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Extrêmement fort et incroyablement près

Éric Giraud
couverture
Article paru dans Romans états-uniens, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Foer, Jonathan Safran (2006), Extrêmement fort et incroyablement près, Paris, Éditions de l’Olivier, 424p. [Foer, Jonathan Safran (2005), Extremely Loud and Incredibly Close, New York, Houghton Mifflin, 363p.]

Disponible sur demande en traduction française (Fonds Lower Manhattan Project au Labo NT2)

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

Oskar Schell, enfant précoce âgé de neuf ans, a caché le téléphone contenant les six messages que son père lui a laissé des tours jumelles où il se trouvait en rendez-vous avec un client au moment de l’attaque terroriste du 11 septembre. À la recherche d’informations relatives à la mort de son père, il découvre dans un vase bleu une enveloppe contenant une clé sur laquelle est inscrit le nom « Black ». Il se met à la recherche du propriétaire de cette clé et de la serrure correspondante en rendant visite chaque fin de semaine à une série d’individus se nommant Black. Il rencontre ainsi un certain Mr Black qui n’est pas sorti de chez lui depuis la mort de son épouse, 24 ans plus tôt. Le jeune Schell le convainc de l’accompagner dans sa recherche. Black l’aide à dépasser quelques-unes des phobies relatives à l’attaque terroriste des tours : fréquentation des métros, des ferrys, des terrasses panoramiques, etc. Le jeune Oskar, à l’imagination aussi prolixe qu’inquiète, est suivi par un psychiatre qui propose à sa mère de l’hospitaliser. Il communique à l’aide de talkies-walkies avec sa grand-mère qui habite dans l’immeuble d’en face. Loge chez elle un locataire qui s’avère être son mari et porte le même nom que le père d’Oskar, Thomas Schell. On apprend progressivement que Thomas était le fiancé d’Anna, la sœur de la grand-mère. Anna, enceinte, a trouvé la mort lors du bombardement de Dresde en 1945. Après avoir épousé la grand-mère à New York, Thomas l’abandonne, enceinte, pour retourner à Dresde en 1963. Il est devenu aphasique et a développé une réelle graphomanie, écrivant partout (cahiers innombrables, murs, bras, plancher, etc.). Il retourne à New York après avoir lu le nom de son fils parmi les victimes du 11 septembre. Sa femme, qu’il retrouve 40 ans plus tard, lui interdit de se montrer au jeune Oskar qu’il suit pourtant durant les huit mois que dure l’enquête d’Oscar au sujet de la mystérieuse clé. Après avoir écouté un message laissé au début de sa recherche sur le répondeur qu’il ne consultait plus après le 11 septembre, Oskar prend contact avec William Black à qui son père avait acheté le vase bleu sans savoir qu’il contenait une clé. Black a vendu le vase après la mort de son père, sans savoir qu’elle ouvrait le coffre du père, et ce n’est qu’après la vente qu’il lit la lettre testamentaire où il apprend que son père a déposé quelque chose à son attention dans le coffre.

Oskar Schell finit par rencontrer son grand-père, le mystérieux locataire de sa grand-mère, et ils décident dans leur double quête du deuil d’exhumer le cercueil vide de Thomas Schell et de le remplir avec les valises de cahiers de lettres que le grand-père a écrit à son fils durant quarante ans, lettres dont il n’avait envoyé que les enveloppes vides correspondantes.

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Roman.

