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Déambuler rue Ontario. Raboudinage d’une artère montréalaise

Benoit Bordeleau
couverture
Article paru dans L’idée du lieu, sous la responsabilité de Daniel Chartier, Marie Parent et Stéphanie Vallières (2013)

Si certaines artères de la ville de Montréal, comme Saint-Laurent (la Main), Saint-Denis, Saint-Urbain et Sainte-Catherine, ont obtenu leurs lettres de noblesse par le biais d’oeuvres littéraires marquantes, leur vie culturelle ou la diversité de leurs habitants, il n’en va pas de même pour la rue Ontario. Celui qui déambule rue Ontario se rend compte rapidement qu’il entre en contact avec des mondes contrastés qui, pourtant, témoignent d’une certaine cohérence. Entretenant un rapport métonymique avec les quartiers qu’elle traverse, à savoir le Centre-Sud et Hochelaga-Maisonneuve, cette Main de l’East Side montréalais, tantôt espace de liberté, tantôt cimetière, est présentée dans la chanson populaire et dans la littérature québécoise comme une courtepointe. Les sujets qui s’y attardent empruntent souvent les traits du chiffonnier, constituant leur propre identité à partir des impressions glanées ici et là au fil de leur marche. Le texte qui suit, à sa manière volontairement fragmentaire, essaie de saisir l’essence de ce lieu de seconde main dans une perspective de recherche-création.

Chaque matin, je passe devant La Pataterie après avoir remonté la rue Bourbonnière. Chaque matin, c’est le même scénario ou presque qui se joue derrière une vitrine annonçant les hot-dogs steamés à 89 sous, les cinq trios, le cheeseburger double bacon… Des vieux seuls, en tête à tête avec le Journal de Montréal -rarement autre chose- qui laissent refroidir leur café dans une tasse de styromousse. Malgré la chaleur qui règne à l’intérieur, ils gardent leur manteau, jamais bien épais, serti de mains grises et calleuses au bout de manches à rebords jaunis. Une femme, du bout des doigts, retient son visage. Une circulaire sous les coudes. À ses pieds, un sac de toile rempli de canettes, de bouteilles et de sacs de plastique. Le comptoir est à peine perceptible de l’extérieur. Une ombre appuyée sur la caisse, vers la gauche. À l’autre extrémité, une ombre en uniforme qui, sans doute, gratte une plaque de cuisson. Dans cette boite de verre, d’huile et de briques, rue Ontario, on attend midi -on attend que le temps passe.

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