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Les poètes amérindiens sur la place publique

Jonathan Lamy
couverture
Article paru dans Hors les murs: perspectives décentrées sur la littérature québécoise contemporaine, sous la responsabilité de Chloé Savoie-Bernard et Daniel Letendre (2014)

Je suis sur la place publique avec les miens
la poésie n’a pas à rougir de moi

– Gaston Miron

Les poètes amérindiens sont de plus en plus présents sur la place publique du Québec et d’ailleurs. Depuis quelques années, leurs «poèmes rouges», pour reprendre le titre d’un recueil de Jean Sioui, colorent l’espace poétique francophone. La poésie rougit désormais de leur présence. À l’instar des publications autochtones qui se multiplient, les poètes des Premières Nations sont invités de façon croissante à prendre la parole dans différents événements littéraires, culturels et citoyens, de même que dans les médias, où il est de plus en plus question d’eux.

Le nombre d’écrivains autochtones ayant publié un livre de poésie en langue française est plutôt restreint, mais augmente rapidement. Depuis 2010, on compte seize recueils, signés par sept auteurs: Joséphine Bacon, Marie-Andrée Gill, Natasha Kanapé Fontaine, Rita Mestokosho, Virginia Pésémapéo Bordeleau, Louis-Karl Picard-Sioui et Jean Sioui1Joséphine Bacon, Nous sommes tous des sauvages (avec José Acquelin), Montréal, Mémoire d’encrier, 2011 et Un thé dans la toundra, Montréal, Mémoire d’encrier, 2013; Marie-Andrée Gill, Béante, Chicoutimi, La Peuplade, 2012 et Motel TV couleur (avec Max-Antoine Guérin), Chicoutimi, [compte d’auteur], 2014; Natasha Kanapé Fontaine, Nentre pas dans mon âme avec tes chaussures, Montréal, Mémoire d’encrier, 2012 et Manifeste Assi, Montréal, Mémoire d’encrier, 2014; Rita Mestokosho, Eshi uapataman Nukum/ Comment je perçois la vie grand-mère, Göteborg (Suède), Beijbom Books, 2010 [1995], Uashtessiu/ lumière dautomne (avec Jean Désy), Montréal, Mémoire d’encrier, 2010 et Née de la pluie et de la terre, Paris, Éditions Bruno Doucet, 2014; Virginia Pésémapéo Bordeleau, De rouge et de blanc, Montréal, Mémoire d’encrier, 2012; Louis-Karl Picard-Sioui, Au pied de mon orgueil, Montréal, Mémoire d’encrier, 2011, De la paix en jachère, Wendake, Hannenorak, 2012 et Les grandes absences, Montréal, Mémoire d’encrier, 2013; Jean Sioui, Je suis Île, Québec, Cornac, 2010, Avant le gel des visages, Wendake, Hannenorak, 2012 et Entre moi et l’arbre, Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2013. À cela s’ajoutent un collectif: Francine Chicoine (dir.), Sagripper aux fleurs (haïkus), Éditions David, 2012; une anthologie: Susan Ouriou (dir.), Languages of Our Land: Indigenous Poems and Stories from Québec/ Langues de notre terre: Poèmes et récits autochtones du Québec, Banff, Banff Center Press, 2014 et deux dossiers dans des revues: «La poésie amérindienne», dans Exit, no. 59, 2010 et «Premières Nations du Québec», dans Hopala! (Bretagne), no. 43, 2013.. Ces derniers occupent depuis peu une place non négligeable dans l’agora littéraire du Québec, fruit d’un désir évident (mais somme toute récent) d’entendre la parole poétique amérindienne (ou, plus généralement, ce que les Amérindiens ont à dire). Si les occasions de lire les productions des poètes des Premières Nations (dans des livres, des revues ou des blogues) sont en hausse, les opportunités de les entendre («live» ou par le biais de vidéos le web) s’accroissent de même, et peut-être davantage. Par ailleurs, les Amérindiens se dotent de leurs propres lieux de diffusion, tels que les Éditions Hannenorak, le Salon du livre des Premières Nations de Wendake, ou encore les soirées Art+culture autochtone, organisées mensuellement par le Cercle des Premières Nations de l’UQAM.

