Colloque, 8 et 9 septembre 2016

L’œuvre dans l’actualité de sa lecture

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Le colloque L’oeuvre dans l’actualité de sa lecture, organisé par Benoit Jodoin, Valérie Savard et Johanne Villeneuve, a eu lieu les 8 et 9 septembre 2016 à l’Université du Québec à Montréal.

Devant la remise en question actuelle de la littérature et des études littéraires, notamment par les tenants de la productivité et de l’efficacité des disciplines universitaires professionnalisantes, certains, dont Jean-Marie Schaeffer et Vincent Jouve, s’engagent à repenser la pertinence du littéraire. Dans leur sillage, et afin de défendre l’importance de la lecture et de l’étude des textes anciens, Yves Citton, dans Lire, interpréter, actualiser (2007), reprend l’argument pragmatiste selon lequel l’activité esthétique de la lecture dégage une puissance de transformation éthique et politique. Contre l’historicisme littéraire institutionnalisé, il appelle à une lecture actualisante de ces textes, visant à exploiter les différences entre l’actualité de la lecture et le contexte historique de l’écriture dans le but d’apporter un éclairage dépaysant sur le présent (2007: 265).

Un plaidoyer est ainsi proposé pour un déplacement du cadre théorique historique vers une herméneutique de l’anachronie qui articulerait l’activité de lecture à la réflexion ontologique et à la configuration des formes de vie contemporaines. Face au littéralisme politique, les lectures actualisantes décloisonneraient les différents champs réflexifs conditionnant nos manières de penser et d’appréhender le réel.

Citton cherche à faire advenir la résistance à partir de l’esthétique du texte à proprement parler –c’est-à-dire dans le potentiel connotatif et antaxique des mots, des rythmes syntaxiques, des points de vue narratifs, des détournements antiphrasiques– qu’un texte ancien permet de faire résonner dans le présent. La lecture actualisante prend ici la forme d’un espace de négociation des croyances et des valeurs, espace qui s’inscrit au croisement des philosophies du postopéraïsme italien, de la déconstruction, du poststructuralisme et du pragmatisme américain, entre autres. Elle serait ainsi un mode de résistance aux formes de vie qui nous sont imposées par notre époque contemporaine, caractérisée par le capitalisme cognitif, les sociétés de contrôle et la noopolitique des affects.

À partir du concept de lectures actualisantes, ce colloque vise à développer plus largement la question de ces utilisations créatives (Eco, 1992), appropriantes (Citton, 2007) et inspirées (Rorty, 1996) du texte par le lecteur. Il s’agira d’interroger les possibilités et les limites de ce geste interprétatif, oscillant entre l’actualité de la lecture et l’histoire du texte, mouvement duquel devrait jaillir la pertinence de l’œuvre.

Communications de l’événement

Christian Giguère

L’allégorie et le problème de la dilatation de la conscience dans «24 heures ou plus» de Gilles Groulx

La communication de Christian Giguère porte sur le film de Gilles Groulx, 24h ou plus. Il s’agit d’une tentative de penser le concept de durée chez Bergson tel qu’on le trouve dans le film de Groulx.

«Si on pense au film, il se compose d’une série de scènes qui répondent bien à la fonction traditionnelle de l’allégorie. Consistant, par exemple, chez Saint-Augustin “à nous faire comprendre une chose énigmatique par le truchement d’une chose effective, qui se présente d’emblée comme la forme d’une image profane ou présente à l’esprit”. Que cette image profane soit le récit de la conversion d’une vie d’égarement de païen comme dans les Confessions ou la visite d’un petit trois et demi collé sur l’autoroute métropolitaine ou le chant du syndicaliste Louis-Laberge nous rappelant qu’une “matraque, ça frappe en tabarnak”, il y a dans toutes ces choses une allégorie ou une tentative de clarifier un être qui n’est pas présent à l’esprit. C’est d’ailleurs ce dont se réclame Gilles Groulx au tout début du film, alors que défilent des plans de la gare de triage du quartier Saint-Henri, des usines de Pointe Saint-Charles et l’échangeur Turcot filmés à partir d’un train mouvant au rythme du rock progressif d’Offenbach.»

Christian Giguère enseigne la littérature comparée au Département de littératures et langues du monde de l’Université de Montréal et la littérature anglaise au Département de langues modernes et traduction de l’UQTR.

