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«L’Herbe de l’oubli» de Jean-Michel d’Hoop: le théâtre pour repenser les rapports entre l’humain et le monde
Faire coexister le réel et l’invisible
Fondée en 1993 par l’auteur et metteur en scène belge Jean-Michel d’Hoop, la compagnie bruxelloise Point Zéro s’intéresse aux rapports entre l’acteur et la marionnette et se questionne sur la ligne de démarcation qui existe entre le manipulateur et le manipulé, entre l’inertie et le mouvement, entre la mort et la vie.
Un de ses plus récents spectacles illustre avec éloquence ce désir de jouer avec la notion de cohabitation. Créé en 2018 au Théâtre de Poche à Bruxelles avant de partir en tournée en Chine et en France, L’Herbe de l’oubli a été désigné meilleur spectacle par le Prix de la critique 2018 en Belgique. Le titre de l’œuvre fait référence à l’absinthe, qui se dit «Tchernobyl» en russe. La pièce aborde effectivement l’après-catastrophe de Tchernobyl, à la suite de l’explosion d’un réacteur d’une centrale nucléaire en ex-URSS (aujourd’hui en Ukraine) en 1986, qui a envoyé dans l’atmosphère des poussières et des gaz radioactifs perceptibles jusqu’en Europe, en faisant la plus grande catastrophe nucléaire mondiale. Encore aujourd’hui, la radioactivité est dangereusement élevée autour de la zone d’exclusion, mais comme elle demeure invisible, le danger reste difficile à concevoir. La vie semble s’y dérouler normalement: la nature y est belle, les gens y vivent, y cultivent des légumes, y travaillent. Pourtant…
Pour écrire la trame, Jean-Michel d’Hoop s’est d’abord inspiré de récits rassemblés au cours d’une période de dix ans par l’écrivaine ukrainienne Svetlana Aleksievitch, histoires qu’elle a publiées en 1997 dans son livre La Supplication. Il a aussi utilisé des témoignages plus récents qu’il a récoltés avec des membres de son équipe de création lors de trois voyages en Biélorussie et en Ukraine, autour de la zone d’exclusion qui est appelée «Réserve Radiologique Naturelle». Ainsi, le public qui assiste au spectacle entend les témoignages d’une dizaine de citoyens et citoyennes –pratiquantes orthodoxes, médecin, agriculteurs, employée d’entreprise de produits ménagers, jeune couple– auxquels donnent vie cinq interprètes.
Bien évidemment, la question environnementale liée à l’utilisation du nucléaire et à la gestion des déchets par les gouvernements est omniprésente dans la pièce. Ici, les témoignages permettent de questionner spécifiquement la responsabilité du gouvernement soviétique, son inaction et son opacité, mais aussi plus largement notre propre lien avec l’environnement. Les récits partagés se veulent sans aucun doute une forme de lutte contre l’oubli et font réfléchir au rapport que nous entretenons, individuellement et collectivement, avec l’environnement et avec le passé. La compagnie Point Zéro mentionne également avoir voulu explorer la notion de réel à travers la forme du spectacle: comment se manifeste le réel lorsqu’il est invisible, comment est-il perçu, comment interagissons-nous avec lui? Ce qui ressort de cette exploration est une œuvre sensible qui fait cohabiter les concepts, les univers et les langages et incite à revisiter notre rapport à ce monde dont nous avons fait notre habitat.
Cohabiter par-delà les frontières
Fascinée par les croisements de toutes sortes que les créateurs engendrent dans la proposition théâtrale, je me suis aperçue que la notion de cohabitation, explorée de nombreuses manières et par le biais de différents procédés, faisait inévitablement apparaître celle de frontière. Dans L’Herbe de l’oubli, la frontière semble en effet indissociable de la notion de rencontre. Elle a beau séparer, fragmenter, compartimenter, elle représente aussi une zone de passage, de rendez-vous, de retrouvailles: le passé coexiste avec le présent, l’invisible fréquente le visible, le rêve converse avec le réel, l’humain tente un dialogue avec une nature dévastée. Cette manière de refaçonner les démarcations habituelles fait écho à la vision du sémioticien Youri Lotman. À ses yeux, «[l]a notion de frontière est ambivalente, elle sépare et unit à la fois[,] [e]lle est toujours la frontière de quelque chose et appartient ainsi aux deux cultures frontalières (…).» (dans Bouvet: 20-21) Selon lui,
[j]ust as in mathematics the border represents a multiplicity of points, belonging simultaneously to both the internal and external space, the semiotic border is represented by the sum of bilingual translatable “filters”, passing through which the text is translated into another language (…).1Tout comme en mathématiques la frontière représente une multiplicité de points qui appartiennent simultanément à l’espace intérieur et extérieur, la frontière sémiotique est représentée par la somme de «filtres» traduisibles et bilingues à travers lesquels le texte est traduit dans une autre langue (…). [Je traduis.] (Lotman: 208-209)
L’Herbe de l’oubli rejoint cette idée de plusieurs façons. Issue d’un montage, c’est-à-dire d’un assemblage de matériaux textuels et matériels (récits, extraits vidéo, photos, marionnettes), l’œuvre est à la fois visuelle, poétique et documentaire. La représentation oscille effectivement entre les témoignages authentiques, les rêveries et les souvenirs, les données scientifiques, les images d’archives et les moments de suspension étranges, nous transportant dans des univers qui s’entremêlent tout au long de la pièce.