Ainsi, les poètes amérindiens, longtemps absents du paysage littéraire québécois, lisent de plus en plus leurs textes en public, et ce, dans une variété également croissante de contextes. Ils prennent le micro dans des festivals internationaux ou marginaux, des salons du livre, des lancements, des soirées de poésie ou de slam, des événements multidisciplinaires ou citoyens, dans des cafés, des bars, des librairies, des bibliothèques, à la radio, et même dans la rue lors de manifestations. Plusieurs de ces lectures ont été filmées et peuvent être vues sur des sites de partage de vidéos tels que YouTube. La diffusion de la poésie amérindienne investit ainsi différentes scènes et divers supports, particulièrement depuis les dernières années, développant une forme de nomadisme littéraire multidisciplinaire.

 

<h4Poètes-ambassadeurs</h4

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Rita Mestokosho et Joséphine Bacon ont longtemps été les seules poètes amérindiennes à occuper une certaine place dans l’espace public. Cette dernière était connue pour son travail à l’Office national du film, mais surtout pour les chansons qu’elle a écrites pour Chloé Ste-Marie. Rita Mestokosho, pour sa part, a signé un des premiers livres de poésie autochtone en français, Eshi uapataman Nukum/Comment je perçois la vie grand-mère, qui fut réédité avec une préface l’écrivain français et prix Nobel de littérature Jean-Marie Le Clézio, en 2010. La même année, Joséphine Bacon remportait le Prix des lecteurs du marché de la poésie de Montréal pour son premier recueil, Bâtons à message/Tshissinuatshitakana. Ces deux cautions de l’institution littéraire ont contribué de façon significative à la reconnaissance et à l’essor de la poésie amérindienne.

Marquée notamment par la parution de l’anthologie Littérature amérindienne du Québec: Écrits de langue française (2004), préparée par Mauricio Gatti, puis par le recueil de correspondances Aimititau! Parlons-nous! (2008), initié par Laure Moralli, l’émergence de ce corpus se préparait depuis quelques années, mais la présence publique des poètes amérindiens demeurait relativement rare. Il faut dire que la participation des poètes dans les festivals, dont le nombre a par ailleurs augmenté au cours des dernières années (participant de ce qu’on pourrait presque appeler une festivalisation de la littérature au Québec), est très souvent reliée à leurs publications et épouse habituellement la logique du marché du livre: ils sont invités lorsqu’ils ont un livre récent à vendre. Le nombre de lectures effectuées par des auteurs autochtones a ainsi augmenté avec le nombre de titres publiés. Deux poètes faisaient ainsi partie de la programmation du Festival international de la poésie de Trois-Rivières en 2010 (Joséphine Bacon et Rita Mestokosho), alors qu’ils étaient quatre en 2013 (Marie-Andrée Gill, Natasha Kanapé Fontaine, Louis-Karl Picard-Sioui et Jean Sioui).

Auparavant, Rita Mestokosho avait notamment participé au Festival international de littérature de Montréal en 1999, au Festival des étonnants voyageurs de Saint-Malo en 2001 et au Festival Voix d’Amériques en 2003. Depuis 2009, elle s’est rendue en Suède à trois reprises, récitant notamment ses poèmes à la Maison des écrivains de Stockholm, à l’Université de Stockholm et au LittFest d’Umea. La poète innue se voit fréquemment invitée en France, offrant un récital au Centre culturel canadien à Paris en 2011, participant au Printemps des poètes à La Rochelle en 2013 (et profitant du voyage pour donner une causerie-lecture à la Bibliothèque Gaston-Miron à Paris), puis, à l’automne de la même année, au Festival Voix au chapitre, à Lille. Elle est, jusqu’à présent, la poète amérindienne comptant le plus grand nombre de participations à l’international.

