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Le maître, le maigre et le bègue. Avant-propos
Quiconque s’intéresse au temps se souvient de l’aveu d’ignorance d’Augustin, qui implorait l’aide de Dieu pour définir la chimère à laquelle le onzième livre de ses Confessions était consacré. Comment en effet saisir l’être du temps si le passé n’est plus, que l’avenir n’est pas encore, et que le présent s’efface sitôt perçu? Comment donner corps aux mouvements d’une âme qui sans repos rebrousse chemin pour exercer sa mémoire, revient à soi pour se concentrer dans l’attention qu’elle porte au monde, et se prolonge dans l’espérance de ce qui vient? La question augustinienne concernait non seulement la phénoménologie du temps, mais encore l’expérience de la contemporanéité, dont il souhaitait rendre raison pour expliquer la coexistence paradoxale des images d’hier, d’aujourd’hui et de demain. La question n’a depuis cessé de recevoir des réponses aussi contradictoires que nombreuses, comme si la volatilité du temps, au lieu de se dissiper dans l’air, se matérialisait en un réseau complexe de textes et de discours qui ponctuent la chaîne des représentations qui définissent une culture. C’est que l’imaginaire vient pallier le défaut de connaissance du temps en lui substituant des figures qui en structurent la perception, en circonscrivent les usages et en assurent l’interprétation. Ces figures cristallisent les dictions et les fictions de l’histoire par lesquelles les sociétés donnent forme et sens à l’expérience d’un devenir composé de rythmes divergents. Chaque contemporanéité apparaît alors comme une constellation en laquelle se nouent de manière singulière le passé, le présent et l’avenir, apportant ainsi une réponse provisoire à l’éternelle question de l’être du temps.