Le colloque Imaginaire du terrain vague, organisé par Isabelle Miron et Élise Lepage, a eu lieu dans le cadre du 84e Congrès de l’ACFAS qui se déroulait, les 11 et 12 mai 2016, à l’UQAM.
Ce colloque interdisciplinaire en recherche-création propose de rassembler chercheurs et créateurs en littérature et en arts pour réfléchir à ce que représente le terrain vague dans l’imaginaire contemporain. Espace interlope à la mémoire souvent stratifiée, le terrain vague peut être vu comme un espace-temps transitoire vers une réinvention et une réappropriation. Également symbole d’une vacance, ce waste land ou no man’s land peut aussi avoir une fonction salvatrice, à la fois jachère nécessaire et lieu de réappropriation du pouvoir citoyen. Il peut en ce sens susciter des intérêts politiques ou financiers: les promoteurs voient en lui un potentiel à développer, ce qui explique peut-être sa raréfaction au sein des villes. Ces rapports de pouvoir ne sont pourtant pas le seul avenir envisageable: cet espace liminaire, source de liberté et d’inventivité, demande à être déchiffré symboliquement autant qu’à être défriché matériellement; son caractère marginal fait de lui une matrice à nouvelles idées et nouveaux regards sur le monde. À cet égard, il peut offrir l’image de la disposition mentale que nécessitent tant la recherche que la création. Il peut alors conserver son statut de terrain vague et indéfini de façon plus pérenne, être valorisé comme tel et se laisser apprivoiser et réinventer par des actions communautaires ou esthétiques.
Quelques pistes de réflexion (non exhaustives): où (sur le plan autant spatial que métaphorique) se situe le terrain vague? Comment s’intègre-t-il (ou non) dans un périmètre plus large? À quelles figures donne-t-il naissance? Par qui et comment est-il investi, dans les faits et dans l’imaginaire? Quels enjeux éthiques ou esthétiques pose-t-il? Quels rapports de force ou quelles relations se nouent autour du terrain vague? Quels genres de poétiques engendre-t-il? Quels genres littéraires ou langages esthétiques l’investissent? Comment explorer les strates mémorielles et les processus de sédimentation de ce genre d’espace?
Communications de l’événement
Terrain vague, entre un conte et un manifeste
Le terrain vague est un sujet essentiellement interdisciplinaire. L’intérêt de cette proposition est de démontrer comment ce sujet a été introduit dès les années 90 à travers les mondes de la photographie, l’audiovisuel, la psychologie, la littérature et finalement l’économie, au monde de l’architecture et l’urbanisme. En effet, en 1993, à Barcelone, Ignasi de Sola-Morales écrit un article intitulé «Terrain Vague». La notion de Terrain Vague, tel que présentée par Sola-Morales, implique plus qu’une simple définition, il détient en elle le potentiel de devenir un autre mode de perception et d’intervention. Nous sommes intéressés à analyser la dynamique derrière la création et l’application conséquente de cette notion pluridimensionnelle.
L’objectif est de mettre en question comment une notion vient à être reconnue et reformulée et comment sa formulation est liée à ses applications. L’intérêt général est dans la dichotomie paradoxale théorie-pratique. On commencera par une analyse de l’ouvrage théorique de Sola-Morales, puis on tentera d’élargir le contexte pour inclure les références intertextuelles multidisciplinaires, en élargissant par conséquence le contenu du sujet du terrain vague même. Finalement, on présentera quelques interventions contemporaines sur le terrain vague inspirées directement par Sola-Morales et le potentiel chargé dans sa définition du terrain vague, notamment les projets de Lara Almarcegui, le groupe Stalker, et l’atelier SYN-, entre autres.
Yasmine Sinno a suivi un bachelor en architecture à l’Université américaine de Beyrouth de 2003 à 2008, un master en Architecture et Paysage au Polytechnico di Milano de 2008 à 2011 et un diplôme de spécialisation en architecture et philosophie à l’ENSA de Paris La Villette en 2009 et 2010. En 2006, elle a entrepris, en tant qu’architecte indépendante, un projet à Tripoli au Liban pour un complexe d’hôtels et de restaurants. Elle écrit actuellement sa thèse de doctorat à l’Institut de l’Histoire et de la théorie de l’architecture de l’ETH de Zurich sous la direction du professeur Philip Ursprung.
