Cahiers Figura, numéro 13, 2005
Errances
Mouvement de la pensée, métaphore de la création, processus cognitif et sémiotique, l’errance peut être envisagée comme une posture intellectuelle impliquant un certain rapport au monde, au langage, à l'(A)utre, à soi. Ce cahier tente de dépasser les limites d’une simple thématique de l’errance pour explorer les espaces ouverts par son introduction dans le champ du sujet, mais aussi dans ceux de l’épistémologie et de la création littéraire et cinématographique. Au caractère éminemment protéiforme et complexe du phénomène de l’errance fait écho la diversité des pistes d’analyse et des objets d’étude: des textes littéraires –de Chrétien de Troyes à Kenneth White en passant par Alexandre Dumas et Joseph Conrad–, des genres littéraires –le récit poétique, le roman policier–, une oeuvre cinématographique, celle de Mike Leigh, et enfin le discours des femmes atteintes d’un cancer gynécologique.
Trois grandes articulations se dessinent à travers les errances multiples qui composent ce recueil. La première présente l’errance non pas comme un motif mais bien comme un principe poétique à l’origine d’une pensée, d’un genre littéraire, d’un langage. La seconde met en jeu la dialectique de l’errance et de la quête: toute quête suppose une part d’errance et toute errance est elle-même métaphore de la quête. La troisième envisage l’errance en termes de représentation et de description de manière à révéler les figures de l’errant.
Articles de la publication
Présentation: Errances
Qu’entre la littérature et l’errance il n’y a qu’un pas, et un pas qui, contrariant l’esprit analogique, n’est pas forcément celui de la déambulation. Si celle-ci est bien une expression de l’errance, le rapprochement des deux phénomènes provoque une restriction sémantique qui nous amène à les considérer séparément.
Les champs de l’atopie
«Kenneth White est-il un poète qui voyage ou un voyageur dont l’errance fait surgir la poésie?» Je pourrais faire mienne cette question posée par Robert Bréchon en 1979, en introduction à l’article intitulé «Vers un yogui occidental».
Errance dans le récit poétique, errance du récit poétique
Mode d’écriture centré sur les moyens plutôt que sur les fins, le récit poétique présente ainsi la particularité d’accorder une grande importance au paysage, un paysage que contemple le personnage, et dans lequel il se laisse absorber (dans tous les sens du terme), un paysage qui devient l’objet de son désir.
Joseph Conrad. L’errance du verbe
Lorsque paraît en 1896 An Outcast of the Islands, second roman de Joseph Conrad, les critiques sont pour la plupart élogieuses, mais quelques voix discordantes se font entendre, qui pointent les défauts présumés du livre – long et fastidieux selon le National Observer, submergé par les descriptions d’après le Sketch.
L’espace de l’errance dans les romans arthuriens (XIIe-XIIIe siècles)
Dans les romans arthuriens, c’est par le biais de l’errance que les héros se portent au-devant de la merveille et de l’épreuve, puisqu’ils quittent la cour du roi pour aller en quête d’aventures dans un monde inconnu. On peut se demander comment est donnée à voir leur errance et ce qui caractérise le nouvel espace qui s’ouvre à eux. Il s’agira notamment de découvrir les lieux qui se trouvent sur leur chemin en s’interrogeant sur ce qui fait leur spécificité.
Roman policier contemporain, labyrinthe d’une enquête, labyrinthe d’une écriture
Là où Sherlock Holmes ou Hercule Poirot avançaient avec un insolent aplomb intellectuel, le détective des romans policiers contemporains divague, ayant même perdu l’assurance physique d’un Arsène Lupin.
L’épreuve du cancer. De l’errance au sens
Étymologiquement, errance vient du latin errare qui signifie «se tromper», «s’égarer», et c’est souvent en ces termes que les femmes évoquent, au moins dans un premier temps, l’expérience du cancer: elles se sentent «perdues», elles n’ont plus de repères, ceux-ci se sont «tous effondrés», elles sont face à «un trou», face «au vide», plongées dans le noir «des ténèbres».
«Isaac Laquedem» ou Les errances d’Alexandre Dumas
Lorsqu’il entreprend, en 1853, de publier Isaac Laquedem dans Le Constitutionnel, Dumas projette un gigantesque ouvrage retraçant «l’histoire du monde entier depuis le titan Prométhée jusqu’à l’ange du Jugement dernier».
L’errance dans le cinéma de Mike Leigh ou l’odyssée des laissés-pour-compte du thatchérisme
L’errance, qu’elle soit physique ou spirituelle, est un thème récurrent dans le cinéma de Mike Leigh des deux dernières décennies. Tous ses films sortis en salle ont pour cadre Londres et ses banlieues, lieux des pérégrinations des protagonistes qui souffrent tous d’un manque de repères dans leur vie professionnelle ou affective.