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Why We Fight

Jean-Philippe Gravel
couverture
Article paru dans Films, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Jarecki, Eugene (2005), Why We Fight, États-Unis/France/Royaume-Uni/Canada/Danemark, 98 min.

Disponible sur demande (Fonds Lower Manhattan Project au Labo NT2)

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

Prenant pour fil directeur le discours d’adieu à la présidence de Dwight Eisenhower, qui invitait à la vigilance concernant l’essor inquiétant du complexe militaro-industriel aux États-Unis au lendemain de la seconde guerre mondiale, Why We Fight tente d’examiner comment, dans un climat post-11 septembre, le complexe militaro-industriel est parvenu à étendre son influence dans toutes les sphères de la vie américaine de même que dans les visées impérialistes de sa politique étrangère. Ce faisant, le cinéaste appuie la thèse selon laquelle les guerres qu’ont menées les États-Unis à l’étranger depuis 60 ans (guerre de Corée, guerre du Viêt-Nam, guerres en Irak) ont été davantage motivées par le profit de puissants intérêts privés que par la défense des valeurs démocratiques.

Le film avance sur trois fronts. Le premier, historique, retrace les grandes étapes de l’émergence et de l’expansion du complexe militaro-industriel, de la seconde Guerre mondiale à aujourd’hui. Les attentats du 11 septembre y sont présentés comme un événement sans précédent qui aurait permis l’implantation d’une politique de domination militaire planifiée depuis longtemps, notamment dans le fameux «Project for the American Century», mais la récapitulation historique de Jarecki tend à inscrire ces derniers développements comme le résultat naturel d’une tradition d’intimidation militaire à l’étranger, notamment exemplifiée par l’explosion des bombes atomiques à Hiroshima et à Nagasaki. Le second front, quant à lui, tente de donner la mesure de l’implantation de l’industrie guerrière à l’échelle domestique, notamment en ce qui concerne ses retombées économiques, son financement important et les conséquences de ceux-ci dans la vie américaine (dépendance économique de certains états à l’industrie de l’armement, influence des campagnes de recrutement sur les jeunes américains défavorisés, etc), avant d’examiner comment les lobbys et autres «think tanks» réussissent à contrôler l’information et l’opinion publique en limitant l’accès des médias dans leur couverture de guerre tout en ayant recours à une rhétorique biaisée et certains mensonges politiques pour «rationaliser» l’actuel effort de guerre. Enfin, le film tente d’explorer les conséquences «sur le terrain» de cet état des lieux en employant des extraits de reportages qui montrent l’envers et le coût humain de l’«Operation Iraqi Freedom», de même qu’en recueillant le témoignage de citoyens américains (militaires, une future recrue, un père ayant perdu son fils dans les tours du World Trade Center) dont l’expérience personnelle et les opinions couvrent un registre nuancé qui passe du promilitarisme dogmatique à une certaine désillusion.

Sollicitant la participation d’une gamme étendue de «personnages» et de spécialistes (sénateurs, vétérans, enfants d’Eisenhower, une ingénieure de l’industrie de l’armement, des spécialistes de l’histoire militaire, le journaliste Dan Rather, un ancien employé de la CIA, une jeune recrue des forces armées, quelques «vox-populi» avec des citoyens américains et irakiens, etc), Eugene Jarecki se montre d’évidence soucieux de représenter la diversité (contradictoire) des discours et des opinions prononcés au sujet de la guerre et de ses conséquences. En dépit de ce recours au principe journalistique du «juste milieu», c’est encore la dénonciation qui domine le propos de ce film qui cherche à réactualiser les mises en garde exprimées par Dwight Eisenhower quelque cinquante ans plus tôt contre les intérêts qui minent les fondements démocratiques de la société américaine.

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Long-métrage documentaire.

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Comme la plupart des documentaires dont la stratégie de mise en scène consiste à dynamiser visuellement un contenu essentiellement obtenu par le biais d’interviews, le film de Jarecki s’étoffe d’archives visuelles nombreuses: archives de «newsreels», films de propagande (le film emprunte son titre d’une série de documents réalisés par Frank Capra durant la seconde Guerre mondiale), films corporatifs (cf. Halliburton), montages d’actualités et reportages sur le terrain (excursions en Irak, visite d’une «foire aux armements»), affiches et films publicitaires pour le recrutement dans l’armée, «Vox Populi», documents officiels imprimés (souvent falsifiés), spectacles télévisés patriotiques et articles de journaux, tandis que la trame musicale puise dans un vaste répertoire (contemporain et d’époque) dont l’utilisation commente de façon ironique ou empathique le contenu des images.

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

La présence du 11 septembre est générique, avec quelques plans d’actualités télévisées représentant les tours jumelles incendiées et leur écroulement. Le film comprend aussi un plan illustrant les colonnes lumineuses du «WTC Memorial» et un court extrait du discours de Georges W.Bush à la population sur le site de «Ground Zero».

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

Les événements sont présentés brièvement de façon explicite par le biais d’images d’actualité. Ces dernières s’accompagnent du témoignage d’un personnage qui dit avoir été écœuré par leur diffusion insistante et répétitive. Il arrive que ces images soient captées par une caméra placée devant un téléviseur, qui les diffuse (ce qui est peut-être une forme d’ekphrasis?).

Les événements du 11 septembre sont mentionnés au début du film et servent essentiellement à étayer la théorie voulant que les attentats aient servi de prétexte au gouvernement pour mettre en œuvre son agenda de politique étrangère basée sur l’affirmation de sa suprématie militaire par le biais de guerres préventives.