D’abord, il y a le présent, vif et coloré, qui s’installe à travers les témoignages ancrés dans le réel. Les récits sont adressés directement au public, qui les reçoit comme s’il était l’intervieweur, le visiteur: «Tenez, c’est pour vous, c’est un cadeau.» (d’Hoop: 3) Chacun des personnages s’exprime en toute liberté, selon ses convictions, parfois avec fougue, parfois avec plus de retenue. La parole demeure franche, généreuse, les opinions varient. Qu’ils soient offerts avec pudeur ou avec aplomb, les propos confrontent, indignent, ébranlent. Impossible de ne pas être interpellés lorsque la voix hors-champ de Yulia nous lance: «Ça n’a rien d’une guerre. Et pourtant nous voici transformés en réfugiés… Comment comprendre où nous en sommes? Comment saisir ce qui nous arrive, là, maintenant?» (d’Hoop: 11) Cette voix se fait d’ailleurs entendre ponctuellement tout au long du spectacle, partageant des réflexions et constats intimes, devenant un élément unificateur dans le spectacle et un point d’ancrage pour le public. La narratrice sans visage expose aussi avec une lucidité poignante le changement inévitable qui s’est enclenché dans la relation entre l’humain et son environnement depuis la catastrophe et qui demeure toujours cruellement d’actualité.
Comme en écho à cette voix, un écran situé en fond de scène laisse lui aussi le présent s’exprimer, proposant à plusieurs moments des images filmées en 2017 par l’équipe de création près de la zone d’exclusion, ce qui nous donne l’impression de faire une visite guidée des lieux. Le spectacle débute de fait avec des images vidéo présentant Tchernobyl aujourd’hui: plusieurs plans fixes mis bout à bout nous montrent d’abord des bâtiments délabrés, une salle de classe désaffectée, des jouets abandonnés, des autos-tamponneuses ensevelies sous les feuilles mortes. Aucune trace du vivant, si ce n’est quelques animaux peints sur des murs de béton. Lorsque cette première projection se termine, nous découvrons sur la scène une structure de bois nue et des feuilles d’arbre mortes au sol, comme une continuité de la longue séquence vidéo. Voilà le public transporté près de Tchernobyl, dans son actualité, mais aussi dans son passé.
Représenté simultanément avec le présent sur scène, le monde du passé se voit incarné par de nombreuses marionnettes. Mélange de matières plastiques rappelant la terre, la cendre, le papier et la poussière, elles rendent visibles l’invisible et l’autre qu’humain. Une première marionnette d’enfant semble surgir de l’époque de la catastrophe : un petit corps sans tête s’extirpe d’abord des débris, tel un mort-vivant, et retrouve sa tête grâce au marionnettiste qui le manipule. Nu, mal en point, l’enfant-fantôme découvre sans comprendre ce qui l’entoure et sort de scène, dans la pénombre. Une deuxième marionnette apparaît peu de temps après, une vieille femme cette fois, venue elle aussi du monde des disparus. Elle donne l’impression de retrouver sa maison au milieu des débris, replaçant un fauteuil sur lequel elle s’assoit, trouvant dans les décombres un collier de perles qu’elle reconnaît.
Tout au long de la pièce, comme des fantômes, les marionnettes apparaissent et disparaissent ainsi au milieu d’une structure faite de cadres qui rappelle une maison, créant chaque fois des tableaux vivants où le passé, le rêve et l’imaginaire s’animent. Marionnettes à fils, surdimensionnées ou s’intégrant au corps des acteurs, elles permettent aux artistes sur scène de jouer avec la frontière entre manipulateur et manipulé, ce «seuil» dont parle Didier Plassard et d’où la marionnette «regard[e] à la fois vers le monde des choses, dont elle provient, et vers celui des hommes où elle s’introduit, […] nous obligeant à saisir dans un même espace mental ce qui nous fonde et ce qui nous menace.» (dans Stall: 50) C’est exactement de cette manière qu’agissent les marionnettes de L’Herbe de l’oubli. Elles permettent de donner un visage à l’altérité et de percevoir l’invisible qui rôde tout en incarnant la mémoire. À la frontière de deux mondes, dans cette zone qui permet de voir et entendre des deux côtés, comme une sentinelle, elles expriment le désarroi et l’innommable, mais aussi une forme de résilience. Elles donnent en quelque sorte une forme à la réflexion de Yulia, qui se tient elle aussi à la frontière de deux univers: celui du «avant» et celui du «après».
Les marionnettes défient ainsi les limites des frontières en créant un espace de rencontre hors du temps, hors des normes; elles nous encouragent et nous incitent à regarder le monde autrement. Grâce à leur présence étrange, captivante et discrète, la frontière entre les mondes du vivant et de l’inerte, du souvenir et du réel paraît effectivement s’effacer, comme si humain et autre qu’humain, présent et passé fusionnaient. La juxtaposition de ces univers sur scène rappelle les propos de Deleuze au sujet de sa lecture de Bergson: «Non seulement le passé coexiste avec le présent qu’il a été; mais comme il se conserve en soi (…) c’est le passé tout entier, intégral, tout notre passé qui coexiste avec chaque présent». (Deleuze: 55) Ce procédé ébranle notre vision souvent linéaire du temps.
