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«Chronique lesbienne du moyen-âge québécois» de Jovette Marchessault: la résistance lesbienne comme «contre-espace» de désir
Première partie d’un ouvrage intitulé Triptyque lesbien, «Chronique lesbienne du moyen-âge québécois» (1980) de Jovette Marchessault est peu connu. En effet, c’est surtout sur le second texte se trouvant dans l’ouvrage, soit «Les Vaches de nuit», interprété sur scène en 1979 par la femme de théâtre Pol Pelletier, que portent la plupart des analyses et réflexions. Parmi les études qui s’attardent à «Chronique lesbienne du moyen-âge québécois» notons celles de Forsyth (1991), Saint-Martin (1991) et Schechner (2012). Il s’agit ici de replonger dans ce texte pour voir de quelle façon une lecture contemporaine de l’œuvre permet de régénérer nos imaginaires féministes et lesbiens. Puisque le thème de l’adolescence lesbienne, comme l’avait explicité Schechner (2012), y est central, je m’y attarderai aussi, en montrant comment celui-ci est en étroite relation avec le thème du désir. Ma lecture de «Chronique lesbienne du moyen-âge québécois» s’attardera aux formes de résistance que la protagoniste oppose à son environnement et montrera comment ces formes contribuent à la mise en place d’un «contre-espace» où le désir est central.
Mon analyse s’appuie sur les concepts de contre-espace et d’hétérotopie, tels qu’élaborés par Michel Foucault (2009 [1966]). Je verrai de quelles manières ils sont déployés dans «Chronique lesbienne […]», notamment à travers la construction de l’identité, du temps et de l’espace. J’aborderai ainsi la question de l’identité lesbienne et de sa représentation dans le texte en voyant comment la résistance lesbienne est mise en valeur. Ces outils conceptuels permettent également de faire ressortir la théâtralité du texte, visible dans les traces d’oralité qui parsèment le récit de l’adolescente. En effet, une «théâtralité textuelle» (Biet et Triau, 2006: 555) semble se construire grâce aux contre-espaces de «Chronique lesbienne […]» et à leur potentiel d’énonciation.
Rappelons d’abord brièvement l’histoire de «Chronique lesbienne du moyen-âge québécois». Entre nouvelle et monologue théâtral, nous suivons l’évolution et l’émancipation graduelle d’une enfant qui devient au fil du récit une jeune adolescente –et qui semble être l’alter ego de Marchessault. Nous la suivons à travers sa critique ironique et acerbe des institutions sociales, notamment l’Église catholique, omniprésente dans la vie québécoise du milieu du XXe siècle. Le récit se situe dans la période historique québécoise dite de la Grande Noirceur, quelque part autour des années 1940-1950. Le temps et l’espace dans le texte sont toutefois imprécis, lui conférant ainsi un potentiel imaginatif puissant.
Contre-espace et hétérotopie féministe
Revisiter ce texte de Marchessault à la lumière des concepts de contre-espace et d’hétérotopie permet d’explorer les potentialités théâtrales présentes au sein de cette œuvre littéraire. Chez Michel Foucault (2009, [1966]), les contre-espaces s’apparentent à « ces autres lieux, ces contestations mythiques et réelles de l’espace où nous vivons […], des lieux qui s’opposent à tous les autres, qui sont destinés à les effacer, à les neutraliser […]» (2009: 24-25). Ces derniers sont aussi associés à la notion «d’hétérotopie» qui, encore selon Foucault, «a pour règle de juxtaposer en un lieu réel plusieurs espaces, qui, normalement, seraient, devraient être incompatibles» (2009: 28-29). Pour Tania Navarro Swain, le prolongement féministe d’une hétérotopie serait la possibilité «d’adhérer à un contre imaginaire» (2002: 13). En effet, «le changement au niveau des représentations est une transformation au niveau de l’imaginaire qui institue le monde, une stratégie politique qui vise les mécanismes mentaux» (2002: 15). L’hétérotopie féministe se retrouve également dans l’espace du corps, à la fois individuel mais aussi politique des femmes, et contribue à une «poétique identitaire». Dès lors,
[s]i nous arrivons à penser l’espace identitaire comme étant en liaison avec tous les espaces d’un «je» qui les critique, nomme ou réfute, nous aboutissons à une hétérotopie identitaire. Moi, en fluidité, je suis une autre, au-delà de ce que et qui je parais ou de ce que je dis. Je suis l’espace de moi, migratoire, transitoire, dans cette cartographie qui me révèle et me nie. Je suis le miroir de moi, un lieu sans lieu […] je suis l’espace autre où je puis recréer mon être dans le monde, où les normes et les modèles n’ont pas de prise. (Navarro Swain, 2002: 13)
Dans «Chronique lesbienne […]», ces «espaces autres», tirés de lieux hétérotopiques, sont à la fois d’ordre identitaire, grâce au récit et à la représentation de l’adolescente, et d’ordre textuel, alors que les lieux réels sont transformés en espaces contestataires métaphoriques (dont le trottoir et la rue, comme nous le verrons un peu plus loin). C’est par leur imbrication qu’émerge la notion de désir comme état de résistance, où la quête d’émancipation modifie l’ordre des représentations symboliques chez l’adolescente. L’imaginaire mis en place par Marchessault dans «Chronique lesbienne […]» participe à l’élaboration d’une contestation mythique; les contre-espaces se révèlent également à travers une critique virulente des institutions qui empêchent l’épanouissement des identités lesbiennes. Voyons comment l’identité de l’adolescente, envisagée comme un contre-espace, devient un état de résistance.
