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Absent Friends

Jean-François Legault
couverture
Article paru dans Romans états-uniens, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Rozan, S. J. 2004. Absent Friends, New York: Delta Trade Paperbacks, 367p.

Disponible sur demande (Fonds Lower Manhattan Project au Labo NT2)

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

Les circonstances entourant le suicide de Harry Randall, reporter pour le New York Tribune, sont nébuleuses. C’est à tout le moins ce que pense sa compagne, Laura Stone, également reporter pour le Tribune. Le 31 octobre 2001, elle reprend l’enquête où Harry l’a laissée la veille, pour se rendre compte progressivement que la quête de la vérité ne rime pas toujours avec le bien commun : certains secrets valent mieux rester enfouis. C’est peut-être le cas de l’enfance du pompier Jimmy McCaffery, capitaine de l’échelle 62 du FDNY, mort dans la tour nord du World Trade Center le matin du 11 septembre 2001. Quatre garçons (Jack, Tom, Jimmy et Markie) et trois filles (Marian, Sally et Vicky) grandissent, inséparables et pleins d’espoir, dans la petite banlieue de Pleasant Hills sur Staten Island. Devenus de jeunes adultes, chacun semble avoir trouvé le bonheur. Mais dans la nuit du 11 septembre 1979, un accident horrible se produit : Jack est abattu d’une balle au cœur dans une bagarre avec Markie. Ce dernier plaide la légitime défense et s’en tire avec 5 mois de prison pour port illégal d’arme, mais meurt en prison poignardé par un détenu. Que se cache-t-il derrière ces meurtres, derrière le départ précipité de Jimmy McCaffery, derrière la mystérieuse somme d’argent que reçoit Sally, la veuve de Markie, à chaque mois, derrière la liaison qu’entretient Sally avec Phil Constantine, l’avocat ayant représenté Markie en cour? Au moment où New York tente tant bien que mal de panser ses plaies, c’est à toutes ces questions que s’attaque Laura Stone, qui n’a aucun désir de voir ternir la réputation de l’un de ses héros gisant sous les décombres de Ground Zero.En tant que thriller étouffant, de la trempe de Mystic River (Lehane, 2001), le roman progresse lentement à travers toutes ces couches de secrets et ces époques différentes, toutes importantes dans la révélation finale et la compréhension de ce qui s’est réellement passé à Pleasant Hills la nuit du 11 septembre 1979. Absent Friends n’est pas un roman portant directement sur les événements du 11 septembre, mais il est impossible d’en ignorer l’importance dans l’intrigue, la narration, le rythme et l’atmosphère.

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Roman

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Narrateur omniscient.Il y a quatre fils narratifs différents, dont les titres sont «Laura’s story», «Phil’s story», «Marian’s story» et «Boys’ own book», chacun possédant sa propre numérotation de chapitres. La temporalité de «Boys’ own book» se centre sur le début du mois de septembre 1979, et comporte presque toujours une analepse racontant les aventures de la bande pendant leur enfance. Les trois autres fils narratifs se centrent sur l’évolution d’un personnage spécifique (Phil, Marian ou Laura) pendant les derniers jours d’octobre 2001, tout en comportant eux aussi de fréquentes analepses ramenant le lecteur en 1979 ou plus tôt. Chaque chapitre possède un sous-titre (ex.: «First in, last out» ou «Secrets no one knew»), qui est réutilisé à plusieurs reprises dans d’autres chapitres. L’auteur nous donne une clé de l’interprétation de ces phrases à la fin du roman. Dans une section appelée «Epilogue – Explanation», elle nous offre une petite histoire pour chacune d’elles, qui vient jeter une lumière nouvelle sur l’interprétation des chapitres.

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

La présence du 11 septembre est générique.

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

i)La narration se situant en partie un mois après les attentats, le 11 septembre est pratiquement omniprésent, mais toujours de façon rétrospective. Par contre, les événements ne sont pratiquement jamais «visualisés» directement, l’auteur utilisant plutôt la fumée, les débris, la poussière, le bruit, l’onde de choc, la panique générale, etc., pour signifier la destruction des tours. Par exemple, au chapitre 3 de «Marian’s story» (p. 94-99), le personnage de Marian se remémore comment elle a gardé son calme pendant qu’elle procédait à l’évacuation de tout son personnel de bureau. Les événements sont alors relatés du point de vue d’un personnage étant resté à l’intérieur d’un bâtiment, et ne vivant les attentats qu’à travers le bruit, le choc, la poussière et l’obscurité suivant l’écroulement des tours. Plus que la violence des événements, c’est l’absence des tours qui est mise en valeur. Le point de vue du roman est ainsi extrêmement nostalgique, amplifiant par le fait même le thème de l’innocence perdue qui traverse le roman.ii) Le ferry entre Staten Island et le Lower Manhattan est sans cesse représenté dans le roman, tant et tellement qu’il finit par prendre les dimensions d’un personnage à part entière. Par exemple, pour Phil et Sally, le ferry est un point de contact entre deux mondes où ils peuvent se laisser aller à croire en une relation en réalité impossible. Pour Laura, c’est le lieu du premier rendez-vous avec Harry. Après son suicide, elle doit emprunter le ferry à nouveau. Elle se réfugie à l’intérieur puisque, de quelque côté qu’elle se place, elle ne supporte pas la vue qui s’y offre : à l’arrière, Staten Island, le lieu principal d’une enquête qu’elle déteste; à droite, le pont Verrazano-Narrows d’où son amant s’est donné la mort; à gauche, la statue de la Liberté, qui semble se moquer; et devant, le trou béant laissé par la disparition des tours jumelles dans le paysage de New York. Constamment, le ferry est le lieu de la réminiscence et de la nostalgie, le symbole de la réunion de deux mondes (la banlieue et le centre-ville, l’innocence et la culpabilité, l’enfance et l’âge adulte) ou de la distance les séparant, une traversée dans l’espace et dans le temps, un icone de l’histoire new-yorkaise, un point de vue privilégié sur l’absence des tours du World Trade Center.iii) Aucun moyen de communication n’est particulièrement mis en relief, mais il est fait plusieurs fois allusion aux difficultés techniques des communications téléphoniques dans les semaines qui suivirent 11 septembre.