La mythologie de la «zone»: traitement du terrain vague dans la chanson populaire française réaliste, à travers quelques exemples extraits des répertoires d’Aristide Bruant et de Fréhel
Je souhaiterais proposer une intervention en relation avec mon champ de recherches consacré à la discipline de la cantologie, permettant de montrer comment la chanson populaire française de l’Entre-deux-guerres et plus particulièrement la chanson dite «réaliste», s’est emparée et a rendu compte de cet espace singulier, communément appelé à cette époque «la zone». En effet, la «zone» était une bande de terrains vagues, constituée tout autour de Paris, à l’emplacement de l’actuel boulevard périphérique, en amont des anciennes fortifications érigées par Thiers dès 1841. Cet immense terrain vague devint bientôt un des lieux de divertissements favoris des parisiens. Or, la chanson «réaliste» s’est emparée de ces traîne-misère dont elle a chanté le quotidien, et fit de la «zone» un de ses paysages esthétiques de prédilection. Aristide Bruant (1851-1925) et Fréhel (1891-1951), puis beaucoup plus tardivement Renaud, l’ont chantée et transfigurée. Ancien refuge et zone de repliement des Apaches traqués chez Bruant, la «zone» devint, grâce au répertoire de Fréhel, un espace de liberté voire de bonheur simple. Aussi, célébra-t-elle la «zone», et plus encore la disparition des fortifications, avec nostalgie.
Audrey Coudevylle-Vue est enseignante en communications et expression française à l’IUT du Mont-Houy de Valenciennes depuis 2009. Elle poursuit pour la dernière année une thèse, sous la direction de Stéphane Hirschi, à l’Université de Valenciennes dans le domaine de la cantologie. Sa thèse entend montrer en quoi les chanteuses Fréhel et Yvonne George peuvent être considérées comme des figures emblématiques, mais contrastées de la chanson dite réaliste de l’entre-deux-guerres.
Traversée des interstices: du méridien de Paris à l’Université du Québec à Montréal
Nous nous intéresserons aux potentialités épistémologiques, artistiques et sociales de la traversée du méridien de Paris réalisée aux côtés de l’artiste Hendrik Sturm. En effet, ce méridien, défini en 1667, est un espace projeté, topographique, correspondant aujourd’hui à un espace périurbain, à des champs, à des habitations, invisible pour celui qui ne connaîtrait pas son tracé.
Nous envisageons la traversée de ce méridien –pratique également appelée «transect», comme l’appropriation d’un «terrain vague», au sens où la rencontre entre un espace projeté (à partir d’une carte) et l’expérience permet de créer un espace interstitiel, entre la grande Histoire et l’histoire intime, entre des individus séparés et un groupe.
Nous défendrons le caractère résilient de l’expérience collective et ses intérêts artistiques et scientifiques. Pour cela, nous montrerons que les dispositifs d’écriture élaborés ad hoc (cartographie, écriture, mouvement), ainsi que les strates sensibles et mémorielles que l’expérience met en jeu, redéfinissent la production des savoirs. En contrepoint de cette présentation théorique, nous proposerons une expérimentation aux alentours de l’Université du Québec à Montréal, à partir d’un tracé topographique à réinvestir collectivement par le sensible.
Aline Jaulin est étudiante au doctorat à l’Université Paris 7. Sa thèse s’intitule L’art-médiation: repenser l’artiste au 21e siècle.
Élise Olmedo est doctorante en géographie depuis 2011 à l’université Paris-1 Panthéon Sorbonne, elle rédige une thèse sur la cartographie contemporaine. Plus précisément, elle s’intéresse aux cartographies qui explorent la dimension sensible de l’espace. Sa recherche est menée à partir de l’étude d’un corpus de cartes qui utilisent les données du sensible. Ces cartographies contemporaines et pluridisciplinaires sont issues des mondes de l’art, du paysage, de l’architecture et des sciences humaines et sociales. Ses recherches portent sur l’histoire et l’épistémologie de la cartographie avec un intérêt particulier porté aux analyses de l’image.
