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Identification des schémas

Patrick Tillard
couverture
Article paru dans Romans états-uniens, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Gibson, William (2004), Identification des schémas, Vauvert, Au Diable Vauvert, 494p. [Gibson, William (2003), Pattern Recognition, New York, Berkely Books, 367p.]

Disponible sur demande — traduction française (Fonds Lower Manhattan Project)

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

Cayce Pollard est une consultante en design, spécialiste des stratégies en marketing et analyste « instinctive » de l’efficacité des logos des multinationales. Son père est mort lors des attaques du 11 septembre 2001.

Une communauté virtuelle dont elle fait partie s’est constituée autour d’un mystérieux film anonyme mais porteur d’humanité et de poésie, dont les courtes séquences sont disponibles sur le net. Œuvre d’art en cours d’élaboration ou message codé ? Sous-culture ou subversion ?

Contactée par le patron d’une multinationale afin d’élucider le secret de ce film, elle parcourt le monde, de Tokyo à Londres et à Paris, afin d’identifier l’origine du film et de comprendre sa signification. Enquête policière, complot mystérieux, le roman prend l’allure d’un polar cybernétique où le monde est un terrain de jeux urbain. Le poids d’un monde à la dérive, prisonnier des marques et du marketing, où les repères habituels de la vie semblent devenus des éléments de fractures et non des indices de constitutions identitaires ne permet plus d’élucider de véritables compréhensions de l’état du monde. La banalisation du déjà-vu, du réconfortant car fonctionnel, encadre toute perspective sensible dans tous les pays : charge objective semblable malgré les impressions vagues d’une différence et sensibilité zéro d’un regard colossalement kitsch rendent le monde malade comme une enfilade de « lacs morts » (p.266).

La communauté virtuelle qui aide Cayce dans sa quête paraît seule à même de sauvegarder une humanité malade partout ailleurs. Mais tout semble confus dans un présent immédiat artificiel et étranger, sauf peut-être les liens humains disséminés dans les zones inconnues des mondes virtuels.

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Roman.

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Narrateur omniscient.

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

La présence du 11 septembre est générique.

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

Les événements ne sont pas présentés de façon explicite.

Attitude face aux événements: Incompréhension de l’héroïne. La trame du roman oblique délibérément vers d’autres clés qui ne désignent pas les événements et le World Trade Center comme moteurs du récit.

Moyens de transport représentés: Curieusement, beaucoup de voyages en avion car l’héroïne circule énormément de capitale en capitale dans le monde entier pour les besoins de son enquête.

Médias et moyens de communication représentés: Internet, avatars, film numérique ainsi que marketing et logos sont au centre du récit.

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

La quête personnelle domine au sein d’une recherche plus collective et même du complot. Cayce, l’héroïne, est la fille d’un homme disparu pendant les événements de 2001, un homme qui réapparaît de temps à autre par l’intermédiaire de communications virtuelles sans qu’on sache s’il existe, se cache ou est mort. Le point de vue sur les événements est généralement absent, ils sont mentionnés comme quelque chose d’évident mais déjà lointain. Le présent a déjà repris sa place.

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Aucun son.

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Aucun travail iconique sur le texte.

Autres aspects à intégrer

N/A

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

Consultante en design de réputation internationale, fille d’un ponte de la sécurité américaine présumé mort le 11 septembre 2001, Cayce Pollard se voit confier une mission très spéciale : trouver le créateur de mystérieux clips vidéo diffusés sur le net. Le courant culturel underground qu’il génère dans le monde entier intéresse son nouvel employeur bien plus que l’argent.

Mais après l’effraction de son appartement londonien, le piratage de la boîte mail et le vol des dossiers de sa psy, prise dans les mailles du marketing, de la mondialisation et de la terreur, de Londres à Tokyo et Moscou, Cayce va poursuivre un secret aussi dérangeant et fascinant que le vingt-et-unième siècle promet de l’être…

Nous n’avons aucun futur car notre présent est volatile. Nous nous contentons de gérer les risques. De faire tourner les scénarios du moment. D’identifier les schémas…

Version originale :

Here is the novel that started it all, launching the cyberpunk generation, and the first novel to win the holy trinity of science fiction: the Hugo Award, the Nebula Award and the Philip K. Dick Award. With Neuromancer, William Gibson introduced the world to cyberspace — and science fiction has never been the same.

