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The Book of Ten Nights and a Night

Jean-François Legault
couverture
Article paru dans Nouvelles, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Barth, John. 2004. The Book of Ten Nights and a Night. New York, Houghton Miffin, 295p.

Disponible sur demande (Fonds Lower Manhattan Project, au Labo NT2)

   

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

John Barth est considéré par plusieurs comme un maître, sinon un fondateur, du mouvement post-moderne en littérature américaine. Le recueil de nouvelles The Book of Ten Nights and a Night, constitué de textes déjà publiés, est le plus récent produit de sa prolifique carrière. Comme c’est généralement le cas de l’œuvre post-moderne, il est difficile de faire le résumé de ce recueil sans également traiter de sa structure, la forme et le contenu s’entremêlant jusqu’à se confondre. The Book of Ten Nights and a Night est donc une collection de courtes histoires, l’intention du narrateur étant de composer un «Hendécaméron» contemporain des événements du 11 septembre 2001, à l’image du Décaméron de Boccace, qui avait pour toile de fond l’épidémie de peste noire à Florence (1340-1350). Ainsi, Barth ne se limite pas à colliger onze textes: il leur compose un récit cadre mettant en scène, à la manière homérique, l’imagination narrative de l’auteur sous la forme d’un «Present Teller» dénommé Graybard, et sa «Parnassian Muse» appelée Wysiwyg, un nom tiré de l’acronyme informatique signifiant «What you see is what you get». Le poète et sa muse vont se réunir pour onze nuits dans un accouplement métaphorique et littéral, et raconter non pas onze, mais dix nouvelles, la première, un poème graphique intitulé Help! A sterephonic narrative for authorial voice, se faisant contester son statut d’histoire à part entière. Sans tenir compte du cadre narratif, on compte donc bien dix histoires (et demie, en considérant le poème graphique), aucune n’ayant de lien avec (ni même les évoquant, la plupart ayant été écrites avant) les événements du 11 septembre.

C’est dans le récit cadre qu’il faut chercher la présence des attentats terroristes. En effet, à l’image des Mille et Une Nuits, le texte multiplie et télescope les niveaux narratifs. Dans l’ultime récit cadre, celui où «the Original Author» (OA) interagit directement avec son narrateur, les événements de la réalité pénètrent jusque dans la fiction. Graybard raconte alors comment l’OA a réagi aux attentats, et comment se sont passés les jours qui ont suivi. Le lecteur apprend ensuite le projet de Graybard de raconter onze histoires ayant pour thèmes l’automne et la détresse, sans qu’aucune d’elles ne soit concernée, de près ou de loin, avec le 11 septembre. Le silence narratif quant à ces événements ne fait que mettre en relief les passages de la métanarration où il en est question : fidèle à l’optique du post-modernisme, c’est donc lorsque l’œuvre parle le moins du 11 septembre 2001 qu’elle en parle le plus.

Le lecteur trouvera donc dans le présent recueil, hormis le récit cadre relatant les dialogues d’un barde et de sa muse, des nouvelles portant sur l’innocente culpabilité maritale dans «The Rest of Your Life», la narration avortée d’un Dramatic Vehicle sans son Ground Situation dans «The Ring», la tragique entrée dans l’âge d’or d’un couple choyé et sans histoire dans «The Extension», et plusieurs autres contes portant sur la fiction, l’imagination, les chiffres, la vieillesse, mais surtout pas sur le 11 septembre 2001.

   

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Recueil de nouvelles

   

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Narration télescopée: les divers narrateurs sont tour à tour extra et intradiégétique, hétéro ou homodiégétique. La temporalité du récit cadre, généralement linéaire, est parfois ponctuée de subtils retours en arrière, le plus souvent des analepses homodiégétiques complétives. Les diverses nouvelles maintiennent aussi une certaine linéarité interne tout en jouant sur la temporalité. Intertexte explicite avec l’Iliade, Les Milles et une nuits, Le Décaméron et La Divine comédie.

   

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

La présence du 11 septembre est générique.

  

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

i) Le récit garde en général une certaine distance quant aux détails des événements. Il n’est la plupart du temps question que des feux brûlant encore sous les décombres. Le contact le plus près avec les événements se fait au travers des yeux d’un couple, censé être l’Auteur Original et sa femme, qui apprennent la nouvelle des attentats à la radio. La suite de leur journée est ensuite décrite, de même que les journées suivantes, de manière à faire ressortir la futilité des gestes quotidiens face à une telle tragédie. Paradoxalement, après une journée de deuil, l’auteur revient à sa table de travail, se disant que devant une telle aberration, qu’il nomme TEOTWAW(A)KI (The End Of The World As We (Americans) Know It), il n’y a pas de comportement adéquat, et qu’il vaut aussi bien revenir à la fiction, peut-être la seule réaction «saine» possible (ce qui deviendra l’un des propos les plus forts de l’œuvre en regard aux attentats terroristes). La temporalité du récit cadre étant simultanée aux événements, le point de vue est contemporain du 11 septembre et des jours qui suivent.

ii) Moyens de transport représentés: Pas de moyens de transport représentés, si ce n’est les avions, à travers l’évocation du fuel qui brûle encore sous les ruines des tours plusieurs jours après les attentats.

iii) Moyens de communication représentés: Certains personnages entrent en contact avec les événements par l’entremise d’un bulletin radiophonique, sans que cela ne prenne une importance notable.