Image et perception des espaces résiduels urbains
Depuis un certain temps, je m’attarde à la révélation des espaces résiduels urbains (friches, zones limitrophes entre le public et le privé, lots vacants, terrain vague, ruines industrielles, etc.) (Lacroix, 2008). Ces lieux, malgré leur connotation négative ou leur condition d’espaces liminaire, participent néanmoins à l’identité de la ville. Ce sont des zones qui offrent une dilatation des usages et fonctions urbaines normalisés et de ce fait, sont des lieux privilégiés pour catalyser des modalités d’occupation différentes au sein de la trame urbaine.
Ma proposition de communication consiste à partager ce que j’ai saisi au fil de mes interventions et recherches, soit l’image représentée (Tisseron, 1997) et les sensorialités engagées (Le Breton, 2001) par ces espaces résiduels. Abordant ainsi autant l’effet de ces lieux que leur représentation physique, il s’agit de considérer ces lieux comme un ensemble plus ou moins homogène et non pas de s’attarder à un lieu spécifique. Car fondamentalement, ce sont ces types d’espaces et les valeurs, impressions et atmosphères qu’ils véhiculent qui nous intéressent ici, et qui ont modelé mon parcours de chercheur créateur. Ces qualités du lieu, qui sont incarnées dans une matérialité saisissable (Norberg-Schulz, 1997), seront pertinentes à questionner. D’une part pour en dresser un portrait, mais surtout pour en comprendre l’effet magnétique qu’ils exercent sur nous (Bachelard, 1992).
Jean-François Lacombe est un designer, chercheur et professeur à l’Université du Québec en Outaouais. Son travail de création oscille entre la culture du projet et les différents champs des arts. Il assume cette position multidisciplinaire, depuis plus de seize ans, en présentant des projets tant dans le réseau établi des arts que le réseau professionnel de design et/ou d’événements publiques. Son objectif est de créer de nouveaux lieux qui permettent de coloniser l’espace imaginaire de la ville, des lieux qui investissent les interstices, qui subsistent entre l’utilisateur et la ville, et qui permettent d’envisager de nouvelles façons d’habiter notre monde actuel.
Entropie du terrain vague. Le milieu de partout et ses petites difficultés d’existence
Cette proposition de communication de recherche est composée de trois parties distinctes : dans un premier temps, on réfléchira au concept de terrain vague et à ses connotations selon différents domaines d’activités qui conduiront à l’identifier comme un trou noir au sein de nos espaces de plus en plus rationalisés. Or, tout défaut ou trou noir est porteur d’entropie, c’est-à-dire d’une perte d’énergie ou de productivité qui menace de se généraliser ou de l’emporter sur le bon fonctionnement du système. On verra comment ce qui est perçu comme une perte dans bien des domaines est conçu au contraire comme extrêmement générateur et stimulant dans le domaine des arts et des sciences humaines.
Les deux temps suivants examineront chacun un exemple de cet imaginaire du terrain vague à travers une œuvre littéraire. Dans le roman Petites difficultés d’existence (2002) de France Daigle, plusieurs personnages d’âge et de conditions sociales très différents se concertent afin de transformer un bâtiment industriel désaffecté pour en faire un espace communautaire ouvert et propice à la création. Le milieu de partout (2014) de Thierry Dimanche est un recueil qui oscille entre essai littéraire et poésie, qui incorpore aussi des photographies. Le sujet est un promeneur des environs de Sudbury qui s’interroge sur ce que signifie être ici et l’imaginaire de cette ville minière qui est aussi l’un des hauts-lieux de l’émergence de l’identité et de la littérature franco-ontarienne. Dans un cas comme dans l’autre, on verra quels subterfuges mettent en œuvre les auteurs afin de rendre signifiant le terrain vague auxquels ils s’intéressent.
Élise Lepage est professeure adjointe en littérature québécoise à l’Université de Waterloo. Ses travaux portent sur l’imaginaire géographique et le paysage en littérature québécoise contemporaine.