David Bélanger

Ce que Kafka veut dire. La métafiction québécoise et sa (re)lecture de la modernité littéraire

Dans le cadre de cette communication, David Bélanger tente un rapprochement entre la vision de Kafka de la littérature métadiscursive contemporaine et le roman québécois La logeuse d’Éric Dupont. Prennant comme point de départ le récit d’Éric Dupont, il propose une lecture actualisant une vision kafkaesque du récit proposé dans le roman.

David Bélanger est étudiant au doctorat en études littéraires à l’UQAM. Sa thèse porte sur la représentation de la littérature dans la littérature québécoise contemporaine ; elle traque le discours sur la littérature, ses définitions et ses concepts.

Simon Brousseau

L’interprétation comme pratique autobiographique: «La Grande Tribu» de Victor-Lévy Beaulieu

«Je souhaite réfléchir aux façons dont la lecture actualisante intervient dans les essais de Victor Lévy Beaulieu. Les écrits qu’il consacre aux écrivains qu’il admire, par exemple Melville, Joyce et Nietzsche, montrent bien que la lecture façonne l’individu, le transforme et lui permet grâce à l’attention aux vies d’autrui de situer la sienne aux suites des leurs.

Si le texte est actualisé par la lecture qui lui donne une pertinence nouvelle, les écrits de Beaulieu suggèrent qu’il existe aussi un mouvement inverse par lequel la fréquentation des textes anciens, la relecture de l’histoire offre la possibilité au sujet de se situer et de s’actualiser – au sens strict – en inscrivant son être dans la suite des mots, des événements et des humains qui le précèdent. En ce sens, on peut voir dans ses textes une entreprise autobiographique où l’auteur se raconte et se définit en penchant sur la vie des autres mais aussi et surtout, sur leurs écrits.»

Simon Brousseau a complété un doctorat en études littéraires à l’Université du Québec à Montréal. Il prépare une thèse, sous la direction de Bertrand Gervais, à propos du retour du sujet et de la problématisation de l’héritage postmoderne dans l’œuvre de l’écrivain américain David Foster Wallace. Il est le directeur adjoint de Salon double.

Thomas Carrier-Lafleur

Pour ou contre l’avortement? Adaptation et fécondité du mythe de Maria Chapdelaine dans «La mort d’un bûcheron»

«Au cours des prochaines minutes je vais tenter de m’intéresser à l’actualisation d’un mythe littéraire: Maria Chapdelaine tel que le propose Gilles Carle dans La mort d’un bucheron, un film réalisé en 1973. Il s’agit du premier d’un cycle de six longs-métrages qu’il conçoit pour et avec Carole Laure.

Le dernier film de ce cycle, réalisé en 1983, est justement une adaptation en bonne et due forme de Maria Chapdelaine. De façon détournée dans La mort d’un bucheron puis de manière beaucoup plus directe dans Maria Chapdelaine, la figure mythique de Maria est précisément ce qui donne toute sa cohérence à ce cycle cinématographique. Surtout à son ouverture avec La mort d’un bucheron et sa fin avec Maria Chapdelaine.

Pourquoi analyser La mort d’un bucheron et non Maria Chapdelaine précisément lorsque l’on propose de s’intéresser au mythe de Maria Chapdelaine? Cette question toute rhétorique me permet de vous exposer les grandes lignes de mon hypothèse. En effet, j’ai l’impression que c’est dans ce film de 1973, et non dans son adaptation officielle de 1983, que Gilles Carle offre la lecture la plus riche et la plus complexe du mythe de Maria Chapdelaine.»

Anne-Marie David

1967-2016: Le travail, la guerre, la mémoire

«Ma communication ne cherche pas tant à évaluer le geste actualisant d’une oeuvre, mais plutôt à porter sur une oeuvre un regard actualisant. Afin de tester en pratique la possibilité et la pertinence d’un tel type de lecture sur un exemple précis.

L’exemple choisi rend l’exercice particulièrement intéressant du fait qu’il traite conjointement de la guerre et du travail à une époque où la littérature française passe ces deux réalités sous silence et que celles-ci ont depuis migré depuis à l’avant-plan du débat social (la loi du travail nous le rappelle encore en ce moment) et des représentations imaginaires. L’époque en situation n’est pas si lointaine, mon titre l’indique, il s’agit de la fin des années 1960’s. Néanmoins, le demi-siècle qui nous en sépare suffit à donner un intérêt nouveau et inédit au texte étudié. Il s’agit du roman Élise ou la vraie vie de Claire Etcherelli.»