   

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

L’une des intentions annoncées de l’auteur est de réagir aux événements en tissant une fiction caractérisée par sa non-pertinence avec le 11 septembre. Lorsque les attentats sont représentés, ils le sont du point de vue d’un couple américain de classe moyenne, retraités, habitant à des centaines de kilomètres de Ground Zero et entrant en contact avec les événements par l’entremise des médias. Les personnages se plient alors à un «rituel» ayant probablement été partagé par une grande partie de la nation américaine: les premières heures fixées au téléviseur, la crainte de nouvelles attaques, le sentiment d’impuissance, la nécessité futile des petites tâches ménagères, la première nuit au sommeil agité, le deuil national, puis la reprise progressive des activités, avec la sensation que l’Amérique ne sera plus jamais la même. À quelques reprises dans l’œuvre perce une critique de la société américaine et plus particulièrement du gouvernement républicain en place.

  

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Pas de sons.

  

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Pas de travail iconique sur le texte en lien avec le 11 septembre. Le recueil de nouvelles contient néanmoins un poème graphique intitulé Help!.

  

Autres aspects à intégrer

N/A

  

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

John Barth, the postmodern master, is back with his sixteenth book and third collection of stories, which gathers for the first time in one volume stories previously published in various journals. Exploring ideas of narrative frames, stories within stories, and the uncanny power that language has in our lives, he offers the thrilling blend of playfulness and illuminating insight that has marked him as one of America’s most distinguished writers.Here are tales of aging, time, possibility, and relationships. And in typically Barthian fashion, they are framed by the narration of a veteran writer, Graybard, and his flirtatious, insouciant muse, WYSIWYG (What You See Is What You Get). During the eleven days that follow September 11, 2001, Graybard and WYSIWYG debate the meaning and relevance of writing and storytelling in the wake of disaster, or TEOTWAW(A)KI The End Of The World As We (Americans) Know It. The Book of Ten Nights and a Night is vintage Barth, sure to appeal to his loyal fans and find new readers touched by his irreverent but deeply human perspective on how writers can respond to the emotional and ethical demands of tragic events.

  

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

«Barth is reluctant to characterize Ten Nights as a major departure from his style. It may involve a new narrative approach, he says, but its two main characters are fighting an old battle. For most of his literary life, his characters have been confronting dead ends: writer’s block, suicide, the end of modernism, the end of literature, Y2K. And by hook or by crook, digression, disguise, or transformation, they’ve kept telling their stories.

But through it all, Barth’s scandalously comic, even bawdy, narrative tone has always been shadowed by its own vaguely apocalyptic outlook. His last comic novel, Coming Soon . . . !, for instance, was punctuated with several nightmarish litanies of things to keep you awake at night: cultural decline, global warming, Y2K, new and incurable diseases. So after 40 years of writing, Barth isn’t inclined to change this outlook dramatically. When asked if Sept. 11 has affected him any differently than, say, the Cold War, Barth answers firmly.

“No,” he writes. “In both cases, Apocalypse waits in the wings. But on the personal level, that’s true for everybody everywhere all the time. So what else is new?”

In the interest of preventing large numbers of young writers from hanging themselves, it seems worthy to ask if a more positive spin were possible. Barth obliges, but his response doesn’t exactly amount to a pep talk.

“My muse is indeed the one with the grin instead of the grimace,” he writes. “But behind her loopy mask I incline to the Tragic View of nearly everything . . . always mindful (I would remind my students) that the Tragic View is not to be mistaken for Despair. All centuries are more or less disastrous; no reason to imagine that the 21st will be spared. Meanwhile, on with the story! As Wysiwig’s pogrom-survivor grandma says, ‘If we didn’t laugh, we’d hang ourselves.’

It’s an approach that’s been a fall-back for artists and writers for centuries. Barth says that, for his part, he finds particular comfort in Boccaccio’s Decameron, in which characters respond to the Black Death by holing themselves up in a castle and holding storytelling contests, “making the best of a horror show they can do nothing about.” For him, it’s a running theme: people surviving cataclysms by telling stories. But Barth cautions that telling tales doesn’t mean being oblivious.

