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Mardi 11 septembre

Joël Mak dit Mack
couverture
Article paru dans Bandes dessinées et romans graphiques, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Rehr, Henrik (2003), Mardi 11 septembre, Vents d’ouest, Issy-les-Moulineaux, 55p. (version française de Tribeca Sunset. A Story of 9-11)

Version française et version originale (anglais) disponibles sur demande (Fonds Lower Manhattan Project au Labo NT2)

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

Henrik Rehr, dessinateur de BD, habite à un bloc et demi du World Trade Center. Ce mardi 11 septembre 2001, il dit au revoir à son fils qui va à l’école publique et à sa femme qui travaille à l’extérieur pendant qu’il garde le petit dernier. C’est alors qu’un bruit gigantesque retentit, il est 8h48. En regardant par sa fenêtre, il découvre des volutes de fumée autour des bâtiments, il allume la télévision pour apprendre le crash d’un avion sur la première tour. Les informations paraissent confuses et les commentaires des journalistes imprécis, personne ne parle d’attentat. Il est inquiet pour sa femme qui ne doit pas être encore arrivée à son travail. Il observe les premiers attroupements sur l’esplanade, des badauds regardant l’énorme incendie. Soudain, un autre vrombissement résonne bientôt. Le deuxième avion vient de percuter l’autre tour, la télévision distille des commentaires qui cette fois-ci indiquent la piste terroriste. Rapidement, tout s’enchaîne. Une des deux tours s’effondre, un épais nuage obscurcit le ciel, ensevelit le quartier sous un déluge de poussière, les médias diffusent un message ordonnant aux résidents de quitter le centre ville. Henrik et son plus jeune fils quittent l’appartement. Peu à peu l’immeuble est évacué alors que la seconde tour s’effondre également. Ils sont pris en charge par les secours à l’extérieur, jusqu’à la rivière qu’ils traversent à l’aide des vedettes fluviales. De l’autre côté de la rive, Henrik cherche par tous les moyens à obtenir des informations sur son fils aîné resté dans son école, à proximité de la zone dangereuse. Sans téléphone portable, il est obligé de demander à des passants de lui prêter le leur, il croise des regards familiers alors que l’exode se poursuit, par bus, jusqu’à une caserne à Jersey city. C’est là, finalement, qu’il apprendra que l’école de Dylan a été évacuée et que son fils a rejoint sa mère. La petite famille est de nouveau réunie mais ne peut rentrer à son domicile situé dans une zone de quarantaine. Ils seront hébergés par des amis pour la nuit. Les jours suivants sont consacrés à rassembler quelques affaires récupérées chez eux sous le contrôle des autorités. Pendant trois mois et demi, ils devront vivre dans un taudis infesté de rats puis une chambre d’hôtel bruyante près d’un chantier imposant. L’auteur se met à marcher à travers les rues de Manhattan, à arpenter les paysages familiers, à contempler l’activité incessante des habitants de New York. La petite famille retourne finalement dans son domicile et tout parait reprendre le cours normal des choses. Peut-être Henrik regarde-t-il plus souvent par la fenêtre, le regard posé à l’endroit d’où s’élevaient les tours jumelles. Femme et enfants reprennent leurs habitudes mais une fêlure discrète et permanente les habite désormais, tous, définitivement…

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Bande dessinée noir et blanc. Couverture: fond rouge sur lequel se détachent les tours. Dessin épuré en noir.

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Il s’agit d’une forme autobiographique, d’un monologue intérieur à travers lequel Henrik Rehr, narrateur unique, distille peu à peu sa vision personnelle du déroulement de cette journée, de ce quotidien soudain confronté à l’irruption brutale de l’histoire.

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

Le 11 septembre est le thème central du livre, mais il est montré non pas sous un angle historique, événementiel mais par le biais de la vie de quartier fortement perturbée. L’auteur habitant un ensemble de maisons jouxtant les tours jumelles, l’action se situe majoritairement dans cet espace circonscrit.

