Article d'une publication

Un désordre américain

Annie Dulong
couverture
Article paru dans Romans états-uniens, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Kalfus, Ken (2006), Un désordre américain, Paris, Plon, 225p. [Kalfus, Ken (2006), A Disorder Peculiar to the Country, New York, HarperCollins Publishers, 237p.]

Disponible sur demande — traduction française et version originale anglaise (Fonds Lower Manhattan Project au Labo NT2)

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

Débutant le matin du 11 septembre dans un taxi newyorkais, Un désordre américain met en scène un homme et une femme dont le mariage, plus que de simplement se défaire, est en processus d’implosion. Marshall et Joyce, dont le divorce traîne depuis un bon moment, partagent le même appartement et la garde de leurs deux enfants et cette cohabitation transforme leur appartement en zone de guerre : coups bas, destruction, manipulation, tous les moyens semblent bons pour obliger l’autre à céder et à quitter l’appartement qu’aucun ne veut laisser à l’autre. Le 11 septembre, Joyce, à la dernière minute, ne prend pas le vol 93 de United Airlines. Marshall, quant à lui, est retardé par un flirt avec l’éducatrice de l’un de leurs deux enfants et n’est donc pas à son bureau du WTC lorsque le premier avion frappe. Il est néanmoins sur les lieux et échappe à l’effondrement des tours. Au cours des mois qui suivent, alors que les Etats-Unis vivent l’occupation de New York par l’armée, l’empoisonnement du courrier à l’anthrax et la guerre en Irak, les deux personnages poursuivent d’une manière encore plus intensive leur lutte en vue du divorce sans parvenir véritablement à achever l’autre. Au terme du roman, les deux personnages, épuisés par cette lutte incessante, finissent par divorcer. Le roman se clôt avec le succès de la guerre en Irak et surtout la pendaison de Saddam Hussein. Marshall et Joyce se retrouvent sur une place publique alors que la ville fête la mort du dictateur.

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Roman.

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Narration hétérodiégétique à focalisation surtout interne. Le roman emprunte les points de vue divergents des personnages de Joyce et de Marshall. À l’image du couple en lui-même, les trames narratives se croisent sans véritablement se rejoindre. Il est à noter que, pendant un bref moment, la narration (toujours à la troisième personne) passe à Viola, la fille du couple, qui tente, en faisant une liste, de comprendre tout à la fois sa situation familiale, les événements du 11 septembre et la situation politique de l’après-11 septembre.

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

La présence du 11 septembre est particularisée. Joyce devait se trouver à bord du vol 93. De son bureau, elle voit les tours s’effondrer. Le bureau de Marshall se trouvait dans l’une des tours et le personnage réussit à sortir vivant des tours. Il en est d’ailleurs marqué à la fois physiquement (en plus d’éraflures et de coupures, il se retrouve quelque temps après avec une irritation cutanée) et professionnellement : son bureau ayant disparu dans l’effondrements des tours, il erre dans la ville pendant des jours, se retrouvant tous les jours à Ground Zero. De plus, des personnages discutent des attaques alors qu’ils tentent de comprendre ce qui se passe (p. 28).

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

Les événements sont présentés dès le début du livre d’une manière très explicite. La description du World Trade Center après l’écrasement du premier avion est faite à travers les yeux de Marshall : « Une heure plus tard, Marshall était étendu dans le noir au milieu des décombres, en un lieu qu’il ne pouvait précisément identifier, après avoir vécu une série d’événements dont il ne pouvait ni rétablir la chronologie ni saisir le sens. » (p. 21) Le point de vue est véritablement celui de l’homme qui cherche tout à la fois à comprendre ce qui s’est passé, à sortir des décombres et à survivre. La description fait appel aux sens (odeurs, sons, images). Elle est relativement courte (à peine quelques pages), mais les événements sont mentionnés plusieurs fois par la suite, notamment parce que Marshall a tenté d’aider un homme pétrifié à sortir des décombres. L’homme meurt la tête à moitié arrachée par une explosion.

Moyens de transport représentés:  L’avion, par le vol de United que Joyce n’a pas pris. Les taxis, mais de manière accessoire.

Moyens de communication représentés: Il semble pendant une bonne partie du roman que le discours médiatique constitue la toile de fond, voire le paysage sonore des personnages. En effet, CNN (surtout) semble toujours jouer en arrière-plan dans l’appartement du couple. Les informations parfois contradictoires deviennent le reflet de la confusion des personnages devant les événements. Parfois, CNN semble jouer un rôle dans l’intrigue, lorsque les informations diffusées à l’écran son reprises par les personnages ou lorsque, notamment, Joyce, après avoir vu un reportage à la télévision, croit que Marshall est celui qui a envoyé une lettre empoisonnée à l’anthrax à son travail.

