Entrée de carnet
POUMON_-_-_APR2S1
Tu roules libre le flot moisson
Récoltes la nuit du temps
Poudre de rage et infusion de mensonges
Décodage de pulsation inframince
Tu fouilles ivre
Rouilles vivre
Mouilles cuivre
Les champs ne sont plus
Tu offres ton corps semence
Valses avec l’humus
Gerces la croute terrestre
Tu es printemps amant
Naissance lumière
Connection racine
Réseau solidaire
Maintenant tu peux nourrir
J’ouvre les yeux après une nuit courte et agitée, traversée de mots. Ils semblent imprimés en moi et clignotent sur ma rétine. Ma mutation est stabilisée, mon poumon a pris la forme de thaumoctopus mimicus. J’apprends à cohabiter avec cet être versatile. Je peux agir sur sa couleur mais elle décide de ses formes. Hier, alors que je visitais la grande serre du nord de la ville, mon poumon s’est transformé en racines. En quelques secondes un tronc, des branches et des feuilles ont émergé de mon thorax en s’élevant de plusieurs mètres, et en explosant sur leur chemin la structure de verre et de métal de la serre. Je suis inquiet de ne plus totalement maitrisé mon corps. Je suppose que LACULTE a produit ce changement pour le bien de la communauté, mais pour l’instant j’ai du mal à deviner ses intentions.
J’ai rejoint LU-_-XV, ma meilleure amie. Elle n’a plus d’enveloppe corporelle car sa mutation définitive l’a laissé sous forme de vapeur. Sa présence est d’autant plus agréable pour moi que l’air est sec et qu’elle m’imprègne mon poumon de sa douce humidité. Nous communiquons par télépathie et cet après-midi notre projet est de nous rendre près des flux mots. Ce sont des écrans composés de lichens supra rapide qui forment des phrases en temps réel. Celui que nous apprécions particulièrement compose de la poésie. Son inspiration est une intelligence artificielle associée à l’esprit cryogénisé d’une poète de l’anciennère, avant la grande disjonction, WaYdOn_-_AhArA. J’ai retenu un de ces étranges poèmes.
Chercheur de mots et de tourments
Glycine sauvage
Amour mirage
Soupçon glouton énergivore
Lapsus nourris de nos reflets
Mystère assis sur nos regrets
Plaçons des ponts, des métaphores
Des cascades d’horizons mutants
Sous les amies pluies tropicales
Nos jours tes nuits et mes projets
Courbent la géographie future
Limitent mes déplacements
Mes hurlements sont des synthèses
Des frissons dans chaque vertèbre
J’oublie les griffures du temps
Marie-toi avec mes blessures
J’épouserai tes tremblements
Chaque jour LACULTE met au monde plusieurs milliers d’oxysphères. Elles sont éjectées de son centre et se diffusent à toute vitesse. Avec de la chance on peut en saisir une et la gober. On ressent alors une brûlure, la sensation du premier souffle. C’est une renaissance respiratoire très recherchée des bienveillants oxydatifs. Les oxysphères non gobées rejoignent le fleuve pour s’y fondre et maintenir sa santé. Avant l’arrivée de LACULTE le fleuve était devenu hypoxique.
Les êtres-hospitaliers sont définitifs, ils peuvent vivre éternellement. Nos cellules se régénèrent chaque fois que nous sommes l’hôte d’un nouvel organisme. Désormais, la seule chose que je ne pourrai accueillir c’est la mort. Je ne choisis pas toujours mes hôtes, après ma dernière mutation j’ai été envahi quelques jours par une colonie de fourmis. Elles ont régénéré entièrement mon système digestif et m’ont transmis une énergie démesurée. Pendant cette période, mon corps été traversé de douloureuses décharges électriques. C’est le prix à payer pour l’éternité.
Je tarde à rentrer chez moi ce soir, je marche au bord du fleuve. J’aperçois du plancton qui s’anime et dessine des motifs géométriques complexes dans les profondeurs. Des oxysphères tardives viennent nourrir le fleuve. Thaumoctopus mimicus a pris sa forme de pieuvre. J’ai le sentiment qu’elle voudrait que je plonge. Ses tentacules s’étendent brusquement et caressent la surface du fleuve. Je ne parviens plus à distinguer mes propres sensations de celles des organismes qui vivent en moi. Avec thaumoctopus mimicus, mon intelligence et ma souplesse se sont accrus. Je ne sais plus ce que je suis.
J’ai peu dormi. C’est la période de migration des tôles. Quand les combustibles fossiles ont été épuisé, tous les véhicules de l’anciennère ont été abandonné. LACULTE a généré une substance aimantée qui attire toute ces carcasses d’acier une fois par cycle lune. Des véhicules en tout genre se dirigent simultanément vers l’est de la ville, ils s’agglutinent et se broient dans un immense fracas créant une sculpture qui s’élève vers le ciel à l’infini. Ainsi ces objets n’encombrent plus nos lieux de vie mais ils perturbent régulièrement mes fragiles nuits. Ce matin je dois me rendre au Mont-Royal j’ai l’intuition que ma dernière mutation va s’accomplir.