Contre-espaces identitaires: représentations lesbiennes, résistance lesbienne
L’adolescente lesbienne de Marchessault possède un esprit critique rigoureux, un point de vue ironique et contestataire. Son identité se construit en opposition à des institutions politiques et sociales auxquelles elle se confronte et desquelles elle parvient graduellement à s’émanciper. Son évolution se fait en milieu rural, permettant ainsi d’offrir un regard différent, en dehors de l’urbanité à laquelle sont souvent associés les modes de vie non hétérosexuels. C’est par la poésie du langage, l’utilisation des figures de style, et donc par la création d’images au potentiel symbolique chargé que Marchessault arrive à mettre des mots sur l’opposition à laquelle son adolescente fait face. C’est sous forme d’utopie, d’un «corps incorporel» presque, comme le dit Foucault (1966: 10), que sa voix émerge du récit. Par la poésie, Marchessault construit une personnalité lumineuse, espiègle, qui a le désir de transformer son environnement. Dans les histoires inventées que lui raconte sa cousine, par exemple, l’adolescente se place en marge du quotidien, dans un contre-espace poétique et libre:
C’est une histoire de créatures sorties du nombril de la Terre. Une histoire qui n’a rien à voir avec blanche-neige, la belle au bois dormant, la fée des étoiles, le chaperon rouge ou autre folklore. Ces créatures mesurent quatre grains d’orge de hauteur, quatre grains d’avoine de largeur. Ma cousine disait qu’elles ont la légèreté des feuilles, qu’elles ne sortent qu’à la brunante, quand le vent tombe enfin. Il paraît qu’elles remontent à la surface de la terre tous les soirs pour répandre de la rosée sur les herbes. Elles ont sur la tête un lac d’eau bleue et, accrochées aux hanches, des jarres d’eau-de-vie, jarres façonnées dans la substance des arbres. […] Ma cousine disait, qu’avec de grosses éponges de mer qu’elles trempent tantôt dans le lac, tantôt dans les jarres, elles répandent la rosée sur les feuilles et sur les champs à récolter […]. (Marchessault, 1980: 24-25)
C’est avec ces autres espaces tirés de l’imaginaire que l’adolescente se façonne une identité en lien avec la nature. Les jeux de la petite enfance lui permettant l’invention d’autres lieux dans lesquels elle se libère du poids des institutions sociales et politiques. En parallèle de ces espaces poétiques, la résistance lesbienne est explicitée de deux façons; d’abord, par l’utilisation du sarcasme, l’adolescente critique le point de vue des institutions, qui définissent l’identité lesbienne comme un «savoir informe, quelque chose de monstrueux, coulée dans le moule conventionnel du mauvais, de la répulsion, du pourri, de l’hystérie, de la déviation morbide» (Marchessault, 1980: 15). Deuxièmement, c’est par sa sensibilité et l’expression claire de sa quête de liberté et d’émancipation qu’on voit apparaître d’autres facettes de sa personnalité. Par exemple, elle inventera le jeu des «bulles» pour redéfinir et pour se moquer des institutions sociales, comme la famille nucléaire hétérosexuelle et «l’école normale» (1980: 16-17). Tout le texte de «Chronique lesbienne […]» oscille entre le récit de ce que l’Église catholique impose aux lesbiennes, le savoir erroné construit de manière mensongère à partir de stéréotypes, et l’expérience réelle, vécue par la protagoniste et refaçonné par son propre imaginaire ironique et humoristique. C’est entre ces deux niveaux que la résistance lesbienne s’installe; dans le déplacement de la pensée entre les lieux réels de l’action et leur reconfiguration métaphorique, imaginaire, sa construction par le langage, l’ironie et le sarcasme.
