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Le jour où… 1987-2007, France Info, 20 ans d’actualité

Gabriel Tremblay-Gaudette
couverture
Article paru dans Bandes dessinées et romans graphiques, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Gonord, Didier (dir.) (2007), Le jour où… 1987-2007, France Info, 20 ans d’actualité, Paris, Futuropolis, 208p.

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

Le jour où… 1987-2007, France Info, 20 ans d’actualité est un recueil de 20 récits où chaque artiste présente, dans un récit de quelques pages, un événement d’actualité marquant des 20 dernières années. Si certains sont des événements locaux de la France (mort de François Mitterand, victoire des Bleus à la coupe du monde 1998, émeutes des banlieues en 2007) et que d’autres sont présentés du point de vue de personnages français (tsunamis et inondations en Asie du Sud-Ouest), d’autres événements, dont les attentats du 11 septembre, sont relatés dans une perspective internationale. La diversité des genres narratifs, des approches graphiques et des tons adoptés font de cette œuvre collective un document pertinent et révélateur sur certaines tragédies de la fin du vingtième siècle et des premières pages d’histoires du vingt et unième siècle. Deux récits sont directement liés au 11 septembre 2001, soit un récit portant sur les attentats et une entrevue de Joe Sacco avec deux ex-prisonniers de la Guerre d’Irak qui relatent leur expérience éprouvante de captifs de l’armée américaine, alors qu’ils ont été interrogés brutalement et injustement torturés tout en ignorant complètement le motif de leur arrestation.

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

La bande dessinée est à l’honneur dans Le jour où… mais le récit de la guerre au Kosovo est constitué de photographies de Étienne Davodeau.

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Pour les deux récits concernant le 11 septembre, les approches sont très différentes : le récit du 11 septembre, scénarisé par Pierre Christin et illustré par Guillaume Martinez, présente 15 « tableaux » où des personnages de plusieurs endroits à travers le monde vivent le 11 septembre différemment, le tout culminant par une splash page (illustration couvrant entièrement la page) où des employés de bureau du World Trade Center travaillent comme à leur habitude sans remarquer l’avion qui se trouve à quelques mètres de la fenêtre de leur bureau.

Le récit de Joe Sacco, intitulé « Trauma on Loan » (traduit en français sous le titre de « Souffrance à partager »), présente Joe Sacco alors qu’il interviewe Thahe Sabbar et Sherzad Khalid, deux hommes d’affaires de Baghdad arrêtés sans motif par l’armée américaine en 2003 et ayant subi des traitements inhumains. Ils ont décidé de poursuivre en justice le secrétaire d’état Donald Rumsfeld suite à leur libération. Ce récit entrecoupe l’entrevue par une reconstitution des conditions de détention des deux interviewés.

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

Dans le récit de Christin et Martinez, les attentats new-yorkais sont les seuls à être mentionnés et on voit dans plusieurs cases les images télévisées de l’explosion du deuxième avion, en plus de la dernière image mentionnée plus haut où l’attaque est représentée de l’intérieur du WTC. Outre les représentations plus génériques des images de télévision et de l’avion que l’on voit arriver vers la tour, le choix de représenter les événements de plusieurs points de vue permet une représentation globale et diversifiée des événements. De la famille de born-again christians au Kansas qui attribue les événements à la faillite spirituelle de l’Amérique tout comme une autre famille afghane qui se réjouit des événements, des conspirationnistes qui compilent les indices tournant autour du chiffre 11 à ceux qui vont étaler la thèse de l’imposture à l’émission de Thierry Ardisson, de la réaction de George W.Bush et des services secrets français à l’indifférence de paysans africains et d’enfants travaillant à rabais dans une usine chinoise, un panorama diversifié des points de vue sur les événements est proposé par les deux artistes, ce qui permet d’ouvrir une plus large perspective sur la catastrophe.

Le récit de Sacco emploie quant à lui la formule particulière du reportage journalistique, proche de l’école américaine du Gonzo Journalism des années 70, où Sacco est présent dans le récit et offre son opinion sur son travail de journaliste. Si les attentats du 11 septembre ne sont même pas mentionnés, on comprend bien que les deux interviewés ont étés arrêtés dans le cadre de la guerre en Irak et la thématique de la torture des prisonniers de guerre est directement liée au climat de peur et de non-respect des droits de la personne de l’après-11 septembre.

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

Le récit de Christin et Martinez présente à plusieurs reprises les attentats new-yorkais retransmis à la télévision mais ne fait aucune mention de l’attaque contre le Pentagone et de l’écrasement en Pennsylvanie du vol United 93. On ne trouve aucune mention des événements du 11 septembre dans le récit de Joe Sacco. Dans le récit de Christin et Martinez, la télévision diffuse à travers le monde les images des attentats, ce qui reflète adéquatement comment la télévision a été le média le plus important lors du 11 septembre, à un point tel que les autres médias ne sont pas mentionnés. Ceci illustre bien que les images spectaculaires qui ont été diffusées par la télévision ont incarné pour la grande majorité des citoyens de la terre leur expérience personnelle du 11 septembre. Les moyens de transport ne sont pas évoqués ou mentionnés dans les deux récits.

