Article d'une publication

September 11, 2001: American Writers Respond

Jean-François Legault
couverture
Article paru dans Poésie, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Heyen, William (dir.) 2002. September 11, 2001: American Writers Respond. Wilkes-Barre: Etruscan Press, 440p.

Disponible sur demande (Fonds Lower Manhattan Project, au Labo Nt2)

   

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

William Heyen est un homme de lettre américain, tour à tour poète, essayiste et critique littéraire. Docteur en littérature, il a enseigné à la State University of New York à Brockport jusqu’en 2000. Presque un an jour pour jour après les attentats du 11 septembre 2001, il édite le recueil de textes intitulé September 11, 2001: American Writers Respond. Les directives du projet, tout en étant assez précises, laissent place à la créativité artistique, comme le résume bien Heyen dans sa préface à l’ouvrage:

«It goes without saying that we now feel ourselves living in a charged and fast-changing America. September 11, 2001, will be a fulcrum date for us as few others have been. It may be that our lives as writers and as citizens, our assumptions, our theories of beauty and necessity, our senses of audience cannot now be what they have been, This anthology will be a forum by as many as a hundred poets, fiction writers, and creative essayists who will cut to the quick of their thinking on the origins and implications of the grief and anger and dread now engulfing us. I’m asking for intensive contributions of no longer than 4-5 pages. I’d prefer in this case that most responses be direct, in essay form, but would welcome a breakthrough poem, or a flash fiction that strikes through to psychic ground zero, or a sui generis piece that seems to catch and hold our quaking reality as does no other traditional mode of discourse.» p. xi

En tout, 126 auteurs (incluant Heyen) participent à l’œuvre. Le résultat est une tapisserie de textes d’origines et de visées différentes. Certains auteurs habitent New York, leur témoignage prenant une saveur poignante. Par contre, il est également intéressant de voir les contributions d’auteurs de partout aux États-Unis qui, s’ils n’ont pas été touchés directement par les attentats, n’en ressentent pas moins le trauma qui s’est propagé à l’échelle nationale. C’est donc la vision des artistes d’une Amérique encore en état de choc qu’entend montrer William Heyen dans ce recueil de textes.

   

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Recueil de textes, avec une dominante en poésie.

   

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Le recueil rassemble 126 textes d’auteurs différents, chacun abordant les événements du 11 septembre à sa manière. La poésie y tient la plus grande place, mais le recueil contient aussi des extraits de correspondance (John Allman / David Zane Mairowitz, p. 11-15), des témoignages (John Updike, p. 381-382), des analyses politiques (Daniela Gioseffi, p. 134-144), des extraits de journaux agencés en poèmes (Fred Moramarco, p. 279), et même une publicité annonçant trois spectacles de spoken word réunissant un poète et un bassiste (David Budbill, p. 70-71). Il faut aussi mentionner que si la forme poétique est majoritaire, les poèmes sont souvent accompagnés d’un commentaire expliquant les conditions d’énonciations du texte, les visées de son auteur, ou un court témoignage de ce que H. L. Hix nomme le «where were you when» (p. 198).

  

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

Selon l’angle adopté par les différents auteurs, la présence du 11 septembre peut être générique, par exemple dans le texte «The Ladybugs» de Ray Gonzalez; particularisée, comme dans le témoignage de Laura Hinton intitulé «The Hole I Cannot See: Smoke and Fragments in New York City»; ou même complètement omise, comme dans «A Writer’s Pledge of Allegiance» de Kelly Cherry.

   

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

Étant donné la forme du recueil 11 September 2001: American Writers Respond, la diversité des représentations correspond à la diversité des auteurs. La grande majorité adopte un point de vue postérieur aux événements: certains s’astreignent à la tâche de comprendre le pourquoi d’un tel geste, d’autres tentent d’en percevoir les conséquences futures, et d’autres encore ne cherchent qu’à représenter le déroulement des événements dans leur langage, selon ce qui a le plus impressionné leurs sens.

Une image récurrente est celle de «l’homme qui tombe». Diane Seuss lui consacre un poème entier, intitulé «Falling Man» (p. 350), mais on retrouve cette image dans de nombreux autres textes, tel que le poème de Gail Griffin «How It Comes» : «He calls them jumpers. / I came out of the subway, he writes, and saw body parts. On the sidewalk across the street there was a jumper.» (p. 161), ou encore le poème de Samuel Hazo «September 11, 2001»: «Before both towers drowned / in their own dust, someone / downfloated from the hundredth floor. / Then there were others–plunging, / stepping off or diving in tandem, / hand in hand, as if the sea / or nets awaited them.» (p. 171).