Ensemble autrement: profond désarroi de l’humain et résilience de la nature
Le passé est non seulement douloureux pour les habitants de Tchernobyl, il se manifeste encore très concrètement dans le quotidien2Au moment d’écrire ces lignes, cette douleur est ravivée et décuplée par la guerre qui sévit en Ukraine.. Il est donc irréalisable pour les gens de Tchernobyl et des environs de tourner véritablement la page. Le danger demeure omniprésent, comme l’exprime le personnage de Tatiana, médecin à l’hôpital:
Y a des gens ici en bordure de zone qui tentent de faire [pousser] des produits propres, mais c’est une absurdité parce que c’est pas possible sur ce territoire. C’est vrai ils n’auront aucun produit chimique, pas de nitrate, pas de pesticide, mais du césium 137 pur… (…)
Faut savoir que le Belarus a déclaré certaines zones qui étaient très polluées «propres» alors qu’elles ne l’étaient pas, tout simplement parce que l’état n’avait pas l’argent pour rendre ces zones propres. (d’Hoop: 8)
La bonne volonté des citoyens et citoyennes n’a ici aucun pouvoir: le passé s’incruste tous les jours dans leur vie et dans leur rapport à la nature. L’utilisation des marionnettes, juxtaposée aux nombreux témoignages, montre très bien cette impossibilité pour les gens sur place de faire abstraction du passé, de le caviarder, même s’ils le souhaitent. Jouant encore une fois avec la notion de cohabitation, d’Hoop choisit par exemple de mettre en scène quatre marionnettes surdimensionnées qui surgissent ponctuellement du noir et s’approchent subtilement des protagonistes lorsqu’ils mentionnent dans leur discours la radioactivité et les dangers qu’elle représente. Bien présentes aux yeux du public, ces figures étranges demeurent pourtant invisibles pour les personnages sur scène. Sans être menaçantes, elles incarnent certainement une présence forte, qu’il n’est pas possible de nier. Ne serait-ce qu’en raison de la radioactivité qui persiste, le passé ne peut pas être balayé de la main.
La façon dont la nature est représentée dans l’œuvre théâtrale souligne aussi cette impossibilité d’oublier. Effectivement, l’équipe de création a choisi de mettre l’accent sur sa force et sa résilience à reprendre possession du territoire et sur sa présence éclatante et triomphante. D’abord, le discours de la narratrice et de plusieurs protagonistes décrit la vivacité de la nature malgré la présence de radioactivité:
Je suis sortie… Les jardins étaient en fleurs, une herbe toute neuve brillait, pimpante, au soleil. Les oiseaux chantaient. Un monde tellement familier!
Ma première pensée: tout est normal, tout est comme avant.
Cependant, dès le premier jour, on m’explique: mieux vaut éviter de cueillir des fleurs, de s’asseoir dans l’herbe et de boire de l’eau de source. (d’Hoop: 10)
On a des oies, des brebis, des poules, un cochon, tout tout tout, des dindons, on a tout ce qu’il faut… On est presque autonomes. On a même un veau. Et puis y a le chien aussi. Et le chat… Mon chat…
(…) Y a beaucoup de baies là-bas. Et des champignons… (20)
D’une autre façon, l’utilisation d’images vidéo permet aussi de constater la luxuriance et la résistance de la nature. Il s’agit entre autres d’un moyen habile de faire apparaître la nature sur scène, de lui offrir une forme de tribune, de mettre en lumière son abondance. Plusieurs séquences vidéo laissent ainsi voir des arbres forts qui se balancent au vent, une étendue d’herbes hautes surmontant un petit bâtiment en ruine, un paysage verdoyant cernant un terrain de jeu abandonné. Là où il y avait des maisons, que le gouvernement a fait recouvrir de terre à la suite de la catastrophe, poussent maintenant des arbres et des fleurs. Lorsqu’ils regardent ces paysages, c’est l’absence des bâtiments, de leur maison, de celle des voisins et voisines que les gens remarquent. La nature leur rappelle sans cesse ce qui était là et qui a maintenant disparu.
Là où vous voyez des petites collines, là c’est les tombes des maisons. C’est les maisons enterrées.
Quelle forêt mais quelle forêt.
Voilà on y est…
Il est là mon érable… C’est mon beau-père qui l’a planté.
Devant c’est ma maison. C’était ma maison.
À côté c’était Yvan… (…)
Mon Dieu qu’est-ce que ça pousse vite…
Quelle forêt. Quelle forêt.
J’ai envie de pleurer… (d’Hoop: 18)
Contrairement à l’humain, la nature parvient à bien survivre. Résiliente, elle reprend peu à peu sa place, se réappropriant même des espaces d’où l’humain l’avait repoussée. Elle semble en santé. Mais puisqu’elle demeure gorgée de radioactivité, l’humain ne peut plus interagir avec cette nature comme il le faisait avant le désastre nucléaire. Il ne peut plus se fier à elle pour se nourrir, pour se rafraîchir, pour s’évader. Non seulement son habitat est dévasté, mais les ressources sur lesquelles il pouvait compter ne sont maintenant plus accessibles. Du jour au lendemain, cet autre que soi est devenu une menace3En fait, c’est l’ensemble de l’écosystème qui est devenu à la fois menaçant et menacé par ce bouleversement (oiseaux, insectes, animaux, plantes, minéraux, cours d’eau, etc.).. Ainsi, un espace inconnu et vertigineux semble s’être formé entre les gens de Tchernobyl et leur environnement. Comme un décalage, une distance. Ici, «[l]’altérité se joue dans cette tension qui déporte vers le lointain, qui déstabilise, dans ce formidable effort qui [les] pousse au-delà des limites du connu.» (Bouvet: 18) Il devient donc incontournable pour eux de réformer leur rapport avec l’autre qu’humain afin de trouver une nouvelle manière de cohabiter avec lui et d’occuper cet espace. Il leur faut apprivoiser autrement leur habitat.