Case was the hottest computer cowboy cruising the information superhighway — jacking his consciousness into cyberspace, soaring through tactile lattices of data and logic, rustling encoded secrets for anyone with the money to buy his skills. Then he double-crossed the wrong people, who caught up with him in a big way — and burned the talent out of his brain, micron by micron. Banished from cyberspace, trapped in the meat of his physical body, Case courted death in the high-tech underworld. Until a shadowy conspiracy offered him a second chance — and a cure — for a price…

Aperçu biographique de l’auteur :

Lorsque sort son premier roman en 1984, Neuromancien, c’est un succès fulgurant, et tous les prix lui sont décernés : Hugo, Nebula et P.K.Dick.
Il faut dire que ce premier roman est aussi le pionnier d’un genre S.-F. nouveau, le cyberpunk, qui intègre à la panoplie habituelle de la science-fiction des technologies alors émergentes comme le réseau internet et la réalité virtuelle.

LE CYBERPAPE:
William GIBSON n’a que six ans lorsque son père meurt, loin du foyer familial, pendant un voyage d’affaire. De son propre aveu, ce choc pousse le jeune GIBSON à grandir en adolescent introverti et à développer une grande passion pour les livres et, en particulier, la science-fiction.

Sa mère meurt à son tour lorsqu’il a 18 ans, et le traumatisme ne facilite pas les débuts dans la vie de GIBSON. Exilé au Canada pour échapper à la conscription américaine [Guerre du Vietnam oblige], l’année suivante en 1967, William GIBSON s’inscrit à l’Université en Littérature anglaise, et écrit ses premières nouvelles.

Après Neuromancien, GIBSON est reconnu comme la voix cyberpunk la plus crédible. Sur fond de mégalopoles en décrépitudes, la suite de son oeuvre mettra en scène des corporations sans âme, des hackers au cerveau branché sur le silicium, des avatars paranoïaques et des intelligences artificielles psychologiquement perturbées…

D’autres auteurs comme Bruce STERLING, Pat CADIGAN, Michaël SWANWICK ou plus près de nous Greg BEAR, enrichissent le cyberpunk après lui, mais l’oeuvre de GIBSON a posé rien de moins que les bases de la SF du XXIème siècle…

Dans ses ouvrages les plus récents, [Idoru, Tomorrow’s parties, Identification des schémas], GIBSON s’est encore plus éloigné des repères SF pour écrire une littérature plus “blanche” qui d’ailleurs ne s’inscrit plus dans le futur…

Dans le même temps, GIBSON gagne en lisibilité et réussit à développer toujours plus loin les thématiques qui sont les siennes, s’intéressant à de nouvelles questions contemporaines : les nanotechnologies, le pouvoir des médias et du merchandising, la fascination moderne pour la célébrité…

GIBSON est sans aucun doute l’un des auteurs de SF les plus clairvoyants quant à l’avenir que nous promettent les nouvelles technologies et les interrogations qui ont suivi le 11 septembre 2001.

William GIBSON vit aujourd’hui à Vancouver, au Canada, avec sa femme, rencontrée dans les année 70 et leurs deux enfants. L’un de ses secrets pour écrire: il ne regarde quasiment jamais la télévision, et ce depuis qu’il a 15 ans.

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

Dans l’interview publiée sur Cafard cosmique en avril 2007

1http://www.cafardcosmique.com/William-GIBSON-Identification-des (Page consultée le 8 septembre 2023 via Wayback Machine, URL modifiée)

, W. Gibson évoque le 11 septembre 2001 mais pour ne pas en dire grand-chose de significatif :

WG : Quand j’ai eu terminé ce livre, les attentats du 11 septembre 2001 n’avaient pas encore eu lieu. Ils ont eu lieu quelques semaines après. A partir de ce moment-là, je me suis dit « Tu ne peux pas passer à côté d’un événement pareil ! ». Mais voilà, j’avais également un manuscrit de plus de 400 pages dans les mains, ainsi que des années de travail derrière moi. Je ne savais pas si j’aurais le courage de tout reprendre à zéro, car c’est bien de cela qu’il s’agissait. Je ne pouvais décemment pas me contenter de glisser quelques allusions au 11 septembre dans mes pages. La réalité contemporaine venait de changer si violemment, si brutalement et si rapidement que tout était bouleversé. Le matériel premier du roman était également réduit à néant. Finalement, après de nombreuses discussions avec des amis proches j’ai décidé que j’avais dans ces pages, les moyens de dealer avec cette nouvelle réalité.

– CC : Justement dans Identification des Schémas, le 11 septembre 2001 est finalement très présent. C’est particulièrement important pour votre principale protagoniste, Cayce POLARD. Où étiez-vous quand les avions ont percuté les tours ?

– WG : J’étais sur un forum, en pleine conversation avec des amis… [silence]. Tout à coup, l’un d’eux écrit : «Je viens d’entendre les infos, un avion vient de percuter une des tours du World Trade Center à New York ! » Tout le monde pensait, et moi le premier, qu’il s’agissait d’un accident. D’un petit avion de tourisme… Et au bout de quelques minutes, après avoir reloadé ma page, je lis un deuxième message : « un deuxième avion vient de frapper l’autre tour ! » Là, j’ai décroché et je me suis rué sur la télé. J’ai assisté comme tout le monde, ou presque, à l’événement à la télévision.