Déconstruction et reconstruction du temps et de l’espace: création d’un contre-espace de désir
La résistance démontrée par l’adolescente lesbienne créerait ainsi un espace «autre», où le désir d’être autrement, de rêver autrement, de créer autrement un nouvel environnement social serait possible. La déconstruction et la reconstruction du temps et de l’espace contribuent à cette mise en place d’un contre-espace de désir. Ces stratégies s’élaborent d’abord par la construction narrative, puis à travers le potentiel dramatique de l’énonciation –donc, par la possibilité d’un devenir théâtral– qui semble sous-jacent à ce texte de Jovette Marchessault. Il en sera question un peu plus loin.
La jeune adolescente de «Chronique lesbienne […]» résiste d’abord au temps linéaire, solaire et historique, en se moquant de la structure du calendrier catholique romain:
Les six premières années que je passai ici, en terre du nord, en plein moyen-âge québécois, furent donc particulièrement pénibles pour mes cellules, mon intelligence, ma sensibilité, mon sens de l’espace, mon besoin d’amour. Je ne comprenais rien, mais rien, à leur maudit calendrier. […] J’étais toujours en retard d’une fête, d’un saint entrant dans son sépulcre, d’un autre en sortant en odeur de sainteté […] d’une lutte à finir avec l’archange des principautés, d’une malédiction prophétique, d’une plaie d’Égypte […] d’un cavalier de l’apocalypse portant la peste […] Je ratais toujours le dernier prophète qui venait tout juste de tourner le coin du mur des lamentations dans son gros char de feu. Si j’osais, je dirais que leur calendrier solaire et liturgique ressemblait à un outil d’étranglement. Ou encore à un gros soc qui déchirait, labourait mon pauvre temps quotidien sur la terre promise. (1980: 30-31)
Elle alimente sa critique par des références à un temps lunaire, à une «lutte cosmique dans les galaxies» (1980: 32), aux rapports à l’environnement et à la nature qui l’entoure comme «les fruits à noyau de braise, les semences astrales, la forêt des feuillus, la bouche des petites goulues» (Ibid: 32), des thèmes d’ailleurs qui resteront chers à Marchessault dans plusieurs de ses œuvres subséquentes. C’est en proposant de nouvelles alternatives à ce fameux calendrier qu’elle élabore une «hétérotopie […] [liée] au passage, à la transformation, au labeur d’une régénération» (Foucault, 2009: 31). À nouveau, un extrait de «Chronique lesbienne […]»:
Rien à voir avec le calendrier solaire-liturgique-romain, le calendrier des lesbiennes. Chez nous, il me semble que tout se fait par désir. Chez nous, désirer c’est faire preuve de toujours plus de vie. Une grande invasion déraisonnable qui libère toujours plus de joie. Dans le désir, nous savons que nous sommes ensemble, que nous parcourons la mémoire de nos Grandes mères, le cœur de nos mères […]. Chez nous, c’est le désir qui empêche la neutralité de s’accomplir. Chacune de nous sait, quand elle désire, qu’elle fait appel à la parole de toutes les autres, parole de semeuses, parole ininterrompue qui traverse les couches du temps avec ses flèches de phosphore. (1980: 32)
La force de l’imaginaire de Marchessault se révèle dans ce segment, où le désir semble occuper tout l’espace et traverser toutes les époques. Marchessault déploie le potentiel d’un autre temps et d’un autre espace, elle forge des hétérotopies. C’est ainsi que «l’hétérotopie féministe [devient] le lieu des femmes historiques et matérielles, créatrices du non-lieu des représentations sans référents, des images de l’humain qui déjouent le binaire, le naturel, les contraintes et le modelage des corps sexués, des pratiques sexuelles normatives, pour créer des espaces et des relations sociales autres» (Navarro Swain, 2002: 16).