Le terrain vague comme chambre d’écho. De la nature et des fonctions du terrain vague en littérature pour la jeunesse
Considérant la nature particulière de tels espaces –reflétée, entre autres, par le paradoxe de leur désignation: Alors que terme «vague» se lie au flux, à l’indéterminé et au vide, le «terrain» se réfère plutôt, quant à lui, à l’idée «de limite et de support d’appropriation.» (Lévesque, 1999)–, il s’agira ici d’illustrer comment, dans les fictions pour la jeunesse, l’espace du terrain vague s’apparente à une chambre d’écho, spatialisant conflits intérieur et/ou extérieur et fournissant une surface pour leur résolution. L’analyse sémiotique de cet espace et l’étude du rôle qu’il assume dans l’écosystème d’œuvres issues de littératures d’ici et d’ailleurs permettront, en transversalité, de faire ressortir certains traits récurrents relevant d’une poétique du terrain vague en littérature pour la jeunesse.
Mentionné à l’occasion d’une description du paysage urbain ou servant brièvement d’arrière-plan à une action, l’espace du terrain vague se voit rarement mis en scène dans les romans ou albums pour la jeunesse. Il existe, toutefois, un certain nombre d’œuvres qui font du terrain vague l’espace central de l’histoire, offrant ainsi la possibilité d’en étudier ses représentations dans un corpus destiné à un jeune public (G. Boulizon, Les quatre du Mystigri; A. Browne,Le tunnel; C. Gingras, La fille de la forêt; Entre chien et loup; B. Smadja, Le cabanon de l’oncle Jo).
Écrire le terrain vague: des expériences géographiques et littéraires dans Paris et sa banlieue
Depuis la fin du XXème siècle, les projets d’aménagements urbains de Paris et sa banlieue occupent l’espace politique et médiatique français. Les déséquilibres économiques, culturels et démographiques entre Paris et sa banlieue sont au cœur des débats les plus virulents. Dans cette même période, un nombre important d’écrivains, souvent parisiens eux-mêmes, forment le projet d’investir les espaces vierges de récits que la banlieue leur offre. Principalement des hommes, venus d’horizons divers et de générations différentes, ces écrivains ont comme point commun de choisir d’arpenter à pied l’espace qu’ils veulent écrire. Ils livrent le récit de leurs marches en l’associant parfois à des photographies, des croquis ou des cartes.
À l’opposé de l’expérience du flâneur Benjaminien, ces expériences physiques aux allures de performances, confrontent le marcheur à un espace hostile à la promenade. Elles lui permettent toutefois un accès privilégié aux lieux marginaux que cette nouvelle géographie littéraire se voue à dessiner.
Notre présentation montrera que la poétique de ces textes procède d’une attention toute particulière vouée à ce qui relève de la friche. L’usage des lieux, leur mise en récit, participent ainsi à l’élaboration d’un imaginaire qui met en valeur les espaces de séparation, d’exclusion, les frontières présentent au sein du tissu urbain tout autant qu’ils confèrent à ces lieux a priori marginalisés une valeur créatrice.
Alexandra Borer enseigne le français à la Columbia University de New York.
Dominique Fourcade: moi nu dans un terrain vague
L’imaginaire du terrain vague nous convie à retracer le parcours du poète français Dominique Fourcade qui, dans son recueil Manque (P.O.L., 2010), se voit comme «une buse» survolant «un territoire qui ne veut plus d’elle et lui crie son rejet». Ce territoire est celui, indistinct, du livre et de l’écriture et le but de mon intervention sera de mettre en relief l’arpentage fourcadien de cette aire littéraire; ce que Fourcade appellera, dès1974, une «écriture plastique» où toute délimitation stricte de genres ou de domaines artistiques s’aréalise (Jean-Luc Nancy) et où le poète est conduit à «faire [sien] un pays sans catégories -mais il faut quelque temps pour s‘habituer à un pays sans frontières» («À quoi sommes-nous conviés?», Galerie Aubry,1974).
