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Sorry, Haters

Jean-Philippe Gravel
couverture
Article paru dans Films, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Stanzler, Jeff (2005), Sorry, Haters, États-Unis, 83 min.

Disponible sur demande (Fonds Lower Manhattan Project au Labo NT2)

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

Salué pour la qualité de son interprétation, mais décrié pour la rupture de ton qu’exerce sa finale spectaculaire, Sorry, Haters pourrait modestement s’inscrire dans la lignée des suspenses hitchcockiens et des drames passionnels (à la Fatal Attraction) qui voient un homme innocent entraîné à sa perdition par un personnage féminin manipulateur et déséquilibré. Ce motif se revisite ici dans une trame enrichie de notations sociales et psychologiques qui tentent d’envisager les retombées parfois imprévues des attentats du 11 septembre dans la vie de deux personnages de cultures et de milieux opposés.

Ashade, un chimiste syrien qui conduit un taxi à New York, prend un soir dans son véhicule une femme d’allure professionnelle, Phoebe, mais qui est ivre et manifestement peu pressée de se rendre à quelque destination que ce soit. Malgré les protestations du chauffeur, celle-ci l’emmène d’abord dans une banlieue du New Jersey afin d’épier la maison de son ancien mari, lequel, selon elle, lui aurait été «volé» par une collègue de travail. Ressassant ses malheurs personnels et harcelant le chauffeur de questions indiscrètes, Phoebe apprend qu’Ashade s’occupe de sa belle-sœur en attendant la libération de son frère, actuellement menacé d’expulsion après avoir été injustement emmené à Guantanamo par les autorités américaines qui le soupçonnent d’entretenir des liens avec des terroristes. Phoebe, qui se prétend une illustre productrice de télévision, propose son aide à Ashade et promet de contacter un avocat capable d’intercéder en faveur du prisonnier et de sa famille. Mais elle propose aussi à Ashade de provoquer en dernier recours un attentat pour attirer l’attention des médias sur sa cause, ce qu’il refuse. Voyant le lendemain que Phoebe a disparu avec ses économies et qu’elle a dénoncé sa belle-sœur à la police comme immigrée illégale, Ashade entreprend de retrouver Phoebe sur son lieu de travail et découvre qu’elle n’est qu’une petite comptable subalterne et solitaire constamment humiliée par ses supérieurs et spécialement Phillys, son ancienne meilleure amie, qui, elle, a conquis un poste important au sein de l’entreprise. Phoebe tente alors d’expliquer ses motifs à Ashade en racontant que ce n’est que durant les attentats du 11 septembre qu’elle s’est senti respectée par ses pairs, dont le sentiment collectif d’impuissance l’avait en quelque sorte libéré du sien, quitte à ce qu’elle vive depuis lors dans l’attente qu’un tel jour revienne. Apparemment réconciliés et même en voie d’être amoureux, Phoebe et Ashade décident de poursuivre leurs démarches auprès de l’avocat, mais en chemin, Phoebe pousse Ashade dans une bouche de métro après lui avoir glissé dans la poche un flacon de nitroglycérine. Satisfaite, Phoebe colle en vitesse sur les lieux de l’explosion quelques affiches revendiquant la libération du frère d’Ashade, avant d’aller savourer un cigare sur un banc public avec vue sur le pont de Brooklyn.

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Long-métrage de fiction.

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Fiction privilégiant le point de vue du protagoniste masculin, avec glissements vers le point de vue du protagoniste féminin, jouant en grande partie sur la confrontation dialoguée des deux personnages. La narration est linéaire et comprime les événements sur une période d’environ 36 heures. La musique dramatique et intra-diégétique puise dans un répertoire de chansons rap et pop identifiées comme des produits de la boîte de production où travaille la protagoniste; elles ont moins une fonction empathique qu’une fonction de commentaire ironique et d’information sur le personnage, tant les paroles des chansons (discours de révolte et d’affirmation individualiste typique du rap) font écho à son humeur. De brefs extraits de vidéoclips (faux documents) servent de brèves intermissions entre les pivots majeurs du récit.

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

Générique. Le bureau de l’appartement de Phoebe comprend un collage représentant les tours incendiées avant leur écroulement parmi une horde de photographies de «têtes de gens célèbres» (Bill Gates, Oprah Winfrey, etc.) en plus de celle de la protagoniste, laquelle s’efface du collage par procédé numérique à la fin du film.

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

Les événements sont mentionnés, le point de vue sur ces événements par Phoebe est nostalgique, elle décrit les attentats comme un moment de libération et de catharsis personnelles.

Moyens de transport représentés: Les moyens de transport représentés ne sont pas en relation avec les attentats du 11 septembre. Une bonne partie de la première moitié du film se déroule à l’intérieur d’un taxi.

Moyns de communication: Les moyens de communication sont mis en scène. La télévision diffuse les vidéoclips d’un groupe et d’une chanteuse fictifs, et le générique de l’émission (fictive) «Sorry, Haters», par le biais d’intermissions au cours du récit ou dans l’arrière-plan du décor (téléviseur ouvert, fond sonore). Ces extraits servent à une critique implicite des médias, spécialement du culte du vedettariat et de la promotion de valeurs artificielles et matérialistes qui créent un sentiment de frustration, d’inaccessibilité à la réussite et de dégoût de soi dont on peut observer les «dommages» par le comportement du personnage de Phoebe.

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

Point de vue d’une employée new-yorkaise: le désarroi de ses collègues causé par les attentats l’ont temporairement guérie de son «complexe d’infériorité» ; Phoebe s’implique à sa façon dans les suites de l’événement puisqu’elle cherche à provoquer ses propres «attentats» par la suite.