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre Roman polyphonique comprenant une triple narration homodiégétique (à la première personne) : le récit du jeune Oskar Schell, (portant sur la période du 11 septembre et sur les deux années suivantes) est entrecoupé du récit du grand-père d’Oskar adressé sous forme de lettres à son fils, Thomas Schell (partant de son enfance, du bombardement de Dresde jusqu’au deux années suivant les attentats de 2001), puis du récit de la grand-mère sous forme d’une lettre adressée à son petit-fils, Oskar. Ce récit fragmenté est composé de nombreuses lettres, de dialogues, de scène de théâtre (Oskar Schell joue le personnage de Yorick dans Hamlet), de cahiers multiples, de fiches biographiques composées d’un seul mot, d’éléments typographiques et iconiques. Le roman est une construction complexe usant de nombreuses analepses et prolepses de portée et d’ampleurs diverses. Il présente une multiplication des points de vue sur la diégèse, des fausses pistes, des dissimulations d’éléments diégétiques et narratifs — concernant la temporalité du récit, l’identité d’une des instances narratives (le grand-père), ou l’homonymie du père et du grand-père (Thomas Schell) — puis des dévoilements et des révélations, à la manière d’un roman à clé, en forme de quête.

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

Présence particularisée du 11 septembre par des allusions courtes puis des développements plus longs. Points de vue personnels multiples sur l’événement, par le biais du téléphone et de la télévision.

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

La référence aux événements, bien qu’omniprésente, est au début courte (quelques lignes, voire quelques mots) et implicite, par les allusions indirectes du jeune Oskar Schell, fortement choqué et, dans son travail de deuil pathologique du père, à travers son imagination hyperactive, son état émotionnel et la phobie de tout ce qui peut être lié directement ou indirectement aux moments de l’attaque et de l’effondrement des tours : moyens de transport, moyens de communication (répondeurs téléphoniques. c.f. citation 5b). Puis, au fur et à mesure du récit, la référence aux événements est de plus en plus explicite et sur plusieurs pages, par le matériau iconique documentaire, ou encore par le point de vue du fils écoutant et réécoutant les messages laissés sur le répondeur téléphonique par le père, par les images vues à la télévision et par les divers points de vue des personnages (fils et grand-mère à New York et grand-père à Dresde).

Attitude face aux événements: L’effondrement des tours a dispersé et disséminé l’identité de son père dans toute la ville, et le fils est en quête de reconstruction, par une tentative de travail de deuil rendu difficile par l’absence de dépouille. « Il avait des cellules, et maintenant, elles sont sur les toits, et dans le fleuve, et dans les poumons de millions de gens à New York, qui le respirent chaque fois qu’ils parlent! » (p. 218) Le commentaire des dernières pages du livre concernant la série en sens inverse des images de la chute du corps confirme bien le désir de l’enfant de remonter le temps, de revenir en arrière, avant l’événement, pour retrouver son père disparu.

Moyens de transport représentés: Le narrateur présente une phobie des moyens de transport associés au 11 septembre (ferry, métro, avion, ascenseur, pont) qu’il parvient à atténuer lors de son travail de deuil dans New York par la recherche d’une serrure correspondant à la mystérieuse clé trouvée dans les affaires de son père. Des références sont faites à la limousine de l’enterrement, aux taxis qu’il emprunte pour ses déplacements, puis aux autres moyens de transport qu’il finit par réintégrer.

Moyens de communication représentés: Le téléphone occupe une place importante. L’enfant de 9 ans a un téléphone portable. Il dissimule dans un placard le téléphone répondeur familial afin de soustraire et de conserver les messages laissés par son père lors de l’attaque des tours. Il ne répond pas au dernier appel de son père mais écoute le message sur le répondeur. Les six messages sont disposés l’un après l’autre sur toute la longueur du roman. Oskar remplace le téléphone soustrait par un téléphone identique qu’il va acheter au moment de l’effondrement de la première tour. (p. 90)

Internet est un moyen de recherche d’informations, de documentation et de collecte d’images sur l’événement liées à l’impensable disparition du père. (pp. 333-334)

La scène de l’attaque et l’effondrement des tours vue à la télévision est narrée plusieurs fois, du point de vue des trois personnages principaux : le fils (scène vue furtivement dans un magasin au moment de l’achat du téléphone remplaçant celui qu’il a caché, p. 90), la grand-mère (la répétition des images télévisées, p. 297), le grand-père (la multiplicité des postes de télévision, dans une gare et une boutique, p.351)

