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Le Passage des ombres

Patrick Tillard
couverture
Article paru dans Romans internationaux, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Ouvrage référencé: Hausser, Isabelle (2006), Le Passage des ombres, Éditions de Fallois, Paris, 359p.

Disponible sur demande (Fonds Lower Manhattan Project au Labo NT2)

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

Passage des ombres est le récit de la confrontation entre trois êtres ayant chacun perdu une personne chère dans des circonstances culpabilisantes: la femme de William Barber, historien américain, est morte dans les attentats du World Trade Center, l’enfant de Guillaume Barbier (notez la conformité des deux noms) est mort accidentellement et enfin le mari volage d’Élise, amie d’enfance de Guillaume, est mort en Thaïlande. Chassé-croisé ponctué par l’amour de la musique — ils sont tous trois musiciens — le roman évoque les difficultés de chacun à se retrouver soi-même ou face aux autres, dans une évolution douce et lente, ponctuée par la musique et leurs répétitions communes. Le roman se passe dans la Drôme, dans le village de Malemort, principalement dans la maison prêtée par Guillaume à William. Peu à peu, le récit passe insensiblement des termes du roman psychologique à ceux d’une enquête policière liée à l’imagination de William et de Guillaume face à Élise et à leurs passés. La découverte d’une tête coupée sur un pont et à propos de laquelle Guillaume, juge d’instruction, enquête permet d’évoquer parallèlement un assassinat du milieu du XVIIe siècle dans le village de Malemort où une jeune fille a eu également la tête séparée du tronc. Lors de travaux de rénovation dans la maison prêtée, la découverte des archives du chirurgien du village de cette époque permet toutes les hypothèses quant au responsable de l’assassinat. Plusieurs niveaux de lecture, plusieurs hypothèses ouvertes par l’imagination des protagonistes relancent l’intérêt jusqu’à la fin du roman. Portraits de désirs mesurés, sentiments et passions plus ou moins fortement ravivés ou laminés par le fil du temps d’une vie passée, interrogations sur l’amitié, l’amour, le deuil, douleur et souffrances muettes, forment une trame psychologique particulièrement dense tout au long du roman.

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Roman.

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Roman polyphonique, les trois narrations de l’époque contemporaine incluent progressivement un nouveau plan de narration : celui d’un meurtre au XVIIe siècle vu par le chirurgien du village.

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

Le 11 septembre agit ici comme un arrière-plan important au récit sans toutefois en constituer la trame principale. Le deuil vécu par l’un des protagonistes dont la femme est morte lors des attentats du 11 septembre est un facteur décisif qui permet notamment à l’auteure de justifier les troubles psychologiques de ce personnage et de brosser un tableau contradictoire et nuancé de l’opposition France/États-Unis.

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

Les événements sont présentés de manière explicite. William Barber, qui a perdu sa femme dans la chute des tours du World Trade Center, considère que le gouvernement républicain de Bush est responsable de la disparition de sa femme. Il est un opposant déclaré à l’extrémisme politique, religieux, de ce gouvernement dont il a honte. Le corps de sa femme s’étant volatilisé dans les millions de tonnes de béton des tours, l’incrédulité et l’aspect surréaliste de la situation et l’impact de cette disparition quasi impossible à imaginer tournent chez cet historien à l’obsession. Le roman, qui débutait pourtant avec une forme traditionnelle, se trouve profondément modifié dans sa forme même par la construction introspective du récit qui fouille l’intériorité du personnage et de son obsession au coeur même des lignes narratrices du roman, en sondant la matérialité de son vécu, en ouvrant la porte de son interprétation aux fantasmes et à la réalité soudain moins certaine et en déportant le récit vers une déconstruction ouverte de la forme.

Moyens de transport: Aucun des moyens de transport représentés n’a de rapport avec le 11 septembre.

Les médias ou les moyens de communication: Rien de significatif.

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

William Barber, historien américain, a perdu sa femme dans les événements du 11 septembre. Son obsession de la dissémination du corps de sa femme est au centre du récit.

Le point de vue sur le 11 septembre est presque uniquement celui de William Barber, américain. Démocrate, il est littéralement obsédé par l’ordre moral imposé par Bush et son équipe et n’a pas de mots assez durs pour faire comprendre à ses deux amis l’état de déliquescence de la démocratie aux Etats-Unis. Les pères fondateurs de la démocratie américaine et le débat entre créationnistes et évolutionnistes sont notamment mentionnés.
Sa femme ayant disparu dans les attentats, William Barber suit l’évolution du conflit en Irak avec un intérêt obsédant, intérêt qui le fera retourner vivre aux États-Unis afin d’assister à la commission d’enquête sur les attentats et de lutter démocratiquement contre Bush et son équipe. Le roman se déroulant pendant son année sabbatique, les événements marquants de cette période tels les photos de tortures de Abu Garib ou l’attentat qui détruisit la permanence de l’ONU à Bagdad rythment le récit des relations des trois amis. Les sentiments de William Barber — désarroi, incompréhension devant la désintégration de sa femme — oscillent entre la colère et l’incompréhension. La description de l’effondrement des tours et le traumatisme vécu ce jour-là par les New-Yorkais sont littérairement bien documentés et assez réussis.

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Aucun son.

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Aucun travail iconique.