L’implication de Rita Mestokosho pour la cause environnementale, et plus particulièrement pour la sauvegarde de la rivière La Romaine, sur la Côté-Nord, en fait une personnalité dont on parle dans les médias, que ce soit La Presse2Patrick Lagacé, «La poétesse, la rivières et les saumons», En ligne: http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/patrick-lagace/200908/10/01-891418-la-poetesse-la-riviere-et-les-saumons.php, (Consultée le 28 septembre 2014). ou L’itinéraire3Soraya Elbekalli, «Rita, fille de la terre, soeur des rivières», En ligne: http://itineraire.ca/143-article-rita-fille-de-la-terre-soeur-des-rivieres-edition-du-mercredi-1er-aout-2012.html (Consultée le 28 septembre 2014)., particulièrement depuis la publication d’une lettre signée par Le Clézio dans Le Monde en juillet 2009, qui se termine par un poème de l’écrivaine innue4Jean-Marie Le Clézio, «Quel avenir pour la Romaine ?», En ligne: http://www.lemonde.fr/idees/article/2009/07/01/quel-avenir-pour-la-romaine-par-jean-marie-g-le-clezio_1213943_3232.html, (Consultée le 28 septembre 2014).. Depuis, deux émissions de télévision française se sont intéressées à Rita Mestokosho: «Espace francophone» sur France 3 (avril 2012) et «Destination francophonie» à TV5 (juin 2013)5«Destination Nathasquan», En ligne: http://tvfrancophonie.org/h264/52 et http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/Revoir-nos-emissions/Destination-Francophonie/Episodes/p-25608-Destination-Nitassinan.htm, (Consultée le 28 septembre 2014).. À chaque fois, elle agit comme ambassadrice de la culture innue.

Rita Mestokosho et Joséphine Bacon ont souvent partagé les mêmes scènes: elles étaient entre autres de la première édition du festival Innucadie, à Natashquan, en 2006, et elles participeront au Festival América, à Vincennes, en septembre 2014. Elles ont toutes deux pris part au Festival international de poésie de Medellin, en Colombie, l’une en 2012, l’autre en 20146En ligne: www.youtube.com/watch?v=KCJOnDfzL2Y et www.youtube.com/watch?v=810Pl0dhzqk, (Consultées le 28 septembre 2014).. Ne jouissant pas, de son côté, d’un appui similaire à ceux de Jean-Marie Le Clézio et de Chloé Ste-Marie, Jean Sioui n’a pas présenté autant de lectures publiques que ses consœurs, bien qu’il soit le plus prolifique des poètes amérindiennes avec six recueils à son actif. Il a néanmoins pris part au Festival international de poésie de Namur, en Belgique en 2008, au Marché de poésie de Montréal, la même année, et aux Correspondances d’Eastman en 2009. Son implication dans le milieu littéraire des Premières Nations s’avère tout de même considérable, puisqu’il a cofondé le Cercle d’écriture de Wendake, les Éditions et le café-librairie Hannenorak, de même que le Salon du livre de Wendake, favorisant la venue et la diffusion de nouvelles voix poétiques autochtones.

 

Une nouvelle génération

En 2009, quatre poètes autochtones (Joséphine Bacon, Rita Mestokosho, Louis-Karl Picard-Sioui et Jean Sioui) présentaient une dizaine de lectures publiques (lors d’événements avec programmation) par année. Ce nombre est resté à peu près stable en 2010 et 2011 mais a grimpé à près de quarante en 2012 avec l’arrivée de Marie-Andrée Gill, Natasha Kanapé Fontaine et Virginia Pésémapéo Bordeleau qui, bien qu’ayant participé auparavant à quelques lectures, publiaient toutes trois cette année-là leur premier recueil. En 2013, il y eut plus de cinquante lectures de la part des sept poètes amérindiens mentionnés au début de ce texte, et presque autant de janvier à septembre 2014. Celles-ci se répartissent à peu près également (environ un quart des lectures par zone géographique) entre Montréal, la région de Québec, le reste de la province et à l’étranger.

Jusqu’en 2011, il n’y avait que Rita Mestokosho et Jean Sioui (à une reprise) à avoir présenté des lectures à l’extérieur du Québec. Par la suite, Joséphine Bacon a lu ses textes au Salon du livre de Toronto en 2012, aux Rencontres québécoises en Haïti en 2013 et au Festival international de poésie Medellin en 2014. Virginia Pésémapéo Bordeleau a également pris part au Salon du livre de Toronto en 2012, de même qu’en 2013, ainsi qu’au Salon du livre de Dieppe la même année. Toujours en 2013, elle s’est rendue à Tahiti pour l’événement Lire en Polynésie, en compagnie de Louis-Karl Picard-Sioui. Ce dernier participait à la deuxième édition, en janvier 2014, du Manitoba Indigenous Writers Festival, à laquelle était également conviée Natasha Kanapé Fontaine. Celle-ci prenait aussi part, cet été, au Festival amérindien de Nièvre, en France, alors que Jean Sioui participait au Banff Summer Festival. Cet automne (2014), Joséphine Bacon et Rita Mestokosho seront au Festival América, à Vincennes, tandis que Natasha Kanapé Fontaine se rendra en Nouvelle-Calédonie pour l’événement Poémart.