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

i) S’inscrivant dans une narration intime et également méticuleuse, presque « anthropologique », le regard que porte Henrik Rehr sur ces événements oscille entre une forme nostalgique, voire plutôt fataliste, tout en se construisant une sorte de philosophie de vie très personnelle.

ii) Les avions sont présents par les bruits des écrasements, par les nuages de fumée, mais ils ne sont jamais montrés (à part la silhouette de l’un d’eux, noire sur fond blanc, en page 3, juste avant le début de la bande dessinée). Les moyens de transports présentés sont les autobus qui évacuent les habitants des immeubles proches de l’attentat et les péniches qui leur font traverser la rivière.

iii) Plusieurs cases montrent des images télévisuelles des tours, des flammes qui s’échappent des étages ( case 1, pl. 7 ; case 3, pl. 8 ; case 5, pl. 9 ). Elles n’apparaissent qu’au début du récit et informent l’auteur sur le drame qu’il voit par sa fenêtre sans le comprendre. Ainsi lorsque Rehr regarde par sa cuisine (cases 6-7, pl. 6), entendant un bruit assourdissant, observant l’épais nuage de fumée qui jaillit des fenêtres d’une des tours du WTC , il indique dans le récitatif de la première case de la pl. 7 : « J’ai allumé la télé ». La voix des commentateurs distille des informations précises qui rythment les premiers instants du récit : « Il semble qu’un avion s’est écrasé… », puis « terrorisme ? ».

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

Rehr et tous les personnages qu’il met en scène dans son histoire vivent les événements en observant ce qui se déroule. Ils fuient l’attentat, s’éloignent du quartier… Pompiers, secours et policiers ne sont vus ici que pour des séquences courtes pendant lesquelles ils évacuent, accompagnent, rassurent… Tout est montré à travers le prisme de la banalité quotidienne, soudainement bousculée.

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Il n’y a pas de sons proprement dit, pourtant comme souvent dans une bande dessinée, les onomatopées, ici les indications des bruits de fond, jouent un rôle important au début du récit. Des bruits stridents : iiiiiiiii, traversent les cases 4 et 5 de la planche 6 tout comme un BOAMMMMM zigzaguant, des cases 6 à 7 de la même planche, écrit en larges lettres blanches. Cette graphie tremblante de ces lettres «sonores » se retrouve par deux fois dans le récit, à la case 1 de la planche 8 ( un BAAAOMM en lettres grises qui mangent l’espace de la cuisine où petit-déjeune l’auteur) et à la case 3, planche 9, un BRRRRRRR de lettres noires qui forment un arc de cercle dans la cuisine.

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Rien de significatif.

Autres aspects à intégrer

N/A

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

« Nous habitons à un bloc et demi du World Trade Center dans un ensemble d’appartements nommé le Gateway Plaza. À 8h 48, le premier avion a frappé. » Installé à New York depuis quelques années, le dessinateur danois Henrik Rehr est aux premières loges le 11 septembre 2001. Évacué d’urgence, sans nouvelles de sa femme et de son fils, il traverse une longue journée de cauchemar qui ravive en lui d’autres souvenirs difficiles. Une fois déjà, la mort avait pris rendez-vous avec sa famille… Un récit poignant et intelligent.

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

Pas d’entrevues connues de Henrik Rehr.

Citer la dédicace, s’il y a lieu

«Je voudrais exprimer ma plus profonde gratitude à Sophia, Wolf, Anne, Bill et Dan qui ont abrité notre famille au moment où elle en avait le plus besoin. Merci également aux sympathiques personnes du Centre Familial de Pier 90, qui ont su nous apporter un support financier et moral. Enfin, je voudrais remercier tous les enfants qui ont envoyé des lettres d’amour et d’encouragement à la ville de New York après le 11 septembre. Vous m’avez vraiment donné beaucoup d’espoir, et je suis certain que je ne suis pas le seul dans ce cas. Ce livre vous est dédié. Henrik Rehr.»