Quand le vivre-ensemble provoque un vertige: trouver de nouveaux repères
Dans L’Herbe de l’oubli, l’autre que soi est souvent la nature, que l’humain ne semble plus comprendre. Le monde n’est plus tel qu’il le connaissait. Plusieurs personnages expriment d’ailleurs ce désarroi, dont Yulia:
(…) Est-ce que c’est la guerre? Pourquoi nous devons partir?
Regardez le soleil brille. Rien ne brûle. Y a pas de fumée. (…)
J’ai vu des petites souris qui couraient elles étaient bien vivantes.
Je lève la tête je vois des oiseaux qui volent ils sont bien vivants.
Ils sont en bonne santé.
Pourquoi est-ce que nous, nous ne pouvons pas vivre? (d’Hoop: 5)
L’humain est ici ébranlé devant une altérité, l’autre qu’humain, qui semble plus résiliente que lui. Il constate sa propre limite, ce qui le sépare de l’autre. Selon Lotman, la notion de frontière fait justement référence à la limite entre le «je» et le «vous». C’est la ligne qui sépare l’espace intérieur et l’espace extérieur, le soi et l’autre. C’est donc un lieu d’échanges et de communication, mais aussi un lieu de contraintes et d’obstacles. Rachel Bouvet poursuit cette idée en affirmant que
[l]’altérité des frontières conduit (…) à explorer les zones frontalières entre les cultures, à s’aventurer dans l’opacité des signes, à s’immerger dans un univers où les signes sont flottants. La frontière (…) c’est d’abord et avant tout un espace sémiotique dans lequel se croisent des langages provenant de sémiosphères différentes. (…) [D]e nouveaux langages voient le jour grâce à ces chocs culturels nés de la rencontre. (Bouvet: 22)
Pour les victimes de Tchernobyl, ce choc provoque un changement non consenti des rapports avec le monde qui les entoure. Cette transformation se fait brusquement, douloureusement. Dans L’Herbe de l’oubli, de nombreuses répliques font justement ressortir l’incroyable impact de la catastrophe nucléaire sur le rapport entre l’humain et l’environnement. Ici, la voix de Yulia décrit la confusion qui s’est emparée des gens après le désastre et le vertige qui les a assaillis:
Je me disais que nous avions subi un choc, et c’était cela que je cherchais: l’homme ébranlé dans toutes ses certitudes.
Des voix nous parvenaient parfois, comme dans un songe ou un délire, comme d’un monde parallèle.
(…)
On cherchait des réponses que ne pouvaient donner ni la physique ni les mathématiques.
Un «ailleurs» s’était entrouvert et nul n’était assez fou pour continuer à s’en remettre à la «Bible du matérialisme».
L’infini nous avait sauté à la figure.
Je me suis rendue compte qu’un langage de type apocalyptique s’était installé.
Un langage de type biblique.
C’est-à-dire que tout d’un coup le Cosmos s’était approché tout près de la vie des gens,
et les gens se sont rendu compte de leur petitesse et de leur vulnérabilité
et aussi du côté invisible du mal, du côté insaisissable du mal. (d’Hoop: 24)
À travers cette narration, s’exprime l’effondrement de tout un système de conception du monde et des liens entre soi et l’univers. Les assises et les explications rationnelles habituelles ne tiennent plus la route devant un événement d’une telle envergure, aux conséquences aussi inconcevables. Les repères traditionnels ont disparu, les modes de perception et de communication sont désormais inadéquats.