La présence des poètes amérindiens francophones au Canada anglais, dans les Antilles, en Amérique du Sud et en Océanie constitue un phénomène récent, qui témoigne de la mise en place de réseaux nouveaux entre peuples et poètes autochtones à l’échelle internationale. Dans l’espace canadien, les auteurs et éditeurs amérindiens tentent de briser la barrière des «deux solitudes» et de développer un dialogue «inter-nations». Les échanges entre peuples premiers tendent à prendre des proportions mondiales, particulièrement depuis la Déclaration des Nations Unies pour les droits des peuples autochtones, en 2007. Par exemple, des poètes indigènes provenant de différents continents se rassemblent au Festival international de poésie de Medellin, en Colombie. L’exposition Sakahan, organisée à l’été 2013 par le Musée des beaux-arts du Canada, témoigne également de cette globalisation artistique autochtone.

Au Québec, plusieurs événements littéraires ont récemment invité des poètes amérindiens ou ont programmé des spectacles collectifs où il était possible d’entendre plusieurs d’entre eux. Premier festival littéraire à programmer autant de poètes autochtones dans la même année, l’édition inaugural du festival Québec en toutes lettres, en 2010, comptait sur la présence de Joséphine Bacon, Marie-Andrée Gill, Louis-Karl Picard Sioui et Jean Sioui, avec une soirée intitulée «Paroles indigènes» et une table ronde sur la relève autochtone et québécoise. En 2011, les Correspondances d’Eastman réaccueillaient Jean Sioui, accompagné cette année-là de Joséphine Bacon. Cette dernière participait également au Festival acadien de poésie de Caraquet, qui a aussi reçu Natasha Kanapé Fontaine en 2013 et Marie-Andrée Gill en 2014.

Dans la ville de Québec, des événements organisés par les Productions Rhizome ont compté sur la présence de Rita Mestokosho, Louis-Karl Picard-Sioui Marie-Andrée Gill et Natasha Kanapé Fontaine, alors que Jean Sioui et Louis-Karl Picard Sioui ont tous deux participé à deux reprises aux Vendredis de poésie du TAP dans les dernières années. Depuis 2012, les soirées mensuelles Vivement poésie, à Montréal, ont permis d’entendre Joséphine Bacon et Natasha Kanapé Fontaine, alors que Marie-Andrée Gill se produit régulièrement dans les soirées multidisciplinaires 3REG, à Chicoutimi.

Certaines activités découlent plus ou moins directement du dynamisme et de l’implication de Mémoire d’encrier, éditeur qui a fait paraître jusqu’à présent sept recueils de poésie autochtone, deux recueils à deux voix, de même que les collectifs Aimititau! Parlons-nous! et Les bruits du monde. Ce dernier titre est accompagné d’un cd et a fait l’objet d’un spectacle présenté à cinq reprises en 2011-2012: au Salon du livre de Rimouski, à Québec la muse (le Festival littéraire du Salon du livre de Québec), au Festival de poésie de Montréal, au Festival international de la littérature de Montréal (qui a présenté «Femmes de la tierra» en 2013 et qui présentera «Mingan, mon village» en 2014) et enfin à Sept-Îles.

 

Hors-les-murs de la littérature

Depuis les deux dernières années, on remarque que la parole poétique autochtone déborde du contexte strictement littéraire. À cet égard, Natasha Kanapé Fontaine, que l’on décrit souvent comme une «poète et slammeuse territoriale», a contribué de manière forte à la diffusion scénique de la littérature des Premières Nations. En 2013, en plus d’avoir participé au festival Dans ta tête à Montréal et au Festival du texte court à Sherbrooke, elle a lu ses textes lors du festival Nuit d’Afrique, également à Montréal. L’écrivaine innue a de plus pris part à différents événements citoyens, que ce soit l’événement Masse et médias à la Société des arts technologiques, l’Écofête à Trois-Pistoles et l’Écosphère à Lac-Brome.