Un texte au moins se positionne antérieurement aux événements. Le poème «Crash» de l’auteure Patricia Goedicke (p. 149-150) évoque la perte de contrôle par un conducteur de sa motocyclette. Le brouillon ayant été terminé le 8 août 2001 puis laissé en plan jusqu’après le 11 septembre, l’auteure ne peut qu’être fascinée devant le caractère quasi prophétique du texte: «When I got home to Missoula I was shocked to pick up “Crash” and discover how closely the headlong rush of the poem paralleled the rush of America towards a cataclysm I believe we in part brought on ourselves.» (p. 151) Effectivement, l’image de la machine entraînant celui censé en avoir la maîtrise dans un enfer de métal tordu, d’explosions et de pétales de fumée rappelle significativement les attentats du 11 septembre.

Si on le compare avec une œuvre similaire, le livre 110 stories: New York Writes After September 11 colligé par Ulrich Beck, où les cent dix auteurs participants résident tous à New York, une particularité du recueil American Writers Respond est qu’une majorité des auteurs sélectionnés habitent à une grande distance de Ground Zero. Il en résulte que, lorsqu’ils relatent dans leurs textes (ou dans le commentaire qui les accompagne) les circonstances de leur premier contact avec les événements, ceux-ci passent bien souvent par les médias, notamment la radio et la télévision. Le texte de Mark Jarman n’est qu’un exemple parmi les nombreux cas qui peuplent le recueil:

«I ventured into the sluggish rushhour Nashville trafic to find the nearest ATM and realized I wouldn’t get back until breakfast was over. While I sat in the jam, I switched on NPR. There was Bob Edwards narrating the events. A plane had hit the World Trade Center. What? Some private-prop plane? How stupid and sad. As he spoke he said another plane – a passenger liner – had hit the other tower of the Trade Center.» (p. 211)

Un peu plus loin dans son témoignage, Jarman soulève un questionnement sur l’aptitude de ces mêmes médias à représenter un événement aussi contingent même s’ils sont les seuls en position de le faire:

«When we switched on the car radio, Bob Edwards described the collapse of one of the Trade Towers. He was clearly losing it. All U.S. Flights had been grounded. There was another plane down. He was chocking, his throat and mouth audibly dry. At one point he spoke to a New York City reporter and asked her if chaos was upon us. She assured him that it was not and that to think so was to give in to the terrorists. It was not Bob Edwards’ finest hour.» (p. 212)

L’un des effets de lecture découlant de l’éloignement dans l’espace des auteurs vis-à-vis du site géographique des attentats est de donner l’impression d’une distanciation additionnelle, cette fois par rapport aux événements eux-mêmes. Nonobstant leur lien patriotique, c’est comme si les auteurs devaient se soumettre à un processus de légitimation avant de pouvoir s’attaquer «intimement» à la question du 11 septembre. Dans le recueil 110 stories, cette légitimité s’établit ipso facto par le contact physique des écrivains avec les attentats terroristes. Dans September 11, 2001: American Writers Respond, la fiction provient moins d’une expérience directe des attentats que d’une représentation médiatique de ceux-ci. Cette distanciation opère donc une différenciation fictionelle entre l’imaginaire d’une collectivité blessée, telle que représentée par les écrivains de 110 stories, et celui de la terre patrie attaquée, comme on l’entrevoit dans American Writers Respond. Il est alors possible d’envisager, inscrites dans la forme même des œuvres, deux modalités distinctes de représentation des événements, l’une concernée par un trauma physiologique et psychologique, l’autre par un trauma patriotique.

   

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

Les liens entre les événements et les actants sont aussi variés que les œuvres les représentant. Une constante existe tout de même dans le point de vue presque généralisé adopté par les textes et leurs narrateurs, celui de l’observateur. Que ce soit dans les poèmes, les témoignages ou les œuvres de fiction, les événements sont représentés de l’extérieur, souvent à travers une rediffusion médiatique ou à tout le moins une distanciation dans l’espace. Les sujets sont placés dans une position où ils subissent les événements, où ils sont dépossédés du pouvoir d’agir.