“Indeed, Boccaccio’s lords and ladies get criticized, not for fleeing a catastrophe that they can do nothing about, or for amusing themselves with the ribald stories while it runs its course, but [for] not acknowledging the dreadful context of their tale telling, even upon their return to plague-devastated Florence.”»1https://web.archive.org/web/20040815024127/http://www.citypaper.com/arts/story.asp?id=6216 [Page consultée le 3 août 2023]

  

Citer la dédicace, s’il y a lieu

For Shelly sine qua non

  

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

   

Impact de l’œuvre

Impact inconnu

   

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

Un thème traverse l’oeuvre de John Barth comme un whodunnit à ne pas perdre de vue : l’homme étant un être de fiction, un roman traitant du processus fictionnel en vaut bien un autre sur un sujet plus «tragique». Comme un roman policier plonge le lecteur dans une dialectique de «qui a fait/n’a pas fait quoi, quand et où», les histoires de Barth s’intéressent à «qui a écrit/n’a pas écrit quoi, quand et où». La fiction sur la fiction invite au jeu: la multiplication des niveaux narratifs, les permutations numériques et l’exploration borgésienne de tous les futurs possibles ne sont que quelques exemples de ce qui attend celui qui s’aventure dans la prose labyrinthique de Barth. Plusieurs objecteront par contre qu’un recueil ludique est un bien piètre endroit pour traiter de la question du 11 septembre 2001. Comme un visage à deux faces, le recueil The Book of Ten Nights and a Night entend intégrer l’horreur des attentats terroristes à onze histoires anodines sur le tragique de la panne de l’écrivain, la difficulté de vieillir, etc. Certains diront qu’il s’agit d’un manque de respect; d’autres, plus avisés, iront chercher dans l’intertexte avec le Décaméron de Boccace l’intention de l’auteur d’intégrer, dans un livre projeté et largement écrit avant, les événements du 11 septembre 2001. L’une des conclusions unanimes tirées des analyses répétées de l’oeuvre de Boccace est que la narration délibérée des personnages face aux horreurs de l’épidémie de peste devient une façon (peut-être la seule) de reprendre la maîtrise sur le réel, au moment où la réalité elle-même semble dépasser la fiction. C’est ce qu’exprime le narrateur Graybard dans son invocation d’ouverture à Ten Nights and a Night:

«Their quandary (Graybard’s and Wysiwyg’s) is that for him to re-render now, in these so radically altered circumstances, Author’s eleven mostly Autumnal and impossibly innocent stories, strikes him as bizarre, to put it mildly indeed – as if Nine Eleven O One hadn’t changed the neighborhood (including connotations of the number eleven), if not forever, at least  for what remains of Teller’s lifetime. And yet not to go on with the stories, so to speak, would be in effect to give the massmurderous fanatics what they’re after: a world in which what they’ve done already and might do next dominates our every thought and deed.» (page 5, texte d’origine en italique).

Il est fait plusieurs fois par la suite référence à «The Relevance of Irrelevance» comme principe moteur de l’exercice narratif auquel s’adonnent chaque soir le barde et sa muse. Ayant pour théâtre le 11 septembre 2001, cet exercice, par son caractère délibéré, se dote d’une dimension ludique, comme c’est le cas au travers des jeux sur les chiffres auquels l’auteur s’adonne avec plaisir et assiduité. Par exemple, le titre The Book of Ten Nights and a Night, est une référence explicite aux Mille et une nuits (en anglais One Thousand and One Night)  dont le narrateur s’inspire à plusieurs reprises. D’autre part, les chiffres «1» et «10» présents dans le titre ne manquent pas d’évoquer les 110 étages des tours jumelles, les onze histoires se passent toutes en automne, l’une d’elles s’intitule «9999», l’heure sur un cadran numérique montrant constamment 9:11, etc. Les références numériques intentionnelles au 11 septembre 2001 pullulent, mais jamais ces manipulations de chiffres ne sont explicitement associées au 11 septembre. Comme quoi le recueil de nouvelles de John Barth se veut la preuve que, devant des circonstances aussi tragiques que les événements du 11 septembre, la meilleure façon d’en parler est de parler d’autres choses.

   

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

«Exciting, no? While ethnic hatreds lacerate much of earth’s burgeoning human population; while poverty, disease, and malignant governments afflict millions more; while those of us fortunate enough to be spared such miseries busily overconsume our planet’s natural resources, despoil the environment, and confront sundry crises of our own at every stage of our so-brief-no-matter-how-long lives, Charles P. Mason scribblescribblescribbles! And while some others blessed with his gifts of language and narrative imagination manage to illuminate in just a few pages some aspect of human experience and to render that illumination memorably into life-enhancing art, our Chuck spins yarn about… yarnspinning!» (page 98)

«Be it established that this pair are pleased to be American and regard themselves as normally patriotic; neither, however, goes in for extended national flag-waving , so often exploited by whatever ruling party to suppress dissent. Both inclining, moreover, to the Liberal persuasion and, ipso facto to distrust of their nation’s current right-wing administation, they worry that a country-wide orgy of patriotic display will obscure and serve that administration’s pre-9/11 agenda, just when its prospects had looked happily dim in the divided Congress. No Kyoto Protocols against global warming for us Yanks, thanks! No Anti-Ballistic Missile or Anti-Landmine treaties or International Criminal Court for us, either; maybe no more Roe v. Wade abortion-rights too, while they’re at it, and forget about stricter gun-control legislation and protection of our national parks against corporate predation. Instead, zillions for the futile and counterproductive ”Star Wars” missile-defense program and for gargantuan military buildups; even more tax breaks for the very wealthy; huge budget deficits where there had been healthy surpluses, and never mind national health care, Social Security, the environment, and separation of church and state!» (page 86).

   

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

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