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Julien Benda contre la littérature pure
Si la France du XXe siècle a connu l’essor, sous de multiples formes et configurations, d’une littérature engagée, elle fut également la scène de vives polémiques qui ont créé à leur tour des lieux de résistance, non seulement à droite et à l’extrême droite, du côté des conservateurs et des traditionalistes, mais parmi la gauche intellectuelle.
Né en 1867, de la même génération que Gide, Claudel, Valéry et Proust, essayiste, romancier, philosophe humaniste aux aspirations politiques changeantes, Julien Benda s’imposa d’abord comme un dreyfusard, prenant position aux côtés de Lucien Herr, de Charles Péguy et de Félix Fénéon à La Revue blanche. Dans les années 1930, à la suite de la parution d’essais décapants, les spécialistes de la littérature française et de l’histoire intellectuelle en sont plutôt venus à considérer Benda comme un réactionnaire, pamphlétaire aguerri et critique virulent, en quelque sorte engagé contre l’engagement des intellectuels. Les récents travaux d’Antoine Compagnon invitent à revisiter la trajectoire ambiguë de plusieurs hommes d’idées dans la France des XIXe et XXe siècles. Dans Les Antimodernes: de Joseph de Maistre à Roland Barthes, Compagnon formule l’hypothèse que ces écrivains (Lacordaire, Léon Bloy, Péguy, Julien Gracq, ou encore Roland Barthes), intempestifs et inactuels, «antimodernes», incarnent l’envers des modernes, une posture nécessaire à l’avènement de la modernité en France.