Un quart de siècle plus tard et après un silence poétique de dix ans -autre terrain vague dont il nous faudra également rendre compte- le poète reprend son chemin, mais dans un «aveuglement sans frontière» (Est-ce que j’peux placer un mot, P.O.L., 2001). La même année, Fourcade revient sur ce terrain par le biais d’une réflexion sur le rôle de «la pose» (Barthes) en danse et en photographie pour se poser ou se retrouver lui-même «nu dans un terrain vague (surtout ne pas être photographié)» (MW, P.O.L., 2001). C’est, nous tâcherons de le démontrer, dans un tel (non)lieu ou terrain vague que le poète puise, en grande partie, sa force productrice. À nous d’examiner de plus près les contours (ou leur disparition) de cette poétique.
James Petterson est professeur au département d’études littéraires françaises au Wellesley College. Ses recherches portent principalement sur la poésie contemporaine et les relations que cette dernière entretient avec la philosophie et les arts plastiques.
Wasteland: Une zone autonome temporaire aux limites d’Hochelaga-Maisonneuve
À l’extrémité est du quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal, on trouve un immense terrain vague auquel les jeunes du quartier réfèrent comme étant le «wasteland». Bien qu’il soit illégal d’y mettre les pieds, plusieurs usagers y pénètrent quotidiennement afin d’en habiter l’espace. Ce terrain vague n’est pas tout à fait un lieu, défini par un sens identitaire, relationnel ou historique précis, mais ne pourrait cependant être perçu comme étant simplement un non-lieu – espace strictement utilitaire et interchangeable qui ne se construit pas autour d’un univers de significations distinctes. Il serait plutôt un espace intermédiaire dont la nature floue appelle à l’invention de nouveaux modes d’habitabilité. L’usage des espaces urbains étant de plus en plus réglementé et étant souvent limité par une logique de consommationproduction, le terrain vague offre un espace où certaines pratiques marginalisées peuvent exister au cœur de la ville. Il fait alors figure d’«ailleurs» ou d’espace résistant. Ces pratiques marginalisées, qu’elles soient festives, ludiques ou artistiques, donnent naissance à des interstices sociaux: des «communautés d’échanges échappant au cadre de l’économie capitaliste» que l’on pourrait aussi qualifier de zones autonomes temporaires (Hakim Bey). Elles permettent l’émergence de plusieurs formes de pensées et d’expérimentations utopiques qui, bien que n’ayant pas un effet direct sur le reste de la communauté urbaine, peuvent y créer des résonnances.
Catherine-Alexandre Briand est étudiante à la maitrise en études littéraires à l’Université du Québec à Montréal. Elle s’intéresse aux concepts d’identité, au nomadisme et aux récits de voyage. Depuis 2015, elle également membre du comité de rédaction de la revue Lapsus et est membre du groupe de recherche Récits Nomades.
42 heures de vague
Il semble que le terrain vague ne soit pas qu’un espace abandonné ou en attente de développement, mais qu’il soit tout aussi constitutif de la ville que ne le sont les lieux construits et que c’est à travers sa représentation qu’il participe activement à l’imaginaire et au discours sur le développement de la ville. Plutôt, donc, que de considérer le terrain vague comme une anomalie à l’encontre de l’urbain, considérer qu’il y soit une partie essentielle permettant de générer une lecture «autre», essentielle à la transformation de la ville, semble une proposition tout à fait plausible, voire indiquée.
Suite à un projet de documentation menant à 42 heures de marche pour parcourir l’île de Montréal d’est en ouest, il devient clair que non seulement l’île contient de nombreux espaces délaissés, mais aussi, et peut-être surtout, que la question du terrain n’est en fait qu’un encadrement physique limitant et que c’est plutôt au vague qu’il faille s’intéresser. Documentant quelques 147 vagues de diverses natures, le projet de recherche-création propose que la représentation du vague permet de remettre en question la ville comme entité totale et normalisée.
Carole Lévesque est professeure à l’École de design à l’Université du Québec à Montréal d’où elle a gradué en design de l’environnement avant de compléter une maitrise professionnelle en architecture à l’Université de la Colombie-Britannique et un doctorat en histoire et théorie de l’architecture à l’Université de Montréal. Son travail gravite autour de l’architecture temporaire comme outil pour explorer des positions alternatives sur la ville pour engager l’enseignement de l’architecture et du design. Elle a d’ailleurs à ce sujet publié l’ouvrage À propos de l’inutile en architecture (L’Harmattan, 2011).
