Article d'une publication

Chicago

Daniel Grenier
couverture
Article paru dans Romans internationaux, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: El Aswany, Alaa, 2007. Chicago, Actes Sud, Arles, 459p.

Disponible sur demande (Fonds Lower Manhattan Project au Labo NT2)

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

Chicago, second roman traduit en français d’Alaa el Aswany, raconte l’histoire de plusieurs personnages au cours d’une année dans la “ville des vents”, quelques temps après les attentats du 11 septembre. À travers le regard d’une quinzaine de personnages, tous liés de près ou de loin à la faculté de médecine de l’Université de l’Illinois, l’auteur recrée une microsociété dans laquelle il fait entrer en contact les différents points de vue et les différentes visions du monde. Chicago est avant tout un roman d’opinions en confrontations, où les pensées personnelles sont mises à rude épreuve lors des interactions humaines. Les dialogues sont fréquents, mais le dialogue entre les cultures est difficile, bloqué par les préjugés et la mauvaise foi. L’Amérique est ici présentée à la fois comme une terre d’accueil et un obstacle à surmonter. Chaque tranche de vie est racontée en alternance, ce qui forme un kaléidoscope d’idées, de passions et de déchirements. Deux communautés se font face et tentent de s’apprivoiser: les Égyptiens, pour la plupart étudiants boursiers, et les Américains qui sont leurs guides, leurs professeurs ou leurs concurrents. El Aswany, en se concentrant ainsi chapitre après chapitre sur l’évolution de ses multiples personnages, chacun pris dans son propre destin, tisse lentement une tapisserie imbriquée et complexe de sentiments et d’incompréhension mutuelle qui, par la force des choses, prend des allures d’étude sociologique. L’ensemble de ces destins personnels, qu’ils soient tragiques ou pathétiques, finit par donner le sentiment d’un tout qui questionne les assises de la vie occidentale.

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Roman.

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Roman polyphonique à narrateur omniscient. Une narration au “je” est intercalée tout au long du texte sous forme de journal. Le style est proche de la fable par endroits, ce qui nuit à la crédibilité de certains dialogues. Les pensées des personnages sont livrées à l’aide d’un outillage narratif très classique, très XIXe siècle, où le jugement moral est facile et prompt. Le lecteur a tôt fait d’identifier les défauts et les qualités de chacun, leurs angoisses et leurs motivations, grâce aux révélations d’un narrateur généreux en détails et autoritaire. L’ensemble donne une impression de figé. On pourrait soupçonner la traduction d’être incapable de rendre une langue orale vivante.

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

La présence du 11 septembre est générique.

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

i) La présence du 11 septembre est implicite. Les événements sont mentionnés plusieurs fois dans des dialogues entre les personnages. De manière générale, on rencontre une mention lors d’une argumentation, d’un débat d’idées, ou encore lorsqu’un personnage cherche à expliquer un comportement étrange ou dérangeant. Plus souvent qu’autrement, on lira ainsi : “Depuis le 11 septembre…” Comme l’action se déroule quelques années après, le point de vue temporel est rétrospectif : il sert à dresser une ligne claire entre l’Amérique d’« avant » et l’Amérique d’ « après ». Le nombre élevé de protagonistes permet à l’auteure d’offrir une palette variée d’attitudes psychologiques face aux attentats et à leurs conséquences. Sauf exception (le néo-conservateur George Michael, intolérant et velléitaire), la plupart des personnages se désolent de l’ambiance paranoïaque et xénophobe qui règne aux États-Unis et sont ouvertement critiques de la politique amérique.

ii) Des moyens de transport sont-ils représentés? Quelle est leur fonction? Sont-ils simplement évoqués ou mis en scène?

Il n’y a pas de moyens de transport significatif.

iii) Les médias ou les moyens de communication sont-ils représentés? Quelle est leur fonction? Sont-ils simplement évoqués ou mis en scène?
Les caméras de réseaux de télévision inernationaux suivent la visite du président égyptien en Amérique. Une scène de protestation et de manifestations pour la démocratie est alors captée et retransmise. Aucun médias en lien direct avec le 11 septembre.