Il s’est produit un événement pour lequel nous n’avons ni système de représentation, ni analogies, ni expérience. (…) Tous nos instruments intérieurs sont accordés pour voir, entendre ou toucher. Rien de cela n’est possible. Pour comprendre, l’homme doit dépasser ses propres limites. Une nouvelle histoire des sens vient de commencer… (d’Hoop: 2)
Ainsi, aucun mot ne convient pour nommer ce monde d’après-catastrophe. Les gens se trouvent devant l’impossibilité soudaine de faire appel au langage tel qu’il existe et constatent la nécessité d’en inventer un nouveau pour aborder cette nouvelle réalité. Cette prise de conscience résonne avec la pensée du philosophe Olivier Remaud, qui voit le langage comme un des moyens de transformer notre rapport à l’environnement: «Comment donc apprécier tous les êtres à leur juste valeur? La première règle à suivre est peut-être celle-ci: se tourner vers nos manières de parler, débusquer les logiques de chosification qui se nichent dans nos mots de tous les jours et neutraliser le neutre.» (Remaud: 83) Jean-Michel d’Hoop démontre notamment ce désir d’agir sur les rapports habituels en explorant les formes et fonctions du langage tant au niveau discursif que scénique. Ainsi, la voix hors-champ entendue ponctuellement permet tantôt des moments d’introspection intimes, tantôt un élan vers des questions philosophiques universelles alors que les témoignages adressés directement au public rappellent constamment l’ampleur de la catastrophe sur le présent. L’écriture scénique de plusieurs scènes de la pièce fait écho quant à elle à certains des propos de l’écrivaine et professeure de biologie environnementale Robin Wall Kimmerer. Issue de la nation des Potawatomi, qui est établie dans la région américaine des Grands Lacs, elle est convaincue que «[l]e langage est un miroir à travers lequel on distingue l’animéité (animacy) du monde, la vie qui bat dans les choses, dans les pins, les sittelles et les champignons. C’est ce langage que j’entends dans les forêts, celui qui nous permet d’évoquer tout ce qui sourd autour de nous.» (dans Remaud: 87)
Effectivement, en rendant perceptibles les éléments habituellement invisibles ou privés de paroles, en leur créant un espace, que ce soient les fantômes, la radioactivité, la nature ou les animaux, d’Hoop nous donne accès à des présences discrètes qui font partie de notre monde, de notre histoire, de notre vie. Ainsi, grâce à la vidéo, aux marionnettes et à la musique, langages scéniques qui cohabitent habilement avec le langage discursif, la scène devient un territoire de rencontre, un lieu de convergence pour les altérités choisies par le metteur en scène. Par exemple, bien ancrée dans le présent, une femme raconte son quotidien depuis la catastrophe pendant que des marionnettes surdimensionnées émergent tout doucement de l’obscurité et s’approchent d’elle avant de repartir sans que la femme n’ait remarqué quoi que ce soit. De son côté, le public a possiblement décelé la présence de la radioactivité, qui demeure omniprésente. Il comprend et ressent le danger qui rôde et la menace qu’elle représente, malgré la normalité avec laquelle les gens continuent de vaquer à leurs occupations. Est-ce du déni, de l’instinct de survie, de l’insouciance, de la résilience? Les questions nous poursuivent. Plus tard, un homme porte avec émotion sur ses épaules un cheval mort, énorme marionnette, avant de le déposer délicatement sur le sol pour le caresser affectueusement. Tout au long de cette scène, la voix hors champ raconte:
Je m’souviens d’un garçon, (…) il devenait fou.
Et ce qui l’avait bouleversé lui c’était l’attitude vis à vis des animaux.
C’est à dire que les gens étaient évacués mais les animaux étaient abattus en masse. (…)
Les chiens gardaient les maisons, mais y avait plus personne… Donc quand ils entendaient une voix humaine, les chiens arrivaient, ils étaient contents d’entendre des voix, ils arrivaient en remuant la queue, et c’est à ce moment qu’on les abattait.
Ou il se souvenait par exemple des chevaux qui étaient amenés pour être tués… Comment les chevaux se débattaient et comment les chevaux pleuraient.
Il était sûr que les chevaux pleuraient. (d’Hoop: 21)
Le décalage entre le récit discursif accablant (les animaux qui sont systématiquement abattus par des humains malgré le lien affectif qui les unit) et le récit scénique empreint de délicatesse et de solennité (le soin et le respect d’un homme envers un animal) crée un moment dramatique très puissant. Le public saisit entre autres le déchirement vécu par la population: il fallait prendre des décisions inimaginables qui pèseraient sur la conscience et les épaules de chacun toute la vie durant. La tragédie a provoqué une rupture douloureuse et inévitable des relations avec le monde tel que les gens le connaissaient.
Malgré tout, endurante à sa façon, la population de ces territoires contaminés semble avoir trouvé un moyen de se détacher de la tragédie, du moins en apparence. Lorsque le personnage quitte la scène, laissant le corps de l’animal au sol, un homme et une femme s’avancent pour s’adresser avec enthousiasme au public, tout près de l’animal devenu invisible pour eux. Cette image nous montre bien que le passé de leur communauté ne les quitte pas, il existe toujours en filigrane, il fait partie de leur histoire. Mais cet homme et cette femme sont toujours là, debout, en action, respirant le courage et la volonté. Et pas seulement dans la fiction. En toute fin de représentation, un film nous présente les images d’hommes, de femmes et d’enfants rencontrés par les créateurs du spectacle et ayant certainement inspiré certains des personnages. Ils nous regardent à travers la caméra, souriants, fiers, heureux, malgré leur mémoire. Pendant que le public les découvre, le personnage de Yulia rappelle l’omniprésence et, à la fois, l’inconcevabilité de la portée du danger:
Nous ne savons toujours pas ce qui se passe vraiment sous le sarcophage de Tchernobyl.
Et lorsqu’on vous dit par exemple «voilà, les gens pourront revenir dans cette zone quand elle sera décontaminée dans 100 000 ans», pour la vie d’un être humain c’est quelque chose qui est incompréhensible, on ne peut pas réellement concevoir. (d’Hoop: 30)
Imaginer d’autres rapports à l’autre
Dans L’Herbe de l’oubli, Jean-Michel d’Hoop invente un espace de cohabitation poétique entre plusieurs univers. Brouillant subtilement les frontières, il plonge peu à peu le public dans des zones d’entrelacement. En tout début de spectacle, par exemple, la zone scénique située au centre de la structure de bois semble réservée aux personnages du passé (les marionnettes) alors que les extrémités cour et jardin servent aux témoignages des protagonistes. Puis, des personnages commencent à enfreindre cette règle: lorsqu’ils font référence au passé, aux souvenirs, ils marchent dans la zone centrale, l’habitent. De plus en plus, nous constatons que le passé et le présent se côtoient, les vivants et les morts coexistent, le visible et l’invisible sont réunis. Fantômes et protagonistes se croisent éventuellement sur scène. Un personnage humain qui fait farouchement la fête s’adresse même directement à une des marionnettes sans que le spectateur ou la spectatrice ne s’en formalise: en quête d’alcool pour la suite de sa soirée, il demande à une vieille femme s’il lui en reste. Elle le chasse avec des grognements, sèchement. En reculant pour sortir, le fêtard lui lance: «Hé, ho, ça va. Nous au moins on est vivants.» (d’Hoop, captation vidéo)
De fait, tous les éléments du spectacle théâtral se trouvent rassemblés de manière à former une esthétique fluide, un tout qui se métamorphose durant la représentation, mais qui demeure cohérent. Loin d’être mis de côté, le public sent qu’il appartient lui aussi à cet univers, en tant que témoin essentiel de ces tableaux, de ces témoignages, mais aussi en tant qu’acteur possible pour la suite du monde. Ce vivre-ensemble artistique proposé par la compagnie Point Zéro apparaît comme une piste pour réfléchir ensemble à notre rapport à tout ce qui nous entoure.