Anne-Marie David est doctorante à l’Université de Montréal sous la direction de Pierre Popovic, elle a récemment déposé sa thèse, qui porte sur les représentations du travail et de la débâcle industrielle dans la littérature française contemporaine, avant le colloque. Elle détient une maîtrise en littérature comparée et a publié plusieurs articles dans des revues et ouvrages collectifs.

Philippe St-Germain

La femme duelle comme actualisation surréaliste dans «Cet obscur objet du désir» (1977) de Luis Buñuel

«Un personnage, deux actrices, impossible de ne pas commencer par là. C’est après tout la caractéristique la plus célèbre de Cet obscur objet du désir, le tout dernier film de Luis Buñuel. Membre ultime de ce qu’on décrit souvent comme une trilogie, il en est aussi le négligé.

On l’expédie parfois sommairement en évoquant la décision de confier un même rôle à deux actrices, Carole Bouquet et Angela Molina, il ne faut pourtant sous-estimer ni la radicalité de ce choix, ni les tensions qu’il implique. Surtout dans un colloque consacré à l’actualisation. On peut y voir un des exemples les plus frappants de ce qui se joue parfois au coeur même du processus d’adaptation.»

Benoit Jodoin

Actualisations et déphasages dans «Retranscription de la Bible – Nouvelle traduction» de Simon Bertrand

«Une transcription n’est jamais la simple copie d’un texte. Que ce soit le basculement d’un alphabet à l’autre, d’une typographie, d’une calligraphie à une autre, d’un support à un autre, d’un contexte à un autre. Il y a toujours, finalement, une nouvelle forme qui est donnée.

Devant cette nouvelle formée s’offre à voir évidemment le texte original (quoique autrement) mais, également, s’offre à voir l’action de transcription elle-même avec ce qu’elle implique en matière d’actes posés sur le texte. Le travail de transcription entendu comme cette action est au centre de la pratique artistique de l’artiste visuel québécois dont j’aimerais parler aujourd’hui, Simon Bernard. Depuis la fin des années 2000, il transcrit à la main – souvent de façon intégrale – des textes importants, voire fondateurs, sur une seule et même surface. Même si le texte reste lisible, quoique difficilement, le texte qui est devenu art contemporain par cette action de transcription est d’abord et avant tout selon l’artiste “donné à voir d’un seul coup d’oeil”.

Je veux m’attarder aussi plus particulièrement à un exemple, Retranscription de La Bible – Nouvelle traduction, commencée en 2009.»

Oeuvres picturales citées

Bertrand, Simon. 2009. Retranscription de La Bible – Nouvelle traduction.

Bertrand, Simon. 2009. Retranscription de La Bible – Nouvelle traduction.
(Credit : simonbertrand.net)

Bertrand, Simon. 2009. Retranscription de La Bible – Nouvelle traduction.

Bertrand, Simon. 2009. Retranscription de La Bible – Nouvelle traduction.
(Credit : simonbertrand.net)

Bertrand, Simon. 2009. Retranscription de La Bible – Nouvelle traduction.

Bertrand, Simon. 2009. Retranscription de La Bible – Nouvelle traduction.
(Credit : Galerie René Blouin)

Diogo Rodrigues de Barros

Lire la non-histoire: «Voluspa Jarpa» et l’actualisation du secret dans l’Amérique Latine post-dictatures

«C’est dans le contexte d’un accès inédit aux archives de la dictature chilienne que Voluspa Jarpa, artiste chilienne dont je vous parlerai aujourd’hui, a produit depuis 2010 une série de travaux dont deux feront l’objet de mon analyse aujourd’hui.

D’abord, la Bibliothèque de la non-histoire présentée pour la première fois en 2010 à Santiago du Chili et ensuite Histoire d’apprentissage, créée pour la 31e biennale de Sao Paulo en 2014. Dans une interview récente avec une revue argentine, Jarpa explique le début de son intérêt pour les documents états-uniens sur la dictature chilienne et elle le fait de la manière qui suit: “Quand les archives ont été déclassifiées, j’ai cru qu’il y aurait beaucoup de commotion. Rien ne s’est passé. Alors j’ai dit: “Je vais les transformer en un livre que les gens pourront emporter chez eux, s’ils répondent à la question de ce qu’on pourrait en faire. Ainsi, le problème n’est plus à moi, et la même question que je me pose ils devront se poser eux aussi.”»