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

Le seul personnage directement affecté par les attentats du 11 septembre est Jimmy McCaffery, le pompier qui disparaît dans l’écroulement de la tour nord. Un leitmotiv du roman se trouve être la phrase «First in, last out», répétée par plusieurs personnages, dont Jimmy. L’auteur fourni l’origine de cette phrase dans l’épilogue. Elle se serait inspirée d’une personne réelle, le capitaine Patrick J. Brown (pour une brève biographie : http://www.captpatrickbrown.org), l’un des pompiers les plus décoré du FDNY, mort dans la tour nord. Elle nous explique alors que la tradition veut que l’officier responsable de l’équipe soit le premier à entrer sur les lieux d’un feu et le dernier à en sortir. Ainsi, douze des hommes faisant partie de l’équipe du capitaine Brown périrent le 11 septembre, mais son service funéraire fut le dernier. En s’ancrant ainsi dans la réalité, l’auteure exacerbe le sentiment de nostalgie, de douleur et de tristesse qui pénètre le roman. Il n’est aucunement question de politique dans le roman. Aucun acteur politique n’est nommé; même les responsables des attentats sont désincarnés, vidés de toute spécificité par des pronoms comme «they» ou des expressions comme «You see what those motherfuckers did over there» (p. 248).Pour tous les autres personnages, les événements sont vécus d’un point de vue individuel similaire à celui de la plupart des New-Yorkais : l’horreur du 11 septembre, à la fois impensable et réelle, entraîne le deuil, mais fait aussi appel au courage, à l’entraide, à l’espoir et à la guérison de la population. À l’identité forte des New-Yorkais, le roman ajoute une nouvelle caractéristique : malgré leur grand nombre, les habitants du centre-ville sont une communauté et savent se serrer les coudes en période de crise.

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Pas de son.

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Pas d’images.

Autres aspects à intégrer

N/A

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

« Jimmy. Markie. Vicky. Sally. Tom. Jack. Marian. Their frienships are strong, and their futures bright – until one shattering night that changes everything. Two of the friends will die young. The others are left to pick up the pieces in the shadow of a past that echoes with hopes and regrets. And one – Jimmy, a firefighter – will die a hero twenty years later when the Twin Towers fall. But it is the suicide of a reporter and a colleague’s search for answers in the aftermath of a horrifying tragedy that will finally penetrate their silence. For as the story of that night begins to unwind, a tangle of secret relationships and personal demons is exposed – until the truth erupts with stunning force. »

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

Extrait d’une entrevue de l’auteure, en 2007 :

A: After 9/11, moving right into the next Lydia Chin book, set in downtown New York, was impossible for me. I needed Smith and Chin to get some time and distance from 9/11; I needed to see what New York would become before I wrote about their New York again.

Q:So ABSENT FRIENDS is set omewhere else, in some other time?

A: No. It’s set in New York in the first ten weeks after 9/11. The story keeps taking the reader back into the past, though.

Q:It’s about the WTC events?

A: No, but it involves them. It’s a dark story about the nature and uses of truth, a story that couldn’t have taken place, at least for me, anywhere else. Totally new characters and a complex structure. Structurally, technically, it’s actually something I’ve wanted to try for a long time; I just didn’t have a story that could use it. Now I do.»

Source : http://www.sjrozan.com/rozan/interview.html [Page consultée le 8 septembre 2023]

Citer la dédicace, s’il y a lieu

« for all the heroes »

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

http://www.bookreporter.com/one_to_watch/0409rozan/rozan-ARC.asp [Page consultée le 8 septembre 2023 via Wayback Machine, URL modifiée]

http://www.bookreporter.com/reviews2/0385338031.asp [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée]

http://www.sjrozan.com/ (site de l’auteure) [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée]