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

Alaa el Aswany place son récit et ses personnages dans l’«après» 11 septembre en signifiant clairement que tous et toutes sont influencés par les événements et leurs répercussions sur la société. Comme mentionné plus haut, on peut facilement délimiter deux groupes de personnages: les Égyptiens et les Américains qu’ils rencontrent ou fréquentent. Les mentions du 11 septembre sortent de la bouche de plusieurs d’entre eux particulièrement politisés, comme l’Américain John Graham, vieux professeur gauchiste qui a été de tous les combats depuis les années 60, ou l’Égyptien Nagui Ab del-Samad, farouche opposant au régime de Moubarak (jamais nommé), musulman laïque et engagé. Ce qu’ils constatent, et déplorent, c’est un refermement, un isolement psychologique pernicieux de la société américaine. Tous les protagonistes vivent à l’intérieur de cette société qui n’est manifestement plus la même depuis septembre 2001. Ils s’en rendent compte et réagissent en conséquence, selon leurs opinions politiques. Il s’agit donc d’un point de vue chaque fois personnalisé, qui devient collectif par l’abondance des opinions et le fait évident que les événements ont eu une influence durable sur l’ensemble de la vie en Amérique et partout dans le monde.

Nagui Ab del-Samad sera finalement arrêté dans un effort conjoint des services de renseignements égyptiens et du FBI et explicitement accusé d’entretenir des liens avec Al-Qaïda.

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Pas de sons. L’auteur évoque beaucoup la musique égyptienne écoutée par les personnages souvent pour calmer un stress ou une tension.

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Aucun travail iconique.

Autres aspects à intégrer

Le premier chapitre est une sorte de prologue séparé du corps du texte à la fois par le style détaché et le rythme. Le lecteur est guidé dans un survol rapide de l’histoire de Chicago. Cela donne le ton à une critique de la version de l’histoire américaine “sans tache et sans reproche”.

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

Après son formidable récit autour d’un immeuble du Caire, L’Immeuble Yacoubian, Alaa El Aswany nous entraîne vers un nouvel univers romanesque en déplaçant son regard jusqu’à Chicago. C’est en effet dans cette ville mythique et sulfureuse qu’il a choisi de recréer une Little Egypt en exil, s’inspirant d’un département de l’université de Chicago qu’il a lui-même bien connu lors de ses années de formation américaines. Avec son art de camper de multiples personnages et de susciter des intrigues palpitantes, El Aswany compose un magnifique roman polyphonique. D’un chapitre à l’autre, il entrecroise des vies qui se cherchent et se perdent dans les méandres du monde contemporain, des existences meurtries d’avoir été transplantées dans un univers à la fois étrange et étranger, quel que soit le désir parfois de s’identifier à l’american way of life. L’Egypte est là, en plein cœur d’une Amérique traumatisée par les attentats terroristes du 11 Septembre. Alors que la visite officielle du président égyptien à Chicago est annoncée, le système policier de l’ambassade se met en branle, orchestré par le redoutable Safouat Chaker, qui contrôle et surveille tous les Egyptiens vivant en Amérique. Complot, manipulation, protestation de liberté et soumission au pouvoir, bravoure et lâcheté… – le livre prend, avec cette dimension politique, l’ampleur d’un ambitieux roman exprimant le monde dans la douceur de ses rêves comme dans la violence de ses contradictions. Alaa El Aswany confirme ainsi son talent et s’affirme comme un des grands écrivains arabes contemporains.

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

«Il y a 22 pays arabes avec 22 typologies de régime : la monarchie, les révolutionnaires… mais la démocratie n’existe nulle part dans le monde arabe», raconte Aswani. «Je crois, poursuit-il, que l’on en revient toujours au même concept, à savoir qu’aujourd’hui c’est le manque de démocratie qui est la pathologie à soigner impérativement, d’autant plus que depuis le 11 septembre, il y a aussi un manque de démocratie dans les pays occidentaux».
http://www.babelmed.net/Pais/M%C3%A9diterran%C3%A9e/%C3%A2chicago%C3%A2_… [Cette page web n’existe plus]
«L’orientalisme est un sujet qui m’intéresse, s’explique Aswani, surtout parce qu’il permet de creuser les raisons des préjudices et des malentendus qui existent chez nous, Arabes, mais aussi chez vous en Occident. Seulement voilà, depuis le 11 septembre, ces problèmes ont pris des allures disproportionnée. Cela est surtout vrai à propos de l’Islam, une des trois grandes religions monothéistes qui ne correspond pas à cette déformation politique à laquelle l’opinion publique l’a réduite».
https://web.archive.org/web/20120525094411/http://www.babelmed.net/Pais/M%C3%A9diterran%C3%A9e/%C3%A2chicago%C3%A2_de.php?c=2894&m=34&l=fr [Consultée le 9 août 2023]

Citer la dédicace, s’il y a lieu

Aucune dédicace.