Autres aspects à intégrer

N/A

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

Certains lieux semblent enchantés, comme si, placés en un point sensible où se déforme la trame de l’espace et du temps, ils gardaient la mémoire des événements dont ils ont été le théâtre ou protégeaient les secrets de ceux qui les ont habités. Malemort, petit bourg méridional chargé d’histoire, que les événements du monde, même les plus sanglants, n’atteignent que de manière étouffée, pourrait être l’un de ces endroits magnétiques où viennent se confondre les époques. C’est à un trio insolite que revient la tâche d’invoquer l’esprit des lieux : une femme et deux hommes qui essaient, chacun à sa manière, de surmonter leurs deuils respectifs à travers l’amitié, la musique et leurs obligations professionnelles. Leurs égarements intérieurs les mènent sur la piste de deux meurtres non identifiés. L’un bien réel, que Guillaume, le magistrat, est obligé d’instruire, l’autre, incertain et commis à une époque antérieure, qui suscite la curiosité de William, l’historien, tandis qu’Élise, le médecin du bourg, est confrontée à des morts moins inattendues parmi ses patients. Leurs trois voix alternées se répondent dans Le Passage des Ombres. S’y mêle, comme un écho assourdi, gagnant peu à peu en puissance, un quatrième timbre surgi des failles du temps.

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

Inconnues. À la lecture du roman, toutefois, on devine une nette désapprobation de la politique du gouvernement républicain.

Citer la dédicace, s’il y a lieu

« À mes parents séparés par la mort »

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

https://web.archive.org/web/20070317022135/http://users.skynet.be/pierre.bachy/hausser_isabelle_passage_ombres.html [Consultée le 9 août 2023]
http://groups.msn.com/Leclubdesratsdebiblionet/amricains.msnw?action=get… [Cette page n’est plus accessible]
http://cuneipage.over-blog.com/article-4027648.html [Cette page n’est plus accessible]

Radio : https://web.archive.org/web/20070426030537/http://www.rcf.fr/emission.php3?id_rubrique=100559&id_locale=1&p=25 [Consultée le 9 août 2023]

Impact de l’œuvre

Inconnu (mars 2007).

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

La confrontation entre la vieille Europe et les États-Unis anime une partie décisive du coeur du roman. La différence d’appréciation et l’incompréhension culturelle réciproque sont assez finement amenées. Les remarques et les observations de William Barber sur les États-Unis et ses angoisses et son obsession concernant la désintégration de sa femme dans la catastrophe servent bien à démontrer le trouble profond qui a saisi une partie des intellectuels américains démocrates devant l’ampleur du choc subi le 11 septembre 2001. Un des apports du livre en regard de la mythification sera sans doute de montrer que, dans les pays occidentaux, les structures culturelles et sociales qui apparaissent a priori étrangères l’une à l’autre sont en définitive plus ou moins fortement liées par l’histoire, par un ensemble de coïncidences et de glissements.
La symbolique de la désintégration, de l’enfouissement impossible, du mélange des corps entre meurtriers et victimes, de la poussière des corps et du béton mélangés dans une image particulièrement évocatrice, cette symbolique de la désintégration, entre destruction et mutation, pourrait être la puissance génératrice d’une dynamique propre à la symbolisation du mythe du 11 septembre. La structure dynamique du symbole doit être ici considérée par la part d’énigme qui lui est inséparable et qui est inhérente au parcours du mythe.
L’énigme est d’ailleurs l’une des questions posées par le roman : Béatrice, l’épouse de William, est-elle morte, a-t-elle survécu, de quelle façon, est-ce sa tête qu’on a trouvée à Malemort, a-t-elle été tuée, par qui, etc.
On notera aussi que les éléments de compréhension entre les cultures contemporaines s’amalgament dans le roman et que le déchiffrement de la perte subie par William Barber s’articule dans une recherche de soi, d’un avenir en correspondance avec celle des ses deux amis.
La création d’un mythe passe sans doute aussi par la recherche d’un rite. Il pourrait être en partie articulé dans ce roman par la célébration de la musique entre les différentes formes de disparitions mises en scène et les niveaux de compréhension pluriels.

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

« William avait encore un long chemin à parcourir. Il lui arrivait encore de confesser des pensées macabres et de parler jusqu’à l’étourdissement des idées folles qui lui traversaient l’esprit. Peut-être pour justifier sa souffrance, il affirmait que tout serait différent si Béatrice ne s’était pas désintégrée. L’évaporation de sa présence matérielle le rendait fou. Il y avait eu Béatrice et, en quelques secondes, il n’y avait plus eu de Béatrice. Pas la moindre trace. Comme si elle n’avait jamais existé. Même dans son appartement, devant ses penderies débordant de vêtements et regorgeant de chaussures, il n’était plus certain qu’il y ait eu un jour une Béatrice qu’il aimait et qui l’aimait. » (p.246)
« Les terroristes du 11 Septembre avaient violé de nombreuses lois. La plus insignifiante était d’avoir tourné les règlements municipaux proscrivant l’enfouissement des corps dans le sol de Manhattan. Qui, parmi les endeuillés, y avait pensé en dehors de lui ? Les autres semblaient surtout préoccupés par la pensée que les cendres de leurs morts étaient à jamais mêlées à celles de leurs meurtriers. » (p. 196)
« L’apprentissage du silence à son âge ressemblait à celui d’une langue étrangère. » (p. 162)

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

Autres oeuvres de l’auteure:

Aux éditions de Fallois :

  • Une comédie familiale, 2003
  • La table des enfants, 2001
  • La chambre sourde, 1998
  • Les magiciens de l’âme, 1996
  • Nitchevo, 1994
  • Célubée, (1986) rééd. 2000

Aux éditions Julliard:

  • La nuit, 1987

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