Point de vue (indirect) d’un non-Occidental en Occident ; le personnage d’Ashade n’exprime aucune opinion concernant les attentats mais se sait menacé, victime d’un «profilage» qui le classe parmi les terroristes potentiels, ce qui l’incite à garder profil bas et à fuir tout contact avec les policiers, etc.

Les événements sont abordés d’un point de vue individuel, mais ce point de vue révèle de façon allégorique les dommages entraînés par un climat politique de soupçon et de discrimination latents.

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Aucun son présent pour évoquer les attentats. Nature des sons: musique intra- et extradiégétique, bruits ambiants (rues de New York) intradiégétiques; dialogues.

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Aucun travail iconique.

Autres aspects à intégrer

N/A

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

Sorry, Haters is an intense thriller about anger and retribution so timely that it could be too close for comfort. When Manhattan cab driver Ashade (Abdellatif Kechiche) opens his taxi’s door to Phoebe (Robin Wright Penn), a mysterious, well-heeled professionnal, he has no idea what he’s in for. Phoebe offers to help exonerate Ashade’s wrongly imprisoned brother, yet reveals her own perverse set of demands… and shocking secrets. Featuring stunning performances by an internationally reknown cast including Sandra Oh and Elodie Bouchez, Sorry, Haters is a searing portrait of lives in reverse.

Tagline du film : «Has the dust really settled?»

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

Inconnues à ce jour (08/2007).

Citer la dédicace, s’il y a lieu

Aucune dédicace.

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

Impact de l’œuvre

Inconnu à ce jour (08/2007).

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

On devinera par le résumé en quoi le film souffre d’un certain déséquilibre : partant d’une situation peu banale mais bien ancrée dans sa géographie (un New York nocturne et peu « glamorisé ») et l’évocation convaincante des milieux respectifs des protagonistes, les dernières vingt minutes du film semblent troquer les subtilités d’un climat assez réaliste et tendu pour une scène d’explication à l’utilité discutable, une fausse résolution en forme d’idylle amoureuse et une explosion finale qui peut passer pour grotesque. Malgré cela, Sorry, Haters n’est pas dénué d’intérêt en ce qu’il revisite certains codes du suspense psychologique en accordant aux attentats du 11 septembre une fonction de ressort dramatique important. La figure du persécuteur féminin assez classique de par sa mythomanie, couplée à son isolement et ses frustrations tant personnelles que professionnelles, trouve dans les attentats du 11 septembre et dans le terrorisme en général non seulement un exutoire à son désœuvrement mais aussi une source d’inspiration pour ses jeux manipulateurs, particulièrement motivés par l’idée de «retaliation», d’obtenir la «juste rétribution» des torts qu’elle pense avoir subis. Quant à la figure de «l’innocent persécuté», Ashade, elle se montre ici d’autant plus vulnérable qu’elle est stigmatisée d’emblée par sa culture et son origine, sans compter sa maîtrise imparfaite de l’anglais, qui l’exposent d’entrée de jeu aux soupçons et à l’intolérance d’un pays d’adoption où il s’intègre difficilement.

Dans sa conclusion controversée, le film fait de grands efforts pour rassembler les protagonistes sous une enseigne unique, celle des «laissés pour compte du rêve américain»: le premier en condensant certains aspects négatifs de la condition d’immigré (discrimination, conditions précaires malgré une formation académique, problème de langue, valeurs incompatibles avec le cynisme ambiant, etc.) ; la seconde comme victime soucieuse de régler ses comptes avec un monde de richesse où elle ne peut occuper d’autre rôle que celui de spectatrice non participante. Le film emprunte d’ailleurs son titre d’une série télévisée à laquelle Phoebe prétend avoir contribué, sorte d’émission de télé-réalité basée sur l’étalage obscène des privilèges de la richesse. Sa présence intra-diégétique dans le film (extraits diffusés sur des écrans de télévision, chansons dans la trame sonore) dessert manifestement le portrait caricatural d’une culture mainstream aussi omniprésente que peu adaptée à la réalité de son public, d’autant plus qu’elle est vouée à la promotion de valeurs aussi inaccessibles que discutables. De là à associer les frustrations et la révolte du protagoniste féminin à celle du terroriste en position de rejet quant à l’omniprésente culture américaine, il n’y a qu’un pas, allègrement franchi : dans Sorry, Haters, les attentats du 11 septembre, déjà considérés comme une atteinte aux valeurs américaines et à leurs symboles, offrent, à ceux que ces valeurs ont laissé en plan, un moment de revanche symbolique : la conversion d’un symbole de richesse en fantasme de destruction.

On pourrait dire que l’approche proposée cultive des effets déroutants. De toute évidence, le film prend le contre-pied du manichéisme («Us» vs. «Them») ou de l’hagiographie (deuil, hommage et héroïsation des victimes) si souvent rencontrés dans les documentaires commémoratifs américains, pour explorer plutôt les frustrations et les inégalités sociales intra-américaines, lesquelles rappellent que la « liberté » et la « démocratie » supposément attaqués le 11 septembre n’étaient pas, et ne sont toujours pas, particulièrement chez elles aux États-Unis. Le film est donc motivé et invite à un examen de conscience en renvoyant de la société américaine une image négative, marquée par de fortes inégalités sociales, l’affirmation ostentatoire d’un capitalisme sauvage et déshumanisé, en plus d’approcher la difficulté d’intégration des immigrés et spécialement la discrimination dont la communauté musulmane a été l’objet à la suite des attentats. Pour couronner le tout, et ultime pied de nez au discours officiel, le «terroriste» du film n’est pas représenté par l’«agent étranger», mais par une femme blanche de classe moyenne, «cadre» parmi tant d’autres qu’une imagination moins inspirée aurait sans doute placée parmi les victimes des attentats, et non pas dans le rang des saboteurs.

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

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Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

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Affiche / pochette du film

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