De plus, la rue et le trottoir sont des espaces physiques et métaphoriques où l’émancipation et la résistance lesbienne prennent naissance, jusqu’à devenir des contre-espaces. Espace métaphorique, d’abord, de la rue, où l’on comprend que seuls les hommes, «les cowboys» (Marchessault, 1980: 32-33) ont le droit de circuler et où «cowboy Jésus» a décidé de créer un nouvel espace où confiner les femmes: le trottoir. C’est là que la jeune fille de «Chronique lesbienne […]» saute à la corde à danser: «Sur le trottoir. Pas dans la rue. Pas dans la ruelle […] Sur le trottoir, le troupeau des ténèbres trotte, la jument trotte, la vache trotte, la chienne trotte, la souris trotte, les femmes trottent. Quelquefois l’imagination trotte aussi» (1980: 33-34). À cet endroit du trottoir où se trouve confinée la jeune fille, dans l’immobilité et la répétition du même geste, émerge l’idée de la résistance: «à travers l’histoire qu’on m’apprenait, je voyais une autre histoire avec laquelle je me mettais à pactiser» (1980: 33). Plus tard, la petite fille a grandi, elle devient cette adolescente, toujours statique sur le trottoir: «je m’enfonce, je m’enterre, je marche sous pression, je trottine dans une folie irréparable, je ne m’y retrouve pas» (1980: 66; je souligne). Alors vient le moment pour elle de mettre le pied dans la rue, d’y marcher, avec d’autres femmes à qui les cowboys ont laissé une toute petite place. Mais rester dans la rue signifie devoir plaire aux cowboys, devoir leur appartenir «en présence des messieurs, toutes les femmes réagissent spontanément au niveau de la devinette: Qu’est-ce qu’il veut ? Qu’est-ce qu’il pourrait lui faire plaisir ? […]» (1980: 69). Les lieux du trottoir et de la rue incarnent tangiblement le régime politique de l’hétérosexualité (Wittig, 2001), de même que son extension –le mariage– lieu de contrôle, privé, où l’Église catholique impose son empreinte physique, matérielle. Positionnée dans ces lieux métaphoriques du trottoir et de la rue, l’adolescente élabore une critique des institutions qui lui imposent un chemin à suivre, normatif et structuré. C’est également à partir de là que son discours s’émancipe tranquillement, puis radicalement, là, où la résistance lesbienne deviendra ce contre-espace de désir, le désir étant ce déploiement d’un ailleurs aux possibles multiples.
Liberté et désir
Désir et liberté se rencontrent quand l’adolescente déclare: «Je ne veux pas des trottoirs! Je ne veux pas de la rue! Je veux autre chose, un autre lieu que je porte dans mon cœur» (Marchessault, 1980: 67). Désir, liberté et résistance deviennent les modalités pour le déploiement de cet «autre lieu», contre-espace où les oppositions et les critiques sont dépassées par l’imagination et l’inventivité. Un ailleurs où s’élaborent de nouvelles possibilités pour l’adolescente lesbienne, où elle peut devenir «[cet] espace autre où [elle peut] recréer [son] être dans le monde, où les normes et les modèles n’ont pas de prise» (Navarro Swain, 2002: 13). Le contre-espace est alors sensible mais aussi politique: «Je suis ailleurs, [dit l’adolescente], en zone oublieuse, dans le no-man’s land de la mémoire des femmes, a-ma-zone à moi, ma terre initiale, incompréhensible continent du désir devant lequel vous entrez en fureur, la nausée dans le cérébral, extrêmement contrariés dans le péché originel» (Marchessault, 1980: 57). La conclusion de «Chronique lesbienne […]» nous permet d’entrevoir où se loge cet «autre lieu que je n’ai jamais vu encore, un lieu de bonheur où le vent peut tourner. Un lieu qu’ils n’ont jamais voulu me montrer, jamais pu me montrer parce que peut-être ils ne savent pas que ça existe, un lieu de la sorte» (1980: 67). Un lieu au sein duquel l’adolescente a évolué, où elle a atteint un autre degré de maturité et de lucidité, un degré où son identité lesbienne devient non plus un poids pour lequel il faut combattre à coup de sarcasme, mais plutôt un espace de poésie et de créativité. Ce qui est novateur dans ce contre-espace de désir, c’est l’aspect positif de la quête de la jeune adolescente. Le potentiel radical de sa résistance réside dans le fait que, même en plein cœur d’un contexte sociopolitique qui nie complètement son droit à l’existence, en tant que lesbienne, elle découvre d’autres femmes qui «marchent en sens contraire de nous» (1980: 71). «Chronique lesbienne […]» se termine de manière lumineuse, le récit ouvrant vers une autre réalité que celle des pères et des Églises et reconnaissant les expériences et les imaginaires lesbiens ainsi que le droit de parole qui y est associé.