Le papier et l’écrit manuscrit sont omniprésents. On colle des affiches du père disparu après les événements. L’activité épistolaire est soutenue et concerne plusieurs personnages. Le grand-père aphasique ne communique que par écrit, en écrivant questions et réponses sur ses cahiers. Les cahiers envahissent son domicile new-yorkais. Il revient de Dresde avec des valises de cahiers remplis de son écriture. Les cahiers sont déposés à la place de la dépouille absente, dans le cercueil vide du père d’Oskar Schell. Enfin, le papier est présenté comme un combustible ayant entretenu le feu des tours. (p. 423-424)

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

Les trois narrateurs sont homodiégétiques. Ils assistent tous les trois aux événements du 11 septembre par le biais de la télévision. Les événements sont abordés du point de vue d’un jeune enfant new-yorkais de 9 ans tentant de comprendre ce qui est arrivé à son père et confronté à un travail de deuil problématique parce que l’enfant se sent coupable de ne pas avoir répondu au dernier appel téléphonique de son père d’un bureau des tours jumelles.

Le point de vue est celui d’une quête personnelle et familiale, deuiles pathologiques, rapports père-fils.

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents? Aucun son. Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Travail typographique illustrant la narration : encerclement de couleur rouge de certains mots du texte. (p. 271 et 280), mise en page des messages écrits par le grand-père aphasique, mise en page des chiffres des messages communiqués par touches téléphoniques (p.48 et 350).

Travail typographique participant de la narration : resserrement progressif de l’interlignage de la page, superposition et condensation jusqu’à un effet d’obscurcissement complet. (p. 365-368.)

Autres aspects à intégrer

Les images sont des illustrations directes de l’histoire du récit, la plupart du temps insérées juste avant ou après l’élément diégétique illustré, sauf pour les images précédant la page de titre et la série d’images p. 75-89 dont l’origine et le lien sont explicités (effet de dévoilement) de nombreuses pages plus loin.

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

« Oskar Schell est inventeur, entomologiste, épistolier, francophile, pacifiste, consultant en informatique, végétalien, origamiste, percussionniste, astronome, collectionneur de pierres semi-précieuses, de papillons morts de mort naturelle, de cactées miniatures et de souvenirs des Beatles. Il a neuf ans.

Un an après la mort de son père dans les attentats du 11 septembre, Oskar trouve une clé. Persuadé qu’elle résoudra le mystère de la disparition de son père, il part à la recherche de la serrure qui lui correspond. Sa quête le mènera aux quatre coins de New York, à la rencontre d’inconnus qui lui révéleront l’histoire de sa famille.

Après le choc de Tout est illuminé, cet étonnant objet littéraire et typographique explore à nouveau, mais sur un autre registre, les chemins d’une mémoire à jamais perdue. Quand tout a été oublié, il ne reste plus qu’à inventer. »

Jonathan Safran Foer emerged as one of the most original writers of his generation with his best-selling debut novel, Everything Is Illuminated. Now, with humor, tenderness, and awe, he confronts the traumas of our recent history. What he discovers is solace in that most human quality, imagination.

Nine-year-old Oskar Schell has embarked on an urgent, secret mission that will take him through the five boroughs of New York. His goal is to find the lock that matches a mysterious key that belonged to his father, who died in the World Trade Center on the morning of September 11. This seemingly impossible task will bring Oskar into contact with survivors of all sorts on an exhilarating, affecting, often hilarious, and ultimately healing journey.

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

« ”Both the Holocaust and 9/11 were events that demanded retellings,” Foer said when asked about his preoccupation with seminal tragedies. ”The accepted versions didn’t make sense for me. I always write out of a need to read something, rather than a need to write something. With 9/11, in particular, I needed to read something that wasn’t politicized or commercialized, something with no message, something human.”»