Terres d’attente: Sur les traces du socialisme dystopique
En 2013, le Spot Viau a été le théâtre du suicide de Nico, jeune anarchiste montréalais. Après avoir terminé la création de Cher Charles, sa bédé-testament sur le G20 de Toronto en 2010, il s’est donné la mort dans ce lieu emblématique de la quête politique et existentielle qu’il a poursuivie durant les dernières années de sa vie. Cet événement tragique pose la question des liens entre ce que nous appellerons l’anarchisme de la désolation – qui désigne la noirceur générale du militantisme montréalais actuel – et les nouvelles théories en vogue dans ces milieux, notamment celles soutenues par le Comité Invisible, qui met de l’avant une résistance au système naissant entre ses failles, dans ses blancs, dans ses lieux inoccupés. Lieu emblématique de la dystopie, le terrain vague est aussi, aujourd’hui, l’espace de liberté à partir duquel les anarchistes peuvent penser leur opposition au système. Sur les traces de Nico, nous proposons de documenter en vidéo un pèlerinage au Spot Viau afin de réfléchir l’anarchisme de la désolation et ses implications pour l’opposition révolutionnaire au capitalisme.
Clément Courteau poursuit des études littéraires à l’Université McGill et est spécialisé en littérature médiévale.
La construction des condos. Journal de terrain
Dans un quartier en voie de gentrification, des promoteurs immobiliers ont fait disparaître la vieille station-service à l’abandon depuis quelques années. Sur le terrain vague qui s’étale à présent sous nos yeux, on a planté une panneau annonçant l’inéluctable: la construction d’un bloc de condominiums de six étages, un grand bloc de briques beiges comprenant des logements clé en main, un stationnement intérieur ainsi qu’une terrasse sur le toit. Si l’on se rapporte à l’image du panneau, où est apparu le portrait d’une famille heureuse -un couple dans la quarantaine et une jeune fille aux dents blanches-, le non-lieu du terrain vague deviendra un lieu, un espace habité. Mais suffit-il de la bonne volonté d’un promoteur pour qu’un non-lieu devienne un lieu?
À partir de quand et en fonction de quels critères peut-on dire d’un lieu qu’il est réellement habité, qu’il possède une âme, une identité? Cette communication, écrite sous la forme d’un journal, proposera de suivre la conversion d’un terrain vague en bloc de condos. Elle s’attardera au processus par lequel un espace à l’abandon devient -ou voudrait devenir- un espace habité et tentera, en bout de ligne, d’opposer aux impératifs économiques de l’immobilier certaines considérations esthétiques.
Antoine Boisclair a publié un recueil de poèmes, Le bruissement des possibles (Noroit, 2011) ainsi qu’une anthologie de poésie américaine traduite en français État des lieux: Treize poètes américains contemporains (Noroit, 2013). Depuis une dizaine d’années, il s’enseigne la littérature au Collège Jean-de-Brébeuf et publie régulièrement des essais et des compte rendus dans différentes revues. Particulièrement attentif à la poésie québécoise à laquelle il s’est intéressé au cours de ses études universitaires , il a fait paraitre un essai intitulé L’École du regard. Poésie et peinture chez Saint-Denys Garneau, Roland Giguère et Robert Melançon (Fides, 2009).
Table ronde: L’avenir du terrain vague?
Cette table ronde clôt le colloque Imaginaire du terrain vague. Animée par Élise Lepage, professeure adjointe en littérature québécoise à l’Université de Waterloo et co-organisatrice du colloque, elle rassemble quatre chercheur.e.s et écrivain.e.s.
Antoine Boisclair, poète, écrivain et professeur de littérature au Collège Bis-de-Boulogne. Il a publié un recueil de poèmes, Le bruissement des possibles (Noroit, 2011) ainsi qu’une anthologie de poésie américaine traduite en français État des lieux: Treize poètes américains contemporains (Noroit, 2013).
Luc Lévesque, architecte et professeur en histoire et théories des pratiques architecturales à l’Université Laval.
Carole Loncol Daigneault, auteure, chercheuse, commissaire et chargée de cours à l’Université de Sherbrooke.
Annie Perreault, poète, auteure de L’occupation des jours (Druide, 2015).