Le potentiel d’énonciation
Soulignons en terminant qu’un potentiel d’énonciation et d’oralité contribue à générer un «contre-espace» théâtral dans ce texte de Jovette Marchessault. Bien sûr, les lieux et le temps questionnés sous l’angle des contre-espaces permettent d’envisager un devenir scénique au récit. Plus encore, une voix au potentiel dramatique est présente dans «Chronique lesbienne […]», en ce sens que «l’écriture (de Marchessault) travaille les éléments du langage et […] inscrit une oralité fondant sa théâtralité» (Sarrazac et al, 2010: 223). Les courts paragraphes et les courtes phrases, le rythme très soutenu de la narration, la diversification de la ponctuation, notamment les nombreux points d’exclamation, qualifient la présence de l’oralité. Ces éléments donnent naissance à une «théâtralité textuelle», proposant ainsi une «théâtralité alternative à la théâtralité scénique» (Biet et Triau, 2006: 555). La langue de Marchessault est incarnée par la figure de l’adolescente et semble lui donner une voix qui s’entend et s’imprime dans l’imaginaire de la lectrice. L’énonciation directe fait apparaître des lieux, traverse des actions et des situations et structure ce qui apparaît souvent comme une adresse à un public imaginaire.
Conclusion
Cette contribution souhaitait revisiter «Chronique lesbienne du moyen-âge québécois» (1980) de Jovette Marchessault à l’aide des concepts de contre-espaces et d’hétérotopies, pour explorer la question de l’identité, celle de l’espace et du temps ainsi que le potentiel théâtral derrière ce récit porté par la voix d’une adolescente lesbienne. Contestation, résistance mais aussi sarcasme et ludisme sont au cœur de cet univers qui porte en lui les multiples possibilités d’un devenir scénique. La langue de Marchessault a ce pouvoir de faire voyager dans des univers poétiques tout en usant d’un langage critique et politique qui ne laisse aucune institution sociale intacte. Au tournant des années 1980, au moment de sa publication, ce texte de Jovette Marchessault a sans nul doute paru radical et unique. Dire, écrire «lesbienne» dérangeait assurément. Serait-ce une des raisons pour laquelle le texte est peu étudié et peu connu, encore aujourd’hui? Il me semble nécessaire de retourner vers de telles œuvres, pour questionner nos imaginaires, leurs formes de représentations et retrouver dans cette mémoire féministe le potentiel d’une parole transformatrice.
Références
BIET, Christian et Christophe TRIAU. 2006. Qu’est-ce que le théâtre? Paris: Gallimard, coll. Folio essais.
FORSYTH, Louise. 1991. «Jouer aux éclats : l’inscription spectaculaire des cultures de femmes dans le théâtre de Jovette Marchessault», Voix et Images, vol. 16, no 2, p. 230-243.
FOUCAULT, Michel. 2009 [1966]. Le corps utopique, les hétérotopies, présentation de Daniel Defert, Paris: Nouvelles Éditions Lignes.
MARCHESSAULT, Jovette. 1980. Tryptique lesbien, Montréal: la Pleine Lune.
NAVARRO SWAIN, Tania. 2002. «Les hétérotopies féministes : espaces autres de création», Communication présentée au Colloque International de la recherche féministe francophone, Toulouse, France, 17-22 septembre 2002, http://www.tanianavarroswain.com.br/francais/anah3.htm .
SAINT-MARTIN, Lori. 1991. «De la mère patriarcale à la mère légendaire: Triptyque lesbien de Jovette Marchessault», Voix et Images, vol.16, no 2, p. 244-252.
SARRAZAC, Jean-Pierre, NAUGRETTE, Catherine, KUNTZ, Hélène, LOSCO, Mireille et David LESCOT (dir.). 2010. Lexique du drame moderne et contemporain, Belval: Circé.
SCHECHNER, Stéphanie. 2012. «La lutte contre la normalisation : représentation de l’adolescence lesbienne chez Jovette Marchessault et Mireille Best», in De l’invisible au visible, l’imaginaire de Jovette Marchessault, sous la direction de Roseanna DUFAULT et Celita LAMAR, Montréal: Remue-ménage, p. 155-167.