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

Tel que décrit plus haut, la multitude des personnages présents dans le récit de Christin et Martinez entretiennent des liens très différents avec les événements. Les habitants du tiers-monde ne savent rien du drame qui se déroule sur un autre continent, mais les services secrets français, le premier ministre anglais Tony Blair et George W. Bush sont directement impliqués dans la suite des choses. Les quelques personnages présentés comme témoins des actions ont une opinion différente sur la situation mais l’impact des événements est d’abord et avant tout psychologique. Les deux protagonistes principaux du récit de Sacco sont en quelque sorte des victimes indirectes du 11 septembre, puisqu’ils se retrouvent mêlés à l’acte de vengeance des États-Unis, dont l’armée voyait en chaque paysan irakien un terroriste ou un collaborateur de Al-Quaeda.

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Aucun son des attentats n’est représenté dans le récit de Christin et Martinez, ni dans celui de Sacco.

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Aucun travail remarquable n’est fait sur le texte dans les deux récits relatifs au 11 septembre 2001.

Autres aspects à intégrer

En plus des récits en bande dessinée, Le jour où… propose un CD audio qui contient 20 pistes sonores où des journalistes de France Info décrivent de manière rétrospective leur couverture des événements ou présentent des documents audio d’archives tirés de la couverture des événements telle que menée à l’époque. Pendant le topo d’un peu moins de 9 minutes concernant les attentats du World Trade Center qui fait une couverture internationale des réactions aux événements, on peut entendre des extraits d’une entrevue avec Cyrille Guillaut, un Français travaillant dans un bâtiment situé à 3 pâtés de maison du site des attentats. Le bouleversement et la stupéfaction audibles dans sa voix sont troublants.

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

28 auteurs pour 20 ans d’actualité.

Le regard de la bande dessinée sur vingt événements qui ont fait la une.

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

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Citer la dédicace, s’il y a lieu

À Didier Levefre

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

Une critique1[Page consulté le 11 août 2023] est disponible sur le site de citizenglam.com mais aucune mention n’est faite des récits de Christin, Martinez et Sacco.

Impact de l’œuvre

L’œuvre ne s’est pas distinguée par une réception critique dithyrambique ou des prix quelconques.

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

En prenant le parti de présenter la répercussion des événements du 11 septembre 2001 sur des personnages situés aux quatre coins du globe, Christin et Martinez permettent d’élargir le processus de fictionnalisation et de mythification des événements au-delà des frontières des États-Unis, ce qui rappelle entre autres que des paysans de l’Afrique et des enfants exploités en Chine n’ont pas ressenti le choc des attaques terroristes, trop occupés qu’ils étaient à traverser leur catastrophe quotidienne. Le panorama planétaire des événements est un traitement fort révélateur des différentes versions du 11 septembre qui se sont déroulées dans le monde ce jour-là. Il est cependant à déplorer quelques écarts du scénariste, qui présente le président américain comme un imbécile rustre caricatural, au point où il interrompt Tony Blair pour lui dire « Ça suffit les lamentations avec ton foutu accent pédé british! ». Christin semble également accorder un certain crédit aux théories conspirationnistes, ce qui peut à tout le moins miner sa crédibilité et assurément amenuiser sa présentation des événements, qui se révèle ainsi « intéressée ».

Le récit de Joe Sacco ne concerne pas directement le 11 septembre. Toutefois, son choix de traiter du scandale de Abou Ghraib en élargissant la question de la justice douteuse qui fut appliquée par l’armée américaine en Irak par le biais de témoignages de deux rescapés des prisons irakiennes se révèle un choix journalistique et artistique des plus judicieux. Qu’un auteur à la réputation établie comme Sacco ait choisi ce sujet contribue à sensibiliser la population face à la question de la torture des prisonniers de guerre, en allant au-delà des histoires scabreuses pour exposer les séquelles de telles actions sur deux hommes innocents qui ne se remettront jamais des sévices qui leur furent infligés au nom de la guerre au terrorisme.

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

Pour le récit de Christin et Martinez :

“Le 9/11 de George W.Bush dans l’école américaine où on lui annonce la nouvelle alors qu’il fait semblant de faire la lecture avant de faire semblant de faire quelque chose alors qu’il n’y a plus rien à faire…” (page 139)

“Le 9/11 chez les obsessionnels du chiffre 11 qui sont nombreux, largement connectés à Internet et dont les divagations se développent de façon exponentielle sur la toile à travers le monde…” (page 143)

Pour le récit de Sacco :

“On peut se remettre d’une douleur physique. On peut prendre
des médicaments, des antalgiques. Mais moi, ma douleur est psychologique.

Et je ne peux ni guérir, ni passer à autre chose. Parce que
toute ma vie a changé. Mon caractère. Ma personnalité.

Je ne suis plus le Sherzad d’avant. Je suis devenu un autre.

Parfois, j’ai l’impression d’être fou.

À votre avis?” (page 159)

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

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Couverture du livre

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    [Page consulté le 11 août 2023]
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