Le recueil contient toutefois quelques textes d’opinion où l’on décèle une volonté de comprendre et surtout de se positionner. De plus, les auteurs fournissent souvent à la suite de leurs poèmes un petit commentaire où ils expriment eux aussi leurs points de vue. À travers l’utilisation de la fonction «persuasive» (l’émission d’opinions politiques, idéologiques, philosophiques, etc.), ils montrent une volonté d’utiliser le langage pour retrouver ce pouvoir d’influer sur le réel.

   

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Pas de sons.

  

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Pas de travail iconique.

   

Autres aspects à intégrer

N/A

  

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

Written during the three months following September 11, 2001, this book catches the first, passionate reactions of our country’s finest writers to the matrix of events that will continue to intensify in the American conscience, and that will inevitably define the dawn of the new century.

In September 11, 2001: American Writers Respond, poets, fiction writers and essayists bare America’s collective psyche during this perilous, emotionally charged time. There are searing memoirs here, letters, poems, brief fictions, essays, and contributions beyond classification. Contributers include:
Ai, Lucille Clifton, Tess Gallagher, Kimiko Hahn, Joy Harjo, Denis Johnson, Erica Jong, Maxine Hong Kingston, W. S. Merwin, Naomi Shihab Nye, Robert Pinsky, Stanley Plumly, Ishmael Reed, Scott Russell Sanders, Joanna Scott, Ruth Stone, Henry Taylor, John Updike, John A. Williams, Terry Tempest Williams

…and more than 100 more of our most revered writers, representing the diverse spectrum of backgrounds, approaches and attitudes that comprise the American literary landscape: in its entirety, this book gives full and powerfull voice to a nation’s artists in a time of crisis.

   

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

Extrait de la préface:

«A few days later, I was asking unfashionable questions in my journal about what our creative literature, given the magnitude of these iniquitous events, must and surely would now become if in the future it could hope to be of any practical use or relevance or moral value. I cautioned myself against optimistic over-reaction, reminded myself of America’s accelerating amnesia when one headline event takes the place of another (as now these attacks would at last displace months of gossipy reports about a U.S. congressman’s relationship with a missing intern), but I continued to feel that the events of September 11th had awakened us and shaken our senses of identity and security. I proposed this book to Etruscan Press. A day later, I withdrew my proposal, afraid that such a project was untenable for creative writers who, as William Butler Yeats says in “On Being Asked for a War Poem,” cannot set a statesman right and who are only meddling when they try to do more than please “A young girl in the indolence of her youth, / Or an old man upon a winter’s night.” I guessed that others might be feeling the same contraries, the same paralysing complexities that I felt as the desire for art disintegrated with the prodigious symmetries of the Twin Towers.

But I changed my mind again, and soon wrote to a wide-range of potential contributors. (Later, too, by the e-grapevine, word would spread and I’d receive hundreds of submissions, including some of the strongest in this book.)» (p. x-xi)

   

Citer la dédicace, s’il y a lieu

Aucune.

   

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

  • http://www.amazon.com/review/product/0971822808/ref=cm_cr_dp_all_helpful?_encoding=UTF8&coliid=&showViewpoints=1&colid=&sortBy=bySubmissionDateDescending [La page n’est plus accessible.]

  

Impact de l’œuvre

Impact inconnu

   

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

L’assemblage d’une œuvre telle que September 11, 2001: American Writers Respond doit nécessairement imposer son lot de choix éditoriaux: quels critères utiliser pour choisir les auteurs? quelles directives énoncer, quelles autres taire? quels auteurs contacter? Chacune des orientations choisies donnera sa teinte à l’ouvrage final. Ainsi, suivant une logique semblable à celle d’Ulrich Baer dans 110 stories, William Heyen a penché pour l’impartialité en respectant l’ordre alphabétique des auteurs pour présenter leurs textes, à une exception près : le poème ouvrant le recueil n’est pas celui de Tammam Adi, mais celui de W. S. Merwin. Intitulé «To The Words», il prend la forme d’une invocation aux anciens: «indifferent elders / indispensable and sleepless […] you that were spoken / to begin with / to say what could not be said» (p. 3). Outre l’analyse textuelle qu’on pourrait faire de cette demande aux défunts d’énoncer ce que les vivants ne parviennent pas à dire, il faut voir ici un choix éditorial significatif, affectant la structure même de l’œuvre. Il fait ressortir les traces d’une intentionnalité qui se subsume à l’objectif originel du projet énoncé par Heyen dans la préface: «This anthology will be a forum by as many as a hundred poets, fiction writers, and creative essayists who will cut to the quick of their thinking on the origins and implications of the grief and anger and dread now engulfing us.» (p. xi) Il appartient bien sûr à l’éditeur d’exercer sa fonction en vue de composer une esthétique propre à l’œuvre. La forme qu’adopte le premier texte, bien que ce dernier rompe avec l’ordre alphabétique de l’anthologie, ne s’écarte pas des grandes lignes esthétiques fixées par l’ensemble du corpus, ce qui tend conséquemment à camoufler l’anomalie structurelle. Le texte d’ouverture, au lieu d’être démarqué, a été «nivelé» pour en faire disparaître, hormis le nom de l’auteur, les traces de son caractère distinct. Sous les apparences de l’impartialité sourd une subtile subjectivité. Sans se faire l’expression d’un programme de la part de l’éditeur, la manipulation discrète de l’ordre des textes entrouvre la porte à un questionnement sur l’intention, une porte qu’il appartient au lecteur de franchir ou non. À tout le moins, le choix éditorial place le recueil sous un certain augure, celui de la déférence à la parole des anciens, du respect des traditions et de l’énonciation salvatrice, qui, selon les diverses opinions, pourra ou non se refléter dans la conjoncture étasunienne post-11 septembre.