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

Les événements du 11 septembre constituent la toile de fond du roman. Les deux protagonistes ont échappé aux attentats le jour même. De plus, une lettre contenant une poudre blanche est trouvée sur le lieu de travail de Joyce. Cela a pour conséquence de provoquer une rencontre entre Joyce et un agent du FBI qui lui révélera les bafouillages des renseignements américains avant et après les attentats. Joyce soupçonnera d’ailleurs Marshall d’être responsable de cet envoi. Les services de secours sont mentionnés : des collègues de Joyce vont à Ground Zero et vivent une certaine «effervescence » sexuelle avec les pompiers et les policiers. Les enfants du couple, Viola et Victor, font des dessins du 11 septembre (p. 78-79) et jouent au 11-septembre : « Les enfants avaient sauté pendant des heures cet après-midi et la veille, des centaines de sauts sur le côté du perron. Et, devant les tours encore debout, crachant flammes et fumée, aucun de ces sauts ne ressemblait au précédent. »(p. 115). Ce trouble des enfants est d’ailleurs utilisé dans la lutte qui oppose les deux protagonistes.
Le point de vue est essentiellement personnel. Même si des mentions sont faites suggérant un contexte plus social (le milieu du travail, les secours à Ground Zero, la société américaine, voire, à travers les discussions sur la judaïcité du fiancé de la sœur de Joyce, le conflit israëlo-palestinien), les événements extérieurs jouent le rôle de révélateurs de ce qui se passe dans les procédures de divorce (et non l’inverse).

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Aucun son.

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Aucun travail iconique.

Autres aspects à intégrer

N/A

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

11 septembre 2001 : le divorce de Joyce et Marshall Harriman ressemble à une interminable guerre de tranchées où les protagonistes s’affrontent à coups d’avocats et d’injures bien senties. Ce matin-là, Marshall est en route pour son bureau situé au World Trade Center et Joyce doit prendre un avion à Newark. Face aux tours qui s’écroulent, chacun espère secrètement la mort de l’autre et s’en réjouit déjà. Il n’en est rien.

Commence alors une guerre conjugale d’une violence inouïe mise en abyme avec une Amérique en plein conflit avec l’Irak, d’où personne ne sortira indemne.

À travers cette comédie grinçante et noire, Ken Kalfus dépeint d’une plume subtile et acérée le désordre post-11 septembre, reflet d’un pays déstabilisé et sans repères, comme jamais on n’a osé le faire jusqu’ici.

Né à New York, Ken Kalfus a vécu à Paris, Dublin, Belgrade et Moscou. Auteur de nouvelles très remarquées et d’un premier roman, il écrit également pour des revues littéraires. Il vit aujourd’hui à Philadelphie avec sa femme et sa fille.

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

« Responding to this whole media frenzy about all the heroes of 9/11, everyone who was killed was supposedly a perfect spouse, a perfect father, mother, colleague […]. This whole glorification of people was at odds with how people really are and it disturbed me. People live complicated, messy lives. A tragedy like this defines the victims not by the way they lived, but by the way they died. » And the great danger in doing so, he says, is that it plays into the same impulse that made the al-Qaeda attacks possible : that dying has more meaning than living. « You end up creating a culture of death. The honoured dead [become] superior to the living who schlep along. And that’s exactly the kind of culture that breeds suicide bombers and plane hijackers. » (9/11 : How artists have responded. The War at home, arcticle de Rachel Giese, 7 septembre 2006, http://www.cbc.ca/arts/books/kenkalfus.html [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée]

Citer la dédicace, s’il y a lieu

Pour Bobby
et pour Lauren

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

http://www.e-litterature.net/publier2/spip/spip.php?article390

http://www.salon.com/books/review/2006/07/25/kalfus/

http://nymag.com/arts/books/reviews/17563/

http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2006/07/31/AR200607…

Impact de l’œuvre

Inconnu pour le moment (10/2007), mais le livre semble avoir suscité des réactions polarisées.

