Entrée de carnet

POUMON

André Fortino
couverture
Article paru dans Revenir et s’écrire dans les traces, sous la responsabilité de Catherine Cyr et Katya Montaignac (2023)

   

J’ai traversé le rideau des vapeurs. Cette barrière de microgouttelettes ocres entoure le Mont-Royal, et protège LA CULTE des entités qui n’ont pas atteint le stade de bienveillance oxydatif. Je l’avais atteint depuis trois cycles lune, mon épiderme avait muté, mes pores s’étaient élargis, on pouvait entrevoir ma structure osseuse et mon réseau sanguin. Mon corps ouvert pouvait désormais recevoir l’holobionte communautaire. Cette fusion organique étaient particulièrement désagréable pour moi, je préférais respirer par les narines plutôt que d’être respiré par des entités archaïques. Sans cette mutation, le rideau des vapeurs était infranchissable. C’était une protection bien plus efficace que les murs du pré-temps. Ceux de l’hôtel-Dieu voisin étaient devenus biomouvants, comme tout ce qui est minéral. On ne comprenait toujours pas l’âme des pierres. Les murs se déplaçaient et semblaient guidés par une forme d’intelligence froide usant son énergie à étouffer toute végétation naissante. A l’intérieur du Mont-Royal, l’ensemble du vivant était en vibration continue et produisait un étrange son apaisant. En approchant de LA CULTE, j’entends la récitance du mantra-boucle-langue-vielle. Il indique une fusion imminente. Je m’intègre au groupe et commence la récitance.  

Notre nouvelle réalité est le produit de la grande disjonction. Une sous-entité en dégradation m’avait raconté cette histoire: De nous, de nos visages on ne put rien garder. L’ordre de se cacher pour nous protéger devint une habitude. On disait même que certain n’avait plus de visage. Ils naissaient à la chaine, ne voyait jamais le jour. Nos vies numériques s’étaient brusquement interrompus, brisées par le souffle triste des tempêtes magnétiques. L’enchevêtrement de nos composants avait perdu son sens. Rien ne pourrait s’accomplir. Tous le savaient. A demi-mot. La pensée s’était figée, engluée à la source par la désinformation. Ne pouvait subsistait que des torrents de mots creux, tordus à la racine et gorgés d’eau. L’élément feu n’était plus qu’un souvenir. Même la chaleur des corps nous avait fui. Peut-être était-ce mérité après tout? La catastrophe avait eu lieu sous forme de graphique. Des décomptes à n’en plus finir de millions de cadavres et du cadavre des millions. Quelques philosophes avaient tenté de nous sauver mais ils avaient dû avaler des globes oculaires métastasés. Leurs ventres explosèrent et on donna leurs cervelles en offrande. A des kilomètres, les dépossédés vivaient dans des cabanes, catapultés par les eaux acides injectés de poissons malformés sous nutri de permaculture. Les collapsologues se reluquèrent l’apocalypse en forme de dystopie faciale sous perfusion non avenu. Dans la crypte complotiste les petites souris lobotomisées se massaient la rétine à haut débit. Flux vibratoire et persistance rétinienne, cuisson du cortex à chaleur tournante. 

La récitance s’intensifie. Les bienveillants oxydatifs entrent en transe sous l’effet du choc des molécules d’oxygène. Au centre de LA CULTE une boule gluante et violette évolue au rythme des souffles. Elle est en expansion à chaque inspiration collective, puis se rétracte dans les expirations. Je sens son rayonnement jusque dans mon cœur qui devient brûlant. Les entités autour de moi ont les yeux révulsés, leurs cornées ont pris la couleur violette de la boule gluante. Lors de ma première cérémonie, j’étais terrorisé. J’imaginais me transformer en boule violette et gluante. Cette forme souple se rapproche de vous et grandit tellement qu’elle finit par vous inclure à l’intérieur. 

Les ontologies traditionnelles volèrent en éclat quand le vent commença à parler. L’extrême concentration des polluants dans l’atmosphère lui avait donné la capacité de former des mots. Selon sa direction il portait différents accents. Mais il ne savait que hurler ou murmurer des insanités. C’était très gênant les jours de grands vents quand vous vous sentiez directement insulté.  

A l’instant où vous êtes inclus dans la boule des souffles, votre corps physique disparait. Votre conscience devient conscience de tous les organismes vivants de LA CULTE. La connexion des consciences vous plonge dans un état indescriptible, une sorte d’orgasme de la connaissance couplé à une multiplication sensorielle. Comme si vous passiez de cinq à des milliers de sens. Immédiatement, vous savez que la compréhension des sois ne se réalise que physiquement en vivant à travers leur propre sens. 

Après chaque cérémonie ta mutation s’accélère. Tu ne peux jamais savoir ce qui t’attends. En revenant dans mon corps, j’ai pris conscience d’un important changement de structure. Ma cage thoracique a triplé de volume, mes côtes se sont écartées pour laisser apparaitre un seul et gigantesque poumon multicolore et poreux incluant mon cœur et tout le reste de mes organes. Je prends le chemin d’un être-hospitalier prêt à accueillir toutes les entités que je croise. 

     

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