S’inscrivant en quelque sorte dans la filiation de Rita Mestokosho en tant que poète amérindienne écologiste, Natasha Kanapé Fontaine est également impliquée dans la branche québécoise du mouvement Idle No More. La combinaison de son engagement politique et poétique, de même que sa pratique en poésie et en slam, font d’elle une invitée à la fois prisée et polyvalente. Lors de la première manifestation d’importance liée à Idle No More à se tenir à Montréal, en janvier 2013, elle a récité un poème aux sons des tambours, devant une foule estimée à 1000 personnes. S’exprimant par la parole poétique plutôt que par des discours (et, par le fait même, portant la poésie là où elle ne se trouve généralement pas), elle a également livré une prestation, au 3e Forum jeunesse des Premières Nations, en présence de Léo Bureau-Bloin, figure importante du printemps érable et, à ce moment, député du Parti québécois.

L’auteur de Manifeste Assi a rencontré une grande variété d’auditoires, auxquels on peut ajouter plusieurs classes de cégep et un grand nombre d’internautes. On peut présentement trouver sur internet environ soixante vidéos dans lesquelles des poètes amérindiens francophones lisent leurs textes, et la première vidéo de Natasha Kanapé Fontaine a avoir été mise en ligne, à l’automne 2012, atteint actuellement plus de 2000 vues7En ligne: https://www.youtube.com/watch?v=YnYXhm3c9Gw, (Consultée le 29 septembre 2014).. Ces différentes lectures contribuent à défiger les idées préconçues que l’on peut entretenir envers les Premières Nations en général, en les associant non pas à un passé lointain mais à des pratiques résolument contemporaines. Même si certaines personnes ne soupçonnent pas l’existence de ce corpus particulier qu’est la poésie amérindienne, ou entretiennent des doutes quant à sa qualité littéraire, les poètes autochtones du Québec font petit à petit leur place. Ils sont de plus en plus reconnus, que ce soit par des prix (Marie-Andrée Gill a remporté le Prix de poésie du Salon du livre du Saguenay-Lac-St-Jean et a été finaliste au Prix du gouverneur général en 2013 pour son recueil Béante, alors que Natasha Kanapé Fontaine s’est méritée, la même année, le Prix de la Société des écrivains francophones d’Amérique) ou par des invitations dans des événements littéraires et culturels au Québec et à l’étranger.

Le caractère multidisciplinaire des pratiques des auteurs amérindiens contribue également à leur visibilité et à la diversité des scènes qu’ils investissent. Si Natasha Kanapé Fontaine fait également du slam, ce sera l’art visuel et l’art de performance pour Louis-Karl Picard-Sioui, le roman et la peinture pour Virginia Pésémapéo Bordeleau, le conte pour Joséphine Bacon et le chant au tambour pour Rita Mestokosho. L’exposition Nomades/ Matshinanu, qui met en espace les poèmes de Joséphine Bacon, accompagnés de photographies d’archives et de branches d’arbres, fut présentée à la Grande bibliothèque de Montréal en 2010-2011. Elle a depuis été montrée au Musée des Abénakis à Odanak, au Centre des congrès et à la Bibliothèque Gabrielle-Roy à Québec, à la Maison de la culture de Beloeil, au Willson Center à Washington, au Manoir de Kernault en France et à l’église de Natashquan.

Les occasions d’entrer en contact avec la poésie amérindienne se multiplient et les moyens de le faire sont également de plus en plus diversifiés. S’il n’y avait, voilà dix ans, que l’anthologie de Mauricio Gatti, un essai de Diane Boudreau et six recueils sur lesquels il était difficile de mettre la main, il n’en va plus de même aujourd’hui. On croise les poètes des Premières Nations sur différentes scènes et on retrouve leurs publications en librairie, dans les bibliothèques et sur des blogues (Natasha Kanapé Fontaine tient le sien8Natasha Kanapé Fontaine, «Innu Assi», http://natashakanapefontaine.wordpress.com, (Consultée le 15 septembre 2014) (auparavant: http://mamawolfunderline.wordpress.com) alors que Marie-Andrée Gill collabore fréquemment à celui de Poème sale).