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

La motivation de Kalfus (donner une image plus humaine des personnes mortes dans les attentats) mérite à elle seule que l’on s’arrête au livre. Au lieu de consentir à cette mythification, voire à cette glorification, Kalfus opte pour l’inverse: ses personnages sont mesquins, vengeurs, et leur regard sur les événements qui les entourent sont soit désintéressés, soit opportunistes. Le roman est divisé en huit parties portant des noms de mois, à partir de septembre 2001, mais il n’est pas clair qu’il y ait une continuité absolue au niveau temporel. En effet, la mention et l’ordre d’apparition dans le récit de certains événements historiques (la guerre en Irak, la pendaison de Saddam Hussein) ne respectent pas les faits: la guerre en Afghanistan semble ainsi à peu près gommée, et la pendaison de Hussein, qui n’a eu lieu qu’après la publication du roman et au terme d’un procès dont le roman ne dit rien, devient pourtant un moment culminant du roman. Il est d’ailleurs à noter qu’à la lecture, une telle « licence » historique laisse perplexe et rompt le pacte de lecture: alors que, jusqu’à ce moment, on pouvait croire que la fiction se construisait autour de la réalité (Marshall, ainsi, aurait été à l’emploi de Cantor Fitzgerald, même si le nom de la compagnie n’est jamais donné; l’apparition de l’anthrax dans le courrier américain; les luttes intestines à l’ONU, etc.), la découverte des armes de destruction massive, la pendaison dans la joie (et dans un verger) d’Hussein, la victoire des Etats-Unis en Irak sont autant d’éléments qui obligent d’une certaine façon à remettre en cause les éléments qui, jusqu’alors, semblaient historiquement corrects. Il faudra étudier cette transformation de la chronologie et de l’Histoire afin de voir comment elle participe à la mythification (même si Kalfus s’en défendait).

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

« Rien de ce qui était arrivé ce matin-là — la dispute avec Joyce, le flirt avec Miss Naomi — n’avait disparu de sa mémoire, ni perdu de netteté. Il crut vivre ses derniers instants, ne plus jamais revoir Viola et Vic, ne même plus jamais pouvoir penser à eux. Pourtant, il se dit qu’il devait absolument appeler le service de garde sinon le chien pisserait sur le tapis de l’entrée. » (p. 21-22)

« Devait-elle appeler Marshall? Elle n’avait même pas essayé de le joindre un mois plus tôt alors qu’il y a avait de grandes chances pour qu’un bâtiment de six cent mille tonnes lui soit tombé dessus. Il était arrivé à l’appartement cet après-midi-là le front recousu et le costume déchiré, et elle lui avait dit : « Tu t’en es sorti? » Il avait regardé ailleurs, en l’air, et répondu : « Tu n’as pas pris l’avion? » Puis, il avait ajouté d’un ton pesant : « Nous sommes vraiment vernis. » »(p. 33-34)

« Des milliers de photos avaient été prises autour de Ground Zero le 11 septembre, et il n’apparaissait sur aucune d’elles. Dans la totale solitude de sa chambre à coucher, il avait épluché les journaux, les magazines et les numéros spéciaux publiés au cours du dernier mois. Il avait cherché une image de lui ou de quelqu’un qu’il aurait pu rencontrer pendant l’évacuation. Lentement passé ces photos à la loupe, surtout celles où l’on voyait ceux qui s’étaient enfuis après l’effondrement de la tour sud. Rien ne prouvait qu’il se trouvait au World Trade Center ce matin-là, et avait survécu. » (p. 45)

«Et pourtant les êtres humains vivaient sans conscience des connexions qui les reliaient. Entretenaient des fantasmes d’autonomie, la conviction idiote que chacun signifiait quelque chose à lui seul. Maintenant Marshall comprenait tout. Les embouteillages, le métro, le téléphone, les mails, les avions lourds de kérosène qui tournaient au-dessus d’eux, la poste américaine: tout cela les maintenait dans les filets d’une fragile et luisante toile de sens. Si fragile qu’un acte unique de malveillance suffisait à la déchirer. Ce qui donnait un sens à chacun était entre les mains des autres.» (p. 55)

« Chaque jour semblait être le dernier avant la première bataille, pourtant un autre passait qui réduisait de moitié le temps les séparant de la guerre. » (p. 212)

« Ils murmuraient à leurs écrans de télévision : Allez, finissons-en. Lorsque la bataille commença enfin, avec une attaque aérienne surprise sur le bunker où Saddam était supposé se cacher, et le raid horrible, scandaleux, sur Bagdad, retransmis en direct, Marshall et Joyce ressentirent le même soulagement, chacun devant sa télévision, dans leur appartement commun. »(p. 213)

(Voir aussi la scène, p. 181-184, où Marshall tente de se transformer, sans succès, en bombe humaine.)

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