Les commentaires audio accompagnant la couverture médiatique des événements sont également considérés comme dignes d’attention puisqu’ils illustrent, selon un témoin, l’application d’une stratégie de désinformation appelée «blowback» par la CIA, laquelle consiste à dissocier, dans l’opinion publique, les effets des causes, au profit d’un discours manichéen (voir citations).

Moyens de transport représentés: Le seul moyen de transport dont la représentation concerne le 11 septembre est le métro de New York. La ligne d’horizon de la ville de New York est présentée de l’intérieur d’un wagon de métro, à la manière d’un plan subjectif, pour accompagner le témoignage d’un personnage se remémorant avoir vu les tours en feu lors d’un voyage en métro. Ces plans visent à rehausser le caractère évocateur du témoignage. Les moyens moyens de transport concernent surtout l’arsenal guerrier.

Moyens de communication: Archives (télévisuelles), reportages de CNN, extraits de reportages radio en direct lors des attentats contre le WTC sont évoqués dans un contexte où la couverture médiatique des événements est critiquée par des intervenants qui interrogent la spectacularisation de l’événement, sa récupération idéologique et l’absence de débat quant aux causes réelles des attentats comme de la guerre en Irak.

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

À la manière (beaucoup moins spectacularisée) du témoignage de Lila Lipscomb dans Farhenheit 911, le montage du film est émaillé du témoignage dramatique de Wilton Sekzer, un vétéran de la guerre du Viêt-Nam et policier à la retraite qui a perdu son fils dans le World Trade Center. Sekzer raconte ainsi comment, d’abord anéanti et demandant vengeance, il a, par ses démarches auprès du gouvernement, permis à l’une des premières bombes à tomber sur l’Irak de porter le nom de son fils disparu. Or, sitôt qu’il entend le président Bush démentir publiquement l’implication directe de Saddam Hussein dans les attentats du 11 septembre, Sekzer, qui était jusqu’alors un farouche partisan de la guerre, déchante, se disant floué dans son patriotisme, trahi et manipulé par son gouvernement.

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Extraits de reportages sur les attentats avec commentaire en voix off des journalistes et des annonceurs, lesquels présentent les attentats comme une «attaque des forces du mal».

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Ne s’applique pas.

Autres aspects à intégrer

N/A

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

«Grand Jury Prize winner at the 2005 Sundance Film Festival, WHY WE FIGHT is an unflinching look at the anatomy of American war-making. Granted unparalleled Pentagon access, the film launches a nonpartisan inquiry into the forces — political, economic, and ideological — that drive America to fight.

Inspired by President Dwight Eisenhower’s 1961 Farewell Adress in wich he warned Americans about the dangers of the “”military-industrial complex””, filmmaker Jarecki (“”The Trials of Henry Kissinger””) weaves unforgettable stories of everyday Americans touched by war with commentary by a “”who’s who”” of military and Washington insiders.

Featuring John McCain, Gore Vidal, Richard Perle and others, WHY WE FIGHT explores a half-century of U.S. foreign policy from World War II to the Iraq War, revealing how, as Eisenhower warned, political and corporate interests have become alarmingly entangled in the business of war. On a deeper level, what emerges is a portrait of a nation in transition — drifting dangerously far from her founding principles toward a more imperial and uncertain future.»

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

Inconnues à ce jour (08/2007).

Citer la dédicace, s’il y a lieu

Aucune dédicace.

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

Impact de l’œuvre

Inconnu à ce jour (08/2007).

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

L’appartenance du film au genre documentaire n’empêche pas Jarecki, évidemment, d’avoir recours à des arcs et à des procédés dramatiques, notamment dans sa façon de présenter l’histoire de Wilton Sekzer comme une sorte d’archétype dans le récit duquel se reflète le cheminement d’une conscience collective vers l’ambivalence.

Dans Why We Fight, en effet, le témoignage de Sekzer sert d’exemple et d’illustration des effets de la récupération idéologique des attentats du 11 septembre pour justifier la guerre en Irak — de la désinformation qui a pour ainsi dire rendu cette guerre «acceptable» aux yeux d’une opinion publique considérablement secouée au lendemain des attentats et donc portée à avoir un regain de confiance envers son gouvernement. À quelques temps de là, les «retombées» et conséquences de cette vague de confiance (perte d’un fils au front comme dans Farhenheit 9/11, amertume suite au dévoilement d’un mensonge politique comme dans ce cas-ci) entraînent une conscientisation tragique et un remaniement des opinions individuelles dont l’expression, par le biais du témoignage de personnes d’évidence choisies pour la valeur typique de leur parcours, constituera sans doute (si ce n’est déjà fait) l’une des récurrences narratives les plus fortes au sein des documentaires (ainsi que des films de fiction) qui cherchent à conscientiser le public aux réalités complexes de la guerre et à l’instrumentalisation des attentats du 11 septembre (ainsi que d’autres attentats en territoire domestique, comme le montre le film Munich de Steven Spielberg) pour servir à des fins politiques qui n’y sont pas directement liées. On peut alors parler d’une «contre-fictionnalisation» face à la «fictionnalisation» officielle des attentats par la rhétorique manichéenne du discours politique.

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

[Chalmers Johnson, CIA, 1967-1973] «Blowback — it’s a CIA term — […] does not mean simply the unintended consequences of foreign operations. Il means the unintended consequences of foreign operations that were deliberately kept secret from the american public. So that when the retaliation comes, the public is not able to put it in context, to put cause and effect together, so that they come up with questions like “Why do they hate us?”. […] Our government did not want the forensics questions asked, [like] what were their motives, and instead chose to say they were just evildoers.»

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

Le film a été considéré (à juste titre) comme présentant le même genre d’argumentation que les films de Michael Moore, Bowling for Columbine et Farhenheit 9/11 — la «plus value» du commentaire humoristique en moins.

Affiche / pochette du film

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