Cahiers Figura, numéro 39, 2015

Suburbia. L’Amérique des banlieues

Bertrand Gervais
Alice van der Klei
Marie Parent
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La banlieue est partout. Au cinéma, à la télé, en littérature, elle est une figure prédominante de l’imaginaire et reste pourtant relativement pauvre, toujours réduite aux mêmes clichés. Ce collectif souhaite offrir une prise nouvelle sur un sujet amplement traité dans le monde anglo-saxon, mais encore très peu étudié dans une perspective québécoise. En se penchant sur les représentations (littéraires, visuelles, discursives) de la banlieue nord-américaine depuis 1945, les textes réunis ici permettent d’apprécier les enjeux esthétiques et sociopolitiques contemporains qu’elle cristallise, en plus d’articuler une réflexion inédite sur la spécificité de l’espace banlieusard québécois.

Avec des textes de Simon Brousseau, Laurence Côte-Fournier, Carole David, Sylvain David, Michael Delisle, Antonio Dominguez Leiva, Bertrand Gervais, Alice van der Klei, Jonathan Lachance, Daniel Laforest, Fannie Loiselle, Sophie Marcotte, Carmen Mata Barreiro, William S. Messier, Michel Nareau, Marie Parent et Gabriel Tremblay-Gaudette.

Articles de la publication

Bertrand Gervais, Marie Parent & Alice van der Klei

Introduction. La banlieue avec et contre ses clichés

Phénomène d’urbanisation majeur, la banlieue a pris de multiples formes en Occident après la Deuxième Guerre mondiale. En Amérique du Nord, alors qu’elle avale progressivement des kilomètres de territoire, elle est devenue une figure incontournable et, d’une certaine manière, embarrassante. Les auteurs qui participent à ce collectif le soulignent touts l’un après l’autre: la banlieue génère presque à tout coup le même lot de tropes, de thèmes et d’images constamment ressassés dans le discours social.

Daniel Laforest

Genèse de l’imaginaire périurbain au Québec. Le Ville Jacques-Cartier de Pierre Vallières

L’objectif dans ce qui suit est de suggérer une archéologie de la figure fondatrice de l’imaginaire suburbain du Québec possède une origine spécifique, idiosyncrasique, qui pour des raisons circonstancielles n’aurait pas pu être répliquée à l’identique comme l’implique pourtant notre définition usuelle des banlieues nord-américaines. En outre, le recours à la métaphores de l’archéologie suppose que cette figure peut-être distinguée au niveau le plus basique -c’est-à-dire au niveau formel, plutôt que culturel- des autres figures formatrices des banlieues en Amérique du Nord. C’est dans ses fondations, dans son édification même qu’elle aura imprimé sa marque.

Jonathan Lachance

L’architecture des bungalows de la Société Centrale d’Hypothèques et de Logement (SCHL) et le mythe de la maison de banlieue au Canada

L’image typique que nous avons de la banlieue pavillonnaire nord-américaine est celle des vastes quartiers d’habitation parsemés de petites maisonnettes toutes semblables, anonymes et alignées à l’infini sur des rues monotones. Au Canada, la responsabilité d la popularité de l’image négative que nous en avons est attribuée à la Société Centrale d’Hypothèques et de Logement (SCHL).

Sylvain David & Sophie Marcotte

La banlieue en périphérie d’elle-même

Dans le cadre d’un collectif voué essentiellement à l’étude des représentations littéraires et cinématographiques de la banlieue, nous avons voulu explorer une autre facette de celle-ci, moins caricaturale, plus proche d’une certaine “réalité”. Il n’était évidemment pas question de proposer une contribution en urbanisme, un domaine qui nous est étranger. Nous avons toutefois eu l’idée d’un compromis: dépouiller les journaux communautaires publiés en périphérie de Montréal pour voir quelles conceptions ou représentations de la banlieue y sont projetés.