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

https://web.archive.org/web/20080826022128/http://hebdo.ahram.org.eg/Arab/Ahram/2007/1/24/litt0.htm [Consulté le 9 août 2023]

https://web.archive.org/web/20080320144110/http://www.evene.fr/livres/livre/alaa-el-aswany-chicago-29478.php [Consultée le 9 août 2023]

Impact de l’œuvre

Best-seller au Moyen-Orient. Interdit en Arabie Saoudite. Impact jusqu’ici inconnu en Europe et en Amérique.

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

Alaa el Aswany est déjà, après Chicago et L’immeuble Yacoubian, une sommité du monde littéraire arabe. Son roman est destiné principalement à un lectorat arabe qu’il cherche à éduquer sur différents sujets et problèmes d’importance, tels l’Amérique et son hypocrisie, l’humanité fondamentale de tous et toutes et l’égalité entre hommes et femmes, la perte des préjugés, etc. Pour nous, le roman peut sembler rempli de clichés et de facilités psychologiques. Certains choix sont douteux (comme de présenter une femme noire à Chicago incapable de se trouver un emploi à cause du racisme implacable des employeurs) et semblent avoir été faits dans une optique critique face aux problèmes internes de l’Amérique. De ce point de vue, le 11 septembre devient icônique à l’intérieur du récit et permet d’expliquer un grand nombre de comportements et d’attitudes américaines: on découvre une Amérique intolérante et dangereusement engagée sur la voie du repli sur soi. Il y a une équivalence simpliste et dérangeante entre l’idée que les problèmes d’intégration des Arabes musulmans sont reliés au traumatisme des attentats et celle qu’il existe un racisme lancinant et puissamment ancré dans la mentalité américaine. L’auteur ne semble pas arriver à faire la part des choses à ce sujet. Bien sûr, les deux propositions sont défendables en soi, elles se vérifient tous les jours, mais c’est une erreur, croyons-nous, de tenter d’expliquer l’une par l’autre.

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

“Graham retira de la bouche sa pipe éteinte et s’emporta:

-Messieurs, vos propos sont dignes d’indicateurs de la police, pas de professeurs d’université.

Il y eut un murmure de réprobation, mais Graham continua d’une voix forte:

-La décision juste s’impose d’elle-même. Quiconque franchit les épreuves que lui impose le réglement intérieur du département a le droit d’y être inscrit. Ce qu’il fera ensuite de son diplôme et le pays dont il vient ne nous concernent pas.

-Ce sont des paroles comme celles-là qui ont conduit l’Amérique au 11 septembre, dit George Michael.

Graham lui jeta un regard et rétorqua sarcastiquement:

-Ce qui a conduit l’Amérique au 11 septembre, c’est que la plupart de ceux qui prennent les décisions à la Maison Blanche ont raisonné comme vous. Ils ont soutenu au Moyen-Orient des régimes tyranniques pour augmenter les profits de sociétés pétrolières et de marchands d’armes, ce qui a entraîné une recrudescence de la violence armée qui a fini par nous atteindre chez nous.Pensez que cet étudiant va laisser sa famille et partir au bout du monde pour acquérir des connaissances. Ne trouvez-vous pas que c’est là une attitude noble qui mérite le respect? N’est-il pas de notre devoir de l’aider? Rappelez-vous, Michael, que vous avez toujours été opposé à l’admission d’étudiants étrangers. Quant à vous, Raafat, vos propos relèvent de la loi contre le racisme.

-Je n’ai pas tenu de propos racistes, camarade Graham, réagit avec vivacité Raafat, en se tournant vers lui.

-Si vous m’appelez camarade en vous moquant, sachez que j’aime cette appellation. Je persiste à dire que vos propos sont racistes. Le racisme, c’est la croyance qu’une différence ethnique entraîne une différence de comportement et de capacité des hommes. Cette définition s’applique à vos propos sur les Égyptiens. Le plus étonnant c’est que vous êtes vous-même égyptien.

-J’ai été un jour égyptien, puis je m’en suis sorti. Quand reconnaîtrez-vous mon passeport américain?” (p. 33-34)

“Il me frappa à nouveau. je sentis un sang visqueux couler lentement de mon nez sur mes lèvres. Il cria d’une voix furieuse:

-Parle, fils de pute. Pourquoi veux-tu détruire notre pays? Nous t’avons ouvert les portes de l’Amérique. Nous t’avons accueilli pour que tu étudies et deviennes un homme respectable, et toi, en échange, tu complotes pour tuer des Américains innocents. Si tu n’avoues pas, je te ferai ce qu’ils font dans ton pays. Nous te fouetterons, nous te torturerons à l’électricité, nous te violerons.” (p. 442-443)

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