– CC : C’est tout à fait comme dans Identification des Schémas, vous étiez sur ce forum et une autre vision de la réalité vous a été imposée par les participants… ?

– WG : Oui ! Le site sur lequel j’étais quand c’est arrivé est une forme prémonitoire du forum dont je parle dans Identification des Schémas. En fait, je n’avais jamais eu cette sensation de proximité sur Internet avant de fréquenter ce site. Auparavant je ne pensais pas qu’on pouvait socialiser de cette façon dans le cyberespace, jusqu’à il y a environ 2 ans et que je rencontre ces gens sur ce forum.[…]

Citer la dédicace, s’il y a lieu

À Jack

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

http://www.fluctuat.net/1855-Identification-des-schemas-William-Gibson [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée]

http://www.cafardcosmique.com/Identification-des-Schemas-de [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée]

Interview de William Gibson : http://www.cafardcosmique.com/William-GIBSON-Identification-des [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée]

http://livres.fluctuat.net/blog/18749-paul-mcauley-consequences-de-l-ide… [La page n’est plus accessible.]

http://www.webzinemaker.com/admi/m4/page.php3?num_web=1489&rubr=4&id=221231 [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée]

http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=21921 [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée]

Impact de l’œuvre

Inconnu (08/2008)

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

L’auteur de Neuromancien et de Comté Zéro utilise le 11 septembre 2001 comme un des éléments narratifs d’un univers « mainstream » dominé par la communication virtuelle, les stratégies de marketing et la mobilité.

Parti, dans ses romans précédents, des perspectives narratives offertes par le développement des mondes virtuels et peut-être parallèles, Gibson sonde ici la réalité vécue en extrapolant son récit à partir de l’intensité affective des liens élaborés dans certaines communautés virtuelles, à partir de ce qui est peut-être définitivement perdu (le père disparu peut-être encore présent dans un monde virtuel) et ce qui se cherche à travers la toile malgré le sentiment angoissant d’une perte irréparable.

L’impact du 11 septembre 2001 n’est pas traité en tant que tel, mais sa présence, là encore, semble devenue incontournable dans une littérature qui entend comprendre le monde réel dans une certaine urgence. Son onde de choc court encore, elle réfléchit et se prolonge dans et par la technologie actuelle, y compris dans les médias et ses manipulations, dans l’internet qui recouvrent le monde et dans les mystères de l’énergie de ses utilisateurs.

Bien que la fin soit décevante, le récit montre comment le 11 septembre 2001 s’intègre dans un monde multipolaire, événement qui produit ses zones d’ombre, ses secrets, ses propres références, ses arcanes.

Il faut noter l’utilisation abusive des marques de vêtements, de boissons, de parfums, etc., utilisation qui rend le récit parfois indigeste malgré l’humour que l’auteur a souhaité, nous l’espérons, y inclure.

Cette fastidieuse nomenclature (Prada, Starbuck, etc.) rapproche étrangement un style « jet-set » comme celui de Jay Mc Innerney de celui de William Gibson comme si un nouveau tic de langage « actuel » suffisait à prouver véracité et actualité en utilisant le langage publicitaire et normé des marques contemporaines. Les personnages apparaissent alors comme vidés de substance au profit de ces marques « espion » qui parasitent les intentions de l’auteur. Il est vraisemblable que cette publicité même indirecte ne rende pas grâce à l’inspiration créatrice de ces écrivains. Le 11 septembre 2001 s’y perd en court de route.

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

Apophénie. Elle perd son regard dans l’intérieur froid et superbement éclairé du frigo allemand de Damien. Et si la signification que tout le monde devine dans Le Film n’était que ça ? Une reconnaissance de schémas absents ? Elle en a déjà parlé, longuement, avec Parkaboy. Les neuromécaniques de l’hallucination, le récit personnel de la crise psychologique d’August Strindberg, et une expérience extrême avec la drogue au cours de son adolescence, où Parkaboy s’était senti « canaliser une sorte d’étrange langage machine angélique Linéaire B ». Rien de tout cela n’a fait avancer les choses.
(p.162)

Cayce regarde sa main, qui a refermé le message de Cynthia de sa propre volonté. Ce n’est pas que sa mère soit folle (Cayce ne le pense pas) ou que sa mère soit persuadée que ce truc est vrai (bien qu’elle y croie dur comme fer), ni même la nature banale, incohérente et stupéfiante de ces supposés messages (elle y est habituée, quand les PVE sont cités). Le problème vient du fait que si elle a raison. Win est doublement mort vivant.
(p.261)

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PVE : Phénomènes de Voix électronique.
Apophénie : perception spontanée de rapport et de significations à partir de phénomènes sans aucune relation.

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

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