Jordan Diaz-Brosseau

Grammaire de l’actualité: Musset lecteur d’Yves Citton?

«Selon nous, si les textes de Musset semblent plus ou moins vagues dans leurs descriptions ou si l’auteur interagit beaucoup avec son lecteur au niveau des méthodes textuelles, c’est que Musset avait à coeur un idéal autorial axé sur la solidarité, orienté sur la co-notation (pour reprendre Citton) et la synesthésie, c’est-à-dire cette expérience multiple des sens, plutôt que vers la dénotation.

C’est que Musset, finalement, n’opère pas un acte direct de communication (même si le texte le fait), mais, comme nous le rappelle Steve Murphy, Musset n’écrit pas pour être lu, mais être re-lu. Celui-ci veut donc s’inscrire dans la durée, en modulant les époques et la beauté, les mots et les lecteurs. La tirade d’André del Sarto, dans la pièce de théâtre qui porte le même nom, le dit clairement: “que chaque siècle voit de nouvelles moeurs, de nouveaux costumes, de nouvelles pensées, mais que le génie demeure invariable comme la beauté”. Que de “jeunes mains pleines de force et de vie reçoivent avec respect le flambeau sacré des mains tremblantes des vieillards”. Qu’ils “la protègent contre le souffle des vents, cette flamme divine qui traversa les siècles futurs comme elle l’a fait les siècles passés”.

C’est pourquoi il y a encore un relent de romantisme chez des penseurs comme Yves Citton. Et c’est tant mieux, puisque c’est cet acte d’actualisation qui nous permet d’accorder de la valeur à nos études littéraires.»

Eugénie Pascal

Lecture actuelle des écrivaines françaises de l’Ancien Régime. L’enseignement de la littérature au collégial

«Le défi de la grande majorité des cours de littérature donnée au Cégep, c’est qu’il consiste à enseigner à des individus a priori peu intéressés par les études littéraires et dont plusieurs présentent de profondes lacunes en écriture et même en lecture.

Certes, il importe de leur inculquer au fur et à mesure de l’enseignement des règles d’écriture ainsi que des notions de procédés linguistiques et les courants reconnus en études littéraires. Mais qu’est-ce qui peut éveiller la discussion?

C’est justement lorsque l’on s’adresse à des personnes non conquises à la littérature que l’idée de lecture actualisante s’impose. Comment captiver l’attention des étudiants et des étudiantes? Comment leur communiquer l’intérêt de la littérature? Pour ma part, je tâche de leur expliquer ce qui a fait que je me suis intéressé à ce domaine. Il s’agissait pour moi de comprendre comment d’autres ont vu ou voient le monde pour m’aider à appréhender le monde dans lequel je vis.»

Eugénie Pascal est détentrice d’un doctorat en littérature française de l’Université Paris III-Sorbonne Nouvelle. Elle est présentement professeure de littérature et de français au Collège Rosemont.

Melissa Theriault

Actualité de Nietzsche: le cas des relectures féministes

«J’ai vu un décalage entre deux types de lectures [de Nietzsche]: c’est-à-dire celle proposée dans les milieux philosophiques anglophones et celles qu’on retrouve dans les milieux francophones. Je me suis donc demandé pourquoi Nietzsche était récupéré par les théoriciennes féministes américaines, alors qu’il tient des propos misogynes, et pourquoi il n’était jamais abordé sous cet angle chez les exégètes francophones y compris les commentatrices féminines.

Ma position de Québécoise me place dans une situation particulièrement privilégiée à ce sujet. Je suis située entre les deux et il est assez intéressant de voir la disparité.

Comment peut-on l’expliquer? Est-ce que ce sont les traits sociologiques liés à ces milieux? Aujourd’hui, je tâcherai de répondre à ces trois questions:

Est-ce que Nietzsche était réellement misogyne?

Est-ce que la femme et le féminin peuvent être vus comme des éléments positifs dans sa pensée malgré tous les commentaires misogynes?

Peut-il être utile quand même à une pensée féministe?»

Mélissa Thériault est professeure de philosophie à l’UQTR. Elle est impliquée activement dans les activités du Laboratoire de recherche en esthétique (UQTR), est également membre du LASTT-Laboratoire art et société terrains et théories (rattaché à l’INRS-UCS, Montréal) et collabore occasionnellement à la revue Spirale.