Les traces laissées par l’éditeur sont évidemment les plus manifestes dans la préface qu’il a composée pour le recueil. L’incipit en est le pronom personnel «I», le je anglais. Le même pronom sera utilisé en tout 29 fois (en comparaison à la première personne du pluriel «we» qui sera présente 9 fois) sans compter l’usage des pronoms et possessifs «me» et «my». Cet inventaire témoigne moins d’une «décollectivisation» égocentriste que d’une volonté de replacer la focalisation au niveau de la subjectivité individuelle. La préoccupation du collectif est présente, mais abordée par l’entremise de l’unicité du «je». D’autre part, l’éditeur utilise dans sa préface le nom de trois piliers de la littérature américaine, dont les deux premiers appartiennent au mouvement transcendantaliste: Ralph Waldo Emerson, Henry David Thoreau et Walt Whitman. Cette convocation a des effets multiples. Premièrement, elle dénote une volonté d’ancrer l’ouvrage dans une continuité historique, de faire le pont entre l’enfance de l’institution littéraire américaine et le contexte d’énonciation post-11 septembre. L’intertexte a également pour effet d’associer l’esprit du projet subversif des transcendantalistes à celui de l’anthologie assemblée par Heyen (il convient peut-être de rappeler que la période romantique américaine fut non-négligeable dans la constitution de l’individualisme élevé au rang de vertu sociale). La référence à Walt Whitman confirme bien ceci, ce poète ayant toujours professé une relation symbiotique entre le poète et la société, le collectif se reflétant dans la subjectivité englobante du héros individualiste. Enfin, la déférence manifestée envers ces figures mythiques de la littérature américaine, ainsi qu’à d’autres auteurs tels que William Butler Yeats, Theodor Adorno ou Czeslaw Milosz, a pour conséquence de replacer le discours dans une dialectique institutionnelle. Il s’agit de produire une oeuvre souscrivant aux structures établies, de chapeauter la démarche poétique par une légitimation provenant d’une association aux noms de grands maîtres. En invoquant ces noms, l’auteur s’assure de faire retomber une partie de leur rayonnement sur sa propre œuvre, tout en apportant sa contribution à l’édifice institutionnel. C’est en ce sens que la préface de William Heyen s’inscrit sous la problématique de la littérature patriotique.

Deux poèmes se distinguent immédiatement en ce sens: «Anthem September 11, 2001» de Tammam Adi et «A Writer’s Pledge of Allegiance» de Kelly Cherry. Déjà dans les titres sont évoqués deux symboles puissants de l’identité américaine: l’hymne national et le serment d’allégeance. Dans la section des notes sur les contributeurs, l’anthologie nous apprend que Tammam Adi, d’origine syrienne, a trouvé aux États-Unis la liberté d’exercer sa religion. Son poème utilise fortement l’anaphore, créant un effet de déclaration solennelle. À nouveau la première personne du singulier est privilégiée, en conjonction avec quatre verbes: I am, I believe, I love, I’ll fight.  Avec l’anaphore «a star for», la dernière partie du poème est une évocation directe de la constellation d’étoiles sur le drapeau américain, censée représenter les 50 états américains. Lorsque Tammam Adi élargit la portée de ce symbole en attribuant une étoile à l’Irak, à l’Iran, à l’Afghanistan, à la Palestine, à Israël, à la Russie ou à la Chine, il reproduit une idéologie typiquement américaine d’impérialisme démocratique, qui pourrait se traduire dans une volonté de voir toutes les nations unies dans le respect des différences sous un seul drapeau (américain bien sûr). D’autre part, Adi utilise le même procédé que Heyen dans sa préface: la convocation de grandes figures de l’émancipation de l’homme (Abraham Lincoln, Mahatma Ghandi, Martin Luther King, etc.) contribue dans un premier temps à renforcer leurs auras mythiques respectives, tout en relevant le propos du poème par association à ce rayonnement. Adi pousse le patriotisme jusqu’à invoquer le nom de John Lennon et à terminer son poème par des paroles tirées de deux de ses chansons, Come Together et Instant Karma: «Come together, right now, over you. / We’ll all shine on. Like the moon and the stars and the sun. / On and on and on.» (p. 6)