La proposition jaillit effectivement d’un assemblage de connaissances scientifiques et artistiques qui permet de nourrir la réflexion entourant les rapports de l’humain avec l’autre qu’humain. La poésie qui naît de la combinaison des témoignages véridiques et de l’écriture de plateau m’a grandement interpellée. Si l’approche documentaire permet de partager de nombreux faits scientifiques, elle nous fait aussi accéder à la mémoire et à l’intime de l’après-Tchernobyl. En effet, le fait de choisir le témoignage comme procédé place le public dans une posture d’écoute qui rend possible la transformation de son regard. Grâce au procédé de l’adresse directe, il se sent impliqué, concerné. En associant ce récit à l’écriture de plateau, –par exemple des images filmées et projetées de gens qui visitent une nature luxuriante près de la zone– les artistes ouvrent un espace poétique engageant l’imagination du public et faisant naître le sensible. Lui aussi visite les lieux, constate à quel point la nature est belle, ressent presque le vent qui balaie les arbres. Il se surprend à s’émouvoir de l’absence des maisons maintenant disparues dont parle l’homme qui se tient devant lui. «On a besoin de la fiction pour réfracter la réalité, la faire ressentir» affirme Nancy Huston (dans Lapointe, 2016) C’est exactement ce que l’entrelacement de la réalité et du théâtre provoque ici.
De fait, grâce à la manière dont sont intégrés les témoignages dans la proposition artistique et à l’universalité du propos que l’équipe de création arrive ainsi à faire ressortir, L’Herbe de l’oubli parvient à tisser un lien à la fois humain et poétique entre le public et les habitants, humains et autres qu’humains, de Tchernobyl. Émerge alors une forme de connivence qui nous éloigne de l’indifférence et qui fait naître l’empathie. La frontière entre le soi et l’autre s’effrite sans disparaître complètement, mais devient suffisamment poreuse pour provoquer une rencontre, pour favoriser un entrecroisement qui stimule le mouvement vers l’autre et invite le public à considérer autrement ses interactions. Qu’il embrasse entièrement la proposition ou qu’il garde certaines réserves, ce public peut difficilement demeurer passif. Quelque chose se meut en lui. Son rapport à l’autre se transforme. Ce constat me fait penser aux propos du chercheur Erwin Straus à propos de l’empathie:
Le sentir est […] une expérience d’empathie. Il est orienté vers les caractères physiognomoniques de ce qui est attrayant ou effarouchant. Il a les caractères de la «communion» et de «l’éloignement». Rien n’est plus éloigné de ma conception que d’interpréter l’empathie du sentir de façon sentimentale comme étant l’expression d’une harmonie universelle. L’empathie est le concept le plus large qui englobe à la fois les actes de séparer et de réunir, ceux de fuir ou de suivre, l’effroi et l’attrait (…). (Dans Rodriguez: 104)
Il me semble reconnaître dans cette définition de l’empathie plusieurs éléments qui caractérisent le rapport actuel de l’humain à l’autre qu’humain. Certaines de ces caractéristiques –fuite, attrait, communion, effroi– sont d’ailleurs mises en lumière à maintes reprises par l’équipe de création de la pièce. D’abord, racontant son exil après l’explosion, une femme fait part au public de sa quête pour retrouver son ancrage et un environnement où elle se sent bien.
On a d’abord été au Kazakhstan. (…)
On est restés quelques années là-bas.
On a d’abord habité au village des corbeaux. De l’autre côté de la forêt. Mais c’était bizarre là-bas… j’entendais des bruits… Ça tapait, ça tapait au-dessus de nos têtes… C’était peut-être des sorcières… (…)
Ici il n’y a pas de sorcières. On est bien. (d’Hoop: 20)
Pendant que la jeune femme s’adresse à nous, avec une certaine pudeur, un couple de vieillards vit son quotidien derrière elle. Le vieil homme est immobilisé dans son fauteuil roulant pendant que sa femme accroche des fleurs aux murs de la structure. De temps à autre, la jeune femme jette un coup d’œil aux vieillards, comme si elle parlait d’eux. Au moment où elle évoque les sorcières, la vieille femme grogne. Bienveillance, nostalgie, inquiétude et malaise se dégagent tour à tour de la scène.