Roxane Maiorana

Cartographier le politique: une visite de la ville de Lima dans «Conversation à La Cathédrale» de Mario Vargas Llosa

«Notre communication aura pour but de réfléchir l’actualisation littéraire, telle que définie par Citton à l’aide de ses virtualités connotatives, dans le roman Conversation à la Cathédrale de Mario Vargas Llosa.

Tout au long du texte, le lecteur découvre le paysage de Lima, capitale du Pérou, dans les années 1940-1960. On la découvre au travers des déplacements topographiques des différents personnages. Bien plus qu’une visite touristique, il s’agit plutôt pour le lecteur d’actualiser une cartographie sociopolitique d’un espace-temps spécifique. Nous analyserons donc le double niveau d’actualisation qui a lieu autour de Lima dans le roman. D’abord par la structure narrative qui rappelle des faits passés et, en second lieu, nous analyserons notre propre expérience de lectrice qui n’a jamais mis les pieds au Pérou.»

Valérie Savard

Actualiser le contemporain: l’évolution des modes d’existence dans les romans de Milan Kundera

«Ce que je propose est une forme d’actualisation de l’oeuvre qui s’établit dans un dialogue à cinq entre celle-ci, le monde qui l’informe, sa critique, la philosophie pragmatiste et ma subjectivité de chercheuse. La grande époque des commentaires sur l’oeuvre kunderienne se situe dans les années 90 et se poursuit jusqu’au début des années 2000 avec des critiques Eva Legrand et François Ricard. Ces critiques reconnaissent tous en lui un des écrivains qui exposent peut-être la société contemporaine de la façon la plus juste et la plus impitoyable, mais qui refusent paradoxalement d’aborder concrètement la question sociale dans ses romans en raison de la part autotélique de l’oeuvre essayistique kunderienne.

Je rappelle rapidement que Kundera considère les personnages de ses romans comme des ego expérimentaux, parfois aussi appelés ego existentiels. Ces derniers permettent à l’auteur d’expérimenter la contingence du réel ainsi que certaines expériences auxquelles il peut donner lieu à partir d’une pluralité de focalisations narrativement équivalentes.

Or, si pour ses exégètes le roman kunderien ne peut être séparé d’une pensée du roman qui appréhende l’existence contemporaine à partir de ces ego expérimentaux, il ne peut pas pour autant être approché à partir de conceptions philosophiques ou politiques.

La solution adoptée semble donc être de creuser le filon de ces thèmes récurrents ainsi que de celui de l’esthétique de la variation, de la polyphonie et de l’ironie.»

Philippe Charron

L’actualisation en tant que recontextualisation et projection. Critique de la raison historique et sens pratique en littérature française contemporaine

«Comment s’ancrer dans nos pratiques sans la béquille qu’est l’histoire?

La question qui est ici posée entend prolonger l’effort de Stanley Fish qui se positionnait contre l’historicisme, mais non pas contre l’histoire. Dans la mesure où il est évident que nous sommes historicisés. Comme il l’écrit, “dans la mesure où toutes les actions sont incluses dans l’histoire, on ne peut pas classer les actions en fonction de leur historicité”. Autrement dit, si tout est historique, on peut préférer des méthodes ou des approches parce qu’elles sont plus historiques que leurs concurrentes.

Un autre enjeu de cette réflexion serait d’arrimer diverses initiatives d’écriture contemporaine à la sociologie pratique d’inspiration pragmatiste et ethno-méthodologique au sein de laquelle un auteur tel Albert Ogien suppose que “contextualiser une forme d’action en commun n’est pas l’historiciser, mais permet de décrire et de cerner nos divers modes d’action et de pensée afin de pouvoir les redéployer dans différents contextes”.

Si cette approche peut nous permettre de prendre du recul vis-à-vis des fondements, elle peut également favoriser le développement d’un rapport plus modeste et plus inventif à nos façons d’établir nos critères et nos valeurs. En ce sens, nos expériences n’ont peut-être pas d’autres conditions d’existence que les efforts contingents que l’on est prêts à déployer pour faire de notre vie ce qu’elle est et ce qu’elle peut devenir.»

Philippe Charron est l’auteur de Supporters tuilés: repas alternés d’épreuves (Le Quartanier, 2006) et de Journée des Dupes (Le Quartanier, 2013). Il poursuit présentement des études postodoctorales à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris.

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