Kelly Cherry reprend les mêmes procédés dans son poème «A Writer’s Pledge of Allegiance». Elle réutilise un symbole de la patrie américaine, le serment d’allégeance, en le combinant à une répétition de la première personne du singulier à travers l’anaphore des mots «I believe». La fonction hypnotique de ce procédé stylistique alliée aux propos quasi mystiques sur l’art engendre un sentiment d’exaltation propre aux discours religieux ou même propagandistes.

Un tel sentiment semble pénétrer l’ensemble de l’oeuvre. La multiplication des textes à saveur religieuse l’atteste. Dans son texte intitulé «Lamentations», Diane Glancy replace les événements du 11 septembre et leurs conséquences (la guerre en Afghanistan) dans une logique d’opposition entre les forces du bien et du mal. Selon son raisonnement, l’Amérique, bien que n’ayant pas les mains propres, se range du côté des protecteurs d’Israël. Ainsi, pour reprendre possession du siège de la vraie foi, les forces du mal se sont attaquées aux États-Unis. Bien que plus nuancée, la vision de l’écrivaine s’inscrit dans une polarisation du conflit, un dualisme chrétien soutenu à grand renfort de citations bibliques tirées du Livre des Lamentations et de l’Apocalypse:

«All our enemies have opened their mouths against us. They hiss, they say, We have swallowed her up; certainly this is the day we have looked for. Lamentations 2:16
After the blizzard of ash and rubble, we are the planes headed for the other side of the continent full of fuel. It is a spirit war. Not sacred, but spirit.» (p. 148)

En retour, le recueil offre également des auteurs tels que H. L. Hix appelant à la tempérance et à la loi morale. Dans son texte «Where We Were, Where We Are», il se sert d’un raisonnement moral et philosophique pour faire contrepoids au patriotisme militant: «We maintain some element of control over how we will respond to attack and tragedy, and we can respond in better or worse ways. Unintimidated honesty supports a better response, self-deception a worse; goodwill a better response, ill-will a worse. “It is difficult to suffer well, without resentment, false consolation, untruthful flight” Iris Murdoch tells us, followed by the central fact: “How we see our situation is itself, already, a moral activity.”» (p. 199). Étrangement, si le contenu de ce texte s’oppose en quelque sorte à l’unilatéralité d’un discours patriotique, il trouve quand même sa place dans le recueil, sans «détoner». C’est que, à l’instar des autres textes cités plus haut, le témoignage de Hix s’inscrit dans un paradigme de l’action. La prose et la poésie sont ici des outils; ils expriment des points de vue. La fiction y devient un moyen utilitaire. Si on compare à nouveau American Writers à 110 stories, on observe que dans ce recueil, la fiction servait plutôt au processus de guérison. Elle paraissait une nécessité, un impératif pour l’écrivain de mettre en mots l’expérience traumatique afin de la ramener à l’échelle humaine. Pour les auteurs de American Writers Respond, il s’agit moins de sentir que de comprendre, de réagir avant de penser à guérir. Cette œuvre pose des questions sur l’écriture en tant que levier patriotique servant à influer sur le réel. Plutôt que d’être un refuge où l’homme puisse se retirer pour panser ses plaies et vivre son deuil, la littérature prend ici une forme militante, elle devient un moyen d’agir. Les deux recueils s’opposent donc dans une dialectique du dire et du faire. La dernière phrase de la quatrième de couverture est évocatrice: «[…] in its entirety, this book gives full and powerfull voice to a nation’s artists in a time of crisis.» Il ne s’agit pas seulement de donner la voix, mais de donner un pouvoir à cette voix. C’est en ce sens que la représentation du 11 septembre 2001 par les écrivains du recueil September 11, 2001: American Writers Respond soulève un questionnement: alors qu’on devrait s’attendre de la part des artistes d’une nation à un discours d’avant-garde, original, imaginatif, incisif et éclairé, qu’arrive-t-il lorsqu’il ne parvient en grande majorité qu’à se faire la répétition des truismes patriotiques véhiculés par l’appareil médiatique et repris en coeur par la masse populaire?