Tout de suite après, arrive le jeune homme qui transporte le cheval mort sur ses épaules, présenté précédemment. Autant cette scène nous apparaît bouleversante, parce qu’elle représente en quelque sorte toutes les morts, les conséquences liées à Tchernobyl, autant elle nous semble d’une grande beauté en raison de la sensibilité qui en émane. Elle nous permet de vivre la désolation et l’impuissance de cet homme devant une tragédie dont il est responsable en tant qu’humain. L’espace d’un instant, nous sommes cet homme.
Aussi, en questionnant notre manière d’interagir et de cohabiter avec l’autre qu’humain, la pièce permet assurément de poursuivre la réflexion mise en place depuis les années 1970 dans le domaine des humanités environnementales invitant à revoir la place de l’humain au sein du milieu naturel et les valeurs morales qui découlent de ses rapports avec l’autre qu’humain.
Qu’allons-nous faire des animaux qui vivent sous terre?
Qu’allons-nous faire des animaux sauvages?
Comment allons-nous expliquer aux oiseaux ce qui est arrivé?
Comment allons-nous faire comprendre à ce monde que nous avons aimé et avec lequel nous avons vécu en bonne entente, que nous l’avons trahi, que nous l’avons anéanti, alors qu’il ne le sait même pas encore? (d’Hoop: 21)
Ici, Yulia exprime une prise de conscience troublante: l’humain a trahi le monde, la nature, l’autre qu’humain. Il est allé trop loin et a ainsi provoqué un chaos. Claude Raffestin, professeur et géographe français, affirme que «[l]a limite, ligne tracée, instaure un ordre qui n’est pas seulement de nature spatiale mais encore de naturelle temporelle en ce sens que cette ligne ne sépare pas uniquement un “en-deçà’’ et un “au-delà’’, mais en outre un “avant’’ et un “après’’.» (3) Pour Yulia et sa communauté, une nouvelle ligne a indéniablement été tracée: il y un avant et un après Tchernobyl mais les deux cohabitent, indiscutablement. Aucun retour en arrière n’est possible: une transformation des rapports de l’humain avec l’autre qu’humain est incontournable pour entamer une suite. Mais aucun mode d’emploi pour réagir à l’indéfinissable, pour entamer une action. Juste un face à face angoissant entre des entités qui ne se reconnaissent plus.
Recréer l’enchantement
En raison de la forme de réflexion active qu’elle déclenche, la pièce représente bien l’idée du dramaturge David Wahl selon laquelle l’art peut rénover les relations entre l’humain et l’environnement. Wahl est d’ailleurs convaincu que la littérature a un rôle essentiel à jouer dans la transmission de connaissances. Selon lui, «[p]our que se rencontrent science et récit, il s’agit avant tout (…) de parvenir à obtenir et à partager une construction émotionnelle du savoir.» (Wahl: 80) Il faut donc faire en sorte que les connaissances théoriques et scientifiques résonnent autrement que comme des données, afin d’amener les gens à les concevoir et à les considérer aussi avec le cœur plutôt que seulement avec la tête. Olivier Remaud est du même avis:
L’important est de reconnaître que toute société ménage de la place pour des savoirs qui organisent la perception du monde et produisent des effets de cohésion. Les humains qui se sentent observés par les glaciers comprennent qu’ils font partie d’un collectif plus vaste et qu’ils sont membres d’une espèce parmi d’autres espèces. Alors les mêmes glaciers qui disparaissent sont comme des êtres chers qu’ils perdent. (Dans Leprovost, 2021)
Ici, Remaud expose l’importance des notions d’interrelation et de réciprocité, qui se trouvent depuis des siècles au cœur des savoirs traditionnels et des relations qu’entretiennent les nations autochtones avec le monde, il faut le rappeler. Il croit que la société occidentale devrait sans aucun doute mettre plus d’emphase sur ces notions dans ses rapports avec l’autre qu’humain et s’engager dans une relation qui tend davantage vers la réciprocité afin qu’un véritable changement s’opère dans sa manière de le considérer. Je précise que bien d’autres chercheurs et chercheuses avant lui, notamment dans le champ des écoféminismes, ont avancé cette idée, notamment Françoise d’Eaubonne (1978) et Donna Haraway (2003). Dans L’Herbe de l’oubli, la voix hors-champ de Yulia représente certainement ce désir de s’ouvrir autrement à l’autre qu’humain, de voir au-delà des concepts déterminés et de brasser notre rapport aux modes de connaissances.