La prise de parole des poètes amérindiens rejoint un souci grandissant, de la part des Québécois, de prendre en compte les Premières Nations. Cette préoccupation, plus qu’un enjeu de rectitude politique, participe d’une volonté de co-présence identitaire dans ce territoire partagé qu’est le Québec. Opérant un changement dans les relations culturelles de la Belle Province, elle concourt de ce que l’on pourrait nommer une «Paix des Braves» symbolique, souhaitant établir un dialogue de nation à nation, comme le faisait l’entente du même nom signée par les Cris et le gouvernement québécois, ainsi que la chanson, qui porte également ce titre, du rappeur algonquin Samian avec le groupe Loco Locass. Dans cette éthique de l’échange, les poètes des Premières Nations sont sur la place publique, teintant progressivement de rouge la littérature québécoise et élargissant sans cesse ce que peut être, dans son actualité, sa vivacité, son oralité, sa multidisciplinarité et sa diversité, la poésie amérindienne.

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    Joséphine Bacon, Nous sommes tous des sauvages (avec José Acquelin), Montréal, Mémoire d’encrier, 2011 et Un thé dans la toundra, Montréal, Mémoire d’encrier, 2013; Marie-Andrée Gill, Béante, Chicoutimi, La Peuplade, 2012 et Motel TV couleur (avec Max-Antoine Guérin), Chicoutimi, [compte d’auteur], 2014; Natasha Kanapé Fontaine, Nentre pas dans mon âme avec tes chaussures, Montréal, Mémoire d’encrier, 2012 et Manifeste Assi, Montréal, Mémoire d’encrier, 2014; Rita Mestokosho, Eshi uapataman Nukum/ Comment je perçois la vie grand-mère, Göteborg (Suède), Beijbom Books, 2010 [1995], Uashtessiu/ lumière dautomne (avec Jean Désy), Montréal, Mémoire d’encrier, 2010 et Née de la pluie et de la terre, Paris, Éditions Bruno Doucet, 2014; Virginia Pésémapéo Bordeleau, De rouge et de blanc, Montréal, Mémoire d’encrier, 2012; Louis-Karl Picard-Sioui, Au pied de mon orgueil, Montréal, Mémoire d’encrier, 2011, De la paix en jachère, Wendake, Hannenorak, 2012 et Les grandes absences, Montréal, Mémoire d’encrier, 2013; Jean Sioui, Je suis Île, Québec, Cornac, 2010, Avant le gel des visages, Wendake, Hannenorak, 2012 et Entre moi et l’arbre, Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2013. À cela s’ajoutent un collectif: Francine Chicoine (dir.), Sagripper aux fleurs (haïkus), Éditions David, 2012; une anthologie: Susan Ouriou (dir.), Languages of Our Land: Indigenous Poems and Stories from Québec/ Langues de notre terre: Poèmes et récits autochtones du Québec, Banff, Banff Center Press, 2014 et deux dossiers dans des revues: «La poésie amérindienne», dans Exit, no. 59, 2010 et «Premières Nations du Québec», dans Hopala! (Bretagne), no. 43, 2013.
  • 2
    Patrick Lagacé, «La poétesse, la rivières et les saumons», En ligne: http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/patrick-lagace/200908/10/01-891418-la-poetesse-la-riviere-et-les-saumons.php, (Consultée le 28 septembre 2014).
  • 3
    Soraya Elbekalli, «Rita, fille de la terre, soeur des rivières», En ligne: http://itineraire.ca/143-article-rita-fille-de-la-terre-soeur-des-rivieres-edition-du-mercredi-1er-aout-2012.html (Consultée le 28 septembre 2014).
  • 4
    Jean-Marie Le Clézio, «Quel avenir pour la Romaine ?», En ligne: http://www.lemonde.fr/idees/article/2009/07/01/quel-avenir-pour-la-romaine-par-jean-marie-g-le-clezio_1213943_3232.html, (Consultée le 28 septembre 2014).
  • 5
    «Destination Nathasquan», En ligne: http://tvfrancophonie.org/h264/52 et http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/Revoir-nos-emissions/Destination-Francophonie/Episodes/p-25608-Destination-Nitassinan.htm, (Consultée le 28 septembre 2014).
  • 6
    En ligne: www.youtube.com/watch?v=KCJOnDfzL2Y et www.youtube.com/watch?v=810Pl0dhzqk, (Consultées le 28 septembre 2014).
  • 7
    En ligne: https://www.youtube.com/watch?v=YnYXhm3c9Gw, (Consultée le 29 septembre 2014).
  • 8
    Natasha Kanapé Fontaine, «Innu Assi», http://natashakanapefontaine.wordpress.com, (Consultée le 15 septembre 2014) (auparavant: http://mamawolfunderline.wordpress.com)
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