introduit le mot «enjambé», mot-clé qui permet d’insister sur le fait que c’est la poésie qui a le dernier mot dans toute cette affaire.
Le caractère délicieusement provocateur de l’atteinte portée à l’«ordre du jour» repose sur le fait que ce poème qui vante les mérites de l’oisiveté est très richement travaillé et habilement désordonné. Le sonnet de Valérie Rouzeau reprend à son compte l’esthétique rock & roll. Il mêle les langues (français, anglais, grec); il parle mal (fuck), très bien (clepsydre) et aussi familièrement (bandante); il encourage à faire quelque chose que les gens raisonnables jugent répréhensible, c’est-à-dire rester au lit au lieu d’aller travailler ou, ce qui revient au même dans l’esprit des gens raisonnables, écrire de la poésie au lieu de vaquer à une activité professionnelle respectable. Il joue librement avec les codes du sonnet en n’exhibant pas ses marques distinctives (la paire de quatrains suivi de celle des tercets, la stricte combinaison des rimes, etc.); il se présente comme une véritable petite chaîne de montage d’enjambements alors même qu’il remet en question «la cadence rapide imposée par le rythme des échanges et du travail, [qu’il] cherche, par des ruptures de rythmes, la voie d’une autre existence possible.» (Vidal: 20) La mise en série des jeux de décalages entre la syntaxe et les limites fixes du vers crée des effets rythmiques puissants. Si le «sale temps d’horloge» est un temps régulier et réglé qui transforme la vie en une séquence de jours souvent semblables et sans grande surprise, les nombreux enjambements qui structurent le poème de Rouzeau contribuent à déstabiliser un lecteur, qui se trouve aux prises avec un texte qui retarde continuellement le dévoilement du sens et qui libère le sens d’expressions qu’on croyait figées.
Dans cette perspective, le point qui se trouve immédiatement à la suite du mot «enjambé» fait bien plus que marquer la fin d’une phrase ou, plus généralement, du poème. Étant donné que ce signe de ponctuation est le seul contenu dans ce texte, c’est sa valeur expressive qui est la plus forte. Il renvoie à la locution interjective «point final» et souligne le caractère décisif de l’enjambement, autrement dit de l’acte poétique qui est finalement le seul véritable point à l’ordre du jour.
Bibliographie
- 1Voire même plus loin encore si on redistribue les vers en respectant leur organisation dans un sonnet: puisqu’il se trouve au début du cinquième vers, il devient un rejet strophique.
- 2Rappelons que, outre «rock», les verbes utilisés dans la chanson sont «join me», «have fun», «yell», «go strong». Dans le dernier couplet, quand l’horloge sonne midi, les amants essoufflés prennent un léger répit suggéré par le verbe»cool off», lequel est immédiatement suivi par «Start rockin’ around the clock again».
- 3Une clepsydre est un instrument qu’on utilisait dans l’Antiquité pour mesurer le passage du temps grâce à l’écoulement de l’eau.