Entrée de carnet

L’oeuvre de Jean Désy: admiration de la nature et apaisement de l’âme

Constance Walton
couverture
Article paru dans Écoécritures – études collaboratives et décentrées, sous la responsabilité de Catherine Cyr et Jonathan Hope (2021)

    Grâce à des écrits comme Le coureur de froid4 et Isuma, anthologie de poésie nordique5 de Désy, nous voyons comment le contact avec la toundra et la taïga fait naître différents sentiments : de l’admiration et l’amour de la beauté de lieux singuliers (« La beauté m’aiguillonne, me traverse […] il fait moins quarante et il vente. Dans la totale noirceur blanche, je suis harcelé »6, « Ô Nord, mon Amour, je t’aime pour le cristal de tes fjords »7), jusqu’à l’apaisement né d’une impression de fusion (« Je me suis assis dans la neige […] Il tombait une neige qui laissait voir le cristal de centaines de flocons différents. Mon cœur, qui avait battu très vite, s’est reposé. Les arbres respiraient au même rythme que moi.»8).

    Cette représentation d’une relation forte tissée entre l’homme et la nature, est à la fois silencieuse et chargée de signifiants : dans les textes étudiés nous retrouvons par exemple une volonté d’ancrer davantage ses écrits dans le Nunavik en employant des mots inuits. Par exemple l’un de ses poèmes désigne les différents types de neige : « matsaaq » pour la neige mouillée et  « Kavisilaq » pour la neige durcie9. Ces écrits nous interrogent sur ce qui est en jeu dans l’écriture de cette expérience, ce passage de l’admiration à l’apaisement. En quoi estime-t-on que ce lien s’exprime ici? En effet, une question esthétique est souvent subjective et nous tâcherons donc de rendre compte de cette admiration qui grâce à un rapprochement devient apaisement en nous basant sur des extraits éloquents.

   Comment se produit cette communication particulière entre l’humain et le non-humain? Comme l’écrit Thoreau : « La Nature ne pose pas de questions, et ne répond à nulle que nous autres mortels lui posions.»10 La quête du narrateur-personnage du roman  montre cette volonté de trouver la paix : il quitte le Nunavik où il est médecin, en motoneige, à travers la toundra pour retourner dans le sud du Québec et en profite pour satisfaire son goût de nomadisme dans le Nord. Il s’agit d’une aventure entre plusieurs êtres et la nature et aussi d’un être en réflexion introspective fréquente sur sa vie et son travail de médecin. Comme le souligne Barnhill avec son « approche de l’écosystème » 11 des textes, une oeuvre relevant de la « Nature Writing » est difficilement classable dans tel ou tel type et c’est ce qui fait la richesse de la littérature.

   Les réflexions philosophiques du narrateur naissent de son aventure dans la toundra et la taïga et donc directement de ce regard marqué par la fascination et de l’amour qu’il ressent en contact avec ce Nord. Le vécu du personnage fait état de cette osmose ressentit bien souvent. Enfant déjà il « appren[ait] l’art de sentir la forêt, les arbres, l’humus et les torrents. »12 puis à la fin du roman après avoir survécu à de terribles épreuves, il se dit que « [s]a vie et [s]a mort ne valaient ni plus ni moins que chaque cristal de neige qui s’écrasait sous [ses] pas, qui disparaissait, et qui réapparaîtrait, dans six mois, sous forme d’une goutte d’eau. »13

   La sérénité retrouvée passe par l’observation active et la relation physique avec cette nature. Le philosophe Gaston Bachelard appelle « l’immensité intime » ce lieu que les poètes transforment en « espace poétique »14, en un ailleurs « intime »15. En lisant des textes de Désy peut-être atteignons-nous aussi une plus grande intimité avec ces espaces naturels alors que nous en sommes éloignés?

1 BARNHILL, David Landis, « Surveying the Landscape: A New Approach to Nature Writing », in « Interdisciplinary Studies in Literature and Environment » Vol. 17 No. 2, Printemps 2010, Maison d’éditions Oxford University Press pour l’ Association des études de Littérature et d’Environnement. pp. 273-290 (18 pages), téléchargé sur https://academic.oup.com/isle/article/17/2/273/701866?login=true dernière consultation le 26 février 2021. Barnhill a été le directeur des études sur l’environnement de l’Université du Wisconsin.

2 Ibid. « Their words spoke simply but vibrantly of sequoias and snow peaks. » p. 273.

3 Ibid. « [I was in ] need for intimacy with nature […] and for radical social change. » p. 273-274.

4 DESY, J., Le coureur de froid, Montréal, Editions XYZ, Coll. “Romanichels”, 2001.

5 DESY, J., Isuma, anthologie de poésie nordique, Montréal, Mémoire d’encrier, 2013, 173 p.

6 Ibid, p. 20.

7 Ibid, p. 60.

8 Le coureur de froid, op. cit. (Édition du Kindle. Emplacement 988-1000).

9 Isuma, anthologie de poésie nordique, op. cit. p. 34

10 THORAULT, H. D., Walden ou la vie dans les bois, Ed. Le Mot Et Le Reste, Marseille, France, traduction de Brice Matthieussent, 2017, 384 p. Chapitre XVI “L’étang en hiver”.

11 BARNHILL, David Landis, op. cit. « the ecosystem approach » p. 279.

12 Le coureur de froid, op. cit., Edition du Kindle, emplacement 349.  
13 Ibid. Edition du Kindle, emplacement 1062-1064.
14 BACHELARD, Gaston, La poétique de l’espace, Paris, PUF, 1ère édition critique « Quadrige », 2020 [1957], 404 p. p. 269.
15 Ibid. p. 278.
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