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

Quelques pages web proposant analyses et commentaires sur «mardi 11 septembre» de Henrik Rehr:

Site de la maison d’édition : http://www.ventsdouest.com/dyn/ventsdouest/08pleinecran/accueil2.asp?url=http%3A//www.ventsdoue [Cette page n’est plus accessible] 

D’autres sites : https://web.archive.org/web/20080414181740/http://www.coinbd.com/bd/albums/resume/2165/mardi-11-septembre/mardi-11-septembre.html [Page consultée le 11 août 2023]

https://web.archive.org/web/20060516022724/http://atticawebzine.chez-alice.fr/chroniquemardi11septembre.html [Page consultée le 11 août 2023]

https://web.archive.org/web/20050329033013/http://www.bdselection.com/php/chroniquebd-5512_Mardi_11_septembre.html [Page consultée le 11 août 2023]

Impact de l’œuvre

À ma connaissance, aucun prix ou récompenses pour cet album, jusqu’à aujourd’hui (avril 2008).

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

L’utilisation d’une bichromie pour ce récit en BD, les dominantes de gris, l’alternance de fonds blancs ou noir, participent à la lente construction d’une ambiance particulière, à la fois très précise et presque atemporelle, distillant des sensations diverses et étroitement mêlées. Tout est vu de l’intérieur, c’est-à-dire à hauteur d’humains. Les gens vivent ce jour pris par des impératifs du quotidien qui se refaçonne, au fur et à mesure de l’évolution de cette catastrophe. L’auteur est également soumis à cette logique et agit en conséquence, porté par la situation, un peu à la dérive, comme les autres habitants du quartier. Et cette action au ralenti, passive, semble presque extérieure à l’événement vécu par les personnages du récit. Ça et là, lorsque Rehr montre les personnes évacuées faire connaissance, discuter, des remarques générales d’ordre politique ou philosophique sont évoquées : « espérons que ce truc incitera tout le monde à résoudre le problème israélo-palestinien » (case 4, pl. 32, deux interlocuteurs en train de manger des pizzas) ou « Je me demande toujours quel monde nous allons offrir à nos enfants » ( case 5, pl. 32, une femme enceinte qui pose une mains sur son ventre ). Quelques images de l’attentat, par le biais de la télévision, contextualisent davantage les faits. C’est un peu comme des spectateurs d’un match de football, dans un stade, qui suivent le jeu en direct et le regardent de ce fait sans aucune mise en scène, pas de sons, pas de cadrage spécifiques : zoom avant, arrière, gros-plan, etc. Rehr ne s’intéresse qu’à ces petits détails, cette banalisation d’un événement catastrophique qui est ressenti profondément par les témoins mais qui devient autre dès qu’il est médiatisé. Il y a comme une dichotomie entre cette micro-histoire décrite à travers une narration par petites touches face à la surmédiatisation du 11 septembre qui brouille les cartes et empêche de penser l’événement, l’histoire, ses conséquences, son sens. Henrik Rehr repousse le spectaculaire de l’événement jusqu’à l’intérioriser, il participe ainsi, modestement, au processus de fictionnalisation. Il montre à quel point les êtres qui ont vécu cette situation, les habitants des quartiers proches du World Trade Center, en sont sortis bouleversés, transfigurés en quelque sorte, loin de toute réécriture spectaculaire des faits. Et c’est dans ce parti-pris d’exposition de l’histoire que le dessinateur explore à son tour la mythification du 11 septembre. C’est un peu ce que lui dit l’un de ses proches rencontrés dans le métro quelques heures après les événements : « C’est drôle, tu sais. Tout le monde se rappellera ce qu’il a fait aujourd’hui. Maintenant, toi et moi faisons partie de l’histoire de l’autre, ce jour où le World Trade Center est tombé».

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

Dernière case de la dernière planche ( case 6, pl. 55) , paysage urbain, presque effacé par la neige abondante qui tombe et cette phrase : « Ce n’est pas une petite chose que de trouver sa place dans le monde… »

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

N/A

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