— Interview avec Deborah Solomon, The New York Times, 27 février 2005.

Citer la dédicace, s’il y a lieu

Pour
NICOLE,
Mon idée du beau

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

New York Times : https://www.nytimes.com/2005/02/27/magazine/the-rescue-artist.html [Page consultée le 8 septembre 2023. Article payant.]

New York Press, article négatif : http://www.nypress.com/18/15/news&columns/harrysiegel.cfm [Page consultée le 8 septembre 2023 via Wayback Machine, URL modifiée]

Authortrek: http://www.authortrek.com/everything_is_illuminated_page.html [Page consultée le 8 septembre 2023 via Wayback Machine, URL modifiée]

London Review of Books, vol. 27, n° 11, 2 juin 2005: http://www.lrb.co.uk/v27/n11/maso02_.html [Page consultée le 8 septembre 2023 via Wayback Machine, URL modifiée]

Wikipedia: http://en.wikipedia.org/wiki/Extremely_Loud_and_Incredibly_Close [Page consultée le 8 septembre 2023]

Telerama: http://www.telerama.fr/livres/M0609181235083.html [Page consultée le 8 septembre 2023 via Wayback Machine, URL modifiée]

Radio-Canada: http://www.radio-canada.ca/arts-spectacles/livres/2007/01/16/001-fort-pr [La page n’est plus accessible.]

Journal Voir Montréal: http://www.voir.ca/livres/livres.aspx?iIDArticle=45875 [Page consultée le 8 septembre 2023 via Wayback Machine, URL modifiée]

Impact de l’œuvre

Extraits du blurb :

« Pyrotechnique, énigmatique et, avant tout, extrêmement émouvant. Un exploit hors du commun. »

— Salman Rushdie

De nombreuses récurrences du titre sur internet, (recherche google, titre français : 28 600 pages, titre anglais : 170 000 pages), de nombreux articles élogieux, exceptée une critique négative (non dénuée d’intérêt malgré un fort conservatisme).

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

Le livre ne se situe pas à un niveau politique. Il traite principalement du rapport d’un individu et de sa famille à la perte d’un de ses membres sans tentative d’analyse de l’événement. Le deuil consiste à accepter l’événement, et la disparition de l’être cher. Les détails concernant l’événement et la réaction des personnages sont assez réalistes. Le récit mêle l’image internet documentaire et la fiction. En revanche le livre resitue l’événement d’un point de vue historique en le rapprochant du bombardement de Dresde (lié à l’histoire familiale et ses deuils) et du bombardement d’Hiroshima (un exposé fait par Oskar Schell en classe). Cela permet peut-être de contrebalancer le poids du 11 septembre dans la fiction. Enfin, la charge émotionnelle de l’histoire est forte mais contrôlée par l’auteur.

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

1) « Même au bout d’un an je trouvais encore extrêmement difficile de faire certaines choses, comme prendre une douche, je ne sais pas pourquoi, ou l’ascenseur, évidemment. Il y avait un tas de trucs qui me faisaient paniquer, comme les ponts suspendus, les germes, les avions, les feux d’artifices, les Arabes dans le métro (alors que je ne suis pas raciste), les Arabes au restaurants, dans les cafés et autres lieux publics, les échafaudages, les plaques d’égout ou de métro, les sacs sans propriétaires, les chaussures, les gens à moustache, la fumée, les nœuds, les gratte-ciel, les turbans » (p. 52).

2) « Quand les mots sont sortis de ma bouche, j’ai eu honte qu’ils soient mêlés aux cellules de papa que j’avais peut-être inhalées quand on était allé visiter Ground Zéro » (p. 224).

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

Site officiel de l’auteur : http://www.theprojectmuseum.com/
Page du communiqué de presse américain du livre : http://www.houghtonmifflinbooks.com/booksellers/press_release/extremelyl…

Couverture du livre

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