   

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

«War is conducted with a fury that requires abstraction – that turns a planeful of peaceful passengers, children included, into a missile the faceless enemy deserves. The other side has the abstractions; we have only the mundane duties of survivors – to pick up the pieces, to bury the dead, to take more precautions, to go on living.» John Updike, p. 381.

«We maintain some element of control over how we will respond to attack and to tragedy, and we can respond in better or worse ways. Unintimidated honesty supports a better response, self-deception a worse; goodwill a better response, ill-will a worse. “It is difficult to suffer well, without resentment, false consolation, untruthful flight,” Iris Murdoch tells us, followed by the central fact: “How we see our situation is itself, already, a moral activity.”» H. L. Hix, p. 199.

«Literature helps me think about the motives of the killers, motives which may have something to do with Israeli settlements and American troops on Saudi soil, but also have deeper sources about which Milton and Coleridge and Szymborska and Heaney and Soyinka have more to tell us than the pundits on television.» Laurence Goldstein, p. 155.

   

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

Liste des 126 auteurs ayant participé au recueil: Tammam Adi, Ai, John Allman, David Zane Mairowitz, Melissa Altenderfer, Antler, Philip Appleman, Michael Atkinson, David Baker, Aliki Barnstone, Willis Barnstone, Wendell Berry, Patrick Bizzaro, Karen Blomain, Bruce Bond, Emily Borenstein, Jonah Bornstein, Daniel Bourne, Philip Brady, David Budbill, Fred Chappell, Kelly Cherry, Vince Clemente, Lucille Clifton, Christopher Conlon, Lucille Lang Day, Alison Hawthorne Deming, Richard Deming, Rosemarie DiMatteo, Elizabeth Dodd, Wayne Dodd, Sharon Doubiago, Bart Edelman, Karl Elder, Marcia Falk, Richard Foerster, Nora Gallagher, Tess Gallagher, Brendan Galvin, Dan Giancola, Daniela Gioseffi, Diane Glancy, Patrici Goedicke, Laurence Goldstein, Ray Gonzalez, Gail Griffin, Kimiko Hahn, Joy Harjo, Samuel Hazo, Michael Heller, Al Hellus, Geof Hewitt, William Heyen, Joanna Higgins, Laura Hinton, H. Edgar Hix, H. L. Hix, Cynthia Hogue, Tom Holmes, John Hoppenthaler, Mark Irwin, Mark Jarman, Denis Johnson, Erica Jong, X. J. Kennedy, Maxine Hong Kingston, Steve Kowit, Norbert Krapf, Nancy Kuhl, Kelly Levan, Claude Liman, Ann Lolordo, James Longenbach, Adrian C. Louis, Paul Mariani, David Mason, Dan Masterson, Jack Matthews, Jerome Mazzaro, Jay Meek, W. S. Merwin, Bruce Mills, Judith Minty, Robert Mooney, Fred Moramarco, Andy Mozina, Howard Nelson, Naomi Shihab Nye, Hugh Ogden, Alicia Ostriker, Eric Pankey, Bette Pesetsky, Robert Pinsky, Stanley Plumly, Jeff Poniewaz, Maj Ragain, David Ray, Ishmael Reed, F. D. Reeve, Helen Morrissey Rizzuto, Mary Elsie Robertson, Scott Russell Sanders, Joanna Scott, Edwina Seaver, Diane Seuss, Laurie Sheck, Rosalynne Carmine Smith, Elizabeth Spires, David St. John, Abigail Stone, Ruth Stone, Steve Street, Lucien Stryk, Brian Swann, Henry Taylor, Keith Taylor, Douglas Unger, John Updike, Robert Vas Dias, Rachel Vigier, Michael Waters, David Watson, David Weiss, Richard Wilbur, John A. Williams, Terry Tempest Williams, Paul Zimmer.

  

Couverture du livre

Ce site fait partie de l'outil Encodage.