Gabriel Tremblay-Gaudette

Les déclinaisons multiples de la banlieue dans le hip-hop québécois

On pourrait penser que la culture hip-hop et la banlieue nord-américaine ne font pas bon ménage. Dans l’imaginaire collectif, le hip-hop est ramené à plusieurs tropes -le rappeur, jeune homme généralement noir, exhibant sa fortune matérielle, qui revendique un mode de vie hédoniste et ne répudie pas les activités criminelles -que l’on associerait mal à la banlieue, caractérisée par un mode de vie paisible, banal, voire ennuyant, le terreau de la famille de classe moyenne.

Carmen Mata Barreiro

Le territoire de la banlieue dans les écritures migrantes comme spatialisation de l’identité

L’approche actuelle de l’urbain et du périurbain en tant que territoire conçu comme un «palimpseste», proposée par l’historien d’art et d’architecture André Corboz, conclut qu’«il n’y a pas de territoire sans imaginaire du territoire», et que «le territoire est sémantisé» et «discourable».

Bertrand Gervais

L’idiot de la banlieue. «Bienvenue au conseil d’administration» de Serge Cardinal

La banlieue rend-elle idiot? A-t-on droit, avec l’idiot de la banlieue, à une simple inclusion, à un fait anecdotique, accidentel – il y a un idiot et il se trouve qu’il est dans une banlieue -, ou à une relation nécessaire, une conséquence formelle, la banlieue faisant de ses habitants des idiots? Que faut-il entendre par idiot de toute façon? En d’où vient cette idée de le lier à la banlieue?

Fannie Loiselle

Inventer une mémoire pour la banlieue

Le 28 février 2013, un homme a été englouti par un trou géant qui s’est ouvert dans sa maison, en banlieue de Tampa, en Floride. Seul le plancher de la chambre a sombré avec le disparu; avant d’être rasées par mesure de sécurité, les autres pièces de la demeure étaient intactes. En prenant connaissance de ce fait divers, j’ai pensé qu’il correspondait parfaitement à mon sentiment sur la vie en périphérie d’une grande ville: sa formidable inertie aspire les gens dans les entrailles de la Terre.

Michael Delisle

Banlieue. Mon point de départ

J’ai aimé «Revolutionary Road» de Richard Yates. Dans ce roman, la banlieue n’est pas une caricature, n’est pas esthétisée, n’est pas critiquée en tant que dortoir. Sa description n’invite pas à l’ironie. Elle a, dans l’existence des personnages, une fonction de salle d’attente. On a un projet grandiose (une vie d’aventure en Europe) et on a acheté une maison, en attendant. Et le projet attend. L’attente finit par prendre des proportions océaniques et quand le héros se secoue, le naufrage a déjà commencé. L’épouse est déjà noyée. Je ne me souviens pas exactement (j’ai lu le roman il y a longtemps) mais, dans mon souvenir, il me semble qu’elle meurt le jour des vidanges.

Carole David

Dix minutes en banlieue

Et s’il fallait lire les événements de Saint-Léonard dans l’émergence de cette banlieue aux confins de Rosemont et de ville d’Anjou, cohabitation entre l’espace urbain et ses immigrants, conjuguée au patrimoine de la terre? Loin des vicissitudes de la ville, dans l’hybridité culturelle et linguistique, s’est joué un des conflits linguistiques majeurs de l’histoire du Québec à la fin des années 60.

William S. Messier

Totalement ville, complètement nature

Jusqu’à maintenant, dans mon humble parcours littéraire, je me suis intéressé à la représentation de la vie de jobbeurs, du travail manuel et d’une certaine ruralité industrielle des Cantons-de-l’Est. Ça m’a valu l’honneur d’être associé par la critique à un certain retour à la terre ou au territoire dans la littérature contemporaine. Ce n’est pas sans enthousiasme que je prends graduellement conscience de cette idée. Sauf que je ne peux pas m’empêcher de vouloir aiguiller dans la mesure du possible ces lectures, quitte à écorcher un peu le romantisme attaché à mon supposé retour à la terre. En fait, il faut savoir que je ne suis vraiment pas un gars de campagne.