C’est aussi l’invitation que semblent nous lancer les artistes de L’Herbe de l’oubli. À partir de faits réels, de statistiques et de données scientifiques, qu’ils font vivre à travers un langage artistique, ils arrivent à tisser une trame qui sensibilise, informe et conscientise. L’œuvre défie ainsi le grand partage de l’enchantement décrit par les philosophes Estelle Zhong Mengual et Baptiste Morizot, découlant de la césure entre nature et culture et voulant que «tout savoir qui restitue ses puissances d’enchantement au vivant tombe hors du savoir, tout art qui prétend s’en emparer reste en dehors de la vérité.» (2018: 89) L’équipe de création transpose au théâtre les connaissances théoriques et scientifiques acquises durant le processus de recherche et de création de manière à impliquer les sens, les affects et les émotions. Grâce à l’exploration, sur scène, de diverses formes de cohabitations et de la perméabilité des frontières, les artistes révèlent ce tout auquel l’humain appartient et, ce faisant, déhiérarchisent et renouvellent les rapports habituels. Par le fait même, la pièce apparaît comme un moyen de contrer la crise de la sensibilité dont parlent aussi Mengual et Morizot et qu’il définissent comme «un appauvrissement de ce que nous pouvons sentir, percevoir, comprendre, et tisser comme relations à l’égard du vivant.» (87)
De fait, à la fois dans sa forme et dans son propos, L’Herbe de l’oubli propose justement d’insuffler une sensibilité renouvelée à nos rapports à toutes choses (humains, autres qu’humains, savoirs, temps, espace, etc.), de bousculer nos perceptions et d’opérer une ouverture différente sur le monde afin que puissent exister de nouveaux espaces et modes de cohabitation. Le processus peut sembler déstabilisant et inquiétant parce qu’il nous oblige à questionner nos certitudes et à redéfinir nos ancrages. En toute fin de pièce, Yulia partage ce constat déroutant devant l’inconnu qui l’attend : «Je reconnais avec franchise que je ne connais pas la réponse à un grand nombre de questions, que de façon générale je ne connais la réponse à aucune des questions sérieuses dans lesquelles nous place la vie. Et personne ne connaît ces réponses.» (d’Hoop: 30)
Personne, c’est vrai. Mais nous le voyons avec L’Herbe de l’oubli: le théâtre a certainement le pouvoir d’ébranler nos certitudes et nos habitudes et de nous faire explorer de nouvelles pistes de réflexion où cohabitent tous les possibles.
(Merci à Jean-Michel d’Hoop pour l’accès au texte et à la captation vidéo du spectacle. Site de la compagnie Point Zéro: https://www.pointzero.be/)
Bibliographie
BOUVET, Rachel. (2017). «L’altérité des frontières». Dans D. Chartier, H. V. Holm, C. Savoie et M. V. Skagen. Frontières. Montréal: Imaginaire | Nord et Bergen: Université de Bergen, coll. «Isberg».
DELEUZE, Gilles. (1966). Le bergsonisme. Paris: Presses universitaires de France.
D’EAUBONNE, Françoise. (1978). Écologie et féminisme: révolution ou mutation. Paris: Éditions Libre & Solidaire.
D’HOOP, Jean-Michel. (2018). L’Herbe de l’oubli. Texte inédit et captation vidéo du spectacle.
HARAWAY, Donna. (2003). Manifeste des espèces compagnes. Chiens, humains et autres partenaires (traduit par Jérôme Hansen). Paris: Flammarion.
LAPOINTE. Josée. (2016, 24 mai). «Le monde post-humain de Nancy Huston». La Presse. En ligne. https://www.lapresse.ca/arts/livres/201605/24/01-4984526-le-monde-post-humain-de-nancy-huston.php
LEPROVOST, Julien. (2021, 7 janvier). «Le philosophe Olivier Remaud: “la distinction entre le vivant et l’inerte repose sur une illusion. Les mondes de glace ne sont pas dénués de vie”». Good Planet. En ligne. https://www.goodplanet.info/2021/01/07/le-philosophe-olivier-remaud-la-distinction-entre-le-vivant-et-linerte-repose-sur-une-illusion-les-mondes-de-glace-ne-sont-pas-denues-de-vie/?cn-reloaded=1
LOTMAN, Youri. [Jurij Mixajlovi Lotman]. (2005). «On the semiosphere» (traduit en anglais par Wilma Clark), Sign Systems Studies, Vol. 33, no. 1, p. 205-229. (Publication originale en 1984: «O semiosfere», Trudy po znakovym sistemam, 17, 1984, p. 5-23).
MORIZOT, Baptiste et ZHONG MENGUAL, Estelle. (2018, février). «L’illisibilité du paysage». Nouvelle revue d’esthétique, no. 22. Paris: Presses universitaires de France.
RAFFESTIN, Claude. (1986). «Éléments pour une théorie de la frontière». Diogène, Vol. 34, no. 134, p.3-21.
REMAUD, Olivier. (2020). Penser comme un iceberg. Arles: Actes Sud.
RODRIGUEZ, Antonio. (2003). Le pacte lyrique. Configuration discursive et interaction affective. Sprimont (Belgique): Pierre Mardaga éditeur.
STALL, Dinaïg. (2020). «Anima[L]: les formes marionnettiques comme outil de représentation et de subversion de l’animalité». Zizanie, dossier «Rencontres interespèces et hybridations: l’animal et l’humain». Vol. 4, no 1 (automne), p.43-60. En ligne. https://www.zizanie.ca/vol-4-no-1-stall.html.
WAHL, David. (2016, mars). «Une dramaturgie des sciences?», Annales des mines – Responsabilité et environnement, no. 83. Paris: F.F.E, p.81. En ligne. https://www.cairn.info/revue-responsabilite-et-environnement-2016-3-page78.htm?contenu=resume.
- 1Tout comme en mathématiques la frontière représente une multiplicité de points qui appartiennent simultanément à l’espace intérieur et extérieur, la frontière sémiotique est représentée par la somme de «filtres» traduisibles et bilingues à travers lesquels le texte est traduit dans une autre langue (…). [Je traduis.]
- 2Au moment d’écrire ces lignes, cette douleur est ravivée et décuplée par la guerre qui sévit en Ukraine.
- 3En fait, c’est l’ensemble de l’écosystème qui est devenu à la fois menaçant et menacé par ce bouleversement (oiseaux, insectes, animaux, plantes, minéraux, cours d’eau, etc.).