Impact de l’œuvre

Impact inconnu

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

Dans le processus de fictionnalisation, le roman de S.J. Rozan prend une grande importance. Bien que le thriller soit à propos d’un homicide involontaire et de ses conséquences sur une bande d’amis d’enfance, c’est réellement de l’impact du 11 septembre dont il est question. qui suivirent le 11 septembre. L’auteure utilise pour ce faire un langage plus soutenu que ne le demanderait un tel genre. La mélancolie des personnages face à leur innocence perdue est celle des New-Yorkais envers la perte d’un des symboles les plus forts de leur métropole. Les tours jumelles étaient des points de repères pour tous, bien qu’ils ne se soient rendu compte de leur importance qu’après les avoir perdues. Plusieurs indices présents dans la structure même de l’œuvre supportent cette vision. L’une des plus importantes est cette «clef de compréhension» dont l’épilogue prend la forme. Plusieurs histoires courtes y jettent une lumière différente sur les événements du roman, dont l’une («The Way Home») fait directement allusion aux tours comme point de repère :«A resident of downtown Manhattan, interviewed on the street, September 12 : My son asked, ‘Mommy, you always told me if I got lost I should just look for the towers and I could find my way home. How will I find my way home now?’ That’s how we all feel. We’ll just have to come up with another way to find our way home.» (p. 363). Le processus de mythification à l’oeuvre ici est très fort, faisant directement appel au registre affectif par l’utilisation de mots comme «Mommy», «son» et «home». Le message se veut donc rassurant et réconfortant pour le lecteur, sans toutefois perdre de vue qu’il s’agit ici d’un thriller. Rozan s’interroge par le biais de la fiction sur la nature de la vérité : est-ce que toute vérité est bonne à dire, ou vaudrait-il mieux quelquefois, pour le bénéfice de tous, taire certains événements obscurs? Les personnages du roman se posent tour à tour cette question alors qu’ils tentent de se raccrocher à une réalité tangible. Encore une fois, l’auteure fait le parallèle entre ce combat interne et le 11 septembre dans une petite histoire de l’épilogue, «How to find the floor» :«In the days after September 11, two friends spoke on the phone. Not wanting to break the connection, they searched for topics to talk about, though only one thing was on their minds, the same as everyone’s. One of the two was a man with a disability. ”Did you know I’m using a cane now?” he said. ”It’s not that I can’t walk; I can. It’s just that sometimes I feel I can’t find the floor.” My God that’s how I feel, the other thought, though he said nothing. I know where it is, I must be standing right on it, where else could I stand? But I can’t find it. I can’t find the floor.» (p. 366.)Si ces petites histoires permettent de diversifier l’interprétation du roman, elles traduisent, par-delà le contenu, une forme éminemment populaire. Nous avions déjà soulevé que le style soutenu détonnait avec le genre du thriller, mais la forme du récit nous replonge droit dans la littérature populaire : l’horreur de l’intrigue nous hypnotise alors que le message et les courtes histoires nous sécurisent. Il est difficile de ne pas faire le lien avec la forme que prend le magazine Reader’s Digest : des histoires vécues nous font frémir d’angoisse en imaginant le pire, alors que de petites histoires en fin d’article nous refont sourire en nous parlant d’espoir et de bonheur. C’est cet aller-retour entre la terreur et le réconfort qui est au coeur de l’idéologie de consolation transcendant la littérature populaire. Cette dynamique est à double tranchant : il est indéniable qu’une population atteinte si profondément que l’a été celle de New York a besoin d’être réconfortée, d’être consolée. Entre les lignes, malgré les apparences défaitistes, le roman parle de guérison, d’entraide et d’espoir. Par contre, le procédé même par lequel l’auteure transfère les événements du 11 septembre sur la narration signale un «revers de la médaille». En effet, on serait bien en peine de trouver dans le récit le nom d’un politicien ou d’un groupe politique quelconque. Non seulement le récit évacue-t-il totalement cette dimension politique, mais il désincarne les acteurs mêmes des attentats. Il n’est plus question des talibans, de Ben Laden ou d’Al-Quaeda, mais bien de «they», de «those motherfuckers». L’ennemi désincarné est alors libre d’être réinvesti par la première «idéologie» venue. Autrement dit, l’association entre les attentats et n’importe quelle autre catastrophe, accident ou conflit est beaucoup plus facile si ses acteurs sont sans visages. La superposition d’une fiction à la réalité peut se faire par une adjonction de détails à un événement réel, ou, comme c’est le cas dans Absent Friends, par une évacuation de ces détails. On fait alors de l’histoire un récit-cadre, une sorte de coquille ou de moule qu’on peut alors appliquer à n’importe quel autre événement. Et c’est peut-être là que se situe l’importance du roman dans la compréhension du processus de mythification du 11 septembre 2001.

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

«This close to the site, a smoky scent drifted on the air. Fires were still burning under tons of dust and steel. Like everyone downtown, Laura had been smelling this odor for weeks; but still she was unsure whether it was a bitter smell, or sweet. The acridness was the scent of smoldering plastic, and steel, and jet fuel. The sweetness, she had been told, was flesh.» (p. 187) «Laura knew the World Trade Center well, then, from the days when it had been a gleaming array of sharp-cornered buildings standing over a weave of train lines. And knew it well from the last seven weeks, since it had become Ground Zero, an alien, incomprehensible place with a horrifying new name.» (p. 221.)

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

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