Michel Nareau

Espace de transition(s). Banlieue et sociabilité de l’habitation dans le roman québécois

Lorsque Gabrielle Roy fait paraître «Bonheur d’occasion» en 1945, la majorité de la population québécoise est urbaine depuis de nombreuses années. Le roman, en juxtaposant nombre de parcours individuels qui s’écartent de la sphère familiale et qui sont conditionnés par des positionnements sociaux et spatiaux, a défini une lecture réaliste de Montréal ayant servi par la suite à d’autres inventions romanesques de la ville.

Alice van der Klei

La banlieue vue d’ici. Les voisins chez Michel Delisle, Mathieu Arsenault et Patrick Nicol

Quand il est question de la banlieue dans les textes littéraires québécois contemporains, on n’échappe pas aux stéréotypes. L’imaginaire de la banlieue nord-américaine est bâti à partir de clichés qui mêlent conformisme, ennui et aliénation. Afin d’aborder la représentation de la banlieue et de son vécu dans la littérature québécoise, nous proposons d’analyser le regard du personnage in media res, celle ou celui qui observe son prochain en milieu banlieusard.

Simon Brousseau

La banlieue de Thomas Berger, ou le bungalow comme dispositif immunitaire

Un certain nombre de fictions ont mis en scène le banlieusard comme ce type qui cherche à quitter son milieu, voire même à le fuir, tout en étant irrémédiablement ramené vers lui. Il s’agit d’une tension qui anime le banlieusard nord-américain, l’ambiguïté qui fait de lui un sujet digne d’être exploité. Bien qu’il ait la possibilité de vivre le rêve américain, ne serait-ce qu’en mode mineur, il porte en lui les germes d’une révolte intérieure, le désir, au fond, de nier ses aspirations ou plus radicalement ce qu’il est, sans toutefois avoir la force d’y parvenir.

Marie Parent

Agression et résistance. La délimitation de la banlieue chez Alice Munro

Dans une étude menée en 1963 à Charlesbourg, dans la banlieue de Québec, des résidents révèlent que ce qu’ils apprécient le plus de leur quartier est la grande classe de leurs voisins. Pourtant, ils avouent du même coup les connaître à peine et ne pas les fréquenter. Il apparaît important que leurs voisins aient un haut degré de distinction et d’élégance, mais pas de tisser des liens avec eux. Ce que les résidents de la banlieue de Québec recherchent avant tout, c’est d’être entourés de gens qui leur ressemblent et qui correspondent à leur idée de la bonne société.

Antonio Dominguez Leiva

«Sinburbia». La banlieue comme territoire de l’Éros à l’âge d’or de la sexploitation

Rien ne vouait, a priori, la banlieue à l’érotisme dionysiaque. Rêve édénique, la «banlieusardisation» de l’Amérique d’après-guerre était avant tout une promesse de refondation symbolique de la Nation. Prolongeant la tradition idéologique qui a volontiers représenté l’Amérique rurale comme un Paradis continuellement perdu et son industrialisation comme une Chute symbolique, il s’agissait d’un retour aux sources, loin de la ville corruptrice, magnifiée par les jungles urbaines et les «Sin Cities» décrites par la littérature «hardboiled» et le film noir.

Laurence Côté-Fournier

Un cadre banlieusard. Le portrait de famille comme miroir déformant

La banlieue, selon ses représentations littéraires et cinématographiques, serait le havre des familles voulant échapper à la dépravation des villes. L’ironie, dans plusieurs de ces représentations, serait que la famille soi-disant normale et exemplaire se révèlerait, elle aussi, hantée par quelque squelette dans son placard. Le rêve américain que symbolise la banlieue des barbecues et des pelouses bien taillées ne parviendrait pas à se réaliser dans cet endroit, lequel, au contraire, mettrait à mort ce rêve en enfermant ceux qui le poursuivent dans des réalités aliénantes, celle de la ménagère névrosée ou encore celle du mari domestiqué par la vie familiale.

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