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Image du désir et désir de l’image. Ou comment l’image parvient-elle à se nier
What Do Pictures Want? Tel est le titre d’un ouvrage de William J. Thomas Mitchell paru en 2005. Pour le «pape» des visual studies, l’iconologue d’aujourd’hui n’a plus à s’engager dans le déchiffrement des images, mais à se tenir à l’écoute de leurs désirs, désirs qui ne sont autres que la projection de nos propres désirs, seuls à même d’animer les simulacres et de les investir d’un pouvoir. Pour appuyer sa démonstration, Mitchell cite une publicité de la marque Sprite, largement diffusée dans les cinémas et plus discrètement sur nos écrans de télévision en 1998. Elle montrait un brainstorming entre publicitaires, nous ouvrant ainsi, en une forme de mise en abyme, les coulisses de la fabrication d’une annonce publicitaire et de l’invention d’une stratégie de marketing pour le moins insolite. En effet, les spécialistes de l’image qui nous sont montrés semblent être tombés d’accord pour retenir, comme emblème de la boisson à vendre, une espèce de limace synthétique, image dégoûtante censée remplacer, nous dit-on, l’icône hollywoodienne du dinosaure (type Jurassic Park) passée de mode. Tous s’extasient devant, notamment, les aptitudes de cet objet gluant à coller à la paroi sur laquelle on le (pro-)jette, paroi qui coïncide, soulignons-le, avec la vitre qui nous sépare de la salle de réunion et qui n’est autre que celle de la caméra confondue avec celle de l’écran. Le responsable de l’équipe déplore toutefois que cela ne fasse pas encore un film publicitaire, pour lequel finalement personne n’est capable de proposer la moindre idée. Comme si cela n’était pas suffisamment clair, la morale de cette caricature est proférée oralement à la fin du clip. Une voix hors-champ autoritaire conclut: «N’achetez pas le battage publicitaire hollywoodien. Achetez ce que vous désirez» («Don’t buy the Hollywood hype. Buy what you want»); phrase immédiatement suivie par un texte qui nous dit: «L’image n’est rien. La soif est tout» («Image is nothing. Thirst is everything»). Le dernier plan nous montre, quant à lui, une bouteille Sprite, image commentée à nouveau oralement par ces mots: «Obéissez à votre soif» («Obey your thirst»). Notons par ailleurs que cette bouteille tourne, tel un objet d’art placé sous un projecteur et devant un fond sombre. Hoc est, ceci est The Real Thing, objet authentique d’un désir qui ne le serait pas moins. Voilà ce que vous voulez, ou ce que vous ne pouvez que vouloir si vous obéissez à votre instinct, plutôt que de suivre ce que les publicitaires veulent que vous vouliez. Libérez-vous donc des images pour vous tourner vers la réalité, celle de vos désirs et de vos besoins les plus primaires, contre de faux désirs imaginaires manipulés par les iconocrates du monde médiatique. C’est ce que semble vouloir nous dire cette publicité, sans, on l’aura compris, une certaine pointe d’ironie: ne s’agit-il pas en effet de condamner l’image par l’image, paradoxe apparent d’une publicité anti-publicitaire flattant le bon sens et le scepticisme du spectateur?